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14 décembre 2013 6 14 /12 /décembre /2013 01:53

En Corée du Sud, il est maintenant avéré que la manipulation de l'opinion publique par des agences gouvernementales, au premier rang desquelles le Service national de renseignement, a été massive avant l'élection présidentielle du 19 décembre 2012 qui a porté au pouvoir Park Geun-hye, du parti conservateur Saenuri. Depuis les révélations sur l'ampleur de la fraude, les manifestations et appels à la démission de la Présidente Park se multiplient en Corée du Sud, l'ingérence des services secrets dans la vie politique venant rappeler que la démocratie sud-coréenne n'est pas à l'abri d'un brutal retour aux pratiques des régimes dictatoriaux de Park Chung-hee (1961-1979) et de Chun Doo-hwan (1980-1988). La situation semble d'autant plus grave que les autorités sud-coréennes font maintenant diversion pour masquer leurs propres turpitudes. Parmi les victimes de ces manœuvres dilatoires figurent le député Lee Seok-ki et la formation politique à laquelle il appartient, le Parti progressiste unifié, accusés d'être aux ordres de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord). L'opinion mondiale reste trop peu consciente de la gravité de la situation en Corée du Sud, sans doute masquée par les tensions géopolitiques entourant la péninsule coréenne. C'est pourquoi plusieurs chercheurs s'efforcent de relayer l'appel des citoyens sud-coréens pour que soit enfin menée une enquête exhaustive et indépendante sur l'action des services secrets. Parmi ces chercheurs, Jamie Doucette et Se-woong Koo, des universités de Manchester et de Yale, s'inquiètent d'une « déformation de la démocratie » en Corée du Sud dans un article paru le 2 décembre 2013 dans The Asia-Pacific Journal. Pour les deux universitaires, si Lee Seok-ki et son parti ont des idées radicales et minoritaires au sein même de la gauche sud-coréenne, le camp conservateur instrumentalise ces idées, voire les falsifie, afin de les présenter comme une menace pour la sécurité nationale, tout en les assimilant à l'ensemble de l'opposition afin de faire taire toute voix discordante. L'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC) vous propose la traduction française de l'article des professeurs Doucette et Koo (les liens ont été ajoutés par l'AAFC).


 

La déformation de la démocratie : la politique de sécurité publique dans la Corée du Sud contemporaine1

Jamie Doucette et Se-woong Koo

2 décembre 2013

 

Introduction

Même si moins d'un an s'est écoulé depuis l'élection de Park Geun-hye à la présidence de la Corée du Sud, apparaissent déjà des signes troublants indiquant que son mandat de président va être une période difficile pour la santé de la démocratie coréenne comme pour les forces libérales et progressistes. Dans les mois qui ont suivi son élection, ont été révélées des preuves significatives de l'ingérence du Service national de renseignement (NIS) et d'autres agences gouvernementales dans la politique et les élections, menant à une série croissante de scandales politiques dont le plus notable est la mise en examen de l'ancien directeur du NIS Won Sei-hoon.

Un député en exercice, Lee Seok-ki, a été arrêté sur des soupçons de sédition et de complot de rébellion, et sur des accusations de violation de la Loi coréenne de sécurité nationale (LSN). Faisant référence à cette arrestation, le ministre de la Justice a récemment pris l'initiative de dissoudre le Parti progressiste unifié (PPU), dont Lee est membre, arguant que la plateforme pour une « démocratie participative » de ce parti est basée sur la « prétendue idéologie fondatrice de la Corée du Nord ».

LeeSeokki

Cette série d'événements a été accompagnée d'un changement plus général du discours politique. Dans le but de discréditer ses opposants, la droite sud-coréenne a largement renoué avec l'usage inconsidéré de l'étiquette chimérique « chongbuk chwap'a », un terme communément traduit par « gauchiste pro-Nord », à l'égard des supposés proches de la Corée du Nord et de tout ceux vus comme pliés aux souhaits du Nord. Le terme « chong » signifie « obéir » ou « suivre », avec une connotation d'esclavage, tandis que « buk » signifie « Nord ». Le terme « chwap'a » signifie « faction de gauche » ou « gauchiste ». La façon avec laquelle « chongbuk » est associé à « chwap'a » pour former un terme composé dans le discours conservateur contemporain tend à effacer la distinction entre deux concepts à l'origine très différents, de sorte que, dans le climat politique actuel, la gauche devient synonyme de « chongbuk » et vice versa. Cette terminologie est utilisée pour discréditer les groupes de toute l'opposition libérale et de gauche, non seulement le PPU, mais aussi les responsables politiques du Parti démocratique associés aux administrations libérales de Kim Dae-jung et Roh Moo-hyun. Ces hommes politiques affrontent les calomnies lancées par la droite d'être « chongbuk » en raison de leur attitude conciliatrice à l'égard de la Corée du Nord et de leur volonté de réformer l'appareil d'Etat créé par les anciens gouvernements militaires pour contenir la dissidence.

Dans cet article, nous soutenons que ce changement rhétorique a été accompagné de l'extension de ce que les intellectuels sud-coréens appellent la « politique de sécurité publique », une expression utilisée pour décrire l'utilisation de la sécurité publique comme terrain pour étouffer la dissidence et la critique. Ce qui rend unique le moment présent n'est pas l'évocation d'une menace pour la sécurité nationale mais l'étendue de l'implication active d'agences gouvernementales dans ce processus, que ce soit sous la forme d'une ingérence directe dans les élections, de fuites de documents officiels confidentiels, ou de l'initiation d'enquêtes sur d'importantes personnes critiques pour le gouvernement au sein de l'opposition libérale et progressiste. Dans ce qui suit, nous examinons la séquence des derniers événements, de l'ingérence électorale du NIS à la récente tentative de dissolution du Parti progressiste unifié, afin de mieux comprendre les effets déformants sur la démocratie coréenne de ce nouveau changement rhétorique et de sa relation complexe avec la « politique de sécurité publique ».

