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25 mars 2023 6 25 /03 /mars /2023 22:56

Arrivé au pouvoir par un coup d'Etat en 1961, dirigeant incontesté de la République de Corée jusqu'à son assassinat en 1979, le Président Park Chung-hee a mis en place un régime très autoritaire où les droits sociaux étaient largement méconnus, tout en ayant engagé la Corée du Sud sur la voie d'un développement économique et d'une modernisation conduits sous la houlette de l'Etat. Ces options peuvent avoir en partie pour origine l'admiration de Park Chung-hee pour la France et plus particulièrement pour Napoléon - même s'il n'aura finalement jamais visité la patrie de Robespierre et du général de Gaulle, qu'il tenait également en haute estime. 

Le rêve français et napoléonien de Park Chung-heeLe rêve français et napoléonien de Park Chung-hee

Dans ses mémoires, le général Park Chung-hee souligne que l'empereur Napoléon est devenu son modèle quand, encore enfant, il a lu sa biographie : 

En sixième, j'ai lu une biographie de Napoléon, il est devenu mon idole.

Après s'être passionné pour l'histoire de France contre l'avis de ses professeurs, le jeune Park Chung-hee poursuivit son désir de suivre l'exemple du général Napoléon Bonaparte en embrassant la carrière des armes. Il aurait aussi voulu rencontrer le général de Gaulle - mais en réalité le Président Park Chung-hee ne devait jamais visiter la France. Son déplacement en Europe, en décembre 1964, aurait dû le conduire en France et en Allemagne - mais le programme de visite fut finalement limité à l'Allemagne, pour des raisons essentiellement financières. Un second projet de déplacement en France, en 1971, ne se concrétisa pas davantage - les autorités françaises ne souhaitant pas qu'il interfère avec l'élection présidentielle sud-coréenne prévue un mois plus tard, alors que son principal adversaire, le démocrate Kim Dae-jung, devait aussi visiter la France. Le tropisme français de Park Chung-hee contribua par ailleurs à ce que sa fille étudie en France la langue de Molière, en 1974 - ce séjour étant toutefois écourté par l'assassinat de sa mère, conduisant Park Geun-hye à revenir en Corée pour exercer les fonctions de première dame. Ce sera finalement Park Geen-hye, devenue à son tour présidente (2013-2017), qu'il appartiendra de réaliser le voyage en France dont avait rêvé son père en tant que chef d'Etat.

Si l'intérêt pour Napoléon et la France du général Park Chung-hee apparaît bel et bien sincère, il semble surtout trouver son expression dans le rôle dévolu à l'Etat en Corée du Sud sous la présidence Park pour la construction d'une société nouvelle, y compris par l'interventionnisme économique - ainsi que par le rôle majeur dévolu au dirigeant, dont le pouvoir a été, en France après 1799 comme en République de Corée après 1961, issu d'un coup d'Etat militaire, puis légitimé par des processus qui, à défaut d'être démocratiques, étaient basés sur un processus électoral. 

Sources : 

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5 février 2023 7 05 /02 /février /2023 15:24

Le 28 janvier 2023, Jacques Bloch nous a quittés à l'âge de 98 ans. Un vibrant hommage national à été rendu à l'ancien résistant et déporté, qui était un patriote ardent et un défenseur inlassable des valeurs républicaines et démocratiques. L'Association d'amitié franco-coréenne salue aussi la mémoire d'un artisan des relations entre la France et la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord). Nous présentons nos plus sincères condoléances à sa famille et ses proches. 

Jacques Bloch, sur le site des Résistances

Jacques Bloch, sur le site des Résistances

Né le 7 juillet 1924 à Paris, Jacques Bloch avait découvert très jeune la violence des discriminations et des atteintes aux droits élémentaires de la personne humaine peu après le déclenchement de la Seconde guerre mondiale en Europe - son père, enseignant, étant révoqué de la fonction publique dès juillet 1941 car juif. La famille Bloch s'était ensuite réfugiée en Touraine puis dans la Creuse pour échapper aux arrestations. En Limousin, c'est un cousin de Jacques qui les accueille : l'historien Marc Bloch. Jacques Bloch rejoint le maquis - sous le pseudonyme de Jacques Binet - et prend part aux combats de la libération de Guéret en juin 1944. Grièvement blessé, il est amputé d'un bras à l'hôpital où, dénoncé par un milicien, il est livré à la Gestapo, torturé puis déporté à Buchenwald où il portait le matricule 85235 - et était classé parmi les prisonniers politiques. Il dira que ceux qui perdaient espoir mouraient les premiers, en quelques jours. Exemple de courage et d'intégrité, il écrit de la poésie et se lie d'amitié avec l'écrivain Jacques Lusseyran. Il s'évade avec un camarade en avril 1945, lors de l'évacuation du camp par les nazis à l'approche des troupes alliées.

Après la guerre, il doit renoncer à des études de médecine pour privilégier le droit et devenir administrateur des services du Sénat. Il terminera sa carrière comme directeur du service des commissions. Il a aussi été l'un des grands témoins de la torture et de la déportation, expressions de la barbarie nazie.

C'est en qualité de fonctionnaire parlementaire qu'il jouera un rôle discret mais efficace dans les premières relations diplomatiques qui se mettent en place entre la France et la RPD de Corée. Après l'ouverture du bureau commercial de la RPD de Corée en France en 1972, ces initiatives font suite à la création à la Chambre haute du groupe interparlementaire d'études et de contact France - RPDC, à l'initiative du sénateur André Aubry (plus tard président de l'AAFC, et toujours président d'honneur de l'AAFC) qui a écrit à Alain Poher, alors Président du Sénat, pour solliciter la création d'un tel groupe. Le groupe du Sénat joue un rôle d'incubateur de futures relations diplomatiques qui seraient plus complètes, des délégations des sénateurs (formées notamment de Philippe Machefer et Bernard Hugo, plus tard vice-président de l'AAFC) se rendant à de nombreuses reprises en Corée du Nord dans les années 1970 et 1980, et vice versa des délégations nord-coréennes visitant alors la France à l'invitation du Sénat. Ces échanges étaient effectués en étroite coordination avec le gouvernement français qui, pour sa part, limitait les contacts directs avec les autorités nord-coréennes. Jacques Bloch était la cheville ouvrière des échanges menés sous l'égide du Sénat en sa qualité de secrétaire exécutif du groupe interparlementaire France-Corée du Nord de la Haute Assemblée. Ancien résistant et déporté, il était d'autant mieux placé pour comprendre un régime dont la légitimité se fonde sur la résistance antijaponaise.

