Il est commun en Europe de penser que Gutenberg fut l’inventeur de l’imprimerie, déclenchant ainsi par ses prouesses technologiques une vague intellectuelle qui touchera plus ou moins tout l’Occident : l’humanisme. Si une telle assertion ne fait aucun doute dans le contexte européen, force est de constater qu’en Asie, et en Corée en particulier, l’imprimerie est une invention plus ancienne, témoignant très tôt d’une vie intellectuelle particulièrement vive. Retour sur un aspect méconnu de la culture asiatique.
Johann Gutenberg, le célèbre imprimeur allemand, édite au cours des années 1450 plusieurs exemplaires de la Vulgate, la fameuse bible traduite en latin par Saint-Jérôme. Malheureusement pour lui, sa première presse dotée de caractères métalliques mobiles n’a pas le succès escompté auprès de la population et il finira ruiné. Cette version, répétée à l'envi dans les écoles primaires européennes, ne constitue que la partie occidentalo-centrée de l’histoire. En effet, pour qui décentre son regard vers l’Asie, on s’aperçoit que les Chinois ont maîtrisé l’imprimerie à caractères fixes (impression page par page, à la différence de la presse de Gutenberg qui permettait de recomposer des textes avec les mêmes caractères) beaucoup plus tôt puisque les premiers textes imprimés datent de la très raffinée dynastie Tang, soit entre 618 et 907 de notre ère. Le Sutra du Diamant, texte bouddhique considéré comme le premier texte imprimé connu, aurait été édité en 868. Ce texte sacré, destiné à être diffusé gratuitement (à une certaine strate sociale de lettrés, cela s’entend) a été retrouvé dans la splendide grotte de Dunhuang (actuelle province chinoise du Gansu, inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO, photo ci-dessus, source TravelChinaGuide) et a connu une histoire rocambolesque, à l’image de l’empire Chinois. D’abord possession chinoise (Dunhuang est devenue une circonscription impériale sous la dynastie des Han antérieurs, en 117 avant JC), puis sous contrôle d’un roitelet tibétain (le Tibet n’a été unifié que lorsqu’il est devenu un vassal chinois, en 1244) et enfin possession mongole (dynastie Yuan), le Sutra du Diamant ne doit sa longévité qu’au fait que chacun de ses possesseurs successifs se réclame du bouddhisme. Malheureusement, comme beaucoup de trésors nationaux chinois, le Sutra du Diamant a été pillé par des Occidentaux lors de la « découverte » occidentale des grottes de Dunhuang. En 1907, le célèbre linguiste français Paul Pelliot parvient à racheter de nombreux imprimés – dont le Sutra de Dunhuang, et ces manuscrits sont toujours actuellement visibles à la Bibliothèque Nationale de France (BNF).
Du côté coréen, l’histoire semble se répéter : si les Chinois peuvent se targuer d’avoir été les premiers à utiliser des presses à caractères fixes, les Coréens de la dynastie Koryo auraient été les premiers à utiliser les caractères mobiles et ce presque un siècle avant Gutenberg… Le plus vieux texte imprimé coréen, le Jikji (abréviation de baegun hwasang chorok buljo jikji simche yojeol, « Anthologie des enseignements zen des grands prêtres bouddhistes », photo à droite, source wikimedia) aurait été édité en 1377, soit 78 ans avant la Bible en 42 lignes de Gutenberg. Tout comme le Sutra du Diamant, un tel trésor historique ne pouvait qu’attirer les convoitises et ce sont les colonisateurs français qui, une fois de plus, ont pillé cette relique nationale. Ce texte est d’ailleurs lui aussi visible à la BNF ; alors que la situation des archives royales pillées par la France lors de la campagne coloniale de 1866 connaît des avancées, la question du Jikji, plus vieux texte imprimé (au sens moderne du terme) du monde semble patiner. Pour l’AAFC, il apparaît fondamental de régler les contentieux historiques (qui n’en finissent pas d’empoisonner les relations interasiatiques et Orient-Occident) avant de chercher à établir des relations politiques saines et stables.
Pour les lecteurs les plus attentifs de notre blog, un détail n’aura pas manqué de piquer leur curiosité : dans le reportage de David Pluth sur son voyage en République populaire et démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), traduit par l’AAFC, il est fait mention du plus vieux texte imprimé au monde conservé à la Bibliothèque du Peuple de Pyongyang, datant de… 1377, soit exactement la date d’édition du Jikji. Nul doute que la question des reliques nationales coréennes risque encore de faire parler d’elle.