Le 5 novembre 2013, le gouvernement sud-coréen a lancé une procédure d'interdiction à l'encontre du principal parti de gauche, le Parti progressiste unifié (PPU), qui compte 6 sièges au Parlement et avait remporté 10,3 % des voix aux dernières élections législatives, en avril 2012. La requête transmise par le ministère de la Justice à la Cour constitutionnelle est sans précédent dans l'histoire démocratique de la Corée : c'est bien un tournant autoritaire que prend la République de Corée, et qui exige la mobilisation de toutes celles et de tous ceux qui, en France et dans le monde, sont attachés aux valeurs de démocratie et de liberté.
Jusqu'où iront-ils ? C'est la question que l'on peut légitimement se poser, après la multiplication des atteintes à l'ordre démocratique en Corée du Sud depuis l'arrivée au pouvoir de Mme Park Geun-hye, à l'issue d'une élection entachée de fraudes impliquant les services de renseignement (NIS) au plus haut niveau, et que Mme Park se refuse toujours de réformer, et plus encore de condamner.
Après l'interdiction du syndicat enseignant KTU et les manoeuvres en cours pour réviser les manuels scolaires dans un sens conservateur, la fille du général Park Chung-hee (arrivé au pouvoir par un coup d'Etat militaire en 1961, puis assassiné par son chef des services de renseignement après avoir établi le régime politique le plus autoritaire qu'ait connu la Corée du Sud) peut désormais rivaliser avec son père en lançant une procédure inédite depuis l'avènement de la démocratie au Sud de la péninsule : interdire un parti légalement constitué, représenté au Parlement, en faisant valoir auprès de la Cour constitutionnelle que ses activités ou ses objectifs violeraient les règles démocratiques. Tel est le sens d'une demande adressée le 5 novembre dernier par le ministère de la justice à l'encontre du Parti progressiste unifié (PPU), sur la base d'affabulations, orchestrées par le NIS, selon lesquelles un de ses députés - Lee Seok-ki - aurait tenté de fomenter une insurrection avec l'appui de la Corée du Nord.
Après la diffamation, le gouvernement sud-coréen pratique l'amalgame en assimilant les activités prétendument insurrectionnelles du député Lee seok-ki à celles de l'ensemble de son parti, dès lors accusé de suivre les idées du Juché de la République populaire démocratique de Corée et d'ainsi porter atteinte à l'ordre constitutionnel sud-coréen. Le raisonnement juridique est fondamentalement vicié, mais il sert à donner un vernis de légalité à une procédure étrangère aux principes démocratiques. La Cour constitutionnelle doit se prononcer dans un délai de six mois, et il n'est pas exclu qu'elle rende un jugement politique conforme aux vues de Mme Park Geun-hye et de son Gouvernement, en assimilant les appels au retrait des troupes américaines de Corée ou les critiques contre le capitalisme aux idées révolutionnaires de la RPD de Corée.
Dans une conférence de presse organisée le même jour à Séoul (photo à gauche), la présidente du PPU, Mme Lee Jung-hee a dénoncé une politique d'oppression sans précédent contre un parti représenté au Parlement et "une version 2013 de la dictature Yusin", du nom du régime ultra-autoritaire mis en place par le général Park Chung-hee, père de l'actuel chef de l'Etat, entre 1972 et 1979.
Professeur émérite d'histoire coréenne à l'Université Sungkyunkwan, Seo Jung-seok a déclaré au quotidien sud-coréen Hankyoreh : "Bien que la situation du PPU ait en elle-même une valeur symbolique, elle doit être considérée comme s'inscrivant dans un mouvement plus vaste [qui] inclut une explosion de maccarthysme et d'anticommunisme et une manipulation politique pour créer un état d'urgence. Elle doit être considérée comme faisant partie d'une série récente d'actions régressives, comme les fuites de renseignements sur la Ligne de délimitation Nord (NLL), l'interdiction du syndicat coréen des professeurs et travailleurs de l'éducation (KTU), l'infléchissement conservateur des manuels scolaires et la tentative du service national de renseignement d'influencer l'élection [présidentielle] et d'interférer dans la procédure judiciaire".
A la fin du régime Syngman Rhee, l'interdiction - déjà - du principal parti d'opposition, le Parti progressiste, puis l'exécution de son dirigeant Cho Bong-am s'était fondée sur un amalgame avec des orientations soi-disant pro-Corée du Nord. Ces procédures iniques avaient accéléré le déclenchement de la révolution de 1960. Les réactionnaires au pouvoir à Séoul devraient prendre garde à ce que l'histoire ne se répète pas, alors que la société sud-coréenne n'est pas prête à se voir confisquer les acquis démocratiques pour lesquels elle a lutté : les manifestations contre le scandale des services de renseignement prennent une ampleur grandissante, tandis que le syndicat interdit des enseignants a vu ses effectifs exploser. Le gouvernement sud-coréen peut interdire des organisations, il n'empêchera pas l'opposition démocratique de s'exprimer. Il importe, à chacune et à chacun dans le monde, d'apporter son soutien aux démocrates sud-coréens. Tel a toujours été l'un des objectifs principaux de l'AAFC, depuis sa fondation en 1969, et elle continuera de lutter en ce sens.
Mais pour être entendue, la voix des démocrates sud-coréens doit être relayée au plus haut niveau. Au moment même où Mme Park Geun-hye donnait son approbation à la saisine de la Cour constitutionnelle pour engager une procédure d'interdiction du PPU, elle quittait la France où elle avait été reçue avec tous les honneurs dus au rang économique de la Corée du Sud par le Président François Hollande. Espérons que ce dernier n'aura pas été sourd aux sacrifices des milliers de Sud-Coréens morts hier pour la démocratie, ni aux voix étouffées de celles et de ceux qui ont le courage de porter à nouveau, aujourd'hui, le flambeau des valeurs de justice et de liberté.
Principale source (dont photo) : Hankyoreh.
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