Après les exercices menés conjointement avec la Marine américaine fin juillet en mer de l'Est (mer du Japon), la Marine sud-coréenne a lancé le 5 août des manœuvres anti-sous-marines - les plus vastes de son histoire - en mer de l'Ouest (mer Jaune), toujours dirigées contre la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord). Outre ces démonstrations de force, les autorités sud-coréennes cherchent à sanctionner par tous les moyens la RPDC accusée d'avoir torpillé une corvette sud-coréenne le 26 mars dernier. Ces accusations sont rejetées par la RPDC et contestées par une part importante de l'opinion sud-coréenne et dans le monde car reposant sur des « preuves » de plus en plus faibles. Jusqu'à présent, cherchant à faire sanctionner la RPDC par la « communauté internationale » pour l'incident du 26 mars, le gouvernement de Séoul n'a rencontré que des échecs. Il voit donc d'un bon oeil l'annonce de sanctions américaines unilatérales contre la RPDC et entend s'y associer. Mais dans sa précipitation à vouloir tirer un trait sur le rapprochement inter-coréen initié par ses prédécesseurs depuis 2000, le gouvernement conservateur du président Lee Myung-bak semble avoir sous-estimé le prix demandé par les Etats-Unis en échange de leur soutien face à la Corée du Nord : l'adoption de sanctions contre l'Iran, plus important partenaire commercial de la Corée du Sud au Moyen-Orient. En voulant viser la Corée du Nord, le gouvernement sud-coréen pourrait bien se tirer une balle dans le pied.
Les 2 et 3 août 2010, Robert Einhorn, conseiller spécial du département d’Etat américain pour la non-prolifération et le contrôle des armes, était en Corée du Sud, avant de se rendre à Tokyo, pour discuter des sanctions qu'envisagent de prendre les Etats-Unis contre la Corée du Nord et l’Iran.
Avant son arrivée à Séoul, Einhorn avait salué l'Union européenne et plusieurs autres pays occidentaux pour les mesures prises afin de restreindre les transactions pétrolières et de gaz naturel ainsi que le commerce des armes avec l'Iran soupçonné de développer un programme d'armes nucléaires à base d'uranium hautement enrichi, des mesures en ligne avec les sanctions imposées en juin par la résolution 1929 du Conseil de sécurité des Nations Unies. L'Iran affirme que son programme d'enrichissement est utilisé uniquement pour produire de l'énergie, mais Washington a d'ores et déjà appelé la Corée du Sud à prendre des mesures unilatérales contre l'Iran, similaires à celles des pays européens.
Pour ce qui concerne la Corée du Nord, Washington a déclaré qu'il allait établir une liste d’entités et d'individus en vue de couper les sources de revenus provenant du commerce d’armes de destruction massive, de contrefaçons et de produits de luxe en violation avec les résolutions de l'ONU, notamment la résolution 1874 adoptée le 12 juin 2009 suite au second essai nucléaire nord-coréen. Les accusations américaines à l'encontre de la RPDC ne sont pas nouvelles et certaines ont été réfutées par des spécialistes.
Manifestation le 2 août 2010 à Séoul, devant le ministère des Affaires étrangères, à l'occasion de la venue de l'envoyé américain, Robert Einhorn, pour demander l'arrêt des sanctions à l'encontre de la RPDC et exiger l'ouverture de négociations en vue d'un traité de paix dans la péninsule coréenne (source : SPARK)
L'attitude américaine a de quoi satisfaire le gouvernement sud-coréen qui cherche à sanctionner la RPDC depuis qu'un groupe d'enquête mixte civil et militaire l'a accusée d'avoir torpillé une corvette sud-coréenne, le Cheonan, le 26 mars dernier en mer de l'Ouest. Ces accusations ont toujours été rejetées par la RPDC et les preuves avancées par le gouvernement sud-coréen sont de plus en plus contestées en Corée du Sud même et dans le monde. Malgré tous ses efforts – et le soutien des Etats-Unis -, le gouvernement sud-coréen n'a pas réussi jusqu'à présent à faire sanctionner la RPDC par la « communauté internationale »: le Conseil de sécurité des Nations Unies, saisi par les autorités sud-coréennes le 4 juin, a publié le 9 juillet une déclaration condamnant l'attaque contre le navire sud-coréen mais sans l'imputer à la RPDC; quant au Forum régional de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est, principal canal pour le dialogue et la coopération sur la sécurité multinationale dans la région Asie-Pacifique, il a seulement exprimé le 23 juillet une inquiétude profonde et des condoléances suite au naufrage.
Les sanctions décidées, unilatéralement, par Washington à l'encontre de la RPDC réjouissent donc les milieux sud-coréens les plus conservateurs qui n'ont jamais accepté le rapprochement inter-coréen permis par la « politique du rayon de soleil » initié par Kim Dae-jung et poursuivie par Roh Moo-hyun, les prédécesseurs du président Lee Myung-bak.
