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31 mai 2018 4 31 /05 /mai /2018 21:05

Sur l'échiquier diplomatique en Asie du Nord-Est, la Russie a un rôle particulier à jouer - comme l'a rappelé la visite en République populaire démocratique de Corée, pour la première fois depuis 2009, de Sergueï Lavrov. Après de premiers échanges avec son homologue nord-coréen Ri Yong-ho en Russie en avril dernier (et qui l'avait alors invité à Pyongyang), le ministre des Affaires étrangères russe a rencontré le Président Kim Jong-un et l'a invité en Russie, en lui transmettant "les salutations les plus chaleureuses" du Président Vladimir Poutine et "ses souhaits de succès dans les importantes initiatives entreprises dans la péninsule coréenne" - au moment où s'accélèrent les préparations du sommet entre les présidents Kim Jong-un et Donald Trump envisagé à Singapour le 12 juin, le général Kim Yong-chol étant au même moment reçu aux Etats-Unis. 

Comme l'a précisé un communiqué du ministère des Affaires étrangères russe citant le chef de la diplomatie Sergueï Lavrov, Moscou entend que la dénucléarisation de - toute - la Corée (donc, y compris du Sud, aujourd'hui placé sous le "parapluie" nucléaire américain), s'inscrive dans le cadre d'un processus de paix et de sécurité collective : 

Cela va permettre non seulement de dénucléariser toute la péninsule mais également d'établir une paix durable et stable dans le nord-est de l'Asie.

Partisan constant de l'approfondissement du dialogue intercoréen, la Russie, à l'instar de la Chine, entend ainsi jouer tout son rôle dans l'établissement d'un mécanisme de sécurité collective, en tant que potentiel garant d'un accord entre les Etats-Unis et la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) qui devra disposer de garanties de sécurité et de non-agression en contrepartie de sa dénucléarisation.

La tenue du sommet suppose également que les Etats-Unis s'engagent sur une levée des sanctions internationales contre la RPD de Corée sans attendre l'achèvement du processus de dénucléarisation, ainsi que l'a rappelé Sergueï Lavrov à Pyongyang. La Russie aurait d'ailleurs un intérêt direct à la reprise des échanges économiques avec la RPD de Corée, notamment pour concrétiser les projets de liaisons ferroviaires (au point mort depuis 2016) et dans le domaine du transport du gaz

Malgré des efforts réels de la Russie de jouer un rôle de médiateur lors de l'escalade des tensions en 2017, la sortie de crise n'est pas venue de la mise en oeuvre de la feuille de route russo-chinoise (qui proposait un double moratoire : de ses essais nucléaires et balistiques par la Corée du Nord, de ses manoeuvres militaires par les Etats-Unis) mais du spectaculaire rapprochement intercoréen opéré en début d'année 2018. Alors que le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un a effectué coup sur coup ses premières visites à l'étranger en tant que dirigeant suprême en Chine, la Russie entend bien reprendre toute sa place comme acteur de premier plan dans la péninsule coréenne : vis-à-vis de Pyongyang elle peut s'appuyer sur un rôle moins ambigu que celui de la Chine (Pékin ayant approuvé les volets successifs de sanctions internationales proposés par les Etats-Unis et leurs alliés, ce qui a eu un impact durable sur les relations sino-nord-coréennes) - sans que Moscou ait toutefois été jusqu'à opposer son veto aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies sur la question coréenne.

La RPD de Corée est consciente des propres limites que s'est imposée la Russie comme contrepoids à une politique américaine hostile, mais dans un contexte de recomposition du jeu diplomatique l'appui russe est précieux face à une politique américaine versatile, soumise aux influences négatives d'une fraction belliciste de l'administration Trump, pour faire face à tout durcissement, voire revirement, de Washington. A contrario, en cas de succès du sommet, Moscou pourrait favoriser la poursuite du dialogue, la garantie de mécanismes de sécurité collective et la prise d'engagements fermes des Etats-Unis qui justifieront la poursuite par Pyongyang de sa politique de dénucléarisation. Et au jeu d'échecs le vainqueur est celui qui a toujours un coup d'avance, en envisageant tous les scénarios.

