Le 10 avril 2024, les Sud-Coréens renouvelleront les 300 sièges du Parlement monocaméral - attribués suivant un mode de scrutin mixte (254 sièges répartis au scrutin majoritaire à un tour, et 46 sièges au scrutin proportionnel pour les formations ayant recueilli plus de 3 % des voix au scrutin de liste). Alors que, dans le contexte de la pandémie de Covid-19, les démocrates avaient remporté une large victoire en 2020, le président conservateur Yoon Seok-yeol, entré en fonctions en 2022, compte obtenir une majorité parlementaire pour pouvoir mettre en oeuvre le programme sur lequel il a été élu.
Avec une majorité de 163 sièges sur 300 (contre 113 pour les conservateurs), le Parti démocratique de Corée a non seulement mis en échec les projets du président Yoon mais a également utilisé ses pouvoirs de contrôle - en particulier, en adoptant un projet de loi tendant à désigner un procureur spécial pour enquêter sur une possible manipulation du cours de l'action de Deutsch Motors au profit de Kim Keon-hee, épouse du chef de l'Etat. Peu après le début de son mandat, ce dernier avait été affaibli par la bousculade mortelle survenue à Itaewon en octobre 2022. Le Président de la République a opposé son veto à de multiples reprises, devenant le chef de l'Etat à y recourir le plus fréquemment depuis la présidence de Syngman Rhee.
Alors que les démocrates dominaient largement les conservateurs dans les sondages jusqu'en janvier 2024, et ont bénéficié d'un courant de sympathie après la tentative d'assassinat au poignard, en janvier 2024, contre le chef de l'opposition Lee Jae-myung qui a dénoncé une cabale judiciaire à son encontre, la situation s'est retournée en février et a depuis lors globalement tourné à l'avantage des conservateurs. Les démocrates (39,1 %) sont distancés de 7 points par les conservateurs de Pouvoir au peuple (PPP), crédités de 46,7 % des intentions de vote, dans le dernier sondage de Realmeter réalisé fin février 2024.
Pour le Président Yoon Seok-yeol, un échec aux législatives le placerait, comme nombre de ses prédécesseurs, dans une situation de canard boîteux jusqu'à la fin de son mandat - d'autant qu'en Corée du Sud, le chef de l'Etat n'est pas immédiatement rééligible. Ses projets de réformes libérales portent sur la santé, l'éducation, le travail et les pensions - ainsi qu'une relance de l'économie. Sa fermeté face à la grève des médecins, qui en Corée du Sud bénéficient de salaires plus élevés et sont relativement peu nombreux, a joué en sa faveur. En effet, une majorité de l'opinion considèrent que les praticiens veulent préserver un statu quo qui leur est favorable en maintenant une rareté de l'offre médicale par une opposition à une hausse de la population médicale, cette situation leur permettant de disposer de rémunérations plus fortes que dans les autres pays industrialisés.
Si le mode de scrutin essentiellement majoritaire laisse peu de places aux autres formations politiques, celles-ci seraient dans une position charnière dans l'hypothèse où les élections conduiraient à une absence de majorité absolue pour l'un des deux principaux partis. Ceux-ci ont d'ailleurs récemment subi des scissions, comme souvent à l'approche des élections. Issu du PPP du chef de l'Etat, le nouveau Parti de la réforme (NPR) de l'ancien Premier ministre Lee Nak-yon a organisé son congrès fondateur le 20 janvier 2024 puis a fusionné quatre jours plus tard avec la formation Espoir de la Corée de Yang Hyang-ja, suscitant un certain élan lui permettant d'espérer occuper à nouveau l'espace du centre (jusqu'à 6 % des intentions de vote). Mais un mois plus tard, le 20 février 2024, Lee Nak-yon a quitté la coalition en formant avec d'anciens démocrates le Parti du nouveau futur (PNF). Le NPR (2 à 3 % des intentions de vote) et le PNF (1 à 2 % des intentions de vote) ont chacun 4 sièges dans l'assemblée sortante. En revanche, le Parti du revenu de base (1 siège) a annoncé reconduire sa coalition électorale avec les démocrates. Toutefois, la principale formation tierce - en dehors de la gauche, sur laquelle nous reviendrons - devrait être le Parti de l'innovation de la patrie (1 siège), constitué le 3 mars 2024 par l'ancien ministre démocrate de la Justice Cho Kuk, et qui dénonce une dictature judiciaire conduite par le président Yoon Seok-yeol, lui-même ancien procureur : pour le scrutin de liste désignant les 46 sièges attribués à la proportionnelle, la nouvelle formation était créditée, début mars, de 13 % à 15 % des intentions de vote, ce qui lui assurerait ainsi une représentation parlementaire si elle confirme sa popularité dans les urnes jusqu'au 10 avril.
Tel n'est pas le cas en revanche de la gauche, qui n'a jamais abordé les élections législatives dans une telle situation de faiblesse. Le Parti de la justice (6 sièges) a formé une alliance avec le Parti vert de Corée, qui jusqu'ici n'a jamais élu d'élus, tant localement que nationalement. Le parti Vert-Justice obtient de 0,5 % à 2 % des intentions de vote. Son rival à gauche, le Parti progressiste, revenu au Parlement à l'occasion d'une législative partielle en avril 2023, est crédité de 1 % à 2 % des intentions de vote, alors qu'il faut au moins 3 % des voix pour obtenir une partie des sièges répartis au scrutin proportionnel.
Les élections législatives n'ont de réelle portée que pour les mesures de politique intérieure. Il ne semble pas que la situation internationale - qu'il s'agisse des tensions avec le Nord ou de la guerre entre Israël et le Hamas, la guerre en Ukraine étant ici perçue comme lointaine - puisse avoir un impact décisif. Le temps où soufflait "le vent du Nord" (les démocrates étant favorables au dialogue intercoréen, à la différence des conservateurs) semble bien loin. Même si certains observateurs estiment que Pyongyang préfèrerait une majorité démocrate au Gukhoe sud-coréen, la convergence objective d'intérêts entre les "faucons" du Nord et du Sud de la péninsule permet d'en douter.
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