Les insinuations sur les opinions politiques pro-Nord

Le changement de ton de la politique n'a pas été prévu par tous avant l'élection. Bien que plusieurs intellectuels, dont ceux réunis au sein de l'Association nationale des professeurs pour la démocratie (en 2012), ont averti que l'élection de Park pourrait mener à une restauration des forces politiques associées aux dictatures passées et à un recul complet des droits dans la société sud-coréenne, la campagne présidentielle de Park a commencé sur une note aimable. Elle débuta sa saison électorale en visitant les lieux les plus importants pour les mouvements démocratiques antérieurs et même en rencontrant les familles des militants qui avaient manifesté contre le régime de son père, Park Chung-hee, sa visite la plus controversée ayant été sa tentative ratée de déposer des fleurs devant une statue commémorant le martyr de l'ouvrier Jeon Tae-il. Mais surtout, Park prit comme enjeu de sa campagne pour la présidence l'idée d'une « démocratisation économique » (kyongje minjuhwa) et nomma le généralement affable réformateur économique Kim Jong-in comme président de son « Comité pour le bonheur national ». Kim fut l'architecte de l'article 119, alinéa 2 - la fameuse « clause sur la démocratie économique » - de la Constitution de la République de Corée, lequel accorde à l'Etat un rôle puissant en vue d'assurer une distribution équitable de la richesse et de prévenir les abus de pouvoir économiques par les acteurs dominants : l'inclusion de cette clause par Kim dans la constitution ayant suivi la Déclaration du 29 juin 1987 (laquelle garantissait des concessions significatives au Mouvement pour la démocratie) lui avait valu la colère de la Fédération des industries coréennes (FKI). Alors que Kim n'était pas convaincu de la loyauté du parti conservateur envers la cause de la démocratie économique, sa participation à la campagne signifiait que, contrastant avec la dernière élection présidentielle de 2007, les différences entre les camps libéral et conservateur quant aux questions économiques étaient étonnamment minces, les deux côtés promettant de réguler la cupidité des grands conglomérats coréens, les chaebol, et d'investir dans l'aide sociale. En résumé, Park se présentait sur un programme plus progressiste que celui des anciens candidats conservateurs, promettant même de créer une pension universelle pour les personnes âgées et d'étendre de manière importante le système de garderie. Mais les choses ont rapidement changé après son accession à la présidence.

 Malgré le ton courtois du débat sur la démocratisation économique, peut-être en raison d'un besoin d'une plus forte distinction entre le parti conservateur et l'opposition libérale, la rhétorique de Guerre froide finit par se faufiler dans le discours de campagne des conservateurs. La première cible fut la candidate du PPU Lee Jung-hee qui, directement confrontée à Park lors de débats télévisés, déclara que « le parti Saenuri et Park Geun-hye sont aux racines de la collaboration [pro-japonaise] et de la dictature et n'ont pas le droit de chanter l'hymne national  » (cf. Hankyoreh, 5 décembre 2012). En retour, Lee fut dépeinte comme une sympathisante de la Corée du Nord au regard de son passé militant et de ses attaques verbales contre la droite, en plus de ce qui était considéré comme sa réticence à critiquer directement la Corée du Nord. Les insinuations quant à des opinions politiques pro-Nord ne furent pas des attaques isolées contre Lee Jung-hee. Dès deux mois avant le jour de l'élection, la campagne de Park attaqua le candidat du Parti démocratique (PD) et principal concurrent, Moon Jae-in, avec une rhétorique similaire. Chung Moon-hun, un député du parti Saenuri entretenant des liens étroits avec le président de l'époque Lee Myung-bak, commença à se répandre en déclarations selon lesquelles l'ancien président Roh Moo-hyun, dont Moon avait été le chef de cabinet, avait convenu d'abandonner la frontière maritime occidentale de facto entre les deux Corée, désignée comme la Ligne de limite nord (NLL), pendant sa rencontre au sommet de 2007 avec le dirigeant du Nord. Kim Moo-sung, autre député du Saenuri et directeur de la campagne du parti au pouvoir, cita un extrait essentiel de la transcription du sommet presque mot pour mot pendant la campagne pour redonner de la vigueur aux accusations de Chung, révélant que lui et Chung avaient d'une manière ou d'une autre eu illégalement accès à la transcription du sommet, laquelle, en vertu de la loi, était considérée comme un document officiel classifié et mis sous scellé.2

De telles attaques contre la gauche libérale étaient déjà graves, mais l'aspect le plus alarmant de la campagne présidentielle de l'an dernier fut l'utilisation extensive de forums et de sites de réseaux sociaux populaires sur Internet par des organismes gouvernementaux, en premier lieu le NIS, pour rédiger et faire circuler des messages destinés à discréditer les principales figures de l'opposition décrites comme des gauchistes pro-Nord. A l'heure où cet article est écrit, les procureurs ont découvert que plus de 1,2 million de messages sur Twitter et près de 1 900 commentaires en ligne relatifs à la politique ou à l'élection ont été produits et mis en circulation par des agents de l'équipe de guerre psychologique du NIS ; l'enquête a aussi révélé des commentaires postés par des soutiens venus du secteur privé recrutés par le NIS mais ceux-ci n'ont pas encore, à ce jour, été inclus dans l'acte d'accusation.3 Ce fut cette ingérence directe qui fut la plus alarmante de l'avis de plusieurs observateurs, puisqu'elle a représenté une violation claire de la Loi sur l'élection des responsables public (articles 9 et 85). De la façon la plus puérile qui soit, le NIS apparaît avoir concocté des sobriquets plutôt poétiques pour les trois principaux candidats à la présidence : « Park Geun-hye a un sourire amical, Moon Jae-in a des yeux de lapin surpris, et Ahn Cheol-soo a un visage de serpent visqueux. » (cf. Hankyoreh, 21 octobre 2013, n.p.). La plupart des autres messages étaient plus substantiels et avaient un contenu plus idéologique, qualifiant Moon de « traître prêt à abandonner la NLL à la Corée du Nord » et l'accusant de conspirer pour l'« instauration d'une fédération intercoréenne et l'achèvement d'une réunification rouge » (Ibid., n.p.).

