Il y a trente ans disparaissait le sénateur socialiste Philippe Machefer. Comme l'indique sa notice biographique (photo à gauche) publiée sur le site du Sénat, Philippe Machefer, fils de boulanger, est né en décembre 1933 à Paris. Professeur agrégé d'histoire en 1958, avant de devenir universitaire à Nanterre dans les années 1970 et spécialiste de l'histoire de la droite nationale dans les années 1930, il a commencé sa carrière politique au Parti socialiste unifié (PSU), avant de s'engager dans la campagne électorale présidentielle de François Mitterrand en 1965 et de le rejoindre à la Convention des institutions républicaines. Il rallie le Parti socialiste (PS), dans la foulée du futur chef de l'Etat, au congrès d'Epinay en juin 1971. Devenu expert des questions de politique étrangère et de défense au sein du PS, il est élu sénateur des Yvelines en 1977, sur la liste d'Union de la gauche conduite par le maire de Trappes Bernard Hugo, aujourd'hui vice-président de l'AAFC. Très actif au sein de la commission des affaires étrangères présidée par Jean Lecanuet, le Sénat observe que "dans la continuité des travaux menés dans les diverses commissions d'études du PS, « l'expert » de François Mitterrand témoigne d'une maîtrise réelle de la géopolitique de pays généralement peu familiers à la diplomatie française : Chypre, la République démocratique allemande (RDA) et, surtout, la Corée du Nord. Présidant les groupes sénatoriaux d'amitié entre la France et les assemblées parlementaires de ces pays, il y noue des réseaux - notamment en Corée - qui s'avèreront forts utiles pour le gouvernement socialiste après 1981". A la veille de l'élection présidentielle de 1981 remportée par François Mitterrand, il effectue des visites de terrain, notamment en Asie, pour préparer les futurs déplacements du chef de l'Etat et de son ministre des Affaires étrangères. Après le scrutin, il conduit notamment une délégation de sénateurs en République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), en qualité de président du groupe sénatorial avec la RPD de Corée, du 16 au 22 décembre 1981, et en Corée du Sud, du 16 au 22 janvier 1982, étant envoyé spécial du Gouvernement français. Quelques mois avant un nouveau déplacement à Pyongyang qu'il avait soigneusement préparé, et quelques jours après avoir publié un article novateur dans Le Monde où il réfutait la thèse d'un fascisme français des Croix-de-feu du colonel de la Rocque, l'annonce de son suicide dans sa maison savoyarde du Grand-Arvet, le 15 août 1982, suscite la stupeur. L'AAFC salue la mémoire de Philippe Machefer, qui a marqué l'histoire de notre Association, en reproduisant ci-après de larges extraits d'une tribune publiée dans les colonnes du Monde en 1980, où l'historien et le spécialiste de politique étrangère manifeste une conscience aiguë des pespectives coréennes de réunification sur la base du communiqué conjoint Nord-Sud du 4 juin 1972, tout en plaidant pour l'établissement de relations diplomatiques complètes entre la France et la RPD de Corée et, dans l'immédiat, pour la réouverture de la représentation commerciale française en RPD de Corée. Cette représentation avait été le pendant de la mission commerciale nord-coréenne à Paris, qui avait été élevée au rang de mission diplomatique officielle en 1976.
Pour la coopération entre le Nord et le Sud, par Philippe Machefer
Les temps du "miracle coréen" étant révolus, semble-t-il, les contradictions politiques et sociales de la société sud-coréenne apparaissent désormais au grand jour.
Sur le plan des intérêts français, les grandes sociétés nationales qui ont largement investi en Corée du Sud (P.U.K., Rhône-Poulenc, Creusot-Loire) vont sans doute connaître une stagnation du chiffre d'affaires qu'elles effectuent dans ce pays, ce qui conduit, avec logique, nos responsables du commerce extérieur à mettre en avant nos petites et moyennes industries afin de préserver la présence commerciale française dans cette partie du monde. Approuveront tous ceux qui sont persuadés qu'il faut davantage armer nos P.M.I. pour affronter la bataille du commerce extérieur. Mais, même si l'on admet, avec M. Jean-François Poncet, que la croissance de la Corée du Sud n'est pas arrêtée et ne connaît qu'un palier (1), il reste utile de jeter un regard sur l'autre Corée, celle du Nord, et d'envisager les possibilités commerciales qu'elle peut offrir, dès lors que le règlement des dettes de cet Etat à l'extérieur sont en cours et que son gouvernement affirme sa volonté de négocier sur les bases habituelles aux entreprises occidentales.