Les membres les plus anciens de l'AAFC ont gardé un souvenir ému de Jacques Bloch, modèle de modestie et d'attachement aux valeurs républicaines, qui ne mettait pas en avant ses faits de résistance. Plus que d'autres, Jacques Bloch savait que le vrai humanisme consiste à tendre la main à l'autre, et que du dialogue fécond entre hommes et femmes de bonne volonté, par delà les différences culturelles, pourra advenir un monde de paix, de liberté et de fraternité. Puisse son exemple vivant continuer à nous inspirer.

Sources : 

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3 février 2023 5 03 /02 /février /2023 18:50

Elle avait été l'une des actrices vedettes du cinéma sud-coréen des années 1960 et 1970, et sa carrière s'était poursuivie sans interruption jusqu'en 1982. Elle avait ensuite tourné dans cinq long métrages, et pour la dernière fois dans Poetry de Lee Chang-dong en 2010.  Née le 30 juillet 1944 à Pusan, puis ayant grandi à Gwangju, Son Mi-ja avait accédé à la célébrité sous son nom de scène, Yun Jung-hee. Elle s'est éteinte le 19 janvier 2023 à Paris, alors qu'elle s'était établie en France avec son mari, le pianiste Paik Kun-woo, depuis le milieu des années 1990. Elle laisse derrière elle deux filles, dont la violoniste Paik Jin-hee. L'Association d'amitié franco-coréenne présente ses condoléances et à la famille et aux proches de cette artiste exceptionnelle. 

Un dernier hommage à Yun Jung-hee

Elles étaient trois - trois actrices concurrentes qui avaient crevé l'écran de l'encore jeune cinéma sud-coréen, qui à cette date n'avait pas conquis la planète : la "troïka" de stars était formée de Yun Jung-hee, Moon Hee (née en 1947, en activité depuis 1965) et Nam Jeong-im (1945-1992, en activité de 1966 à 1978). 

Ayant tourné dans quelque 300 films, notamment comme partenaire de Shin Seong-il, Yun Jung-hee avait débuté sa carrière en 1967 dans Un épéiste au crépuscule, et la même année elle avait été récompensée comme nouvelle actrice aux Grand Bell Awards et comme meilleure actrice aux Blue Dragon Film Awards. Elle conservera ces titres de longues années durant. L'Association coréenne des artistes de cinéma lui avait remis en 1992 le prix de meilleure actrice en activité, et en 2018 un prix pour l'ensemble son oeuvre. Pour son rôle de Yang Mi-ja dans Poetry, elle avait reçu pas moins de six prix nationaux et internationaux, dont le prix de l'Association des critiques de cinéma de Los Angeles et celui de la meilleure performance pour une actrice de l'Asia Pacific Screen Awards

Elle souffrait depuis dix ans de la maladie d'Alzheimer, à l'instar de l'héroïne qu'elle incarnait dans Poetry.

Lee Chang-dong, réalisateur de Poetry et ancien ministre de la Culture de la République de Corée, était présent à la cérémonie catholique qui lui a rendu hommage. Ses cendres reposent désormais dans le columbarium du cimetière de Vincennes.

Un dernier hommage à Yun Jung-hee
Yun Jung-hee en 2010, dans Poetry

Yun Jung-hee en 2010, dans Poetry

Principales sources : 

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20 décembre 2022 2 20 /12 /décembre /2022 19:54

« Attention, des pickpockets sévissent actuellement dans notre station. Pour votre sécurité, surveillez bien vos effets personnels » : ce message familier aux usagers du métro parisien peut désormais être entendu sur la ligne 1... en coréen. Le fruit d'une initiative entre la Régie autonome des transports parisiens (RATP) et l'ambassade de la République de Corée (Corée du Sud) en France, alors qu'augmente le nombre de touristes coréens en France.

Rame à la station Nation, sur la ligne 1

Rame à la station Nation, sur la ligne 1

Loi Toubon de 1994 oblige, les annonces officielles dans le métro parisien doivent être faites en français. Mais d'autres langues sont également utilisées - dans la limite de quatre langues et à condition que les contenus soient suffisamment courts : si initialement l'anglais et l'espagnol étaient le plus souvent entendus, des messages ont également été entendus en italien et en allemand. Tous prononcés par des confrères des agents de la RATP natifs des langues ainsi représentées.

Puis les langues se sont diversifiées : le chinois et le japonais ont aussi été employés, notamment sur les lignes les plus utilisées par les touristes - comme la ligne 1, qui dessert le Louvre et les Champs-Elysées, et passe à proximité de la Tour Eiffel. 


C'est dans ce contexte qu'il a été décidé de diffuser également des messages en coréen, enregistrés grâce à la participation de Coréens vivant en France - un homme et une femme, et qu'on peut entendre pendant la saison touristique - en hiver et en été.

Sources : 

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4 décembre 2022 7 04 /12 /décembre /2022 17:22

Dans son ouvrage La France rouge (1871-1989) ; un siècle d'histoire dans les archives du PCF, l'historien Bruno Fuligni reproduit l'entretien qu'a eu à Pyongyang, le 19 mars 1975, Jean Kanapa, responsable de la section de politique extérieure du Parti communiste français (PCF), avec Kim Il-sung. Par ailleurs un des membres fondateurs de l'Association d'amitié franco-coréenne en 1969, Jean Kanapa visitait la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) en tant que représentant de Georges Marchais qui, malade, n'avait pas pu honorer personnellement l'invitation des autorités nord-coréennes. Alors que Kim Il-sung a défendu l'indépendance d'action de chaque parti communiste ou ouvrier au sein du mouvement communiste international - ce qui pouvait faire écho à l'eurocommunisme, dont Jean Kanapa était l'un des artisans - la fin de l'entretien comporte, de manière intéressante, une référence à une possible visite en France et en Europe du président nord-coréen. S'il devait être présent aux funérailles de Tito en 1980 à Belgrade, il ne devait finalement jamais voyager en Europe occidentale.