La guerre psychologique menée par le NIS pouvait porter gravement atteinte au camp Park. Une semaine avant l'élection, le Parti démocratique rendit publique sa découverte que le NIS était en train de manipuler l'opinion, mais le parti était capable d'impliquer un seul agent, Kim Ah-young, qui fut prise alors qu'elle remplissait sa mission à partir d'un studio loué à Séoul. L'équipe du PD et les journalistes encerclèrent l'appartement jusqu'à l'arrivée de la police et des membres de la Commission électorale nationale ; toutefois, après une enquête rapide et controversée, la police de la métropole de Séoul annonça qu'elle n'avait pu découvrir aucun méfait, ce qui exonérait en réalité le NIS de toute ingérence dans l'élection et entamait la crédibilité de Moon Jae-in qui, seulement quelques heures auparavant, avait accusé l'agent du NIS de telles pratiques au cours d'un débat télévisé pour l'élection présidentielle. En outre, Moon et ses soutiens furent blâmés pour avoir enfermé de force une femme innocente qui se trouvait être une employée du NIS. Ce fut seulement plus tard, après l'investiture de Park, que fut révélé le soutien effectivement apporté à Park par Kim sur Tweeter et les blogs, sur ordre direct de ses supérieurs du NIS.

WoonSeihoonCette révélation d'une implication du NIS et l'inculpation de l'ancien chef du NIS Won Sei-hoo qui s'ensuivit en juin pour violation de la loi électorale du pays, laquelle fut suivie d'une autre inculpation pour corruption en juillet, provoquèrent une série de manifestations et de rassemblements aux chandelles demandant une enquête minutieuse, tout au long de l'été et de l'automne. L'appel populaire pour une nouvelle enquête indépendante sur les activités de l'agence de renseignement pendant la campagne électorale se fit plus fort après les articles publiés par deux organes de presse - le Hankyoreh et le Centre coréen du journalisme d'investigation - rapportant que des soldats et employés du centre de commandement de la guerre cybernétique du ministère de la Défense nationale avaient travaillé de la même façon pour aider la campagne de Park. Un audit mené par l'Assemblée nationale révéla aussi que le ministère des Patriotes et des Anciens combattants s'était engagé dans des activités de promotion de Park en des termes positifs et de dénonciation de l'opposition comme « chongbuk » ou composée de gauchistes pro-Nord. Le ministère avait en plus organisé une session de formation des leaders d'opinion dans les mois précédant l'élection, en s'appuyant sur un programme soutenant que « le développement économique sous les gouvernements militaires autoritaires de Park Chung-hee [père de l'actuelle présidente] et de Chun Doo-hwan était la condition structurelle nécessaire pour une démocratie durable  » (cf. Hankyoreh, 14 octobre 2013, n.p.) ; en outre, le Hankyoreh rapporta qu'une telle session tenue à Pusan, deuxième plus grande ville du pays, incluait une vidéo intitulée « La Vérité sur la faction chongbuk » affirmant que le mouvement pour la démocratisation et contre la dictature pendant le régime Yusin de Park Chung-hee avait été entrepris sur ordre de la Corée du Nord. (Ibid., n.p.)

La politique de sécurité publique

Les insinuations quant à des opinions politiques pro-Nord ont pour objectif de délégitimer le mouvement démocratique en clamant qu'il a reçu ses ordres de la Corée du Nord et en niant les efforts de ce mouvement en vue d'accroître l'égalité et la liberté en Corée du Sud et son travail pour un engagement avec la Corée du Nord. L'utilisation de la rhétorique anti-communiste n'est pas nouvelle dans la politique sud-coréenne ; les conservateurs sud-coréens ont longtemps utilisé leur propre « style paranoïaque » (cf. Hofstadter, 1964) pour tirer des avantages politiques face à leurs opposants. Le plus désolant pour les politiciens libéraux et progressistes et pour les mouvements sociaux n'est pas l'utilisation de cette rhétorique en soi, mais le degré avec lequel les institutions gouvernementales concourent à de telles opinions politiques en intervenant directement dans les élections sud-coréennes et en défendant leurs actions comme des actes légitimes d'une guerre psychologique menée contre, selon les mots de Won Sei-hoon, « les disciples gauchistes de la Corée du Nord [qui] essaient de reprendre le pouvoir en étant en contact avec la Corée du Nord ». (cf. Associated Press, 14 juin 2013; cf. New York Times, 14 juin 2013)

Les actions du NIS et d'autres agences gouvernementales évoquent le souvenir pénible des anciens gouvernements autoritaires que le mouvement coréen pour la démocratie chercha à renverser et confirment à plusieurs égards les craintes entourant l'élection de Park, exprimées avant l'élection dans la déclaration de l'Association nationale des professeurs pour la démocratie (ANPD).

Il existe en Asie une mémoire historique vive des régimes militaires du passé cherchant des moyens de justifier leur pouvoir oppressif en exagérant les menaces sur la sécurité, en renforçant l'armée et le militarisme, en assimilant à une menace nationale les opinions dissidentes à l'intérieur, en employant des méthodes illégales pour exercer leur violence contre les citoyens, dans le seul but de monopoliser le pouvoir, la richesse et les médias dans quelques mains. Le résultat en fut la dévastation de la sécurité et des moyens basiques de subsistance des gens ordinaires. Cette histoire nous amène à considérer le retour de forces oligarchiques en Corée du Sud, mues par la nostalgie de l'ancien dictateur sud-coréen, comme de mauvais augure pour l'avenir de la démocratie en Corée du Sud aussi bien qu'ailleurs. (cf. ANPD, 2012)

Les affaires d'ingérence électorale impliquant le NIS et d'autres agences gouvernementales n'ont, cependant, pas été les seuls signes d'un retour à ce que plusieurs intellectuels coréens appellent la « politique de sécurité publique ».