Mais les Etats-Unis voudraient qu'en échange du soutien qu'ils lui apportent face à la Corée du Nord, la Corée du Sud joigne ses efforts pour mettre en place des sanctions sévères contre l’Iran.
Or, la République islamique d'Iran est le premier partenaire commercial de la Corée du Sud au Moyen-Orient.
Les échanges bilatéraux entre la Corée du Sud et l'Iran ont atteint près de 10 milliards de dollars en 2009. Les exportations sud-coréennes vers la République islamique se sont élevées à environ 4 milliards de dollars en 2009, et ont augmenté de plus de 50% entre janvier et mai 2010 par rapport à la même période de l'année précédente.
L'Iran, quatrième producteur mondial de pétrole brut, a fourni 8,7% du pétrole importé par la Corée du Sud en 2009.
L'Iran est aussi un marché prometteur dans les domaines de la construction et de la chimie, et sa capitale, Téhéran, est considérée, avec Dubaï, comme une tête de pont pour les entreprises sud-coréennes opérant au Moyen-Orient. Des entreprises sud-coréennes, comme LG, Hyundai, Samsung Electronics, Hanjin Heavy Industries et Daewoo Shipbuilding, ont signé des contrats de plusieurs milliards de dollars avec l'Iran au cours de ces dernières années.
La Corée du Sud se retrouve maintenant confrontée à un dilemme : une participation de Séoul aux sanctions américaines contre l'Iran pourrait avoir un impact important sur les entreprises sud-coréennes au Moyen-Orient, alors que la Chine est en train d’accroître sa présence dans la région, mais rejeter l'appel des Etats-Unis constituerait un revers pour l’allié numéro un de Séoul, qui lui a apporté un soutien total face à la Corée du Nord dans l'affaire du Cheonan.
Le chef du bureau des finances internationales au ministère sud-coréen de la Stratégie et des Finances, Kim Ik-joo, a déclaré après sa rencontre avec Robert Einhorn que l'envoyé américain avait bien demandé la participation de la Corée du Sud au sujet des sanctions américaines contre l’Iran. Selon l'agence sud-coréenne Yonhap, l'envoyé américain a notamment demandé au gouvernement sud-coréen de geler les avoirs de la succursale sud-coréenne de la banque iranienne Mellat, une des institutions financières iraniennes figurant sur la liste noire des Etats-Unis, et de fermer cette succursale qui a servi d’intermédiaire aux entreprises locales pour les transferts d’argent vers l'Iran.
Confrontés au choix d'appliquer les seules résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies contre l'Iran, lesquelles ont valeur de lois internationales, ou de se plier aux nouvelles exigences américaines, les officiels sud-coréens affirment soutenir entièrement les préoccupations des Etats-Unis sur la non-prolifération. Mais ils voudraient aussi que les transactions avec l’Iran hors du domaine de la non-prolifération soient épargnées par les sanctions. Il n'est pas certain que la retenue de la Corée du Sud face à l'Iran, fondée sur des intérêts économiques bien compris, satisfasse son parrain américain.
Après un fiasco diplomatique, le gouvernement sud-coréen pourrait donc maintenant connaître un fiasco économique, voire politique, faute d'avoir écouté les appels à la retenue lancés, notamment, par la Chine et par la Russie suite au naufrage du Cheonan. Le gouvernement sud-coréen a préféré suivre la frange la plus conservatrice de la société sud-coréenne, aveuglée par sa haine envers les défunts présidents Kim Dae-jung et Roh Moo-hyun, et trop heureuse de pouvoir donner le « coup de grâce » au rapprochement intercoréen. Sans en mesurer toutes les conséquences, les conservateurs sud-coréens ont monté un dossier à charge contre la Corée du Nord, validé plus tard par un groupe d'enquêteurs venus de Corée du Sud, des Etats-Unis et d'autres pays alliés quand il aurait fallu une enquête scientifique et objective sur les causes du drame du 26 mars. Les autorités de Séoul ont aussi voulu profiter du naufrage du Cheonan pour réaffirmer l'alliance entre la Corée du Sud et les Etats-Unis, une alliance où la Corée du Sud fait de plus en plus figure de supplétif des Etats-Unis pour leur stratégie d'endiguement de la Chine. Le gouvernement Lee Myung-bak voulait sanctionner la RPDC à tout prix. La facture vient d'arriver.
Sources :
Yonhap, « Einhorn se rendra en Corée du Sud et au Japon pour discuter des sanctions contre la Corée du Nord et l'Iran », 30 juillet 2010
Yonhap, « La Corée du Sud face à un dilemme suite à la pression américaine pour des sanctions contre l'Iran », 4 août 2010
Yonhap, « Les sanctions contre l'Iran constitueront "le plus grand défi" pour la Corée du Sud », 5 août 2010