Jean Kanapa

Jean Kanapa

En fin d'entretien, le fondateur de la RPD de Corée évoque que, s'il se rendait en France, il pourrait y rencontrer Georges Marchais, en l'absence notamment de relations diplomatiques officielles avec la France : 

Comme nous n'avons pas de relations diplomatiques avec la France, peut-être, si je vais en Europe, je pourrai rencontrer Georges Marchais là-bas.

Si ces propos peuvent laisser sous-entendre une rencontre une Europe avec Georges Marchais ailleurs qu'en France, la suite de l'entretien est toutefois assez claire quant à l'hypothèse d'une visite qui aurait bien lieu en France - en précisant que ce n'était pas alors qu'une hypothèse, qui nécessiterait les moyens de rechercher comment une telle visite serait possible. Kim Il-sung déclare en effet :

Notre comité politique n'en a pas encore décidé. Nous chercherons les moyens d'une telle possibilité.

Le choix de la France n'est alors pas anodin. Après l'ouverture effective d'un bureau commercial nord-coréen en France en 1972, un canal d'échanges officiel existait. Les années 1972-1973 avaient été marquées par une certaine intensification des échanges économiques, et la France pouvait apparaître comme un partenaire privilégié de Pyongyang en Europe occidentale. Faute que les archives du ministère des Affaires étrangères soient ouvertes sur le sujet, il est cependant difficile d'apprécier si les Nord-Coréens avaient effectivement entrepris des démarches auprès de la diplomatie française et comment elles ont pu être accueillies. L'ancien ambassadeur français en Chine Etienne Manac'h n'y fait pas non plus référence dans ses Mémoires d'extrême Asie, qui constituent une source de première main sur les relations franco - nord-coréennes au début des années 1970 - mais Etienne Manac'h a quitté son poste à Pékin en 1975, l'année de la visite à Pyongyang à Jean Kanapa.

Source :  Bruno Fuligni, La France rouge (1871-1989) ; un siècle d'histoire dans les archives du PCF, Les Arènes, 2011, citations p. 314 (l'entretien de Jean Kanapa et Kim Il-sung est reproduit pp. 280-385). Référence : AD 93, cote 264 J 20. 

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1 juillet 2022 5 01 /07 /juillet /2022 22:37
"Faire du terrain en Corée du Nord" ? La réponse d'universitaires et de chercheurs

En 2021, l' "Atelier des Cahiers" a édité un essai intitulé "Faire du terrain en Corée du Nord", publié sous la direction de Valérie Gelézeau et Benjamin Joineau. Cet ouvrage relate et analyse le déplacement en République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), en octobre 2013, de sept chercheurs : outre les deux auteurs précités, Yannick Bruneton, Evelyne Chérel-Riquier, Koen De Ceuster, Alain Delissen et Françoise Ged. A la suite de ce déplacement, la géographe et urbaniste Valérie Gelézeau, spécialiste de la Corée, et l'architecte Françoise Ged ont pu initier une coopération franco-(nord-)coréenne dans leurs domaines de spécialité, accueillant ensuite à plusieurs reprises des confrères nord-coréens en France. L'Association d'amitié franco-coréenne revient sur la manière dont les auteurs ont rendu compte de leur échange, à la lumière de cette question : comment faire un travail de recherche de terrain, réputé impossible, en Corée du Nord ?

Lorsqu'en avril 2012 une délégation de l'AAFC en visite en Corée du Nord rencontrait des architectes nord-coréens formés en France qui lui avaient fait part de leur intérêt d'engager des coopérations avec des universitaires français, elle ne se doutait pas que plusieurs de ses interlocuteurs de l'EHESS, spécialistes de la Corée, souhaitaient alors eux aussi mettre en place un programme d'échanges avec la RPDC. Cette question d'un échange universitaire devait à nouveau être abordée lors d'un nouveau voyage de l'AAFC au nord de la péninsule, en juillet-août 2013, au cours duquel nous avons à nouveau remis de la documentation dans le domaine de l'architecture. Dans ce contexte, nous nous sommes félicités de la concrétisation du programme universitaire et pluridisciplinaire, engagé en octobre 2013 sous l'impulsion notamment de Valérie Gelézeau, et à la préparation duquel nous avions modestement contribué. L'ouvrage paru aux éditions de l'Atelier des Cahiers rend compte de ces échanges, huit ans après leur mise en place, et auxquels un coup d'arrêt (espérons-le temporaire) a été donné par la fermeture des frontières nord-coréennes depuis le début de l'année 2020, dans le contexte de lutte contre la pandémie liée au Covid-19.

