Depuis des mois, l'agence de renseignement sud-coréenne (National Intelligence Service, NIS) est dans la tourmente : alors que des preuves ont été apportées de sa collusion avec les conservateurs dans l'élection présidentielle de décembre 2012, remportée par la principale candidate de droite, Mme Park Geun-hye, ses responsables refusent de se soumettre au contrôle démocratique du Parlement dans le cadre d'une commissions d'enquête et bloquent toute réforme interne qui feraient entrer les services de renseignement, héritiers du régime militaire, dans le droit commun des démocraties parlementaires. Pour détourner l'indignation de l'opinion publique, nationale et internationale, le NIS fait ce que pratique tout service de renseignement dans la tourmente : ils grossissent la supposée menace extérieure (en l'espèce, venant de la République populaire démocratique de Corée, RPDC, Corée du Nord) en montant d'autres affaires pour faire diversion. La première tentative – rendre publique des échanges intercoréens en amont du sommet Nord-Sud de 2007 – a tourné court : d'une part, divulguer sans autorisation gouvernementale des documents confidentiels est une faute lourde ; d'autre part, faire croire que le Président démocrate Roh Moo-hyun, aujourd'hui décédé, aurait remis en cause la ligne de démarcation Nord (Northern Limitary Line, NLL) dans ses échanges avec la RPDC est apparu comme une manœuvre grossière visant, encore et toujours, à salir la réputation du Parti démocrate, principal parti d'opposition. Mais si la transparence était la préoccupation majeure du NIS, comme il l'a prétexté pour couvrir ses propres turpitudes, qu'il dise la vérité sur le dramatique naufrage du Cheonan ! Pris de court, paniqués, les dirigeants du NIS – avec la complicité et l'appui certainement d'une partie de l'appareil d'Etat aux mains des conservateurs – ont allumé deux autres contre-feux : une campagne de dénigrement de la RPD de Corée ciblant le dirigeant Kim Jong-un, et une attaque en règle contre des membres du Parti progressiste unifié (PPU), dont le député Lee Seok-ki (photo en haut à droite), accusés sans preuves de complot contre l'Etat.
La première manœuvre de diversion du NIS est, à ce jour, la seule à avoir retenu l'attention des médias occidentaux, sans doute en partie grâce aux relais dans la presse des agents du NIS agissant sous couverture diplomatique et aux vieilles amitiés entretenues par la CIA, parrain et allié inconditionnel du NIS.
Les ingrédients traditionnels ont été réunis. Tout d'abord, le quotidien pour répandre la désinformation, le Chosun Ilbo, est non seulement le plus conservateur de tous les journaux nationaux sud-coréens, il est aussi le relais habituel du NIS : quand ses directeurs veulent s'exprimer publiquement, c'est d'abord le Chosun Ilbo qu'ils choisissent, comme encore récemment à l'occasion du scandale créé par la divulgation des entretiens intercoréens de 2007 pour tenter de discréditer le Président Roh Moo-hyun.
Les affaires de mœurs au cœur du processus de désinformation mené par le NIS ne méritent pas qu'elles soient détaillées, ayant vocation à finir dans les poubelles de l'actualité. Ce qui importe surtout pour le NIS est qu'elles visent à compromettre le maréchal Kim Jong-un, au moment opportun d'un nouveau rapprochement intercoréen qui suscite, comme toujours en pareilles occasions, un raidissement du NIS soucieux d'entraver le dialogue intercoréen. Comme le premier coup d'essai du NIS, voulant faire croire à une prostitution à grande échelle en RPDC, a plutôt figuré dans la rubrique « insolite » ou « faits divers » des médias occidentaux, le NIS a répliqué en sortant la grosse artillerie : des pelotons d'exécution et des morts, dont prétendument une ancienne conquête du dirigeant... Pour la crédibilité du NIS, espérons que cette fois-ci les morts annoncés ne vont pas ressusciter, comme cela arrive malheureusement trop souvent pour eux. Kim Kye-gwan, un des principaux négociateurs avec les Etats-Unis, n'avait-il pas été donné en 2009 comme exécuté par le NIS et ses journaux aux ordres, avant de réapparaître pour accueillir l'ancien Président Carter à l'été 2009 ? Cette fois, toujours selon le NIS – pardon, le Chosun Ilbo – l'Orchestre Unhasu – celui-là même qui joue dans les grandes cérémonies et s'est produit en France en mars 2012, au cœur du scandale supposé, aurait été dispersé. Mais cette fois-ci, l'emploi du conditionnel permet de parer à toute éventualité, si quelque journaliste un peu attentif faisait observer, à l'avenir, que l'Orchestre Unhasu joue toujours et que ses musiciens vedettes sont encore en têtes d'affiche...
