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2 août 2010 1 02 /08 /août /2010 01:09

Embleme_Marine-russe.JPGLe 26 juillet 2010, le quotidien sud-coréen Hankyoreh a publié les résultats de l’enquête menée en mai et juin derniers par les experts de la Marine russe sur le naufrage de la corvette sud-coréenne Cheonan (PCC-772) qui a coulé le 26 mars 2010 en mer de l'Ouest (mer Jaune), provoquant la mort de 46 marins. Même si les autorités de la Fédération de Russie ont pour l'heure évité toute déclaration officielle de nature à remettre en cause leur politique d'équilibre  entre Séoul et Pyongyang, les résultats de l'enquête d'ores et déjà publiés par le Hankyoreh contredisent les conclusions du groupe mixte d’experts civils et militaires convoqué par le ministère sud-coréen de la Défense, imputant le drame du 26 mars à une torpille tirée par un sous-marin de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord). Compte tenu des conséquences désastreuses des accusations lancées par la Corée du Sud contre la RPDC – laquelle nie toute implication dans le naufrage –, une nouvelle enquête dont les résultats seront cette fois incontestables apparaît nécessaire.

 

Du 30 mai au 7 juin 2010, une équipe d’experts de la Marine russe s’est rendue en Corée du Sud pour y examiner le rapport du groupe d’enquête mixte civil et militaire constitué par le gouvernement sud-coréen afin de déterminer les causes du naufrage du Cheonan et imputant ce drame à la RPDC.

 

Les conclusions de l’enquête russe figurent dans un document intitulé « Données de l'enquête du groupe d'experts de la Marine russe sur la cause du naufrage du navire sud-coréen Cheonan » qui n'a pas encore été rendu public mais dont le quotidien sud-coréen Hankyoreh a révélé les principaux points le 26 juillet.

 

Les enquêteurs russes sont parvenus à la conclusion que la perte du Cheonan a bien été provoquée par une explosion sous-marine externe sans contact, ce qui est aussi la conclusion de l'enquête menée par le groupe mixte civil et militaire composé d'experts sud-coréens, américains, britanniques, australiens et suédois.

 

Mais le Hankyoreh révèle que les résultats de l'enquête des experts russes se distinguent des conclusions de l'enquête du groupe mixte sur au moins trois autres points : l'heure de l'explosion, l'échouement du Cheonan sur des hauts-fonds avant le naufrage, l'authenticité du fragment de torpille présenté par les autorités sud-coréennes.

 

L'heure de l'explosion

 

Selon le rapport des experts de la Marine russe, l’heure officielle de l’explosion donnée par le groupe d’enquête mixte (21h21mn58s) ne correspond ni à l’heure estimée en se basant sur les enregistrements existants, ni à la dernière heure enregistrée par le système de vidéo-surveillance du Cheonan (21h17mn03s) qui s’est arrêté lorsque l’électricité a été coupée à bord.

 

D'autre part, on apprend que des marins du Cheonan ont utilisé leurs téléphones cellulaires à 21h12mn3s pour informer un poste militaire côtier que des personnes étaient blessées à bord. Cette heure est différente de celle fournie par le groupe d’enquête mixte.

 

Réagissant à ces informations suggérant que la situation est devenue hors de contrôle à bord du navire quatre à cinq minutes avant l'heure annoncée par la Corée du Sud, le ministère sud-coréen de la Défense explique que l'heure indiquée sur le système de vidéo-surveillance du Cheonan était en retard de près de 4 minutes par rapport à l'heure réelle, un fait jamais rendu public auparavant. Le ministère dit aussi ne disposer d'aucune information sur un appel téléphonique signalant des blessés à bord du Cheonan.

 

L'échouement du Cheonan

 

A partir des examens qu'ils ont pu effectuer en Corée du Sud, les experts de la Marine russe ont abouti à la conclusion que, avant le naufrage, le Cheonan a touché un haut-fond, un accident qui a endommagé toutes les pales de son hélice tribord ainsi que deux des pales de son hélice bâbord. Le frottement a été tel que les hélices endommagées sont devenues brillantes et ont été éraflées par endroits. Le bord d’une pale de l’hélice tribord est même entaillé, ce qui est incompatible avec l’avis du groupe mixte d’enquête sud-coréen selon lequel les déformations subies par l’hélice sont dues à l’arrêt brutal de l’axe d’hélice.