Il y a plusieurs niveaux de lecture de ce qui constitue fondamentalement un essai sur la notion de travail de terrain dans le domaine de la recherche universitaire. Tout d'abord, nous pouvons lire les résultats concrets de ces échanges à partir d'une lecture de l'urbanisme de Pyongyang, en particulier dans le compte rendu de mission qu'a effectué Françoise Ged. Nous pouvons aussi découvrir une expérience de ce qu'on peut qualifier de choc interculturel, même pour des universitaires spécialistes de la Corée (mais plutôt du Sud). Enfin - et c'est sans doute le plus intéressant - les auteurs (et plus particulièrement Valérie Gelézeau, dans le chapitre consacré au "making off" du terrain) posent des questions essentielles sur la difficulté de mener des travaux de recherche au regard des contraintes imposées à tout voyageur en Corée du Nord : en particulier, c'est l'organisme d'accueil qui détermine, certes en lien avec les visiteurs, le programme de visite, dans une volonté de contrôle totale et constante - laquelle s'inscrit en filiation avec les modalités des déplacements qui pouvaient naguère être effectués en Union soviétique et dans la Chine avant 1979. De ce point de vue, la Corée du Nord ne constitue pas une exception de lieu et de temps, mais ces spécificités posent d'évidentes questions éthiques pour le visiteur que les auteurs traitent tant avec la distance scientifique qui s'impose qu'en maniant un humour qui rend leur ouvrage attrayant pour le néophyte soucieux de découvrir la Corée du Nord (et procède à une utile démystification). Et au final, nous faisons nôtres leurs conclusions selon lesquelles c'est en favorisant les interactions que l'on contribue le plus utilement à la compréhension de l'autre, en évitant les jugements de valeur et les a priori : "cela fait plus de quarante ans que les sciences humaines et sociales ont abandonné l'illusion de cette entreprise totalitaire qu'est le terrain ; il est temps de lâcher prise et d'abandonner aussi pour la Corée du Nord cette illusion. C'est la première condition qui permettra de tirer les études nord-coréennes d'une préhistoire méthodologique prisonnière non seulement des limites d'un "contexte fermé", mais d'une conception orientalisante et moralisante de tout ce qui touche à la Corée du Nord." (p. 139)

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7 avril 2022 4 07 /04 /avril /2022 11:11

A l'occasion de l'élection présidentielle française, dont le premier tour est le 10 avril 2022, l'Association d'amitié franco-coréenne a interrogé les candidats. A ce jour, seule Nathalie Arthaud, candidate de Lutte ouvrière, a répondu, alors que quatre candidats à l'élection présidentielle avaient répondu à l'AAFC en 2017 (Nathalie ArthaudNicolas Dupont-AignanJean Lassalle et Philippe Poutou). Il est vrai que l'intérêt pour les questions internationales, traditionnel parent pauvre des campagnes présidentielles en France, se porte actuellement majoritairement, si ce n'est quasi-exclusivement, vers le conflit en Ukraine. Au moins, les positions des candidats sur le dossier ukrainien permettent de savoir qui sont ceux privilégiant une politique de sanctions à l'égard de la Russie, même au prix d'un impact sur l'économie française infiniment plus fort que les conséquences des sanctions prises contre la République populaire démocratique de Corée.

"Réponse de Nathalie Arthaud à l'Association d'amitié franco-coréenne

Je dois tout d'abord vous préciser qu'en tant que communiste internationaliste. Je suis opposée à toutes les frontières et à toutes les divisions entre les peuples et bien sûr à fortiori au sein d'un même peuple. C'est pourquoi je suis fondamentalement et totalement favorable à la paix et a la réunification des deux Corées. Et comme je suis par ailleurs pour le droit des peuples à disposer deux mêmes, je pense que c'est aux deux parties de s'entendre pour trouver une solution. Je ne vous cacherais pas que je reste très pessimiste dans la mesure où cette division découle de la lutte que mène l'impérialisme américain dans sa domination mondiale.

Je comprends votre souci d'obtenir du gouvernement français qu'il agisse en faveur d'une réunification bien que les chances d'y réussir soient très faibles étant donné les complicités qui lient ces deux puissances impérialistes, France et USA.

Rétablir des  relations « normales » avec la RPDC, voudrait dire commencer par supprimer tout embargo dont les premières victimes sont les populations.

Cela dit, même réunifié le peuple coréen n'en sera pas pour autant libre. Les deux dictatures actuelles peuvent s'entendre un jour mais ce sera pour une dictature unique sur un peuple unique. Seule une unité des travailleurs du Nord et du Sud contre leurs classes dirigeantes pourra en faire un peuple libre… pour peu que le reste du monde le soit aussi !!"

L'AAFC remercie Nathalie Arthaud pour sa réponse et se félicite du soutien de la candidate de Lutte ouvrière à la paix et à la réunification en Corée, même si elle se montre pessimiste, et de son opposition aux sanctions qui frappent la population nord-coréenne. La candidate fait ainsi part de ses réserves quant aux chances d'un engagement de la France, "puissance impérialiste"  liée aux Etats-Unis, en faveur du dialogue entre les deux Corée.

Il est à noter que la réunification préconisée par Nathalie Arthaud est une réunification par les Coréens eux-mêmes ("c'est aux deux parties de s'entendre pour trouver une solution"), dans la droite ligne de la déclaration inter-coréenne du 15 juin 2000.

Enfin, on peut ne pas partager l'appréciation peu nuancée de Nathalie Arthaud sur les systèmes politiques et sociaux prévalant au Nord et au Sud, notamment son souhait de ne pas faire de différences entre eux en les qualifiant l'un et l'autre de "dictatures". Cette appréciation est néanmoins conforme à la vision d'une candidate internationaliste prônant l'unité des travailleurs du monde entier "contre leurs classes dirigeantes".

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3 février 2022 4 03 /02 /février /2022 18:29

L’Association d’amitié franco-coréenne (AAFC) défend, depuis sa création en 1969, la paix en Corée, enjeu vital pour la paix du monde, et l'unité du peuple coréen, divisé contre son gré à l'issue de la Seconde Guerre mondiale. L'AAFC considère que les solutions aux questions posées dans la péninsule coréenne doivent être avant tout réglées par les Coréens, et par eux seuls, et que la communauté internationale doit aller dans cette direction. L'élection présidentielle française aura lieu les 10 et 24 avril 2022, et le choix des électeurs se fera en fonction de différents paramètres, dont les questions internationales. L’AAFC a donc interrogé le 27 janvier 2022 les candidats déclarés à ce jour afin de connaître leur opinion sur les questions coréennes, le président de la République étant l'acteur principal dans la politique étrangère de la France. Les premiers candidats interrogés ont été : Nathalie Arthaud, François Asselineau, Nicolas Dupont-Aignan, Anne Hidalgo, Yannick Jadot, Jean Lassalle, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Valérie Pécresse, Florian Philippot, Philippe Poutou, Fabien Roussel, Christiane Taubira et Éric Zemmour.

