Le 8 avril 2010, le président américain Barack Obama et le président russe Dmitri Medvedev signaient à Prague un accord de réduction des arsenaux nucléaires stratégiques des Etats-Unis et de la Russie, présenté comme historique. Le 6 avril, l'administration américaine révélait la nouvelle doctrine nucléaire des Etats-Unis, lesquels s'engagent désormais à ne pas utiliser l'arme atomique contre un adversaire qui ne la détient pas et qui respecte les règles du Traité de non- prolifération nucléaire. Les annonces quasi-simultanées de la réduction – relative - de l'arsenal nucléaire américain et des nouvelles règles d'emploi de l'arme atomique par les Etats-Unis sont-elles de bon augure pour la péninsule coréenne? Sans doute pas. En effet, si les Etats-Unis poursuivent le développement d'un système antimissile susceptible de menacer la sécurité nationale de la Russie, cette dernière se déclare prête à dénoncer le traité de réduction des arsenaux stratégiques - dont la ratification par le Sénat américain n'est d'ailleurs pas acquise. Surtout, présentant la nouvelle doctrine nucléaire américaine, le secrétaire à la Défense Robert Gates a déclaré que « toutes les options sont sur la table » concernant la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord). Face à une menace américaine persistante et en l'absence de véritable traité de paix dans la péninsule, la RPDC pourra difficilement renoncer à sa force de dissuasion.
Le 6 avril 2010, l'administration Obama a rendu publique sa nouvelle posture nucléaire (Nuclear Posture Review, NPR), selon laquelle « les Etats-Unis n'utiliseront pas ni ne menaceront d'utiliser des armes nucléaires contre des pays qui n'en sont pas dotés, adhèrent au Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) et respectent leurs obligations en matière de non-prolifération nucléaire. »
En application de ces garanties de sécurité négatives, la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) qui s'est retirée du Traité de non-prolifération en 2003 - comme le prévoit l'article 10 du TNP - et a effectué deux essais nucléaires en 2006 et 2009, devient la cible d'éventuelles attaques préventives américaines. Les Etats-Unis peuvent désormais frapper la Corée du Nord avec des armes nucléaires même si celle-ci utilise des armes conventionnelles contre les Etats-Unis ou leurs alliés.
Missile intercontinental américain Minuteman dans son silo de lancement. A l'heure actuelle, les Etats-Unis possèdent environ 500 missiles Minuteman, équipés d'ogives nucléaires, d'une portée de 9 600 km
(source : Federation of American Scientists)
Dans un entretien accordé au New York Times le 5 avril, le président Barack Obama a décrit la Corée du Nord et l'Iran comme des pays « en marge » (« outlier »), signifiant clairement que ces deux pays sont, dans la situation actuelle, exclus des garanties de sécurité négatives offertes par la nouvelle doctrine américaine d'emploi de l'arme atomique. Le secrétaire américain à la Défense Robert Gates a réaffirmé cette position en présentant la NPR le 6 avril, affirmant que toutes les « options sont sur la table » concernant la Corée du Nord et l'Iran, une allusion à peine voilée à des frappes préventives, y compris nucléaires, contre ces deux pays.
Les nouvelles menaces proférées par l'administration américaine sont une source d'inquiétude tant elles nuisent à une résolution rapide de la « crise nucléaire » dans la péninsule coréenne. En effet, la RPDC soutient depuis longtemps que ses armes nucléaires constituent une force de dissuasion face à la puissance militaire américaine et en l'absence de traité de paix avec les Etats-Unis - un traité de paix demandé par la RPDC mais que les Etats-Unis refusent de négocier. Cette force de dissuasion devient d'autant plus nécessaire, voire vitale, pour la RPDC que ce pays constitue désormais la cible quasi-exclusive d'une éventuelle attaque préventive américaine.
Avant son élection à la présidence des Etats-Unis, le candidat Barack Obama s'était engagé à conduire une « diplomatie agressive et directe » pour résoudre les questions nucléaires nord-coréenne et iranienne. Aujourd'hui, ces promesses se sont transformées en pressions et sanctions à l'encontre d'un pays qui a quitté le Traité de non-prolifération nucléaire (la RPDC) et d'un autre accusé de violer le TNP (Iran).