 

Les enquêteurs russes ont trouvé des restes de filets de pêche enroulés autour de l’axe de l’hélice tribord, en contradiction avec l'affirmation des autorités sud-coréennes qu’aucune zone de pêche ne se trouvait sur le trajet du Cheonan.

 

Le fragment de la « torpille numéro 1 »

 

Le fragment d'une « torpille nord-coréenne », présenté par les autorités sud-coréennes comme la preuve irréfutable – le smoking gun - de la culpabilité de la RPDC, porte l'inscription « numéro 1 » en coréen.

 

Selon les experts de la Marine russe, cette inscription ne correspond pas aux normes habituelles de marquage, qu’il s’agisse de son emplacement ou de la méthode utilisée.

 

En outre, après un examen visuel du fragment de torpille, les experts russes estiment que cet objet est resté immergé pendant au moins six mois. Il est donc impossible que la « torpille nord-coréenne » en question soit à l’origine du naufrage du 26 mars, survenu deux mois avant la découverte supposée de cette pièce.

 

Le scénario des experts russes et ses conséquences

 

A partir de ces éléments, les experts de la Marine russe ont tenté de reconstituer le scénario du naufrage du Cheonan :

 

1. Naviguant dans une zone peu profonde à proximité de la côte de l'île de Baengnyeong, le Cheonan a touché le fond de la mer.

 

2. Un filet de pêche s’est pris dans l'hélice tribord, endommageant les pales et rendant le Cheonan lent et peu manœuvrable.

 

3. Le Cheonan a entamé des manœuvres pour rejoindre la haute mer, quand sa partie inférieure a dû toucher l’antenne d'une mine sous-marine, ce qui a provoqué l’explosion de l’engin.

 

NLL Baengnyeong

 

Le risque de mines sous-marines est en effet élevé dans la zone de l'accident, de nombreuses mines de fond ayant été posées par l'armée sud-coréenne dans les années 1970 pour empêcher un éventuel débarquement sur l'île de Baengnyeong située juste en face des côtes nord-coréennes. Pour cette raison, les points d’amarrage et les voies de passage font l’objet de restrictions au large de la côte ouest de la péninsule coréenne. 

 

Les experts de la Marine russe n'écartent pas non plus la possibilité que le navire, dont le système de navigation fonctionnait mal et dont la capacité de manœuvre était restreinte, ait été touché par une torpille sud-coréenne.

 

Il est noter que l'échouement du Cheonan sur des hauts-fonds est une hypothèse déjà formulée par Shin Sang-cheol, expert des questions maritimes et ancien membre du groupe d’enquête mixte sud-coréen. Pour avoir émis cette hypothèse, Shin est aujourd’hui poursuivi par le ministère sud-coréen de la Défense. Toutefois, concernant l'autre facteur ayant entraîné la perte du Cheonan, Shin ne croit pas à l'explosion d'une mine ou d'une torpille, mais à une collision.

 

A ce stade, il ne s’agit pas de dire que les enquêteurs russes ont raison et que les autres ont tort. Mais, face aux multiples remises en cause des conclusions de l’enquête du groupe mixte d’experts civils et militaires sud-coréens, américains, britanniques, australiens et suédois - laquelle se voulait pourtant « scientifique et objective » - il devient urgent qu’une nouvelle enquête, incontestable celle fois, fasse toute la lumière sur les vraies causes du naufrage du Cheonan. La RPDC a déjà proposé d’envoyer ses propres enquêteurs, essuyant le refus des autorités sud-coréennes. En Corée du Sud, l’opposition a pris position pour une enquête parlementaire.