Les quatre questions posées aux candidats sont les suivantes :

1) Malgré l’armistice de 1953, les deux Corée sont toujours « techniquement » en guerre, et la péninsule coréenne connaît régulièrement des tensions. Alors que les médias et certains pays se plaisent à souligner le programme nucléaire de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), les exercices militaires américains menés en République de Corée (Corée du Sud) ne soulèvent aucune réprobation, alors qu’ils simulent clairement une invasion de la RPDC. Aux termes de l’article 39 de la Charte des Nations unies, de telles manœuvres peuvent pourtant être qualifiées de « menace contre la paix ». Estimez-vous nécessaire que la situation dans la péninsule coréenne soit traitée dans sa globalité et que les comportements sensibles ou intimidants d’autres acteurs – à commencer par les États-Unis d’Amérique - soient soulignés ?

2) Les sanctions adoptées contre la RPDC n’ont nullement entamé la détermination des autorités de ce pays à développer une force de dissuasion nucléaire, tout en pénalisant en premier lieu la population nord-coréenne avec un embargo privant cette dernière de certains biens essentiels. Depuis des années, ces sanctions ont démontré leur inefficacité et ne font que détériorer la situation, au risque d’une nouvelle crise humanitaire. Quelle est votre position sur les sanctions dont la RPDC fait l’objet ?

3) À l’exception de la France et de l’Estonie, tous les pays de l'Union européenne entretiennent des relations diplomatiques normales avec la RPDC. Cette situation va à l'encontre de la tradition diplomatique française, laquelle est de reconnaître des États et non des régimes politiques. Elle contribue à l'effacement de la France dans la zone indo-pacifique et à la placer à la remorque d'autres pays, alors que la France pourrait jouer un rôle moteur pour la résolution des crises. Après l'ouverture, en 2011, d’un premier bureau français de coopération à Pyongyang, comment comptez-vous faire évoluer cette situation pour normaliser les relations entre la République française et la RPDC, dans l'intérêt de la France et conformément à la pratique de ses principaux partenaires européens ?

4) Le dialogue inter-coréen reste peu connu et encouragé à l’étranger. L’AAFC soutient ce dialogue comme seule voie possible pour le règlement des différends entre Coréens et l'apaisement des tensions dans la péninsule coréenne. Comment la France peut-elle appuyer le dialogue entre les deux Corée, seul moyen de trouver une solution pérenne à la crise coréenne ?

L'Association d'amitié franco-coréenne publiera les réponses reçues.

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3 avril 2019 3 03 /04 /avril /2019 19:48

Les éditions Le Petit Futé ont publié le 27 mars 2019 leur premier guide touristique consacré à la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), avec l'ambition d’offrir aux touristes francophones (des guides existent déjà en d'autres langues) qui envisagent de visiter la RPDC des informations sur les sites touristiques majeurs, l’histoire de la Corée, sa culture ainsi qu’un certain nombre d’informations pratiques. Sollicitée par le Petit Futé en 2016, au début du projet, l'Association d'amitié franco-coréenne a toujours encouragé le développement des échanges touristiques, lesquels sont les mieux à même de permettre aux visiteurs occidentaux, français en particulier, d’acquérir une vision moins caricaturale que celle habituellement véhiculée dans les médias au sujet de la RPDC. Mais si l'AAFC salue l'initiative du Petit Futé, elle relève aussi plusieurs insuffisances et erreurs, volontaires ou non, dans ce guide sur la Corée du Nord.

Si les sanctions internationales et autres embargos ont pour conséquence de freiner la plupart des secteurs d’activités de la RPDC, le secteur du tourisme reste quant à lui épargné, si on fait abstraction de la décision prise en septembre 2017 par le gouvernement des Etats-Unis d'interdire aux citoyens américains de voyager en Corée du Nord. Le tourisme constitue une source de développement intéressante, tant sur le plan économique évidemment, avec la création de nouvelles infrastructures, que sur le plan culturel, avec la formation par exemple de guides et d’accompagnateurs disposant de capacités en langues étrangères.

Ces dernières années, sous l’impulsion du dirigeant de la RPDC Kim Jong-un, on a assisté à la multiplication des grands chantiers visant à permettre la venue d’un nombre plus important de visiteurs, dont les plus emblématiques sont la station de ski de Masikryong ou encore une immense station balnéaire sur la côte orientale, à Wonsan, dont l'inauguration est prévue en 2020.

Aujourd’hui, malgré tout le potentiel de la RPDC, on estime que, chaque année, seulement 4 000 à 6 000 touristes occidentaux visitent le pays. Le nombre de touristes chinois est bien sûr beaucoup plus élevé. Pour l’avenir, l’ambitieux objectif d’accueillir 1 million de touristes a été plusieurs fois avancé. Si les chiffres actuels sont relativement décevants, ils s’expliquent en grande partie par un contexte international tendu, même si la détente observée à partir de 2018, entre la RPDC et la Corée du Sud d'une part et entre la RPDC et les Etats-Unis d'autre part, devrait permettre un accroissement du nombre de touristes dans le Nord de la péninsule.

Hélas, le Petit Futé « Corée du Nord » n’échappe pas, dès l'introduction, aux tournures relevant davantage des articles à sensation d'une certaine presse que du guide touristique : « tyrannie communiste », « Etat communiste totalitaire », « un des régimes les plus totalitaires de la planète », etc.

Surtout, l’ouvrage ressemble souvent à une compilation de poncifs, clichés et autres racontars. On retrouve ainsi ce qu'il faut bien qualifier de fantasmes, avec la référence à la prétendue existence d’une « brigade de plaisir », ou « division de la joie », qui serait constituée « d’environ 2 000 femmes et jeunes filles mises à disposition du dirigeant nord-coréen dans le but de servir aux ardeurs sexuelles et aux désirs du cher dirigeant » (p. 26).

C’est encore la référence à la non moins hypothétique « Division 39 » dont le rôle serait, d’après les auteurs, d’ « alimenter la caisse noire de Kim Jong-un, actuel dirigeant de Corée du Nord […] par des activités légales (vente d’armes entre autres), mais également illégales telles que la contrefaçon monétaire et le trafic de drogue » (p. 120).