Sources : 

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21 mars 2018 3 21 /03 /mars /2018 23:11

La délégation sud-coréenne de haut niveau qui a rencontré le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un a rendu compte des échanges qu'elle a eus à Pyongyang non seulement aux Américains, mais également aux autres pays parties aux pourparlers à six (Chine, Japon, Russie) - qui tous adaptent leur diplomatie aux recompositions diplomatiques résultant des sommets annoncés intercoréen et Etats-Unis-Corée du Nord

Rencontre à Moscou le 13 mars 2018 entre le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov et Chung Eui-yong, qui dirigeait la délégation sud-coréenne ayant rencontré le Président Kim Jong-un

Rencontre à Moscou le 13 mars 2018 entre le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov et Chung Eui-yong, qui dirigeait la délégation sud-coréenne ayant rencontré le Président Kim Jong-un

Moscou : un soutien au dialogue et aux pourparlers

La Russie a toujours eu une position favorable à la reprise du dialogue dans la péninsule coréenne et n'a donc pu qu'accueillir très positivement les récents développements. Selon Chung Eui-yong : 

Le ministre Lavrov a déclaré que le gouvernement russe continuerait à soutenir activement les accords de principe concernant le dialogue intercoréen et le sommet Corée du Nord-Etats-Unis. Nous sommes convenus de maintenir la coopération étroite entre la Corée du Sud et la Russie pour aider à organiser avec succès les deux sommets (...).
La Russie continue à jouer un rôle constructif en vue de la réalisation pacifique de l’objectif de dénucléarisation sur la péninsule coréenne et à déployer des efforts considérables pour conduire la Corée du Nord au dialogue.

Pour la Russie, la question coréenne est d'abord un enjeu lui permettant réaffirmer ses ambitions de grande puissance en Extrême-Orient, alors même que sa présence économique en Corée du Nord est aujourd'hui très faible (elle représente au plus 3 % du commerce extérieur de la RPDC) et ne lui laisse qu'une faible marge de manoeuvre en la matière, tandis que Pyongyang a pris par ailleurs des positions favorables à Moscou dans la période récente (notamment sur la question de Crimée). Dans un second temps, il s'agit d'un levier pour développer l'extrême-orient russe - notamment à travers les projets, aujourd'hui bloqués du fait des sanctions internationales, de raccordement des liaisons ferroviaires et des gazoducs entre la Russie et la République de Corée (du Sud), et dont la relance sera activement recherchée. L'objectif pour la Russie, s'il se mettait en place un régime de sécurité international autour de la péninsule (de type OSCE), serait d'être pleinement partie prenante de ce dispositif. 

Pékin : ne pas se laisser marginaliser

Etre pleinement acteur d'un régime de sécurité internationale autour de la Corée est a fortiori la préoccupation première de la République populaire de Chine, qui est de surcroît le principal partenaire économique et politique de la RPD de Corée et dispose là d'un atout majeur. La difficulté pour elle est que les relations bilatérales avec Pyongyang se sont distendues du fait de son soutien constant à la politique américaine de sanctions internationales envers la Corée du Nord. Des relations directes Washington-Pyongyang pourraient en outre mettre à l'écart Pékin, qui s'inquiète aujourd'hui autant d'une marginalisation possible dans une région faisant partie de son étranger proche qu'hier d'un possible conflit à ses portes dont elle subirait les conséquences. Dans le même temps, les développements actuels traduisent la pertinence de l'approche diplomatique chinoise - basée sur le dialogue et la désescalade - sur le dossier coréen, renforçant encore la crédibilité de Pékin qui se retrouve dans une position de convergences de vues avec Séoul - d'autant que le Président Moon Jae-in a su spectaculairement restaurer une relation bilatérale gravement mise à mal par l'administration Park Geun-hye

Cette volonté de restaurer les relations d'amitié traditionnelles avec Pyongyang, tout en exhortant la RPDC à compter sur le soutien de la Chine (ce qui exprime la crainte qu'elle pourrait s'en passer...), se mesure dans les dernières phrases d'un éditorial du Global Times, le 18 mars 2018, proche des positions du Parti communiste chinois : 

Maintenir des relations d'amitié entre la Chine et la Corée du Nord correspond aux intérêts des deux parties.

