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1 juillet 2022 5 01 /07 /juillet /2022 22:37
"Faire du terrain en Corée du Nord" ? La réponse d'universitaires et de chercheurs

En 2021, l' "Atelier des Cahiers" a édité un essai intitulé "Faire du terrain en Corée du Nord", publié sous la direction de Valérie Gelézeau et Benjamin Joineau. Cet ouvrage relate et analyse le déplacement en République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), en octobre 2013, de sept chercheurs : outre les deux auteurs précités, Yannick Bruneton, Evelyne Chérel-Riquier, Koen De Ceuster, Alain Delissen et Françoise Ged. A la suite de ce déplacement, la géographe et urbaniste Valérie Gelézeau, spécialiste de la Corée, et l'architecte Françoise Ged ont pu initier une coopération franco-(nord-)coréenne dans leurs domaines de spécialité, accueillant ensuite à plusieurs reprises des confrères nord-coréens en France. L'Association d'amitié franco-coréenne revient sur la manière dont les auteurs ont rendu compte de leur échange, à la lumière de cette question : comment faire un travail de recherche de terrain, réputé impossible, en Corée du Nord ?

Lorsqu'en avril 2012 une délégation de l'AAFC en visite en Corée du Nord rencontrait des architectes nord-coréens formés en France qui lui avaient fait part de leur intérêt d'engager des coopérations avec des universitaires français, elle ne se doutait pas que plusieurs de ses interlocuteurs de l'EHESS, spécialistes de la Corée, souhaitaient alors eux aussi mettre en place un programme d'échanges avec la RPDC. Cette question d'un échange universitaire devait à nouveau être abordée lors d'un nouveau voyage de l'AAFC au nord de la péninsule, en juillet-août 2013, au cours duquel nous avons à nouveau remis de la documentation dans le domaine de l'architecture. Dans ce contexte, nous nous sommes félicités de la concrétisation du programme universitaire et pluridisciplinaire, engagé en octobre 2013 sous l'impulsion notamment de Valérie Gelézeau, et à la préparation duquel nous avions modestement contribué. L'ouvrage paru aux éditions de l'Atelier des Cahiers rend compte de ces échanges, huit ans après leur mise en place, et auxquels un coup d'arrêt (espérons-le temporaire) a été donné par la fermeture des frontières nord-coréennes depuis le début de l'année 2020, dans le contexte de lutte contre la pandémie liée au Covid-19.

Il y a plusieurs niveaux de lecture de ce qui constitue fondamentalement un essai sur la notion de travail de terrain dans le domaine de la recherche universitaire. Tout d'abord, nous pouvons lire les résultats concrets de ces échanges à partir d'une lecture de l'urbanisme de Pyongyang, en particulier dans le compte rendu de mission qu'a effectué Françoise Ged. Nous pouvons aussi découvrir une expérience de ce qu'on peut qualifier de choc interculturel, même pour des universitaires spécialistes de la Corée (mais plutôt du Sud). Enfin - et c'est sans doute le plus intéressant - les auteurs (et plus particulièrement Valérie Gelézeau, dans le chapitre consacré au "making off" du terrain) posent des questions essentielles sur la difficulté de mener des travaux de recherche au regard des contraintes imposées à tout voyageur en Corée du Nord : en particulier, c'est l'organisme d'accueil qui détermine, certes en lien avec les visiteurs, le programme de visite, dans une volonté de contrôle totale et constante - laquelle s'inscrit en filiation avec les modalités des déplacements qui pouvaient naguère être effectués en Union soviétique et dans la Chine avant 1979. De ce point de vue, la Corée du Nord ne constitue pas une exception de lieu et de temps, mais ces spécificités posent d'évidentes questions éthiques pour le visiteur que les auteurs traitent tant avec la distance scientifique qui s'impose qu'en maniant un humour qui rend leur ouvrage attrayant pour le néophyte soucieux de découvrir la Corée du Nord (et procède à une utile démystification). Et au final, nous faisons nôtres leurs conclusions selon lesquelles c'est en favorisant les interactions que l'on contribue le plus utilement à la compréhension de l'autre, en évitant les jugements de valeur et les a priori : "cela fait plus de quarante ans que les sciences humaines et sociales ont abandonné l'illusion de cette entreprise totalitaire qu'est le terrain ; il est temps de lâcher prise et d'abandonner aussi pour la Corée du Nord cette illusion. C'est la première condition qui permettra de tirer les études nord-coréennes d'une préhistoire méthodologique prisonnière non seulement des limites d'un "contexte fermé", mais d'une conception orientalisante et moralisante de tout ce qui touche à la Corée du Nord." (p. 139)

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