Aucune source fiable ni élément concret ne vient accréditer la réalité de telles choses. Des experts occidentaux reconnus ont même depuis longtemps tordu le cou à certaines rumeurs continuant pourtant de circuler à propos de la Corée du Nord.

D’autres passages du Petit Futé « Corée du Nord » font davantage sourire. On rassurera donc les lecteurs en leur apprenant qu’il n’existe pas seulement deux stations de métro en exploitation à Pyongyang (p. 108) mais que, sauf exception et comme dans n'importe quelle grande ville, toutes les stations sont utilisées chaque jour par les habitants de la capitale nord-coréenne. Et, contrairement à ce qu'indique Le Petit Futé, il est autorisé d’avoir un chien à Pyongyang et il est totalement faux d’affirmer que « la seule manière pour que la population puisse voir un chien est d’aller au zoo » (p. 132). De tels exemples d’âneries (pour rester dans le champ lexical animalier) ne manquent pas et pourraient ici être multipliés.

D'autres importantes erreurs d’appréciation de la part des auteurs du guide sont aussi à relever. Il est ainsi indiqué au sujet du Cimetière des martyrs de la Révolution que « chaque pierre tombale est surmontée d’un buste en bronze représentant le héros décédé, supposément du moins (cela signifierait qu’une photo de chaque personne enterrée sur place ait été disponible à l’époque... Difficile à croire) » (p. 128). En vérité, ces bustes ont été réalisés sur la base des souvenirs du Président Kim Il-sung qui mena la guérilla contre l’occupation japonaise jusqu'en 1945.

Au-delà, on regrettera que l’ouvrage se focalise à l’extrême sur Pyongyang et ses environs en y consacrant 37 pages, tout en ne faisant que survoler le reste du pays en 25 pages seulement, donnant l'impression que les auteurs ont passé l’essentiel de leur séjour dans leur hôtel de Pyongyang sans avoir eu l’opportunité de se rendre dans les différentes régions accessibles aux étrangers, ou alors beaucoup trop rapidement.

Quelques bonnes idées sont toutefois à relever dans ce guide touristique, comme, par exemple, de courtes interviews du chercheur spécialiste de l'Asie Théo Clément et de Dorian Malovic, chef du service Asie au quotidien français La Croix, dont les articles se distinguent par leur objectivité, leur mesure... et une connaissance du terrain.

Les informations pratiques sont quant à elles d’une grande utilité et permettront aux lecteurs de préparer au mieux leur voyage.

On appréciera aussi les petites biographies d’« enfants du pays », bien qu’elles aient souvent tendance à reprendre les éléments fournis par la presse sud-coréenne ou Wikipédia, avec tous les biais que de telles sources induisent... Enfin, les pages réservées à la culture coréenne (gastronomie, histoire, etc) sont fournies et plutôt bien faites, offrant aux lecteurs un bon aperçu de la Corée avant et pendant leur voyage. Cependant, dans le cas de l’histoire coréenne, c’est trop souvent une perspective sud-coréenne qui est préférée à celle de la Corée du Nord, les deux versions différant souvent sur des sujets aussi importants que la responsabilité du déclenchement de la guerre de 1950-1953, les incidents frontaliers, ou les attaques attribuées au Nord… Donner le point de vue nord-coréen, ou simplement relativiser le point de vue sud-coréen, permettrait pourtant de donner aux lecteurs deux visions d'événements toujours débattus par les spécialistes, et ainsi assurer un minimum d'objectivité.

Pour n'évoquer qu'un seul cas, récent, le guide impute à la Corée du Nord « l'attaque contre la navette (sic) Cheonan, au cours de laquelle plusieurs dizaines de militaires sud-coréens sont tués » en mars 2010 (p. 49). S'il est exact que l'enquête officielle américano-sud-coréenne a conclu à la responsabilité de la Corée du Nord dans l'affaire du naufrage de la corvette (et non navette) Cheonan, la RPDC a toujours nié toute implication. Surtout, les conclusions de l'enquête officielle ont été remises en question, entre autres, par un ancien membre du groupe d'enquête, par des chercheurs indépendants d'universités américaines, et par les experts de la marine russe invités à examiner les « preuves » de la culpabilité nord-coréenne... Malheureusement, les lecteurs du Petit Futé les moins avertis des méandres de la situation dans la péninsule coréenne ne le sauront jamais.

En résumé, si l’idée de rédiger un guide touristique sur la RPDC est excellente et répond sans doute à un véritable besoin, le Petit Futé « Corée du Nord », malgré quelques bonnes idées, pêche par trop d'erreurs et approximations. Ces erreurs peuvent relever d’une incompréhension d’une situation très complexe ou d’un manque de travail (manque de temps ?), ce qui reste, dans une certaine mesure, excusable, tant il convient de reconnaître que la RPDC est un pays difficile à appréhender même après plusieurs voyages. Cependant, face à tant d’informations non vérifiées, voire mensongères, le voyageur connaissant un minimum le pays pourra légitimement se demander en quoi un tel guide touristique se distingue d’un énième brûlot suintant une hostilité primaire envers la Corée du Nord.

 

Corée du Nord, Le Petit Futé, mars 2019 (192 pages)

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30 janvier 2019 3 30 /01 /janvier /2019 20:38