Le nombre croissant de scandales a en gros coïncidé avec le renoncement à la principale promesse électorale de Park d'instituer une prétendue « démocratisation économique » par la restriction du pouvoir des conglomérats dominants et l'extension de l'aide sociale. Après avoir introduit quelques timides réformes de la gouvernance des entreprises et être revenue sur ses promesses essentielles de la campagne concernant l'instauration d'un système de pension universelle pour les personnes âgées, Park a déclaré que son action en faveur de la démocratisation économique était terminée. Quelques temps après cette annonce, même si cela n'avait peut-être aucun rapport, survint une rafale de gestes spectaculaires visant à insinuer que les forces politiques libérales de gauche avaient des opinions pro-Nord dans le cadre d'un discours plus large sur la sécurité publique. Dans un geste considéré comme une tentative de détourner l'attention de ses propres méfaits et de mettre en évidence ce qui était vu comme les tendances « chongbuk » des politiciens libéraux et progressistes, le 25 juin, le NIS organisa la fuite d'un extrait du sommet intercoréen de 2007 - le même extrait que celui cité l'an dernier par le directeur de campagne du parti au pouvoir - répétant l'accusation lancée par le Saenuri avant l'élection, selon laquelle l'ancien Président Roh Moo-hyun s'était préparé à renégocier la NLL entre la Corée du Sud et la Corée du Nord et à céder un territoire sud-coréen au Nord. Cette fuite laissait fortement entendre que le NIS et le parti au pouvoir avaient pu collaborer pendant la campagne électorale de la Présidente Park en partageant des secrets d'Etat en toute illégalité, suscitant davantage de protestations.

C'est alors que, le 28 août, le NIS révéla être en train d'enquêter sur le député du PPU Lee Seok-ki et ses adjoints soupçonnés de sédition et de complot en vue d'une rébellion armée contre le gouvernement sud-coréen en cas de guerre dans la péninsule coréenne divisée, et soupçonnés d'avoir enfreint la LSN. Le 4 septembre, une large majorité des députés de l'Assemblée nationale vota la levée de l'immunité parlementaire de Lee, bien que plusieurs députés libéraux et progressistes eurent exprimé leur inquiétude au sujet du comportement du NIS, y compris la fuite de rapports de surveillance des réunions du groupe présumé « chongbuk » de Lee au sein du PPU. Parlant devant cette prétendue « Organisation révolutionnaire » (OR), Lee est supposé avoir fait des commentaires sur la nécessité de se préparer à lutter contre l'impérialisme américain et, par extension, contre le gouvernement sud-coréen, si une guerre venait à éclater entre les deux Corée.4 Selon la transcription complète publiée en exclusivité par le Hankook ilbo, d'autres participants ont insisté sur les stratégies d'attaque des infrastructures de transport, énergétiques, de communication et d'autres infrastructures essentielles pour l'Etat. (cf. Hankook ilbo, 2 septembre 2013, A10-11 ; 3 septembre 2013, A10-11)5 Cette publication a beaucoup contribué à calmer la rage du public contre le gouvernement et le NIS ; immédiatement après l'arrestation de Lee, la cote de confiance de la Présidente Park a atteint le niveau historique de 64 % selon Gallup Korea, soit à peu près le pourcentage des personnes interrogées croyant en la culpabilité de Lee (61 %).6

D'autres actions ont visé à faire dérailler l'enquête sur l'ingérence électorale du NIS. Chae Dong-wook, le procureur général ayant inculpé Won Sei-hoon, fut mis en cause à la une du quotidien conservateur Chosun ilbo pour avoir eu un fils illégitime (cf. Chosun ilbo, 6 septembre 2013, A1), et apparurent des allégations selon lesquelles la Maison bleue (le siège de la présidence coréenne) et le NIS avaient conduit un audit secret et sans précédent sur un procureur général en exercice afin de réunir des renseignements contre lui. En conséquence, Chae démissionna de son poste. Le suivant à partir fut Yun Sok-yeol, l'enquêteur en chef chargé de l'affaire du NIS, soi-disant pour avoir arrêté des agents du NIS sans en informer ses supérieurs. En dépit de ces intrigues et de l'étendue croissante du scandale, ou peut-être à cause d'elles, la Présidente Park s'abstint de presque tout commentaire à propos de l'affaire du NIS pendant l'été et le début de l'automne, laissant à ses conseillers le soin de défendre le NIS. Ce fut seulement le 31 octobre que Park s'exprima de manière catégorique, apportant son soutien à l'enquête en cours sur l'affaire. Toutefois, malgré ce soutien, la presse rapporta largement que le ministre de la Justice Hwang Kyo-ahn et le nouveau directeur du NIS Nam Jae-joon avaient cherché à faire obstruction à l'enquête sur le NIS. Il était dit que le ministre Hwang avait fait pression sur le procureur général Chae pour qu'il arrête les poursuites quant aux charges de fraude électorale, et que le directeur Nam s'était opposé à ce que l'enquêteur en chef Yun arrête et interroge des agents du NIS, lesquels furent rapidement libérés après le départ de Yun de l'équipe d'enquête.

Le bouc émissaire parfait?

Aux yeux de beaucoup en Corée du Sud et à l'étranger, il apparaît que le NIS emploie différentes stratégies pour éviter un examen approfondi de ses propres activités suspectées d'être illégales, mais, avant tout, tire avantage des excès de Lee et de ses associés, lequel constitue peut-être le bouc émissaire parfait pour la politique de sécurité publique renaissante. Lee soutient un courant nationaliste de gauche populaire dans les années 1980 mais en déclin depuis. Après le massacre de Kwangju de 1980, beaucoup de militants sud-coréens en vinrent à exprimer la conviction que les Etats-Unis accordaient davantage de valeur à l'anti-communisme qu'à la démocratie et aux droits humains en Corée du Sud. (cf. Park, 2007, 182-183) Certains intellectuels ont insisté sur le fait que la Corée était une société coloniale et qu'une révolution contre l'impérialisme américain était nécessaire. Poursuivant l'objectif d'une « libération nationale » (LN), les gens de cette tendance ont embrassé l'idéologie Juche (autosuffisance) de Kim Il-sung. Le plus éminent de ces penseurs fut Kim Young-hwan qui visita la Corée du Nord et rencontra Kim Il-sung en 1991. Après que les dénommés activistes LN eurent participé au mouvement pour l'unification de la fin des années 1980 et des années 1990, leurs positions idéologiques connurent un certain nombre de transformations suite à la transition démocratique de 1987. L'effondrement de l'Union soviétique, l'Accord cadre signé par Clinton avec la Corée du Nord, ainsi qu'un plus grand accès à l'information sur la Corée du Nord, menèrent à la dissolution graduelle des tendances pro-Nord. A l'image de nombreux anciens militants de gauche du Front populaire des Etats-Unis, devenus anticommunistes pendant la Guerre froide, certains anciens partisans du Juche tels que Kim Young-hwan ont modifié leurs convictions pour devenir d'importants intellectuels conservateurs associés au mouvement de la nouvelle droite coréenne. (cf. Park, 2007, 186-190)

