En France, quelles seraient les réactions si un ancien haut fonctionnaire entendu par une commission d'enquête parlementaire refusait de jurer de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité ? C'est pourtant ce qui est arrivé le 16 août 2013 en Corée du Sud, quand l'ancien chef des services de renseignement et l'ancien chef de la police de Séoul ont refusé de prêter serment devant les députés sud-coréens enquêtant sur le scandale de l'ingérence des services secrets dans l'élection présidentielle de décembre 2012. Ils ont ensuite fourni aux députés des explications alambiquées. Quand ils ne choisissaient pas de garder le silence. Le mépris affiché par les deux anciens hauts fonctionnaires, avec le soutien à peine dissimulé des députés du parti au pouvoir, n'est pas de nature à apaiser la colère des citoyens sud-coréens de plus en plus nombreux à protester contre les tentatives de manipulation de l'opinion et l'inertie des autorités.
Le 16 août 2013, l’ancien chef du Service national du renseignement (NIS) Won Sei-hoon et l’ancien chef de la police régionale de Séoul Kim Yong-pan étaient convoqués par la commission de l'Assemblée nationale sud-coréenne chargée d'enquêter sur l’ingérence des services secrets dans l’élection présidentielle du 19 décembre 2012. Won Sei-hoon aurait ordonné une campagne de diffamation en ligne contre le candidat de l’opposition Moon Jae-in à l’approche de l’élection présidentielle dans le but d’influencer l’opinion publique en faveur de la candidate du Parti Saenuri (conservateur) Park Geun-hye, finalement élue. Kim Yong-pan est quant à lui accusé d'avoir cherché à entraver l’enquête de la police sur ce scandale.
L'audition de Won Sein-hoon et Kim Yong-pan a mal commencé puisque, convoqués le 14 août, ces deux témoins clés ont d'abord refusé de venir devant la commission. Les députés ont donc émis un ordre de comparution pour le 16 août.
Devant la commission d'enquête parlementaire, Won Sei-hoon a refusé de prêter serment. L'ancien chef des services secrets sud-coréens a ensuite réfuté les accusations d'ingérence dans l'élection présidentielle de décembre 2012, en avançant des arguments plutôt étranges : pour Won, les messages postés sur Internet par les agents du NIS ne visaient pas le candidat de l'opposition... mais la Corée du Nord.
« Les activités du NIS qui consistaient à poster des messages en ligne entraient dans le cadre de la guerre psychologique contre la Corée du Nord et n'étaient donc pas une intervention dans l'élection présidentielle », a déclaré Won aux députés. « La Corée du Nord a considérablement renforcé la partie dédiée au cyberespace lors de la réorganisation du département en charge des manœuvres anti-sud-coréennes en 2009 et, pour y faire face, le NIS a créé une équipe d'action psychologique », a-t-il encore affirmé.
Pour sa part, Kim Yong-pan a refusé de prêter serment et de témoigner.
Dans l'histoire de la République de Corée (du Sud), c'est la première fois que des témoins entendus par une commission d'enquête parlementaire refusent de prêter serment.
Outre ce stratagème visant à éviter le parjure, le correspondant du quotidien sud-coréen Hankyoreh rapporte que seules les questions, plutôt bienveillantes, posées par les députés du Parti Saenuri (Nouvelle frontière) au pouvoir ont reçu des réponses lors de l'audition du 16 août. Les députés de l'opposition ont dû se contenter de réponses du type « Je ne peux pas répondre ». Les députés du Parti Saenuri membres de la commission d'enquête semblaient même couvrir les témoins, parlant à plusieurs reprises de « machinations politiques d'un Parti démocrate obsédé par le résultat de l'élection présidentielle ».
Un analyste politique, Yu Chang-seon, cité par le Hankyoreh, a qualifié l'audition du 16 août de « pire que prévue ». « Ces anciens hauts fonctionnaires ont tous les deux refusé de prêter serment et ont choisi de nier toutes les charges du procureur », a dit Yu. « Les législateurs du Parti Saenuri se montraient tellement protecteurs pour eux qu'on aurait cru qu'ils étaient leur avocat. »
Toujours selon Yu Chang-seon, beaucoup de gens étaient « furieux » après avoir vu l'audition de Won Sei-hoon et Kim Yong-pan à la télévision.
La commission d'enquête sur l'ingérence du NIS dans l'élection présidentielle a été constituée après un vote de l'Assemblée nationale le 2 juillet 2013. Depuis cette date, l'enquête a peu progressé en raison de l'obstruction du Parti Saenuri au pouvoir et d'un manque de stratégie de la part de l'opposition, les deux parties se disputant sur la composition de la commission ou encore sur le choix des témoins. La séance du 16 août 2013 n'a pas fait avancer l'enquête et la frustration ressentie par les citoyens sud-coréens devrait se traduire par des manifestations de plus en plus massives, à moins que les travaux à venir de la commission parlementaire permettent enfin de faire la lumière sur cette affaire et d'en tirer toutes les leçons.
Il s'agira notamment de savoir dans quelles conditions de simples citoyens ont été recrutés par le Service national de renseignement afin de poster sur Internet des messages destinés à influencer l'opinion publique. Le Hankyoreh a ainsi obtenu le 11 août la copie d'un rapport de police exposant le cas d'un individu, identifié sous le nom de « Lee » et originaire de la ville de Busan, ayant reçu 92 millions de won (60 000 euro), déposés sur deux comptes bancaires entre novembre 2011 et janvier 2013, date à laquelle la police a pu vraiment enquêter. D'après le rapport de police, les dépôts coïncident avec le séjour de cet individu dans un studio d'un immeuble du quartier Gangnam de Séoul, à partir duquel il a posté des messages à caractère politique sur Internet. La justice a établi que les fonds provenaient du NIS, directement ou par l'intermédiaire de complices. Les sommes en jeu pourraient même être plus élevées. « Les frais de subsistance et les habitudes de dépenses de Lee étaient trop somptuaires pour croire son explication, selon laquelle il ne travaillait pas et vivait de l'aide de ses amis et connaissances », a déclaré le procureur. « Nous ne pouvons pas écarter la possibilité qu'il ait reçu un paiement élevé pour son travail de renseignement de la part du NIS, et l'ait redistribué à un deuxième et troisième complices. »
Au-delà du scandale que constitue l'ingérence des services secrets dans une élection, l'affaire qui secoue actuellement la Corée du Sud doit inciter à la plus extrême vigilance. En effet, si les services de renseignement sud-coréens peuvent, directement ou indirectement, diffamer un candidat à une élection et ainsi manipuler l'opinion publique, rien ne les empêche de le faire contre de simples citoyens désignés comme des ennemis, en Corée ou à l'étranger. Le scandale du NIS a au moins le mérite de montrer que le très relatif anonymat offert par Internet pousse « naturellement » à de telles pratiques.
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