Les élections législatives sud-coréennes du 13 avril 2016 ont signé, contre toute attente, une défaite du Parti Saenuri (conservateur, au pouvoir) au profit de l'opposition démocrate. Ce résultat traduit un refus de l'opinion publique de suivre les autorités sud-coréennes dans leur agenda de réformes néolibérales et autoritaires.
De gauche à droite, Choi Kyung-hwan (Parti Saenuri), Kim Chong-in (Parti Minjoo) et Ahn Cheol-soo (Parti du Peuple).
La défaite est sans appel : dans l'attente des résultats définitifs, le Parti Saenuri n'obtient que 128 sièges sur 300 selon les projections nationales de la chaîne de radio-télévision publique KBS, ne recueillant qu'un peu plus de 36 % des suffrages au scrutin de liste pour les sièges pourvus à la proportionnelle (soit 19 sièges sur 47) et 109 sièges (sur 253) dans les circonscriptions. Si le Parti Saenuri devrait néanmoins rester le premier parti de l'Assemblée nationale, il aura pâti d'une participation (58 %) plus élevée qu'en 2012 et surtout du rejet de sa politique, ses résultats étant au final très proches du taux de popularité de la Présidente Mme Park Geun-hye : l'opposition - toutes tendances confondues - a fait campagne contre ses projets de révision néolibérale du droit du travail, ainsi que contre une politique de plus en plus autoritaire réduisant au silence ses opposants. A l'exception de ses bastions de l'Est du pays, les conservateurs sont minoritaires presque partout ailleurs. Ils pensaient bénéficier de la division de l'opposition entre plusieurs candidats dans les circonscriptions dont les députés sont désignés au scrutin uninominal majoritaire à un tour, mais un réflexe de vote utile a entraîné leur défaite dans une majorité de circonscriptions. Des bastions historiques sont tombés, comme dans le très chic quartier des affaires de Gangnam.
L'opposition démocrate du Parti Minjoo est le principal vainqueur du scrutin, avec 117 sièges selon KBS : au scrutin de liste, le Minjoo a recueilli plus de 24 % des voix (12 sièges sur 47) et a remporté 105 sièges dans les circonscriptions.
La nouveauté du scrutin est la réémergence du tripartisme en Corée du Sud, avec un succès supérieur aux prévisions des sondages pour le Parti du Peuple d'Ahn Cheol-soo, qui decroche 39 sièges selon KBS (contre 20 dans le Parlement sortant). Au scrutin de liste, le Parti du Peuple réussit l'exploit de devancer le Parti Minjoo, avec un peu plus de 25 % des voix (et 13 sièges). Dans les circonscriptions, il décroche 26 sièges, devenant la première force politique dans le Jeolla, bastion traditionnel de l'opposition dans le Sud-Ouest. Alors que le leader du Parti du Peuple Ahn Cheol-soo se rêve un destin présidentiel, la recomposition politique à l'approche du scrutin présidentiel de décembre 2017 ne pourra pas se faire sans lui.
Ce tripartisme a laissé peu d'espace aux autres formations politiques. Le Parti de la Justice, seule formation de gauche dans le Parlement sortant, devrait conserver ses 5 sièges - avec 6,5 % (et 3 sièges) au scrutin de liste et 2 sièges dans les circonscriptions. Les autres formations de gauche n'obtiennent que des résultats très faibles, et aucun député : au scrutin de liste, 0,7 % pour les écologistes, 0,7 % pour l'Union Populaire (constituée notamment à l'initiative d'anciens militants du Parti progressiste unifié, interdit dans des conditions non conformes aux principes démocratiques) et 0,4 % pour le Parti travailliste, issu principalement du Nouveau parti progressiste. A l'autre bord de l'échiquier politique, un ancien député démocrate avait constitué le Parti chrétien-libéral, violemment islamophobe et homophobe, qui échoue de peu à franchir la barre des 3 % pour obtenir des sièges au scrutin proportionnel : comme aux Pays-Bas, la Corée du Sud voit ainsi apparaître des partis à composante religieuse, ultra-conservateurs, proches de certaines des puissantes églises protestantes.
Sonnés par leur défaite, qui n'apparaissait pas encore acquise lors des premiers résultats sortis des urnes, les conservateurs ont tardé à réagir. Il est attendu que Kim Moo-sung, l'ultraconservateur dirigeant du Parti Saenuri à la manoeuvre dans le révisionnisme historique des manuels scolaires, quitte ses fonctions de direction au sein du Saenuri. Le système politique sud-coréen ne tend pas à des cohabitations à la française (en 2000, le Président Kim Dae-jung, défait lors des législatives, n'avait pas nommé de Premier ministre issu de l'opposition), mais la Présidente Mme Park Geun-hye n'aura plus de majorité à sa disposition pour libéraliser le marché du travail, renforcer encore les pouvoirs de l'Agence nationale de renseignement (NIS) qui est le bras armé des atteintes aux libertés publiques en Corée du Sud ou encore interdire les oppositions politiques et syndicales en emprisonnant les opposants. Quant à l'opposition majoritaire au Parlement, elle pourra être un contre-pouvoir efficace en faisant cesser les poursuites contre les opposants et en levant les entraves à la manifestation de la vérité dans les dramatiques naufrages du Cheonan et du Sewol, y compris par la conduite de commissions d'enquêtes parlementaires indépendantes et dotées de réels pouvoirs. Enfin, elle pourra s'employer à mettre fin aux ingérences des services de renseignement dans la vie politique sud-coréenne, afin que ceux-ci ne manipulent pas une nouvelle fois les résultats des élections, à un an et demi du scrutin majeur que sera l'élection présidentielle de décembre 2017 pour laquelle le chef de l'Etat sortant ne peut pas être immédiatement candidat à sa réélection.
Sources :
Fil d'information en direct sur la page Facebook de l'AAFC
Site de la Commission électorale nationale de la République de Corée
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