Alors que le paysage politique de la République de Corée (Corée du Sud) était dominé depuis près de dix ans, à gauche, par le Parti de la justice à la suite de l'interdiction (dans des conditions fortement critiquées) du Parti progressiste unifié (PPU), l'émergence dans les sondages du Parti progressiste, depuis sa victoire dans une législative partielle le 5 avril 2023, rebat les cartes - alors que le Parti progressiste s'affiche plus à gauche que le Parti de la justice et est, à ce titre, la cible de violentes critiques à droite et à l'extrême-droite, au motif qu'il s'agirait d'une résurgence du PPU, allant jusqu'à plaider pour l'interdiction du parti. Pour leur part, les démocrates, soumis à cette pression de la droite, ont refusé jusqu'à présent toute alliance électorale avec le Parti progressiste et son prédécesseur, le Parti Minjung.
Kang Seong-hee, après sa victoire dans la législative partielle du deuxième district de Jeonju, en avril 2023
Formé en 2017, le Parti progressiste (qui s'appelait jusqu'en juin 2020 Parti Minjung, qu'on peut traduire par Parti populaire) avait fait élire deux députés à Ulsan, bastion ouvrier, aux législatives de 2016. L'un d'eux avait été déchu de son mandat en décembre 2017 au motif d'une méconnaissance de la loi électorale, et l'unique siège sortant avait été perdu aux élections législatives du 15 avril 2020. Lors de ce scrutin, le Parti Minjung avait recueilli 1,06 % des voix au scrutin de liste, en-deçà du seuil de 3 % pour obtenir des députés à la proportionnelle. Par comparaison, le Parti de la justice avait réuni 9,67 % des voix au scrutin de liste et fait élire 6 députés, dont 5 au scrutin proportionnel et 1 au scrutin majoritaire. Toujours à gauche de l'échiquier politique, au scrutin de liste le Parti Vert de Corée avait alors rassemblé 0,21 % des voix et le Parti du travail, formation socialiste très critique vis-à-vis de la Corée du Nord, 0,12 %. Lors de l'élection présidentielle de 2022, la candidate du Parti progressiste, l'ancienne syndicaliste étudiante puis députée Kim Jae-yeon, n'avait recueilli que 0,12 % des voix, en portant l'ambition de devenir une présidente féministe - alors que le féminisme est très actif en Corée.
Fort d'une base militante solide (estimée à 95 000 membres en mars 2023 ; par comparaison, le Parti de la justice comptait 53 000 adhérents en décembre 2020), le Parti progressiste a obtenu des succès aux élections locales : il compte dans ses rangs 1 maire (sur les 226 du pays), 3 députés régionaux (sur 872) et 17 conseillers municipaux (sur 2 988).
A la différence du Parti de la justice, le Parti progressiste se revendique anti-impérialiste et a dénoncé la livraison d'armes létales à l'Ukraine dans le conflit qui l'oppose à la Russie. Se définissant comme "progressiste" plutôt que comme "socialiste" (un qualificatif souvent associé à la Corée du Nord en Corée du Sud), il est opposé au pouvoir des conglomérats (les chaebols) et se prononce pour un taux marginal d'imposition de 90 % sur les plus hauts revenus. Il défend les droits des travailleurs, des migrants, des femmes et des personnes LGBT. Plus ouvert au dialogue intercoréen que les démocrates, il s'oppose aux sanctions contre la Corée du Nord.
Le 5 avril 2023, Kang Seong-hee a été élu lors d'une législative partielle organisée dans le deuxième district de Jeonju, un bastion de l'opposition progressiste, en obtenant 39,07 % des suffrages contre 32,11 % à un indépendant proche des démocrates, permettant ainsi au Parti progressiste de revenir au Parlement. Kang Seong-hee avait obtenu le soutien du Parti Vert de Corée de la province du Jeolla du Nord mais pas du Parti de la Justice, et fait campagne sur une opposition résolue au Président Yoon Seok-yeol (conservateur). Au Parlement, une troisième formation à gauche est aussi représentée, le Parti pour un revenu de base : ancienne membre du Parti du travail, Yong Hye-in a été élue sur la liste proportionnelle du Parti démocrate avant de rejoindre le Parti pour un revenu de base, dont le nom reflète les propositions mono-thématiques.
Le succès à la législative partielle de Jeonju-2 a redonné une certaine visibilité nationale au Parti progressiste, proposé dans les sondages par l'institut Realmeter depuis octobre 2023. Si les intentions de vote restent modestes (avec un pic à 1,8 % pour la troisième semaine d'octobre 2023), elles doivent être comparées avec celles du Parti de la justice, seulement crédité de 2 % à 4 % depuis juillet 2023, et dont le monopole électoral à la gauche du Parti démocrate pour les élections nationales apparaît ainsi entamé. Alors que le scrutin législatif est prévu en avril 2024, les démocrates conservent dans les sondages une large avance sur les conservateurs (jusqu'à 12 points), ce qui laisserait aux électeurs progressistes la possibilité de faire entrer au Parlement des candidats plus à gauche, soit en les soutenant au scrutin proportionnel s'ils ont une chance raisonnable de franchir le seuil de 3 % des voix, soit en choisissant entre plusieurs candidats progressistes dans les circonscriptions pourvues au scrutin majoritaire, dans les provinces - comme le Jeolla - où les conservateurs sont hors course, dépassant rarement 10 % des suffrages.
Sources :
Progressive Party (South Korea, 2017) - Wikipedia
The party initially had two members in the National Assembly, both from Ulsan, but was reduced to one on 22 December 2017 when the supreme court convicted Yoon Jong-oe for breaking the campaign law
https://en.wikipedia.org/wiki/Progressive_Party_(South_Korea,_2017)
Kang Sung-hee, the Jinbo Party candidate, celebrates with his supporters after securing his victory in the by-election for the legislator of Jeonju Di
http://english.khan.co.kr/khan_art_view.html?code=710100&artid=202304061726287&medid=enkh
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