Le 17 décembre 2021 marque le dixième anniversaire de la disparition de Kim Jong-il, secrétaire général du Parti du travail de Corée, président de la Commission militaire centrale du Parti du travail de Corée et président du Comité de la défense nationale de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord). Déjà étroitement associé à la direction de la RPDC, il devint officiellement le dirigeant suprême de la RPDC en 1997, à l’issue d’un deuil de trois ans suivant le décès du président Kim Il-sung (8 juillet 1994). Sous la direction de Kim Jong-il, la RPD de Corée a dû relever de nombreux défis sécuritaires et économiques tandis qu'étaient posés des jalons importants pour le rapprochement entre les deux Corée.
Volonté d’indépendance et développement des relations internationales
Suite au premier lancement d’un satellite artificiel (Kwangmyongsong-1) par la RPDC le 31 août 1998, qualifié d’essai de missile balistique par les Etats-Unis et leurs alliés, Kim Jong-il décida d’un moratoire sur les lancements en 1999. En octobre 1994, la RPDC et les Etats-Unis avait déjà signé un accord-cadre sur le gel du programme nucléaire nord-coréen, compensé par la construction de réacteurs nucléaires à eau légère en RPDC destinés à satisfaire ses besoins en électricité.
Le moratoire de 1999 permit une amélioration sensible des relations entre la RPDC et les Etats-Unis. En octobre 2000, le vice-maréchal Jo Myong-rok, premier vice-président du Comité de la défense nationale de la RPDC, se rendit à Washington où il rencontra le président Bill Clinton à la Maison-Blanche. Au cours de cette rencontre, fut remise une invitation de Kim Jong-il au président des Etats-Unis. Au cours du même mois d’octobre 2000, la secrétaire d’État américaine Madeleine Albright rencontra Kim Jong-il à Pyongyang. Mais Bill Clinton ne se rendra en RPDC qu’en août 2009, pour obtenir la libération de deux journalistes américaines ayant franchi illégalement la frontière sino-coréenne.
Entre-temps, en janvier 2001, George W. Bush était devenu président des Etats-Unis et Kim Jong-il dut rapidement affronter l’hostilité de la nouvelle administration américaine.
Suite aux attentats du 11 septembre 2001, pourtant condamnés par la RPDC, le président Bush classa la Corée du Nord, avec l’Irak et l’Iran, parmi les pays de l’« axe du mal » dans son discours sur l’état de l’Union du 29 janvier 2002. Le premier pays visé par les Etats-Unis était l’Irak, la montée des tensions entre les deux pays débouchant sur l’attaque américaine de mars 2003. Puis, s’en prenant plus spécifiquement à son système politique, la conseillère à la sécurité nationale des Etats-Unis Condoleezza Rice désigna le 18 janvier 2005 la RPDC comme un « avant-poste de la tyrannie », avec d’autres pays aussi divers que la Biélorussie, la Birmanie, Cuba, l’Iran, et le Zimbabwe...
Face à des Etats-Unis de plus en plus hostiles et n’hésitant pas à recourir à la force contre des pays qu'ils désignaient comme leurs ennemis, la RPDC se retira en janvier 2003 du Traité de non-prolifération des armes nucléaires (auquel elle avait adhéré en 1985), conformément aux dispositions de son article 10 : « Chaque Partie, dans l'exercice de sa souveraineté nationale, aura le droit de se retirer du Traité si elle décide que des événements extraordinaires, en rapport avec l'objet du présent Traité, ont compromis les intérêts suprêmes de son pays. » .
L'accord-cadre de 1994 était mort et, le 9 octobre 2006, la RPDC procéda à son premier essai nucléaire. Sous la direction de Kim Jong-il, la RPDC accéda ainsi au statut de puissance nucléaire, suivant une volonté d'indépendance au plan militaire. L'arme nucléaire était considérée comme un moyen de dissuader toute attaque venant d’une grande puissance (en l'occurrence, les Etats-Unis), un modèle théorique proche de celui de la doctrine nucléaire « du faible au fort » définie par le général de Gaulle pour la France dans les années 1960.
Ce renforcement militaire n’empêcha pas Kim Jong-il de renouveler ses offres d’un traité de paix en Corée pour remplacer l’accord de cessez-le-feu de 1953. Et pour parvenir à une dénucléarisation de la péninsule coréenne, Kim Jong-il s’engagea, dès 2003, dans plusieurs séries de pourparlers à six réunissant, outre la RPDC, la Chine, la Corée du Sud, les Etats-Unis, le Japon et la Russie.
Le 19 septembre 2005, ces pourparlers aboutirent à une déclaration par laquelle la RPDC s’engageait à abandonner ses armes et projets nucléaires existants, à réintégrer au plus tôt le Traité de non-prolifération et à se soumettre aux garanties de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), en contrepartie, notamment, d’une assistance énergétique, du respect de sa souveraineté nationale, et de la normalisation des relations avec les Etats-Unis. Signe de sa bonne volonté, Kim Jong-il ordonna la destruction de la tour de refroidissement du complexe nucléaire de Yongbyon, le 27 juin 2008.
Mais les pourparlers à six prirent fin en avril 2009, après la condamnation de la RPDC par le Conseil de sécurité des Nations unies, suite au lancement d’un deuxième satellite artificiel (Kwangmyongsong-2), pourtant conforme au Traité sur les principes régissant les activités des Etats en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes (communément appelé « Traité sur l’espace »), adopté par l'Assemblée générale des Nations unies le 19 décembre 1966 et auquel la RPDC avait adhéré.
