Le gouvernement sud-coréen a saisi le 4 juin le Conseil de sécurité de l'ONU en vue d'y faire adopter une résolution contre la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), accusée d'avoir torpillé un navire sud-coréen, le Cheonan, le 26 mars en mer de l'Ouest. La RPDC nie ces accusations et demande à pouvoir mener sa propre enquête, ce que refusent toujours les autorités sud-coréennes. Le 14 juin, les deux parties ont été entendues séparément par le Conseil de sécurité qui avait auparavant reçu une lettre d'une association civique sud-coréenne pointant les insuffisances de l'enquête officielle, avec le souci légitime d'éviter l'adoption d'une résolution préjudiciable à la paix dans la péninsule coréenne sur la base d'informations biaisées. Pour ce type d'initiative, ceux qui doutent des conclusions de l'enquête officielle sur le naufrage du Cheonan, ou s'inquiètent seulement des conséquences de cette enquête pour la paix en Corée, subissent aujourd'hui des pressions insupportables en Corée du Sud, parfois encouragées par les autorités sud-coréennes elles-mêmes.
Fondée en 1994, l'association sud-coréenne Solidarité populaire pour une démocratie participative (SPDP) se présente comme une organisation cherchant à promouvoir la justice et les droits humains dans la société coréenne grâce à la participation du peuple. Voulant lutter contre les abus de pouvoir, SPDP mène régulièrement des campagnes de sensibilisation, pose des questions dans les domaines social et politique, résout des litiges administratifs et publics, et lance des pétitions pour l'adoption de lois.
Dès le 10 juin, l'association sud-coréenne a adressé aux 15 pays membres du Conseil de sécurité de l'ONU une lettre - en anglais - accompagnée d'un dossier de 27 pages détaillant les problèmes posés par les conclusions de l'enquête officielle sur le naufrage du Cheonan, qui imputent ce naufrage à la RPDC.
Dans sa lettre, SPDP affirme que tous les résultats de l'enquête sur le Cheonan n'ont pas été dévoilés. L'association s'inquiète aussi des graves problèmes politiques et diplomatiques que pourraient provoquer les mesures de rétorsion contre la Corée du Nord annoncées par le gouvernement sud-coréen. En conclusion, SPDP exprime l'espoir que le Conseil de sécurité de l'ONU prendra une décision raisonnable et juste pour la paix dans la péninsule coréenne, en prenant en compte tous les éléments.
Le dossier joint à la lettre - et que nous présentons ci-après - pose plusieurs questions sur des points non résolus par l'enquête officielle sur le naufrage du Cheonan, tels que la colonne d'eau qu'aurait dû provoquer l'explosion sous-marine d'une torpille, la rupture de la coque du navire, et le processus même de l'enquête.
Le gouvernement sud-coréen a attaqué l'initiative de SPDP, qualifiée d'interférence dans son action diplomatique, et des accusations de trahison ont même été lancées par des responsables du gouvernement. En réponse, Solidarité populaire pour une démocratie participative a réaffirmé son droit à écrire une telle lettre en tant qu'organisation non gouvernementale dotée – depuis 2004 - d'un statut consultatif auprès de l'Organisation des Nations Unies. Le gouvernement Lee Myung-bak a beau clamer que l'association cherche ainsi à diviser l'opinion publique, selon SPDP la responsabilité du gouvernement est encore plus grande car il a porté devant la communauté internationale un sujet sur lequel n'existe aucun consensus en Corée du Sud.
Pour certaines organisations conservatrices sud-coréennes, l'initiative de SPDP est un acte favorisant l’ennemi et elles ont appelé à poursuivre l’association pour avoir violé la Loi sur la sécurité nationale en vigueur depuis 1948 en Corée du Sud.
Depuis le 15 juin, lendemain de l'audition des représentants des deux Corée par le Conseil de sécurité de l'ONU au sujet du naufrage du Cheonan, les membres de Solidarité populaire pour une démocratie participative travaillent sous la menace de plusieurs organisations conservatrices sud-coréennes qui manifestent violemment devant le siège de SPDP sous le slogan « Eliminons SPDP, association ennemie! », en lançant des objets divers sur le bâtiment, et en n'hésitant pas à s'en prendre aux personnes qui en sortent. Le 16 juin, le directeur du comité politique de SPDP, Kim Ki-sik, a ainsi été roué de coups par des manifestants alors qu'il quittait son bureau. A l'intérieur du bâtiment cerné par 200 policiers qui empêchent les manifestants d'entrer, consigne a été donnée de laisser les stores baissés et d'éviter de sortir.
