Le 30 novembre 2009, la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) a annoncé la réévaluation de sa monnaie, le won. Si cette réforme est logique et même nécessaire dans le contexte nord-coréen pour lutter contre l'inflation et le marché noir, elle comporte aussi des risques qu'il convient de souligner.
Suite à la réévaluation monétaire annoncée le 30 novembre par le gouvernement nord-coréen, cent anciens won valent un nouveau won. La monnaie de la RPDC se décline désormais en neuf billets d'une valeur de 5000, 2000, 1000, 500, 200, 100, 50, 10 et 5 won, et en cinq pièces d'une valeur de 1 won et 50, 10, 5 et 1 chon. Les citoyens de RPDC avaient jusqu'au 6 décembre pour échanger leurs anciennes coupures dans la limite de 150 000 « anciens » won. Au-delà de ce montant, l'argent doit être déposé dans un établissement bancaire pour un échange ultérieur dont les modalités restent à préciser.
Cette réévalutation est la première depuis 1992 et vient après quatre autres réformes monétaires menées depuis 1947 en Corée du Nord.
En décembre 1947, les comités populaires de Corée du Nord décidèrent d'abandonner la monnaie héritée de la période de la colonisation japonaise. Les billets de banque de la période coloniale furent progressivement remplacés par les nouvelles coupures émises par la Banque centrale nord-coréenne, au taux de 1 contre 1.
Le 13 février 1959, une deuxième réforme monétaire visa à endiguer l'inflation consécutive à la guerre de 1950-1953, à revigorer le système financier et à doter le gouvernement des ressources nécessaires au développement d'après-guerre. A l'instar de la réforme du 30 novembre 2009, le taux de change fut fixé à 100 contre 1.
Le 7 avril 1979, dans le cadre d'une troisième réforme, un nouveau won fut mis en circulation, échangeable au taux de 1 contre 1.
Le 15 juillet 1992, une quatrième réforme prit effet dans le but de consolider le système monétaire, alors que les échanges de la RPDC étaient affectés par la disparition de ses principaux marchés et fournisseurs suite à l'effondrement du bloc socialiste. La Banque centrale émit de nouveaux billets se substituant aux anciens, au taux de 1 contre 1.
Pour Jo Song-hyon, de la Banque centrale de RPDC, cité par le Choson Sinbo, journal de l'Association générale des Coréens résidant au Japon, la réforme du 30 novembre 2009 s'inscrit dans la perspective de l'édification d'un « pays puissant et prospère » à l'horizon 2012, en garantissant la bonne circulation de la monnaie et en améliorant la qualité de vie de ceux qui travaillent. Toujours selon Jo Song-hyon, les salaires doivent être les mêmes qu'auparavant, mais exprimés dans la nouvelle monnaie, et les prix fixés par l'Etat dans les magasins publics retrouveront leur niveau du 1er juillet 2002. Les services tels que les magasins et restaurants ont d'ailleurs été fermés du 30 au 4 décembre 2009, le temps de fixer les nouveaux prix. La réforme a été conduite en un temps record, ce qui a toutefois aussi été de nature à entraîner des phénomènes de constitution de stocks par les consommateurs, entraînant un regain initial d'inflation.
Suite aux réformes économiques du 1er juillet 2002 en RPDC, visant notamment à introduire une dose de marché dans l'économie et à rendre les prix plus flexibles, la masse monétaire s'est accrue alors que se font toujours cruellement sentir les effets de l'embargo appliqué depuis 1950 à la RPDC, « le pays le plus sanctionné au monde » (pour reprendre les propres termes de l'ancien président américain Bush) : pénurie de matières premières et d'énergie aggravée par une infrastructure vieillissante perturbant les livraisons de nourriture et de biens de consommation courante. En conséquence, les prix se sont envolés. Avec une inflation de 25 à 30 % selon les estimations, le won nord-coréen a perdu de sa valeur au profit des devises étrangères comme le dollar, l'euro ou le yuan chinois. C'est pour supprimer cet excès de liquidités sur les marchés que le gouvernement nord-coréen a procédé à la réévaluation du 30 novembre.