La nouvelle doctrine américaine d'emploi de l'arme nucléaire fait craindre que la RPDC perde toute confiance dans l'administration américaine en place depuis le début de l'année 2009. Après les discours sur un « changement de régime en Corée du Nord » tenus par l'administration Bush (2001-2008), la RPDC pouvait espérer une amélioration de ses relations avec les Etats-Unis. Malheureusement, l'administration Obama a jusqu'ici suivi une politique très hostile vis-à-vis de la RPDC : élaboration du Plan opérationnel 5029 d'attaque préventive contre la Corée du Nord, exercices militaires Key Resolve et Foal Eagle menés avec l'armée sud-coréenne, saisine du Conseil de sécurité des Nations Unies suite au lancement d'un satellite par la RPDC, adoption de sanctions, refus de discussions bilatérales. Aujourd'hui, l'annonce de possibles attaques préventives contre la Corée du Nord risque de porter un coup fatal au peu de confiance existant encore entre la RPDC et les Etats-Unis. En réaction à la nouvelle doctrine nucléaire américaine, un porte-parole du ministère nord-coréen des Affaires étrangères cité par l'agence officielle KCNA a même déclaré que la NPR « prouve que la politique américaine actuelle à l'égard de la RPDC n'est en rien différente de la politique suivie par l'administration Bush au début de son mandat quand elle tenait à faire peser une menace nucléaire sur la RPDC désignée comme 'cible de frappes nucléaires préventives'. »
Avec les accusations lancées sans preuves contre la Corée du Nord par les milieux médiatiques et politiques les plus conservateurs de Corée du Sud suite au naufrage d'une corvette sud-coréenne le 26 mars 2010, la dégradation des relations entre la RPDC et les Etats-Unis amoindrit encore les chances d'une reprise rapide des pourparlers à six pays (deux Corée, Etats-Unis, Chine, Russie, Japon) sur la dénucléarisation de la péninsule coréenne. Dans son discours de Prague du 5 avril 2009, Barack Obama déclarait vouloir « un monde sans armes nucléaires » . Mais souhaite-t-il seulement que les pourparlers sur la dénucléarisation de la péninsule coréenne reprennent?
Le mois d'avril 2010 a vu l'accélération de la mise en oeuvre de la nouvelle stratégie américaine de lutte contre la prolifération nucléaire, prolifération dont la Corée du Nord serait, d'après les Etats-Unis, une des premières responsables.
Le 6 avril 2010, l'administration américaine a publié sa Nuclear Posture Review exposant la nouvelle doctrine d'emploi de l'arme atomique par les Etats-Unis, lesquels s'engagent à désormais « récompenser » les pays vertueux, non dotés de l'arme atomique, en ne les menaçant plus de frappes nucléaires, ce qui laisse de nombreuses « options sur la table »...
Le 8 avril, les Etats-Unis et la Russie on signé un nouvel accord de réduction de leurs arsenaux stratégiques, START III (Strategic Arms Reduction Treaty): à terme, les deux pays ne devraient conserver chacun « que » 1.550 têtes nucléaires et 800 vecteurs. Il est à noter que la Russie se réserve le droit de dénoncer START III « si le développement du système antimissile américain prend des proportions susceptibles de menacer sa sécurité nationale » (Viktor Essine, chef d'état-major des Troupes de missiles stratégiques russes). Or, pour ses promoteurs, le bouclier antimissile américain doit notamment parer à la prétendue menace de missiles intercontinentaux venus de Corée du Nord.
Enfin, avant la conférence de révision du Traité de non-prolifération qui doit se tenir début mai à New York, l'administration américaine organisait les 12 et 13 avril à Washington un premier « Sommet sur la sécurité nucléaire » réunissant 47 pays. Une convention sur la protection physique des matières nucléaires et une convention internationale pour la suppression des actes de terrorisme nucléaire figuraient à l'ordre du jour du sommet. La RPDC et l'Iran - qui n'avaient pas été invités - furent les principaux accusés, dans une tentative grossière d'établir un parallèle entre un hypothétique « terrorisme nucléaire » et la légitime aspiration d'un pays tel que la RPDC à défendre sa souveraineté et à garantir ses intérêts vitaux, au besoin en se retirant du TNP comme le prévoit l'article 10 dudit traité.