 

VladimirVyssotski.jpgLes résultats de l’enquête des experts de la Marine russe n’ont pas encore été rendus publics, ni par la Russie, ni par la Corée du Sud. Initialement attendus vers le 10 juin, les résultats de l'enquête russe avaient été reportés, le 9 juin, d'un mois, le temps d'analyser des fragments du navire et de l'explosif supposé. Ces délais semblent traduire un embarras face aux conséquences politiques que pourraient avoir les conclusions de l'enquête russe. Le 24 juillet, deux jours avant les révélations du Hankyoreh, l'amiral Vladimir Vyssotski, commandant en chef des forces navales russes, a seulement déclaré que « les résultats de l'enquête effectuée par les experts russes suscitent des interrogations. Nous n'avons pas reçu de réponses claires. Mais je n'en dirai pas plus » Les questions en suspens recevront-elles un jour une « réponse claire » ? « Cela ne dépend pas de nous. La situation dans la région Asie-Pacifique a toujours été compliquée », a répondu l’amiral Vyssotski, laissant entendre que Moscou pourrait bien ne pas se départir de sa traditionnelle position prudente d'équilibre entre Séoul et Pyongyang. Sergei Lavrov, ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, avait ainsi déclaré le 14 juillet que « le plus important » était de « calmer la situation » et de « commencer à préparer les conditions pour une reprise des pourparlers à six » pays (deux Corée, Etats-Unis, Chine, Russie, Japon) sur la dénucléarisation de la péninsule coréenne.

 

La situation est effectivement très compliquée, pour reprendre le mot de l'amiral Vyssotski… surtout pour le gouvernement sud-coréen et son parrain américain qui veulent absolument que la « communauté internationale » sanctionne la RPDC pour l’incident du 26 mars. Or, le 9 juillet, le Conseil de sécurité des Nations Unies, saisi par la Corée du Sud début juin, a fait une déclaration pour condamner l'attaque du Cheonan mais sans accuser directement la RPDC. Et, le 23 juillet, la déclaration finale du Forum régional de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est, principal canal pour le dialogue et la coopération sur la sécurité multinationale dans la région Asie-Pacifique, a seulement exprimé « son inquiétude profonde et ses condoléances suite au naufrage du Cheonan », tout en demandant aux parties concernées de reprendre les pourparlers à six. Deux échecs successifs pour la diplomatie sud-coréenne – et américaine – qualifiés de « flop énorme » par des médias conservateurs sud-coréens dépités.

 

En revanche, prenant prétexte du naufrage du Cheonan et des preuves qu'ils ont eux-mêmes réunies contre la RPDC, les Etats-Unis et la Corée du Sud ont décidé d'une série de sanctions et de manoeuvres militaires « dissuasives » contre la Corée du Nord. En Corée du Sud, une campagne d'intimidation s’est aussi développée contre ceux qui doutent de la version officielle imputant le naufrage du Cheonan à la RPDC.

 

Les autorités américaines et sud-coréennes pourraient donc avoir tiré profit du drame 26 mars et délibérément manipulé les renseignements en leur possession afin de servir certains intérêts - tels que gagner des élections ou conserver un avantage stratégique en Asie du Nord-Est -, au risque d’aggraver les tensions déjà vives autour de la péninsule coréenne. L'ampleur du scandale potentiel pourrait expliquer la discrétion de la Russie, discrétion qui, comme l'a expliqué l'amiral Vyssotski, « ne dépend pas d'elle ». Moscou a développé d'importantes relations commerciales avec la Corée du Sud, ce qui pourrait expliquer pourquoi la Russie n'a pas souhaité - jusqu'à présent - rendre publiques les conclusions de ses propres enquêteurs : Séoul a fait de la mise en cause de Pyongyang dans le naufrage du Cheonan l'axe essentiel d'une diplomatie tous azimuts, y compris en direction de pays traditionnellement proches de la RPD de Corée, comme le Cambodge. La Corée du Sud dispose d'importants moyens de rétorsion économiques contre les Etats qui voudraient aller plus loin qu'une prudente condamnation du naufrage évitant de citer la RPDC, en prenant ouvertement position contre la thèse officielle sud-coréenne.

 

Principales sources :

"Russian Navy Expert Team’s analysis on the Cheonan incident", Hankyoreh, 27 juillet 2010

"Russia’s Cheonan investigation suspects that the sinking Cheonan ship was caused by a mine in water", Hankyoreh, 27 juillet 2010

"'Complex combination of factors' responsible for Cheonan sinking, Russian investigation concludes", Hankyoreh, 27 juillet 2010

« Cheonan: les experts russes hésitent sur les causes du naufrage (amiral) », RIA Novosti, 24 juillet 2010

"A diplomatic belly flop", JoongAng Ilbo, 26 juillet 2010

"Russia's Lavrov calls for calm over S. Korea ship sinking to resume six-party talks", RIA Novosti, 14 juillet 2010

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