Il y a 55 ans, le 27 janvier 1964, un bref communiqué était publié simultanément à Paris et à Pékin : « Le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République populaire de Chine ont décidé, d'un commun accord, d'établir des relations diplomatiques. Ils sont convenus à cet effet de désigner des ambassadeurs dans un délai de trois mois. » Pourquoi l'Association d'amitié franco-coréenne choisit-elle d'évoquer cet événement concernant les relations franco-chinoises, fût-il un moment capital de l'histoire des relations internationales de la seconde moitié du vingtième siècle? Parce que la France, premier grand pays occidental à nouer des relations diplomatiques avec la République populaire de Chine (le Royaume-Uni avait nommé un chargé d'affaires en 1950 mais des ambassadeurs seront échangés seulement en 1972) reste aujourd'hui le seul pays européen, avec l'Estonie, à ne pas avoir établi de telles relations avec la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord). La France a bien ouvert un bureau commercial de la RPDC à Paris en 1968, élevé en 1984 au rang de délégation générale abritant aussi l'ambassade de la RPDC auprès de l'UNESCO dont le siège est à Paris, et un bureau français de coopération culturelle et humanitaire a été ouvert à Pyongyang en 2011, mais il n'existe pas de relations au niveau d'ambassades entre les deux pays. Pour l'Association d'amitié franco-coréenne, cette « anomalie » marque un effacement de la France dans cette partie du monde et tourne délibérément le dos à la tradition diplomatique française, laquelle est de reconnaître des Etats et non des gouvernements. Ainsi, le général de Gaulle ne dissimulait pas son peu de sympathie pour le système politique en place à Pékin depuis 1949. Mais, malgré l'aggravation des tensions militaires en Asie du Sud-Est, dans un monde divisé en deux blocs, le Président Charles de Gaulle plaça l'intérêt national de la France avant tout et, refusant tout alignement, eut le courage d'établir en premier des liens solides avec un pays de grande civilisation appelé à devenir une superpuissance. De même, une Corée réunifiée serait une puissance de premier plan et les pays qui auront su nouer des relations équilibrées avec les deux parties de la péninsule coréenne y auront une place privilégiée. Malheureusement, la France ne semble pas disposée à en faire partie et a raté plusieurs occasions « historiques » de normaliser ses relations avec la RPD de Corée, notamment après les déclarations Nord-Sud du 15 juin 2000 et du 4 octobre 2007, ou encore celles des 27 avril et 19 septembre 2018, étapes décisives du rapprochement inter-coréen. La déclaration du Président Charles de Gaulle reproduite ci-après est extraite de sa conférence de presse du 31 janvier 1964. Ce 55ème anniversaire d'une décision majeure pour la diplomatie française est aussi l'occasion de rappeler que l'Association d'amitié franco-coréenne compte parmi ses fondateurs des gaullistes et a été présidée de 1977 à 1982 par Louis Terrenoire, ancien résistant et ministre du général de Gaulle.

Le 6 juin 1964, le Président Charles de Gaulle reçoit les lettres de créance du nouvel ambassadeur de la République populaire de Chine , S.E.M. Huang Chen, en présence du ministre des Affaires étrangères Maurice Couve de Murville. (STRINGER/AFP)

Le 6 juin 1964, le Président Charles de Gaulle reçoit les lettres de créance du nouvel ambassadeur de la République populaire de Chine , S.E.M. Huang Chen, en présence du ministre des Affaires étrangères Maurice Couve de Murville. (STRINGER/AFP)

Nous allons parler de la Chine. Beaucoup m'ont posé des questions, multiples en réalité. Je crois que je répondrai à tout le monde, en même temps, en expliquant ce qu'il en est, et les raisons pour lesquelles ce qui est fait est fait.

La Chine. Un grand peuple, le plus nombreux de la terre, une race où la capacité patiente, laborieuse, industrieuse des individus a, depuis des millénaires, compensé le défaut collectif de cohésion et de méthode et a bâti une très particulière et très profonde civilisation. Un très vaste pays, géographiquement compact et pourtant sans unité. Etendu depuis l'Asie mineure et les marches de l'Europe jusqu'à la rive immense du Pacifique, et puis des glaces sibériennes jusqu'aux régions tropicales de l'Inde et du Tonkin. Un Etat, plus ancien que l'histoire, toujours résolu à l'indépendance, qui s'est constamment efforcé à la centralisation, d'instinct replié sur lui-même et dédaigneux des étrangers, mais conscient et orgueilleux d'une immuable pérennité, telle est la Chine de toujours.

L'entrée en contact de ce pays là avec les nations modernes lui a été très dure et très coûteuse. Les multiples sommations, interventions, expéditions, invasions, européennes, américaines, japonaises lui ont été autant d'humiliations et de démembrements. Alors, tant de secousses nationales, et aussi la volonté des élites de transformer, coûte que coûte, leur pays pour qu'il atteigne à la condition et à la puissance des peuples qui l'avaient opprimée, ont conduit la Chine à la révolution. Sans doute, le maréchal Tchang Kai-chek à la valeur, au patriotisme, à la hauteur d'âme de qui j'ai le devoir de rendre hommage, certain que l'histoire et le peuple chinois en feront un jour autant, le maréchal Tchang Kai-chek, après avoir conduit la Chine à la victoire alliée qui, dans le Pacifique, scella la Deuxième Guerre mondiale, avait essayé de canaliser le torrent. Mais les choses en étaient à ce point qu'elles excluaient tout sauf l'extrême, et dès que les Américains eurent retiré au maréchal le concours direct de leurs forces qu'ils lui donnaient sur le continent, il dut se replier sur Formose, et le régime communiste, longuement préparé par Mao Tse-toung, établit sa dictature, il y a quinze ans de cela.

Depuis lors, un énorme effort qui s'imposait, de toute façon, au sujet de la mise en valeur des richesses naturelles, du développement industriel, de la production agricole, de l'instruction de la nation, de la lutte contre les fléaux inhérents à ce pays, la faim, les épidémies, l'érosion des sols, le débordement des fleuves, etc., cet immense effort a été entrepris sur l'ensemble du territoire. Comme toujours en système communiste, ce qui put être réalisé a comporté de terribles souffrances humaines, une implacable contrainte des masses, d'immenses pertes et gaspillages de biens, l'écrasement et la décimation d'innombrables valeurs humaines. Cependant au prix de tant de sacrifices, des résultats ont été atteints qui sont dus pour une partie à l'action de l'appareil totalitaire, et aussi à l'ardeur d'un peuple fier qui veut s'élever, en tous les cas, et qui est capable de déployer des trésors de courage et d'ingéniosité quelles que soient les circonstances. Il est vrai que la Russie soviétique a d'abord prêté à la Chine un assez large concours : ouverture de crédit pour l'achat d'outillages et d'approvisionnement, équipements miniers et industriels, installations d'usines entières, formation directe d'étudiants et de spécialistes, envoi sur place d'ingénieurs, de techniciens, d'ouvriers qualifiés, etc. C'était le temps où le Kremlin, utilisant, là comme ailleurs, la prépondérance rigoureuse qu'il s'est donné à l'intérieur de l'église communiste pour soutenir la suprématie de la Russie vis-à-vis de tous les peuples qu'un régime semblable au sien lui a subordonnés, comptait garder la Chine sous sa coupe et, par là, dominer l'Asie. Mais les illusions se sont dissipées. Sans doute demeure entre Moscou et Pékin une certaine solidarité doctrinale qui peut se manifester dans la concurrence des idéologies mondiales, mais, sous ce manteau de plus en plus déchiré, apparaît la différence des politiques nationales.