La Corée du Sud a obtenu le droit d'organiser le prochain « Sommet sur la sécurité nucléaire » en 2012. Le nouvel alignement de administration sud-coréenne sur les Etats-Unis, après l'arrivée au pouvoir du président Lee Myung-bak en février 2008, semble avoir déterminé ce choix comme l'a reconnu Cho Hyun, délégué du ministère sud-coréen des Affaires étrangères pour les affaires multilatérales et globales : « La désignation de Séoul pour le prochain sommet réaffirme l'alliance solide entre la Corée du Sud et les Etats-Unis, la confiance mutuelle et l'amité entre les présidents Lee Myung-bak et Barack Obama. » Déjà, en 2009, le gouvernement sud-coréen avait rejoint l'Initiative de sécurité contre la prolifération, lancée en 2003 par l'administration Bush et destinée à renforcer le blocus contre la RPDC, ce qu'avaient toujours refusé de faire ses prédécesseurs.
Réunir les conditions d'une reprise des pourparlers à six sur la dénucléarisation de la péninsule coréenne ne fait donc apparemment pas partie du nouveau dispositif américain anti-prolifération. Comme l'a remarqué Cheong Wook-sik, du Réseau civil pour une Corée pacifique, les menaces américaines de frappe nucléaire préventive contre la Corée du Nord constituent une violation de la déclaration conjointe adoptée le 19 septembre 2005 à l'issue de la 4eme série de pourparlers à six. De la déclaration du 19 septembre, les grandes puissances, Etats-Unis en tête, ne retiennent que l'engagement de la RPDC à abandonner ses armes et programmes nucléaires et à revenir rapidement au TNP et à l’AIEA (Agence internationale de l'énergie atomique). Or, par cette même déclaration, « les Etats-Unis affirment qu'ils ne possèdent aucune arme atomique sur la péninsule coréenne et qu’ils n’ont pas l’intention d’attaquer ou d’envahir la République populaire démocratique de Corée, an moyen d'armes nucléaires ou conventionnelles. » Cheong Wook-sik observe à juste titre que cette déclaration a été adoptée alors que la RPDC s'était déjà retirée du TNP (2003) et alors qu'elle affirmait déjà posséder des armes nucléaires. Depuis 2005, cette situation n'a que peu évolué, et la RPDC a même commencé à démanteler certaines installations nucléaires [photo : destruction de la tour de refroidissement de la centrale nucléaire nord-coréenne de Yongbyon, le 27 juin 2008]. Par conséquent, en envisageant officiellement des attaques nucléaires préventives contre la RPDC, les Etats-Unis ne respectent pas la déclaration du 19 septembre 2005.
En l'absence de traité de paix dans la péninsule coréenne, et maintenant sans les garanties de sécurité négatives offertes par la nouvelle posture nucléaire américaine, la RPDC peut difficilement renoncer à sa force de dissuasion et risque même de la renforcer. Comment s'enthousiasmer pour la vision du « monde sans armes nucléaires » prôné par Barack Obama quand les Etats-Unis équipés – à terme – de 1.550 ogives et 800 vecteurs menacent ouvertement d'une confrontation nucléaire dans la péninsule coréenne?
Sources :
AAFC
Département de la Défense des Etats-Unis, Nuclear Posture Review Report, avril 2010
Département d'Etat des Etats-Unis, "North Korea Agrees To Abandon Its Nuclear Weapons Programs", 19 septembre 2005
KCNA, "Foreign Ministry Dismisses US Nuclear Plan" , 9 avril 2010
Réseau civil pour une Corée pacifique, "Nuclear Posture Review and North Korea", 13 avril 2010
RIA-Novosti, « START: le nouveau traité lie bouclier antimissile et armes stratégiques », 9 avril 2010
Yonhap, « L’organisation du prochain sommet sur la sécurité nucléaire pèsera lourd sur la Corée du Nord », 14 avril 2010
Yonhap, « Séoul cherche à ratifier les conventions internationales afin de mettre en œuvre l’accord du sommet sur la sécurité nucléaire », 15 avril 2010
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