Même si certains groupes nationalistes de gauche et pro-unification ont continué à adhérer à une critique de la politique étrangère américaine à l'égard de la Corée du Sud, il est rare de trouver aujourd'hui des militants épousant l'idéologie Juche ou une ligne pro-Nord, malgré les tentatives répétées des conservateurs de coller l'étiquette « chongbuk » aux forces favorables à la démocratie et à la réunification. (cf. Doucette 2013) Dans l'affaire Lee Seok-ki, beaucoup de gens de gauche ont été décontenancés par les idées et le langage démodés des transcriptions. Par exemple, le théoricien social Yi Jin-kyong, critique de longue date de la faction LN, a affirmé que le langage figurant dans les transcriptions des prétendues réunions de l'OR de Lee paraissait figé dans la relation antagoniste des Etats-Unis et de la Corée du Nord des années 1950. (Ku, Lee et Lee 2013, n.p., cf. Bae 2009) Si Lee et ses associés ont vraiment tenu les propos contenus dans les transcriptions fournies par le NIS, ils semblent appartenir à une très petite minorité de la gauche sud-coréenne. Yi Jin-kyong a remarqué que, même avant la récente crise, la plupart des participants du mouvement progressiste considéraient que la position de Lee était anachronique et avaient depuis longtemps pris leurs distances avec la faction de Lee. (cf. Ku, Lee et Lee, 2013, n.p.) Les vues politiques de Lee, son ascension au sein du PPU, sa nomination controversée à l'Assemblée nationale grâce à la représentation proportionnelle après une procédure contestée interne au parti furent les multiples raisons à l'origine du départ de personnalités libérales et progressistes des rangs du PPU.7

Tout en partageant l'opinion de Yi, selon laquelle les vues de Lee Seok-ki sont démodées et éloignées de la position de la gauche libérale, d'autres penseurs progressistes soutiennent que l'affaire pourrait causer des dommages considérables aux organisations politiques progressistes. En dépit du fait que la faction de Lee Seok-ki est au mieux marginale, prétendent-ils, son cas est utilisé pour ébranler la gauche libérale et détourner l'attention du public des questions plus larges posées par le scandale du NIS et par le besoin de poursuivre les réformes démocratiques dans la société sud-coréenne. (cf. Hankyoreh, 2 septembre 2013) En accusant Lee et d'autres membres du PPU d'avoir commis des délits aussi sensationnels, le NIS a réussi à retourner l'opinion publique en sa faveur, les rêves supposés de Lee quant à ce qu'il faudrait faire en cas de guerre entre les Corée en faisant l'instrument idéal pour contrer la demande de la gauche libérale concernant une enquête indépendante sur l'ingérence électorale et une réforme substantielle du NIS lui-même. L'affaire Lee Seok-ki pourrait également saper les tentatives d'une réforme démocratique plus large de la société sud-coréenne, dans la mesure où elle justifie la politique de sécurité publique. Les conservateurs ont mis en exergue les succès politiques de Lee comme preuve que le gauchisme pro-Nord est bel et bien vivant en Corée du Sud, contaminant l'ensemble du PPU et de la gauche libérale sud-coréenne. Par ce procédé, ils ont voulu ignorer le fait que les fortes convictions nationalistes de gauche de Lee, vestiges de l'ancienne idéologie de libération nationale, ne sont pas représentatives de l'ensemble de la gauche libérale sud-coréenne.

La contestation de la démocratisation

Ce qui a lieu actuellement en Corée du Sud fait partie d'une tentative plus vaste entreprise dès 2008 d'effacer les acquis des administrations libérales et du mouvement en faveur de la démocratie dans le pays. Bien que les gouvernements de Kim Dae-jung et de Roh Moo-hyun ne furent en aucun cas progressistes au regard de leurs principales mesures en matière d'économie et de politique étrangère (lesquelles inclurent une dérégulation complète du marché du travail, de multiples accords de libre échange et la participation à la guerre en Irak), Kim et Roh cherchèrent tous les deux l'engagement et la détente avec la Corée du Nord à travers la « politique du rayon de soleil ». (cf. Choi, 2005) Ils ont aussi cherché à réformer l'appareil coercitif de l'Etat coréen : création de la Commission nationale des droits de l'homme et de la Commission vérité et réconciliation, promotion des droits des femmes grâce au ministère de l'Egalité entre les sexes et de la Famille, et tentative de réforme du NIS et d'autres institutions disciplinaires.8 D'importants activistes, intellectuels et personnages publics des mouvements pour la démocratie des années 1960, 1970 et 1980 ont joué un rôle dans ce processus et beaucoup d'entre eux ont occupé des postes clés dans les administrations des Présidents Kim et Roh.

