Alors que le lancement par le gouvernement sud-coréen d'une procédure d'interdiction à l'encontre du Parti progressiste unifié (PPU, logo à gauche) apparaît comme l'un des symptômes du tournant autoritaire à Séoul, la forte mobilisation antigouvernementale est largement impulsée par les militants de gauche, rejoints par de nombreux sympathisants du principal parti d'opposition, le Parti démocrate (centre-gauche) et, dans une moindre mesure, du Parti pour une nouvelle politique fondé par le député indépendant Ahn Cheol-soo - qui avait été, un temps, l'un des favoris de la dernière élection présidentielle, avant de se retirer. Dans ce contexte, l'Association d'amitié franco-coréenne a jugé utile d'actualiser son panorama de la gauche sud-coréenne en expliquant la genèse de ses différentes formations, tout en faisant également le point sur le poids de ses différentes composantes.
Quatre partis principaux
Traditionnellement, les militants de la gauche sud-coréenne se répartissent entre une sensibilité dite "Libération nationale" (acronyme anglais : NL) qui met notamment l'accent sur la réunification, et une sensibilité dite "Démocratie populaire" (acronyme anglais : PD), plus centrée sur les droits des travailleurs ainsi que les questions de société (droits des minorités, défense de l'environnement, pacifisme...). A l'exception d'une petite minorité du courant PD, réunie dans le Parti socialiste et très critique vis-à-vis de la Corée du Nord, le Parti démocratique du travail (PDT) avait réussi à réunir la plupart des militants de gauche. La contre-performance de l'élection présidentielle de 2007, lors de laquelle le candidat du PDT, Kwon Young-ghil, ne réunit que 3 % des suffrages (contre 0,08 % pour Geum Min, candidat du Parti socialiste coréen), entraîna le départ de nombreux militants de tendance PD, qui fondèrent le Nouveau parti progressiste (NPP).
Aux élections législatives de 2008, le PDT obtint 5,68 % pour le scrutin de liste proportionnel (et 3,39 % pour les candidats dans les circonscriptions, sans que le PDT ne soit candidat partout, compte tenu du mode de scrutin uninominal à un tour qui tend à encourager les accords de premier tour avec les démocrates dans une union des progressistes). Pour sa part, le NPP obtint 2,94 % au scrutin de liste, échouant de peu à franchir la barre des 3 % pour obtenir des élus à la proportionnelle, et 1,33 % dans les circonscriptions. Au total, seul le PDT réussit à faire élire des députés (6, dont 4 au scrutin de liste et 2 dans les circonscriptions). Par la suite, le NPP fit son retour au Parlement national lors d'une législative partielle à Ulsan en avril 2009.
Le PDT fusionna ensuite avec des militants de l'aile gauche du Parti démocrate, pour former le Parti progressiste unifié (PPU).
Aux élections législatives du 11 avril 2012, le PPU réalisa un score de 10,3 % au scrutin de liste et 4,7 % dans les circonscriptions, obtenant 13 sièges (dont 6 à la proportionnelle et 7 au scrutin majoritaire). Pour sa part, le NPP n'obtint que 1,1 % des voix à la proportionnelle et 0,5 % dans les circonscriptions, ne décrochant aucun siège. Centré sur les questions écologiste, le Parti vert réalisa 0,48 % des voix au scrutin proportionnel.
Conformément à une disposition spécifique à la législation sud-coréenne sur les partis, le NPP et le Parti vert, en raison de leurs échecs électoraux, furent dissous administrativement. Les anciens militants du NPP décidèrent alors de fusionner avec les anciens membres du Parti socialiste coréen pour fonder le Parti du travail (PT). Quant aux écologistes, ils se reconstituèrent en octobre 2012 sous le nom de Parti vert plus. Pour sa part, le PPU éclata suite à un scandale sur le mode de désignation interne de ses candidats aux élections législatives : sept des treize députés quittèrent le PPU et fondèrent un nouveau parti, le Parti progressiste pour la justice (qui s'est rebaptisé depuis Parti de la justice).