Certaines sources occidentales et sud-coréennes mettent en avant le caractère impopulaire d'une telle mesure. Cette analyse est à relativiser car, selon une étude de l'Institut des études sur l'Extrême-Orient de l'université Kyungnam de Corée du Sud, le salaire moyen en RPDC se situait en 2008 entre 2800 et 3000 won (au taux officiel, un won équivaut environ à 140 dollars américains). La réforme monétaire du 30 novembre permet donc aux citoyens de RPDC d'échanger jusqu'à cinquante fois la valeur d'un salaire moyen ! La réforme pourrait surtout se traduire par une perte des économies accumulées par les classes moyennes, enrichies par les activités d'échanges sur les marchés privés - dans des conditions souvent à la limite de la légalité - même si la réforme « épargne » les détenteurs de devises étrangères, qui comptent parmi les personnes les plus riches. Il s'agit donc bien, à proprement parler, d'une réforme « populaire ».
Toutefois, selon Lee Jung-chul, de l'université sud-coréenne Soongsil, cité par l'agence Reuters, la réévaluation du 30 novembre n'aura que des effets à court terme dans la lutte contre l'inflation et contre le marché noir si l'économie nord-coréenne ne parvient pas à assurer un approvisionnement régulier en biens de consommation. Si ce n'est pas le cas, prédit Lee Jung-chul, « la valeur du won va chuter davantage [...] et la dépendance vis-à-vis du dollar et du yuan se renforcera. En conséquence, l'inflation à l'origine du problème ne fera qu'augmenter. » De fait, les marchés privés, tout en accroissant les inégalités, ont contribué à pallier les difficultés du système public de distribution, alors que la Corée du Nord continue de lutter pour l'autosuffisance alimentaire. La réévaluation s'accompagnera-t-elle d'une amélioration du système public de distribution, dans une économie mixte de fait ?
Déjà, la réévaluation ne devrait pas avoir trop d'impact sur les échanges entre la RPDC et la Chine qui se sont élevés à 2,04 milliards de dollars sur les dix premiers mois de l'année 2009, selon les données des douanes chinoises, en premier lieu parce que les transactions se font en dollars ou en euros. Un homme d'affaires chinois de la ville frontalière de Dandong, cité par Reuters, a même estimé que la réforme du 30 novembre vise à « préparer le chemin vers une plus grande ouverture de l'économie. Une fois la réévalutation achevée, et si la Corée du Nord parvient à stabiliser sa monnaie, celle-ci pourrait être mieux acceptée comme monnaie de règlement des échanges commerciaux [...], ce qui pourrait favoriser les affaires. »
De son côté, Paik Hak-soon, de l'Institut Sejong de Séoul, voit dans cette réévaluation « un moyen pour le gouvernement nord-coréen de s'engager dans le financement stratégique des projets du pays grâce au contrôle de la circulation de la richesse nationale [...] dans le cadre d'une réforme économique. »
En conclusion, face à certains effets sociaux pervers des réformes économiques de 2002, et compte tenu du contexte dans lequel évolue la République populaire démocratique de Corée toujours confrontée au plus vieil embargo du monde, la réévaluation du won peut être considérée comme un « mal nécessaire ». Elle ne devrait pas avoir d'impact sur la vie du plus grand nombre, tout en sanctionnant certaines fortunes vite acquises, lesquelles ont prospéré sur les difficultés du pays en accaparant une « rente » issue de l'embargo. Si l'économie « légale » s'améliore et permet de surmonter les difficultés d'approvisionnement, cette réforme aura été la bonne décision prise au bon moment. Les campagnes « des 150 jours » et « des 100 jours » menées cette année en RPDC pour moderniser l'économie peuvent donc être vues comme des mesures d'accompagnement de la réévaluation monétaire du 30 novembre.
Autres sources : Le Quotidien du Peuple, Yonhap
Nouveaux billets de 5000, 2000 et 1000 won (source : Choson Sinbo)
Nouveaux billets de 500, 200 et 100 won (source : Choson Sinbo)
Nouveaux billets de 50, 10 et 5 won (source : Choson Sinbo)
Nouvelles pièces de 1 won et 50, 10, 5 et 1 chon (source : Choson Sinbo)