Le moins qu'on puisse dire à ce sujet, c'est qu'en Asie, où la frontière qui sépare les deux Etats, depuis l'Indoukouch jusqu'à Vladivostok, est la plus longue qui soit au monde, l'intérêt de la Russie, qu'il conserve et qu'il maintient, et celui de la Chine, qui a besoin de croître et de prendre, ne sauraient être confondus. Et c'est pourquoi l'attitude et l'action d'un pays de 700 millions d'habitants ne sont réglées que par son propre gouvernement.

Du fait que, depuis quinze ans, la Chine presque tout entière se trouve rassemblée sous un gouvernement qui lui applique sa loi, et qu'elle se manifeste au dehors comme une puissance indépendante et souveraine, la France était disposée, en principe et depuis des années, à nouer des relations régulières avec Pékin. D'ailleurs, certains échanges économiques et culturels étaient déjà pratiqués et nous avons été amenés, avec l'Amérique, l'Angleterre, l'Union soviétique, l'Inde et d'autres Etats, en 1954, à la conférence de Genève, quand on a réglé le sort de l'Indochine, à négocier avec les représentants chinois. Et il en fut de même en 1962, sous la même forme et dans la même ville, quand la situation du Laos a été quelque peu définie. Mais le poids de l'évidence et de la raison, pesant chaque jour davantage, la République française a décidé de placer ses rapports avec la République populaire de Chine sur un plan normal, autrement dit diplomatique. Nous avons rencontré à Pékin une intention identique, et on sait qu'à ce sujet le président Edgar Faure, chargé et prié d'effectuer sur place des sondages officieux, a rapporté des indications positives. C'est alors que les deux gouvernements se sont accordés pour accomplir le nécessaire.

J'ai parlé du poids de l'évidence et de la raison. Et en effet, en Asie, il n'y a aucune réalité politique concernant le Cambodge, le Laos, le Vietnam, ou bien l'Inde, le Pakistan, l'Afghanistan, la Birmanie, la Corée, ou bien la Russie soviétique, ou bien le Japon, etc., qui n'intéresse et ne touche la Chine. Sur ce continent, il n'y pas une paix et il n'y a pas une guerre imaginable sans qu'elle y soit impliquée. Et il est inconcevable de supposer qu'on puisse jamais conclure un traité de neutralité concernant les Etats du sud-est asiatique auxquels nous, Français, portons une attention toute spéciale et cordiale, sans que la Chine en soit partie. Neutralité qui devrait comporter de la part de ces Etats, naturellement, leur acceptation, qui devrait être garantie sur le plan international, qui devrait exclure à la fois toute action armée soutenue par tels de ces Etats vis-à-vis ou chez tel ou tel autre, et excluant aussi les multiformes interventions extérieures. Neutralité qui paraît bien, dans la période où nous sommes, être la seule situation qui soit compatible avec la vie paisible et le progrès des populations. Mais aussi, la masse propre à la Chine, sa valeur et ses besoins présents, et la dimension de son avenir pour qu'elle se manifeste de plus en plus aux intérêts et aux soucis de l'univers tout entier. En vérité, il est clair que la France doit pouvoir entendre directement la Chine et aussi s'en faire écouter.

Et puis, pourquoi ne pas évoquer, qui sait, ce qu'il pourra y avoir de fécond dans les rapports entre les deux peuples, à la faveur des relations entre les deux Etats. Ce qui est fait déjà au point de vue économique à l'égard de la Chine, qui est fait par nous, et ce qui peut d'ailleurs être amélioré sera sans doute longtemps limité. Et il en est de même des investissements que nous apportons déjà au développement industriel chinois. Mais le cas de la technique est sans doute très différent. De la technique dont les sources en France sont de plus en plus valables et à laquelle la Chine offre un champ, pour ainsi dire, infini. Et puis, qui sait si les affinités qui existent entre les deux nations pour tout ce qui concerne les choses de l'esprit, et compte tenu aussi du fait que, dans leurs profondeurs, elles se portent l'une à l'autre, depuis toujours, sympathie et considération, ne les conduiront pas à une coopération culturelle croissante. En tout cas, ici, cela est sincèrement souhaité.

Pékin et Paris sont donc convenus d'échanger les ambassadeurs. Il n'y a évidemment là, de notre part, rien qui implique aucune sorte d'approbation à l'égard du régime qui domine actuellement la Chine. En nouant avec ce pays, avec cet Etat, des relations officielles, comme maintes autres nations libres l'ont fait auparavant, et comme nous l'avons fait avec d'autres pays qui subissent des régimes analogues, la France ne fait que reconnaître le monde tel qu'il est. Mais il se peut aussi que dans l'immense évolution actuelle du monde, en multipliant les contacts directs, de peuple à peuple, on serve la cause des hommes, c'est-à-dire celle de la sagesse, du progrès et de la paix. Il se peut que ces contacts contribuent à l'atténuation, déjà commencée, des contrastes et des oppositions dramatiques entre les camps qui divisent l'univers. Il se peut qu'ainsi les âmes, partout où elles sont sur la Terre, se retrouvent, un peu moins tard, au rendez-vous que la France a donné à l'univers, voici 175 ans, celui de la liberté, de l'égalité et de la fraternité.

Conférence de presse du Général de Gaulle à l'Elysée du 31 janvier 1964 (à partir de 1h12)

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