En réponse à la condamnation par le Conseil de sécurité des Nations unies, la RPDC déclara qu’elle n’était désormais liée par aucun accord qui pourrait être conclu dans le cadre des pourparlers à six. Elle expulsa les inspecteurs de l’AIEA et informa cette dernière de son intention de rétablir son programme d’armes nucléaires. Le 25 mai 2009, la RPDC procéda à son deuxième essai nucléaire. L'administration américaine du président Barack Obama, en fonction depuis janvier 2009, fournit une justification supplémentaire à la force de dissuasion nord-coréenne en dévoilant en avril 2010 une nouvelle posture nucléaire selon laquelle les Etats-Unis s'autorisaient à frapper la Corée du Nord avec des armes nucléaires même si celle-ci n'utilisait que des armes conventionnelles.
Kim Jong-il préserva ainsi les intérêts nationaux de la RPDC face aux Etats-Unis et à leurs alliés. Mais il eut aussi à cœur d’accroître les échanges et la coopération de la RPDC avec tous les pays respectant sa souveraineté. En septembre 2002, Kim Jong-il reçut à Pyongyang le Premier ministre japonais Junichiro Koizumi, une rencontre historique compte tenu du lourd contentieux historique entre le Japon et la Corée. Pendant les derniers mois de sa vie, Kim Jong-il multiplia les rencontres avec les dirigeants chinois et russe, cimentant l'amitié traditionnelle entre la République populaire de Chine et la RPD de Corée et relançant le projet de gazoduc trans-coréen impliquant la Fédération de Russie. C'est aussi en 2011 qu'ouvrit un bureau français de coopération à Pyongyang, la France restant l'un des deux derniers pays de l'Union européenne, avec l'Estonie, à ne pas avoir établi de relations diplomatiques complètes avec la RPD de Corée.
Malgré les difficultés, la construction d’une nation puissante et prospère
L’objectif fixé par le dirigeant Kim Jong-il d’édifier une « nation puissante et prospère » se heurta à de nombreux obstacles, au premier rang desquels l'embargo auquel est soumise la République populaire démocratique de Corée et frappant d'abord - sinon exclusivement – les populations, embargo encore renforcé par les sanctions internationales prises après les essais nucléaires d'octobre 2006 et mai 2009.
La politique de Songun (priorité aux affaires militaires), mise en avant par Kim Jong-il, obéit directement à cet objectif, l’armée devenant un opérateur économique de premier plan en RPDC, en plus d’avoir la lourde tâche de défendre le pays dans un environnement géopolitique très contraignant.
Kim Jong-il accéda au pouvoir dans un contexte international marqué par l'écroulement du socialisme dans certains pays du fait, selon lui, de l'opportunisme de leurs dirigeants, et dans des circonstances économiques sans précédent, alors que des catastrophes naturelles (inondations, sécheresses) affectaient durement la population nord-coréenne en entraînant de sévères pénuries alimentaires. Il est à noter que lors de graves catastrophes telles que l'explosion de la gare de Ryongchon, en avril 2004, ou les inondations de l’été 2007, la RPD de Corée fit preuve de transparence et communiqua immédiatement sur ces tragédies.
Kim Jong-il mit l'accent sur la modernisation technologique du pays, une modernisation ne se limitant pas aux programmes nucléaire et spatial.
Les mesures adoptées sous la direction de Kim Jong-il eurent pour effet de consolider le système économique socialiste de la RPDC, tout en dynamisant les circuits de production et d'échanges, sans remettre en cause les principes de gratuité de l'éducation et d'accès aux soins, et de propriété collective des grands moyens de production.
Vers la réunification
Kim Jong-il eut l'idée d’une triple Charte reprenant les trois principes de la réunification de la nation coréenne (indépendance, réunification pacifique, grande union nationale) définis dans trois textes fondamentaux
- le communiqué Nord-Sud du 4 juillet 1972,
- le programme en dix points pour la grande union de toute la nation en faveur de la réunification de la patrie, énoncé le 6 avril 1993,
- le projet de fondation d'une République fédérale démocratique du Koryo, adopté le 10 octobre 1980 lors du sixième congrès du Parti du travail de Corée.
Un dialogue inter-coréen fructueux au plus haut niveau fut permis par l’élection en Corée du Sud de l'opposant Kim Dae-jung au poste de président en 1997 et par la politique d'ouverture de Kim Jong-il, dans la continuité des orientations définies par le président Kim Il-sung. En août 1997, Kim Jong-il déclarait que si la partie sud-coréenne « apportait un changement positif dans ses actes, nous engagerions, à n'importe quel moment des négociations franches avec elle sur le destin de la Corée ».
Ainsi, Kim Jong-il accueillit à Pyongyang les présidents sud-coréens Kim Dae-jung et Roh Moo-hyun en juin 2000 et en octobre 2007.
Les déclarations conjointes adoptées lors de ces sommets historiques sont devenues la pierre angulaire de la réunification de la Corée, en répondant aux aspirations de tous les Coréens, du Nord, du Sud et d'outre-mer. Des projets inter-coréens aussi emblématiques que le circuit touristique des monts Kumgang, ouvert en 1998, et la zone industrielle de Kaesong, ouverte en 2004, malgré les aléas des relations inter-coréennes, ont contribué à faire de la Corée du Sud le deuxième partenaire économique et commercial de la RPDC.
Loin des caricatures véhiculées dans les pays occidentaux, la République populaire démocratique de Corée sous la direction de Kim Jong-il fit donc preuve de résilience alors que nombre de « spécialistes es-Corée du Nord » prédisaient l’effondrement rapide de la RPDC lors de son accession au pouvoir. Vaille que vaille, la RPDC sut maintenir son système original tout en posant des bases solides pour l’avenir, dans le tumulte d’années qui furent parmi les plus terribles depuis la fin de la guerre de Corée.