A l'élection présidentielle du 19 décembre 2012, qui vit la victoire de la candidate conservatrice Park Geun-hye, le PPU investit l'ancienne députée Lee Jung-hee, qui décida finalement de se retirer avant le premier tour, en appelant à voter pour le candidat démocrate Moon Jae-in afin de barrer la route à Mme Park, prenant ainsi en compte le mode de scrutin uninominal majoritaire à un tour qui conduit à la défaite du camp le plus divisé. Mme Sim Sang-jeong, candidate du Parti progressiste pour la justice, choisit elle aussi de se retirer avant le premier tour. Sur la partie la plus à gauche de l'échiquier politique, seules deux candidates restèrent donc en lice : Kim Soon-ja (0,15 %), femme de ménage, syndicaliste, ancienne candidate du NPP aux législatives de 2012 mais qui se présentait en indépendante, et la syndicaliste ouvrière Kim So-yeon (0,05 %).
Le gauche sud-coréenne est ainsi constituée aujourd'hui de quatre principales formations politiques : le PPU, le Parti de la justice, le Parti du travail et le Parti vert plus.
Militants et élus : avantage au PPU
Si la procédure d'interdiction lancée à l'encontre du PPU est de nature à avoir affecté son potentiel militant, celui-ci reste la formation la formation de gauche la plus nombreuse selon les données 2012 de la Commission électorale nationale (CEN) : 104 692 membres pour le PPU contre 6 750 pour le Parti de la justice. Faute de données disponibles auprès de la CEN, il était estimé que le Parti du travail comptait alors 15 000 membres et le Parti vert plus 6 652 membres. Par comparaison, toujours selon la CEN, en 2012 le Parti Saenuri (conservateur) comptait 2,47 millions de membres et le Parti démocrate 2,13 millions de membres.
En nombre de députés, le PPU dispose aujourd'hui de 6 sièges sur 300 à l'Assemblée nationale et le PJ de 5 sièges. Le PT et le Parti vert plus ne sont pas représentés au Parlement. Selon les dernières données disponibles (en 2013) pour les représentations des partis au niveau local, parmi les 762 députés élus dans les assemblées régionales, le PPU dispose de 21 sièges, le PJ de 6 sièges et le PT de 3 sièges (0 siège pour le Parti vert). Parmi les 2 888 conseillers municipaux, le PPU dispose de 97 sièges, le PJ de 35 sièges, le PT de 9 sièges et le Parti vert de 2 sièges. A gauche, seul le PPU dirige des exécutifs locaux (2 sur 228). Lors des élections locales, le PPU a été plus souvent en alliance avec les démocrates que le NPP (qui a fusionné depuis au sein du PT), ce qui a favorisé sa meilleure représentation dans les conseils municipaux et régionaux.
L'institut de sondage sud-coréen Realmeter mesure régulièrement la popularité des principales formations politiques. Dans son enquête conduite du 20 au 24 janvier 2014, le soutien du PPU s'élevait à 3 % et celui du PJ à 2,3 %, le PT et le Parti vert n'étant pas testés par Realmeter, selon une configuration qui ne soumettait pas le Parti pour une nouvelle politique (PNP) d'Ahn Cheol-soo au choix des personnes sondées (si l'on inclut le PNP, le soutien du PPU tombe à 1,1 % et celui du PJ à 1,6 %).
Alors que de nouvelles élections locales sont prévues ce printemps en Corée du Sud, la gauche sud-coréenne aborde ce scrutin particulièrement divisée et, s'agissant de sa principale formation (le PPU), sous le coup d'une procédure d'interdiction qui, même si elle n'aboutissait pas à l'issue du jugement que rendra la Cour constitutionnelle, n'en tend pas moins à freiner son activité politique et militante.
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