De ce point de vue, la réouverture d'une représentation commerciale à Pyongyang serait souhaitable. De même l'intensification de relations culturelles, jusqu'à présent fort modestes, permettrait à la France, si l'on songe à l'importance des relations que la Corée du Nord entretient avec certains pays francophones d'Afrique, de retrouver une place, ne serait-ce que linguistique, dans une région d'où elle est, à cet égard, quasi totalement absente.
Reste posée la question diplomatique. La France ne reconnaît, en effet, que la seule République de Corée (du Sud).
Entraînée dans la deuxième guerre mondiale par le Japon, qui l'occupait depuis 1910, la Corée a été victime des arrangements des grandes puissances et divisée à l'issue du conflit. Engagée, avec l'appui ou l'intervention de la Russie soviétique et de la Chine pour le Nord, et l'aide massive des Etats-Unis et de quelques puissances, dont la France, pour le Sud, dans une terrible guerre civile, la Corée reste, trente ans après le déclenchement de cet affrontement, toujours divisée.
Il n'est pas, dans le monde, de frontière plus imperméable que celle qui sépare le nord et le sud du pays. Il n'existe même pas de liaisons postales et dix millions de Coréens dont les familles sont séparées n'ont jamais reçu de nouvelles des leurs.
La formule "à l'allemande" voulue par le régime de Séoul, c'est-à-dire la consolidation du statu quo par la reconnaissance des deux Etats et leur entrée simultanée à l'ONU, n'a pas abouti. C'est qu'un tel scénario ignore les particularités du contexte historique, moral et géopolitique du problème de la Corée, pays d'un même peuple, avec les mêmes traditions historiques deux fois millénaires et dont la nation aspire à retrouver, un jour, son unité.
Le dégagement des grandes puissances dans la région constitue l'élément international de la question.
Il nous faut, pour le percevoir avec lucidité, abandonner le schéma selon lequel la Corée du Sud serait une sorte de bastion du monde libre, où celui-ci défendrait ses valeurs de la liberté individuelle contre un bloc monolithique constitué autour d'un totalitarisme hégémonique soviétique. C'est une vision qui date de la guerre froide des années 50.
La Corée du Nord a 1 400 kilomètres de frontières communes avec la Chine et 15 kilomètres avec l'U.R.S.S. Certes, elle conserve des liens commerciaux importants avec la Russie, et c'est par la ligne aérienne Moscou-Pyongyang que l'on gagne le plus facilement ce pays. Ses liens avec la Chine cependant ne cessent de se développer. Le président nord-coréen, Kim Il-sung, a donné son appui à Pékin dans le conflit sino-vietnamien. En ce qui concerne la question afghane, Pyongyang n'a ni approuvé ni condamné l'action de Moscou.
Cela signifierait-il un alignement sur la Chine ? On constatera, plus certainement, que la Corée du Nord s'efforce, dans des conditions difficiles, de suivre une politique indépendante. Elle souhaite, donc, le développement de ses échanges avec le monde industrialisé capitaliste. Le Japon est ainsi devenu son premier partenaire non-communiste (...).
C'est en tenant compte des caractéristiques propres à chacun des deux Etats coréens, mais en ayant présent à l'esprit l'intérêt pour la paix dans cette région du monde de l'amorce d'un règlement de la question coréenne, que nous sommes conduits à envisager la recherche d'un système de coexistence entre le Nord et le Sud à partir d'un processus d'apaisement régional, du rétablissement des échanges d'informations sur les familles, du développement d'échanges économiques. Le dialogue qui a tourné court en 1972 doit aller dans ce sens quand il reprendra. La constitution d'un organisme de coopération intergouvernemental, tel qu'il était déjà prévu dans le communiqué conjoint Nord-Sud du 4 juillet 1972 serait un premier pas vers la formation de cette confédération proposée par le Nord qui, tout en respectant le régime des deux Etats constituants, en assurerait la représentation unique à l'ONU. Cette dernière, dont les Etats-Unis se firent le mandataire en 1950 et dont le drapeau couvre encore la présence américaine au Sud, étant appelée, à notre avis, à jouer un rôle déterminant dans le rétablissement de la paix.
Sans s'ingérer dans un tel processus, la France aurait grand intérêt à en souhaiter l'heureux aboutissement.
(NdA) (1) Débat de politique étrangère, Sénat, 27 juin.
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