Sous le Président Lee Myung-bak, ces nouvelles institutions ont été restructurées, dissoutes ou largement subordonnées à l'administration. D'une manière générale, le mandat de Lee a aussi été marqué par la poursuite de la rhétorique anticommuniste et du discrédit jeté sur la démocratisation de la Corée. Le rôle des intellectuels de la nouvelle droite dans la révision des manuels d'histoire, l'arrêt des subventions aux associations civiques qui ont participé aux « manifestations aux chandelles » contre la politique de Lee dans les premiers mois de son gouvernement, de même que les actions d'associations civiques conservatrices telles que la Fédération coréenne des parents, l'Association coréenne des vétérans victimes de l'agent orange et l'Alliance pour le patriotisme contre les groupes de l'opposition libérale de gauche sont des exemples notables de la politique de cette période.

Un point intéressant dans le contexte actuel, cependant, est l'étendue de l'intervention des institutions disciplinaires dans la vie politique nationale. Cela inclut les initiatives indépendantes de divers ministères comme les efforts coordonnés à un niveau plus central visant à renforcer le pouvoir des conservateurs et à faire obstacle au travail des libéraux et des progressistes. Il convient aussi de noter que ces institutions se mettent à utiliser les médias sociaux afin de générer du soutien aux candidats conservateurs et de diffamer l'opposition. Alors que les gouvernements surveillent souvent les médias sociaux pour contrôler les activités de l’opposition, il se peut que l’affaire de l’ingérence du NIS dans l’élection soit un des premiers exemples d’utilisation à grande échelle des médias sociaux par des agences gouvernementales en vue d’influencer un résultat électoral.

De plus, les charges contre Lee Seok-ki et ses associés – violation de la Loi de sécurité nationale, sédition, complot de rébellion armée – évoquent le pénible souvenir de l’exagération des menaces sur la sécurité nationale pendant la Guerre froide. Même si des militants politiques issus de mouvements d’étudiants, de travailleurs et de citoyens de base ont été souvent pris pour cible en application de la LSN, y compris sous les administrations libérales de Kim Dae-jung et Roh Moo-hyun, des accusations d’une telle sévérité sont inédites depuis la fin de la dictature militaire en 1987. La seule exception est survenue en 1995 quand les anciens dictateurs Chun Doo-hwan et Roh Tae-woo ont été tardivement poursuivis et reconnus coupables de mutinerie et de trahison. Le retour d'accusations synonymes d'une époque révolue rappelle les parodies de justice antérieures telles que le procès du dissident politique, futur président et lauréat du prix Nobel de la paix, Kim Dae-jung en 1980, et l'affaire montée de toutes pièces du Parti révolutionnaire du peuple au milieu des années 1970, laquelle aboutit à l'arrestation arbitraire de plus d'un millier de dissidents et à l'exécution expéditive de huit personnes innocentes réhabilitées à titre posthume à la fin des années 2000. Dans ces deux affaires, le NIS, alors appelé Agence coréenne centrale du renseignement (KCIA), a joué un rôle majeur, comme il le fait aujourd'hui dans l'enquête et les poursuites à l'encontre de Lee Seok-ki.

Se fondant sur l'arrestation et l'inculpation de Lee, le parti Saenuri au pouvoir a soutenu une proposition de révision de la Loi sur le dédommagement et la restauration de l'honneur des militants du mouvement pour la démocratisation, une loi visant à réhabiliter et à dédommager les anciens militants pour la démocratie qui furent emprisonnés, torturés et poursuivis sous les gouvernements autoritaires des années 1960 aux années 1980. L'amendement proposé autoriserait le Premier ministre à demander un réexamen des décisions de dédommagement et à récupérer les sommes accordées, si le bénéficiaire en était déclaré indigne. Cette tentative de briser la loi en vigueur cite la place occupée par Lee Seok-ki dans la liste des candidats à la réhabilitation et aux dédommagements, ainsi que les privilèges déjà octroyés par la loi à ses supposés complices de l'Organisation révolutionnaire (OR), comme preuve que tout le mouvement sud-coréen pour la démocratie et les partis politiques qui y sont associés doivent être revus. Par exemple, le grand quotidien conservateur Donga ilbo, le premier à révéler l'histoire reliant Lee à la loi aujourd'hui contestée, a insisté sur le fait que l'ancien candidat de l'opposition à l'élection présidentielle Moon Jae-in a été, lui aussi, impliqué dans le comité chargé d'examiner la situation des militants pour la démocratie, s'efforçant ainsi de jeter le doute non seulement sur le PPU lui-même mais aussi sur le principal parti d'opposition, le Parti démocratique, et sur l'histoire de la démocratisation en Corée du Sud. (Donga ilbo, 7 septembre 2013, n.p.)

Enfin, le plan du gouvernement de dissoudre le PPU avant que la justice rende sa décision finale dans l'affaire Lee Seok-ki est vu par la plupart des responsables politiques de la gauche libérale comme une grave brèche dans un procès en bonne et due forme. Ils affirment que le gouvernement cherche à amalgamer la prétendue Organisation révolutionnaire de Lee, le PPU et la gauche libérale, et, par association, à dépeindre le principal parti d'opposition comme une organisation « chongbuk » embrassant en secret la rhétorique de Lee. Le Hankyoreh rapporte que le ministère de la Justice a identifié des points du programme « démocratie progressiste » du PPU comme inconstitutionnels et « identiques aux arguments venant de Pyongyang », tels que « vaincre la domination étrangère et faire disparaître la dépendance de la Corée du Sud à l'égard de l'alliance avec les Etats-Unis ». (cf. Hankyoreh, 6 novembre 2013 ; ministère de la Justice, 2013) Cette affirmation du gouvernement, ainsi que l'apparente suppression par les procureurs de plusieurs enregistrements originaux sur lesquels sont basées les transcriptions décisives, ont suscité l'inquiétude que le ministère de la Justice exagère la menace afin d'étouffer les critiques contre le NIS. En outre, tandis que le ministère a dit s'inquiéter des irrégularités dans les primaires du PPU, ces irrégularités sont en cours de traitement par la justice. En résumé, il n'existe pas de base légale à la dissolution d'un parti politique, surtout avant une décision de justice, et un tel événement n'est pas arrivé depuis la période des gouvernements autoritaires.9