Ce qui est troublant, dans ces deux « affaires », est qu'elles touchent à des sujets tabous dans toute la Corée, Nord comme Sud : la prostitution et la pornographie, dont les visiteurs de la Corée du Nord peuvent pourtant attester qu'il est difficile d'en trouver la trace... comme s'il fallait que les services sud-coréens, obsédés (on peut le dire) par tout ce qui touche à la vie privée des dirigeants nord-coréens et aux questions de mœurs, avaient ressenti le besoin de signer leur œuvre de désinformation. Les services secrets occidentaux ont, eux, abandonné le montage d'opérations aussi grossières (pour mémoire, la pseudo affaire Markovic qui cherchait à compromettre Georges Pompidou et son épouse figure dans les annales de ce qu'il ne faut pas faire pour une agence de renseignement). Mais quelques journalistes crédules, peu avares de scoops sensationnels sur la Corée du Nord, ont été considérés par le NIS, à juste titre, comme suffisamment manipulables, la couverture du Chosun Ilbo servant à couvrir l'entreprise.
La deuxième manœuvre de diversion est encore plus inquiétante, dans la mesure où elle met en cause les fondements de la liberté d'expression en renvoyant aux heures les plus sombres du régime autoritaire quand il accablait – jusqu'à assassiner– ses opposants sur la base de complots imaginaires de collusion avec la RPDC. Le motif d'accusation - complot et tentative d'insurrection - était en effet tombé en désuétude depuis des décennies.
Le 28 août 2013, une descente de police a été opérée dans les locaux du député Lee Seok-ki (Parti progressiste unifié, PPU, gauche). Lee Seok-ki et 9 autres dirigeants du PPU sont suspectés de conspiration pour le renversement du gouvernement, notamment par des moyens armés et la destruction d'infrastructures de communication ! Une réunion de 130 membres dans un bâtiment religieux de Séoul (bien sûr non identifié), fin mai, au cours de laquelle auraient été entendus des chants révolutionnaires nord-coréens, servant de base à l'intervention musclée du NIS...
Comme l'a observé le quotidien de centre-gauche Hankyoreh, considéré à juste titre par l'opinion publique comme un des rares médias indépendants et le quotidien le plus fiable, ces accusations anachroniques tombent à pic pour le NIS. Le NIS est actuellement mis en cause pour son interférence dans la dernière élection présidentielle et reste prompt à faire souffler « le vent du Nord » pour empêcher une réforme qui conduirait à un contrôle démocratique des services sud-coréens. Par ailleurs, le PPU est un « plus petit poisson » que le Parti démocrate, qui contrôle près de la moitié des sièges du Parlement, après que la récente tentative du NIS de mettre en cause l'ancien Président Roh Moo-hyun lors du sommet intercoréen de 2007 se fut retournée contre ses auteurs.
Une source proche du NIS a déclaré au Hankyoreh que Lee Seok-ki était une « cible facile » pour une enquête anticommuniste des services sud-coréens, et que « l'enquête pouvait apparaître comme une tentative du NIS pour justifier son existence. Elle pourrait avoir comme objectif de bloquer les efforts visant à encadrer, voire éliminer, les branches interne et d'investigation du NIS, qui en constituent le coeur ». Deux jours avant la descente de police contre le PPU, la Présidente sud-coréenne Park Geun-hye avait assuré que le NIS serait réformé. Faut-il y voir une tentative désespérée du NIS de défendre un régime exorbitant du droit commun, en pesant sur les arbitrages internes au Gouvernement ? Il est apparu qu'une surveillance renforcée du député Lee Seok-ki avait commencé il y a trois ans... pourquoi cette soudaine précipitation, si les faits avérés étaient aussi graves ? Comme l'a montré une enquête du Hankyoreh, des sources proches de l'enquête s'interrogent en tout cas, sous couvert d'anonymat, sur la capacité réelle d'un petit groupe d'opposants à fomenter l'insurrection dont ils sont accusés, aujourd'hui sans preuves.
Sources : AAFC, Hankyoreh (notamment, articles des 29 et 30 août 2013, dont photo)
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