Des membres d'oganisations conservatrices sud-coréennes affrontent la police pendant une manifestation devant le siège de SPDP, le 17 juin à Séoul (photo : Hankyoreh)
Face au climat de terreur qui s'installe en Corée du Sud vis-à-vis de ceux qui remettent en question les conclusions de l'enquête officielle sur le naufrage du Cheonan, plusieurs citoyens et organisations civiques ont accusé le gouvernement Lee Myung-bak, le Grand Parti national (GNP) au pouvoir et les divers groupes conservateurs de se livrer à une véritable chasse aux sorcières à l'encontre de SPDP. Les manifestations violentes ont débuté au lendemain des élections locales du 2 juin 2010, où le GNP a essayé en vain d'utiliser le naufrage du Cheonan à des fins politiques, et alors que les efforts diplomatiques du gouvernement sud-coréen aux Nations Unies, visant à faire condamner la Corée du Nord, sont loin de produire les résultats espérés.
La Chine et la Russie, membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU, se sont jusqu'ici montrées réticentes à condamner la RPDC sur la seule foi des éléments avancés par le gouvernement sud-coréen. Dans ces conditions, il est peu probable que le Conseil de sécurité adopte une résolution contre la RPDC, comme le souhaite le gouvernement sud-coréen, lequel dispose de peu de moyens de pression sur la Chine et la Russie. « Si la diplomatie du gouvernement Lee échoue, il est fort possible qu'il essaiera d'en rejeter la responsabilité sur SPDP », a déclaré le secrétaire général adjoint de SPDP, Lee Tae-ho, un des rédacteurs du rapport adressé le 10 juin au Conseil de sécurité.
Certains voient aussi des signes inquiétants d'un retour à un passé barbare dans les attaques de groupes conservateurs contre des organisations telles que Solidarité populaire pour une démocratie participative.
« Le gouvernement [sud-coréen] est en train de 's'épuiser' dans une diplomatie concernant le naufrage du Cheonan afin d'échapper à sa propre responsabilité dans l'échec aux élections locales, et réagit avec une mentalité de Guerre froide insistant sur le patriotisme et le nationalisme », a ainsi déclaré Cho Dae-yeop, professeur de sociologie à l'université de Corée. « Les actions du gouvernement vont à l'encontre de la tendance mondiale évoluant vers une mentalité post-Guerre froide », a dit le professeur Cho. « Il est très regrettable que la police et les groupes conservateurs y ont contribué. »
« Il semble que les groupes conservateurs, lesquels ont développé une forte hostilité envers la Corée du Nord et les forces progressistes au cours des dix dernières années, ont décidé que l'arrivée du gouvernement de Lee Myung-bak a créé un environnement politique et social autorisant les actions extrémistes », a quant à lui déclaré Shin Jin-wook, professeur de sociologie à l'université Chungang. « Le gouvernement actuel et le parti au pouvoir, les médias conservateurs et les organisations de la nouvelle droite disent qu'ils ne refusent pas la démocratie, mais encouragent un 'terrorisme d'extrême-droite' en soulevant des questions qui permettent à des groupes de la droite extrême de s'engager dans des actions radicales. »
Si on en croit les analyses des professeurs Cho Dae-yeop et Shin Jin-wook, les actions radicales menées depuis le 15 juin contre des associations telles que Solidarité populaire pour une démocratie participative ont au moins reçu les « encouragements » du ministre sud-coréen de la Défense, Kim Tae-young. Ainsi, lors d’une conférence sur la cybersécurité le 8 juin, le ministre a déclaré que le gouvernement devait rapidement s’occuper de ceux qui propagent des rumeurs sur Internet en remettant en cause les résultats de l’enquête internationale sur le naufrage du Cheonan, allant jusqu'à qualifier ces actions de « cyberterrorisme ». Il est à noter que ces propos - témoignant, pour le moins, d'un manque de sérénité du gouvernement sud-coréen - ont été tenus au lendemain de la fin de l'enquête menée par un groupe d'experts de la Marine russe sur le naufrage du Cheonan. En effet, la Russie doute des conclusions de l’enquête des experts civils et militaires sud-coréens, américains, britanniques, canadiens, australiens et suédois, et a voulu effectuer sa propre enquête dont les résultats sont attendus dans le courant du mois de juillet.
Sources :
Solidarité populaire pour une démocratie participative
Hankyoreh, "Civic group takes unresolved Cheonan issues to UN", 15 juin 2010
Hankyoreh, "Far-right groups launch violent protests against PSPD", 18 juin 2010
Yonhap, « Pour le chef de la défense, les rumeurs en ligne sur le Cheonan sont du "cyberterrorisme" », 8 juin 2010
« Position de SPDP quant au naufrage du navire Cheonan », rapport adressé au Conseil de sécurité de l'ONU le 10 juin 2010 par le Centre pour la paix et le désarmement de Solidarité populaire pour une démocratie participative
(cliquer sur l'image pour télécharger le document)
commenter cet article …