Conclusion

Il s'agit d'un moment dangereux pour la démocratisation de la Corée du Sud. La politique de sécurité publique, produit résiduel des premiers gouvernements fondés sur l'anticommunisme et la sécurité nationale, connaît une étrange résurrection. Il y a d'autres exemples de politique de sécurité publique qui ne peuvent pas être approfondis ici mais méritent qu'on les mentionne aussi : la surveillance illégale de civils par le Commandement de la sécurité militaire (une branche de l'armée coréenne) et par le bureau du Premier ministre pendant l'administration Lee Myung-bak ; et la récente nomination par la Présidente Park de Kim Ki-choon, personnalité étroitement liée à la dictature de son père, le général Park Chung-hee, comme nouveau chef de son cabinet. L'administration Park cherche agressivement à radier un des plus grands syndicats du pays, l'Union des enseignants et travailleurs de l'éducation coréens (KTU), 60 000 membres, en avançant qu'il compte quelques travailleurs renvoyés ou exclus dans ses rangs. La KTU a été en première ligne de la lutte contre la récente révision des manuels scolaires coréens visant à décrire la dictature de Park Chung-hee sous un jour favorable et est un syndicat traditionnellement actif et parfois militant, ce qui en fait une importante bête noire des forces conservatrices. La cible la plus récente du gouvernement est le Syndicat des employés du gouvernement de Corée (KGEU), dont le serveur informatique a été saisi par la justice pendant 22 heures parce que figurait sur son forum Internet un message posté par une autre organisation, favorable à l'opposition pendant la campagne présidentielle. Le syndicat déclare que les procureurs ont confisqué du matériel dépassant de loin le cadre de l'affaire, dont des comptes-rendus de réunions et la liste des utilisateurs du site depuis plus de deux ans.

Ces récents événements font pâle figure face à l'ampleur des scandales susmentionnés, mais ils sont aussi révélateurs de la trajectoire négative de forces politiques définitivement désireuses de reposer sur les vestiges de la Guerre froide et des dictatures du passé. Pourtant, les manœuvres téméraires du NIS et de ses soutiens du parti au pouvoir pour diffamer l'ensemble des forces libérales et progressistes à travers des insinuations sur leurs opinions politiques pro-Nord soulignent à quel point les idéologues conservateurs et les institutions gouvernementales obsolètes se sentent menacés par l'héritage de la démocratisation. Côté avantages, le NIS a donné des raisons suffisantes au public pour que ce dernier lutte contre son intrusion dans la sphère politique, donnant vie à une nouvelle séquence de l'activisme populaire en faveur de la démocratie. Les organisations civiques progressistes et l'opposition demandent à la Présidente Park de tracer une ligne claire entre son administration et celle de son père, par la nomination d'un procureur spécial indépendant pour enquêter sur le NIS et par la restructuration de cette agence gouvernementale créée dans le but de maintenir la sécurité au détriment des libertés civiles et des droits démocratiques.10

Mais la réforme du NIS n'est qu'une pièce dans un grand puzzle. En fin de compte, des progrès substantiels pour la démocratisation devront inclure tous les éléments suivants : une réforme tendant à l'égalité dans la poursuite de la démocratisation économique comme stipulé dans la constitution de la République de Corée ; la réforme de ce qui subsiste de l'appareil coercitif de la Guerre froide, qu'il s'agisse de ses vestiges institutionnels comme le Service national de renseignement ou de sa traduction légale qu'est la Loi de sécurité nationale, utilisés pour réprimer les désaccords exprimés par des personnes aux fortes convictions ; et, peut-être le plus important, abandonner la culture politique de la Guerre froide, qui essaie de décrire toute perspective politique située à gauche d'un gouvernement sécuritaire conservateur comme un modèle de politique « chongbuk ».

 

Jamie Doucette est maître de conférences à l'Université de Manchester. Se-Woong Koo est chercheur invité à la Fondation Rice Family et maître de conférence au Centre MacMillan pour les études internationales et régionales, à l'Université de Yale. Avec d'autres chercheurs, ils sont à l'initiative de la Déclaration des chercheurs concernés sur l'ingérence du Service national de renseignement dans la démocratie en Corée du Sud et d'une campagne de signatures au début du mois de septembre 2013. La déclaration a été signée par plus de 200 chercheurs du monde entier et présentée lors d'une conférence de presse tenue à la Fondation coréenne pour la démocratie le 22 octobre à Séoul.

 

Article original :

Jamie Doucette et Se-Woong Koo, "Distorting Democracy: Politics by Public Security in Contemporary South Korea"The Asia-Pacific Journal, Vol. 11, Issue 48, No. 4, 2 décembre 2013 (traduction française : Association d'amitié franco-coréenne)

 

Références :

Associated Press, “South Korea’s ex-Spy indicted in election scandal”, 14 juin 2013

Bae Joon-bum, “The South Korean left’s ‘northern question’”, in Rüdiger Frank, Jim Hoare, Patrick Köllner et Susan Pares (eds), Korea yearbook 2009: politics, economy and society, Brill, Leiden, 2009, pp.87–116.

Choi Jang-jip, Democracy after Democratization: The Korean Experience, Humanitas, Seoul, 2005

Chosun ilbo, « Le procureur général Chae a dissimulé son fils illégitime », 6 September 2013, A1 (en coréen)

Donga ilbo« Exclusif : De nombreux honorés pour activisme démocratique parmi les membres de l'OR », 7 septembre 2013 (en coréen)

Jamie Doucette, "The Korean Thermidor: On political space and conservative reactions", Transactions of the Institute of British Geographers, Volume 38, Issue 2, pp.299–310.

