L’augmentation du prix des matières premières agricoles a conduit les gouvernements et les entreprises de certains Etats riches en devises, mais importateurs de produits agricoles, à investir dans les terres arables d’autres pays, notamment du Tiers Monde. Suite à la location par Daewoo pour 99 ans de 1,3 million d’hectares de terres arables à Madagascar, la Corée du Sud occupe le premier rang mondial de ce nouveau marché très lucratif, qui a conduit la FAO à pointer les risques d’un "néocolonialisme agraire".
2.306.000 hectares : selon l’ONG internationale GRAIN, dont le siège est située à Barcelone, il s’agit des terres arables louées, ou plus rarement vendues, par des pays en développement à la Corée du Sud, soit une superficie supérieure à celle de l’ensemble des terres cultivées en Corée du Sud.
Alors que le prix des matières premières agricoles est appelé à rester structurellement élevé, les gouvernements et les entreprises de pays riches en devises, mais pauvres en terres agricoles, ont choisi d’investir dans ce nouveau marché, pour prévenir tout risque de rupture dans l’approvisionnement alimentaire de leurs populations. La Corée du Sud occupe le premier rang mondial des acheteurs, suivie par la Chine (2,09 millions d’hectares), l’Arabie Saoudite (1,61 millions d’hectares), les Emirats arabes unis (1,28 million d’hectares) et le Japon (324.000 hectares), soit au total près de 8 millions d’hectares de terres arables loués ou, dans certains cas, vendus à l’étranger.
Les vendeurs sont d’abord des Etats du Tiers Monde, même si l’on trouve également des pays riches relativement sous-peuplés par rapport à l’étendue de leurs terres agricoles. Outre Madagascar, l’Argentine, les Philippines, l’Indonésie, la Mongolie et le Soudan ont loué ou vendu des terres arables à la Corée du Sud. Pour sa part, la Chine a acheté notamment des terres à l’Australie, au Cameroun, à Cuba, au Kazakhstan, au Laos, au Mexique, à l’Ouganda, à la Tanzanie. Parmi les autres Etats "vendeurs" de terres figurent, sur le continent américain, les Etats-Unis et le Brésil ; en Afrique, l’Algérie, l’Angola et l’Egypte ; en Asie et en Océanie, le Pakistan et la Nouvelle-Zélande.
Si le phénomène d’accaparement des terres agricoles n’est pas nouveau, il s’est accéléré en 2008, selon l’ONG GRAIN, qui souligne aussi les perspectives de rendement de tels investissements, alors que le réchauffement climatique et la surutilisation des engrais favorise les catastrophes naturelles et la raréfaction des terres agricoles. A cet égard, l’exemple dramatique de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), passée en moins de dix ans (entre 1989 et 1996) du statut d’exportateur de biens agricoles à celui d’importateur net, aujourd’hui dépendant du Programme alimentaire mondial (PAM), n’a pu qu’inciter les entreprises et le gouvernement sud-coréens à investir massivement sur le marché des terres arables.
Le plus grand accord au monde de location de terres agricoles a été conclu, au deuxième semestre 2008, par la filiale agroalimentaire de Daewoo (Daewoo Logistics) dans l’ouest et le nord-est de Madagascar. Constituant actuellement des zones de savane dédiées à l’élevage, les terres concernées couvrent une superficie de 1,3 million d’hectares. La mise en valeur sera effectuée par des ouvriers agricoles malgaches, formés par des ingénieurs sud-coréens et sud-africains, selon les précisions apportées par M. Yong Nam-ahn, président de Daewoo Logistics, dans une conférence de presse du 17 novembre 2008. La production annuelle se répartirait entre 500.000 tonnes d’huile de palme (dans les 300.000 hectares loués dans la partie est) et 4 millions de tonnes de maïs (dans la zone ouest, couvrant 1 million d’hectares), pour un investissement estimé à 4,8 milliards d’euros (soit 6 milliards de dollars) pendant vingt-cinq ans. La Corée du Sud importe actuellement chaque année 11 millions de tonnes de maïs. Les terres arables cultivées à Madagascar sont légèrement supérieures à 2 millions d’hectares, alors que 35 millions d’hectares de terres pourraient être cultivés selon certains experts.
Pour le président malgache – un des plus riches entrepreneurs du pays, qui a fait fortune dans le yaourt – l’accord conclu avec Daewoo Logistics permet de moderniser l’agriculture du pays et d’apporter des devises, même si l’on peut observer que, à long terme, l’accord devrait être financièrement très avantageux pour l’acheteur. Par ailleurs, les terres agricoles ainsi mises en valeur ne profiteront pas aux populations malgaches avant la fin du contrat, d’une durée de 99 ans. Dans le cas de la Corée, il faut rappeler que, pendant la période de colonisation japonaise (1910-1945), les meilleures terres de la péninsule avaient été accaparées par les Japonais et leur production envoyée dans l’archipel nippon, alors que les Coréens étaient exposés à des conditions alimentaires critiques.
L’Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a pointé des risques de "néocolonialisme agraire". Dans un entretien au quotidien Le Monde, M. Paul Mathieu, expert à la FAO, estime que "ce phénomène comporte des risques, comme l’expropriation, mais aussi des opportunités. A l’échelle mondiale, il faut augmenter la production agricole." Pour ce dernier, un accord "gagnant-gagnant" suppose des apports de capitaux et de technologies pour améliorer la productivité des terres, en veillant à ne pas sacrifier les habitants. La FAO envisage ainsi la publication prochaine d’un "mode d’emploi sur les contrats de location et les méthodes de compensation".
Paul Mathieu ajoute que, selon lui, les Etats doivent passer de tels contrats, afin de les inscrire dans un processus de développement durable. Ce n’est pas le choix retenu à Madagascar, ou l’accord a été passé par l’un des conglomérats sud-coréens et non par le gouvernement du président Lee Myung-bak, partisan inconditionnel de l’économie de marché. (sources : AAFC, Le Monde, éditions des 23 novembre 2008, p. 4, et 13 décembre 2008, p. 5, site de l’ONG GRAIN)
Communiqué du Collectif pour la défense des terres malgaches sur l'"affaire Daewoo", 23 décembre 2008