Gallup Korea, "Daily Opinion 083", 6 septembre 2013 (en coréen)

Hankook ilbo, “Transcription intégrale de la réunion du PPU et de l'OR, première partie”, 2 septembre 2013, A10-11 (en coréen)

Hankook ilbo, “Transcription intégrale de la réunion du PPU et de l'OR, seconde partie”, 3 septembre 2013, A10-11 (en coréen)

Hankyoreh, "Park administration’s prickly reaction to priest’s comments", 26 novembre 2013

Hankyoreh, "UPP's Progressive platform blown up into ‘chongbuk'", 6 novembre 2013

Hankyoreh, "NIS sent out more than 50,000 politically motivated Twitter messages", 21 octobre 2013

Hankyoreh, "Documents show ministry indoctrinated "opinion leaders" with conservative bias", 14 octobre 2013

Hankyoreh, "Progressive experts on how to respond to insurrection scandal", 2 septembre 2013

Hankyoreh, "Progressive candidate steals debate show by blasting Park Geun-hye", 5 décembre 2012

Richard Hofstadter, “The Paranoid Style in American Politics”, Harper’s Magazine, novembre 1964, pp.77-86.

Association des journalistes coréens, « Rejet de l'injonction de suppression de la 'transcription Lee Seok-ki' dans le Hankook ilbo », 10 octobre 2013 (en coréen)

Kim Dong-choon, "The Truth and Reconciliation Commission of Korea:  Uncovering the Hidden Korean War", The Asia-Pacific Journal, 9-5-10, 1ermars 2010

Ku Yeong-sik, Lee Hee-hoon et Lee Ju-yeong, « Entretien : la situation de Lee Seok-ki et le mouvement progressiste », OhMyNews, octobre 2013 (en coréen)

Ministère de la Justice de Corée du Sud, « Le Parti progressiste unifié : jugement sur la dissolution du parti politique », 5 novembre 2013 (en coréen)

Association nationale des professeurs pour la démocratie, Déclaration d'intellectuels en mémoire de la dictature Yusin, 2012

New York Times, "South Korea Intelligence Agents Accused of Tarring Opposition Online Before Election", 14 juin 2013

Park Kun-young, "The Evolution of Anti-Americanism in South Korea: Policy Implications for the United States", Korea Journal, hiver 2007, pp.177-195.

TV Chosun, "TV Chosun Exclusive: NIS Exposes ‘Lee Seok-ki’s Underground Organization RO'", 28 août 2013

 

Notes :

1  Les auteurs tiennent à remercier Mark Selden et Jae-jung Suh pour leurs commentaires et suggestions lors de l'écriture de cet article. Comme d'habitude, les erreurs sont du seul fait des auteurs.

2  Après l'élection, une enquête échouera à retrouver la transcription originale aux Archives nationales, et le ministère de la Défense nationale confirmera que l'ancien président Roh n'a donné aucune indication quant à un abandon de la NLL pendant les pourparlers avec le Nord.

3  A l'heure où cet article est écrit, les procureurs envisagent des charges criminelles supplémentaires contre 22 membres de l'équipe de guerre psychologique du NIS. Il paraît certain que l'affaire du NIS va continuer à avoir des répercussions.

4  L'acronyme « OR » (« RO » en anglais) est l'abréviation du nom coréen supposé de ce groupe, Mujang inmin hyongmyong kigu (Organisation révolutionnaire armée du peuple), et serait apparu dans le mandat produit par le NIS pour arrêter Lee et d'autres membres du PPU. Il a été mentionné pour la première fois dans la presse par TV Chosun le 28 août et repris par la suite dans d'autres médias. Il reste toutefois difficile de dire si Lee et ceux accusés de faire partie du groupe utilisaient eux-mêmes ce nom. (cf. TV Chosun, 28 août 2013)

5  Alors qu'il existe des inquiétudes au sujet de l'exactitude des transcriptions en circulation, la Cour du district de Séoul a refusé d'émettre une injonction à la demande du PPU contre le journal, affirmant qu'« il est difficile d'estimer que le contenu des transcriptions est différent des déclarations réelles des participants, en considérant les rapports d'enquête intermédiaires des procureurs et les propres conférences de presse du PPU ». (Association des journalistes coréens, 10 octobre 2013, n.p.)

6  Parmi ceux qui évaluaient favorablement l'action de Park, le plus fort motif (22 %) de soutien était sa « politique à l'égard de la Corée du Nord ». (cf. Gallup Korea, 2013)

7  La récente crise n'a fait qu'amplifier ce processus ; par exemple, le Parti progressiste pour la justice, composé de plusieurs anciens et importants hommes et femmes politiques du PPU ayant quitté le parti après la controverse sur des irrégularités dans la sélection des candidats à la représentation proportionnelle, dont Lee, a eu un rôle déterminant dans le vote de la levée de son immunité à l'Assemblée nationale, par mépris pour lui mais aussi pour se distinguer de l'idéologie de Lee et d'un PPU de plus en plus acculé. Le principal parti d'opposition, le Parti démocratique, a émis un vote similaire sur l'arrestation de Lee en reconnaissant que sa notoriété publique croissante devenait un handicap qu'on pouvait difficilement se permettre.

8  Pour plus de détails, voir le numéro spécial de Critical Asian Studies (vol.42, n°4, 2010) consacré à la Commission vérité et réconciliation en Corée. (cf. Kim DC, 2010)

9  Au cours du premier procès tenu en octobre 2013, 45 membres du PPU ont été déclarés innocents de l'accusation d'« obstruction à une affaire officielle » suite aux allégations selon lesquelles ils auraient aidé à manipuler le processus de vote par procuration. Le ministère public a fait appel de ce jugement et la date du second procès n'était pas encore connue au moment où cet article a été rédigé.

10  Jusqu'à présent, cette initiative est qualifiée par la droite d'autre cas de politique « chongbuk ». Par exemple, au cours d'une réunion récente du conseil suprême du parti Saenuri au pouvoir, le chef du parti Hwang Woo-yea (qui a servi comme juge sous la dictature de Chun Doo-hwan) a répondu aux appels à une démission de Park lancés par le diocèse de Jeonju de l'Association des prêtres catholiques pour la justice : « Nous devons être prudents et prêter une grande attention aux allégations selon lesquelles les efforts visant à rejeter les résultats de l'élection présidentielle ont vraiment augmenté après que la Corée du Nord a récemment donné l'ordre de mener une campagne anti-gouvernementale au Sud. » (Hankyoreh, 26 novembre 2013)

 

 
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