Pour la Chine, cela est propice à la stratégie de Pékin dans sa périphérie et peut lui laisser une marge de manoeuvre dans les affaires du nord-est asiatique.

Pour la Corée du Nord, il serait difficile et dangereux de se débrouiller seulement avec Séoul, Washington et Tokyo. Le soutien de la Chine peut diminuer de beaucoup les risques.

Il faut souhaiter que le Parti communiste chinois et le Parti du travail de Corée pourront conserver les fondements de la relation entre les deux pays, en s'assurant qu'aucun opportuniste ne fera son marché ou trouvera le moyen de porter atteinte aux liens entre Pékin et Pyongyang.

Vis-à-vis de la Chine, un des premiers signe qu'appréciera la RPDC sera de savoir si Pékin continuera d'appliquer avec la même fermeté les sanctions à son encontre.

Tokyo : éviter un second choc Nixon

Le rapprochement Pékin-Washington au début des années 1970 avait été vécu à Tokyo comme un "choc Nixon", c'est-à-dire que le Japon s'était retrouvé mis devant le fait accompli d'une situation renversant des décennies de politique diplomatique anticommuniste et de relations privilégiées avec Taïwan. La réaction du pays du Soleil Levant avait été la normalisation accélérée de ses relations avec Pékin.

Si des relations Etats-Unis-RPDC devaient rapidement s'établir, il est probable que Tokyo chercherait aussi à ne pas être placée hors jeu en favorisant un sommet bilatéral avec Pyongyang (qui ne seraient pas une première, après ceux entre Joinichuro Koizumi avec Kim Jong-il en 2002 et 2004). Côté japonais, il s'agirait d'obtenir un règlement de la question des personnes japonaises "disparues" selon la terminologie nord-coréenne, enlevées selon Tokyo. Côté nord-coréen, le versement d'indemnités au titre des dommages subis pendant l'occupation japonaise et la guerre referait surface.

Dans l'immédiat, le gouvernement nationaliste de Shinzo Abe, qui a surfé sur la North Korean scare pour élargir son assise parlementaire lors des élections législatives convoquées en octobre 2017, a été pris en porte-à-faux en n'étant pas tenu au courant de l'annonce surprise du Président Donald Trump qu'il était prêt à rencontrer le dirigeant Kim Jong-un - une annonce qui va à l'encontre des positions de Tokyo systématiquement favorables à un durcissement des sanctions contre la RPDC. A présent, le Japon ne peut qu'espérer (comme il l'exprime ouvertement) que la question  - sensible dans l'archipel - des citoyens japonais enlevés par les services secrets nord-coréens sera au menu des discussions bilatérales entre Washington et Pyongyang, et prôner des discussions exigeantes - sans pouvoir publiquement désavouer l'allié américain... et préparer un virage sur l'aile dans l'hypothèse d'une percée diplomatique entre Pyongyang et Washington.

Sources : 

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28 novembre 2017 2 28 /11 /novembre /2017 22:25

Si la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) s'est abstenue, depuis le 15 septembre 2017, de toute nouvelle initiative militaire (essai nucléaire, tir de missile) de nature à aggraver les tensions, tel n'est pas en revanche le choix opéré par l'administration américaine du Président Donald Trump : sous son impulsion, les Etats-Unis ont engagé de nouveaux exercices de guerre conjoints avec la République de Corée à compter du 11 novembre dernier, mis en place unilatéralement de nouvelles sanctions contre des organisations et des individus de nationalités chinoise et nord-coréenne et réinscrit la RPD de Corée sur la liste des Etats soutenant le terrorisme. Cette volonté américaine continue de faire peser des menaces de guerre, l'escalade n'étant évitée que par la retenue nord-coréenne - mais jusqu'à quand ? Dans ce contexte lourd de menaces, la Chine et la Russie ont présenté une feuille de route visant à revenir sur la voie de la paix et du dialogue en Asie du Nord-Est. Mais ces deux puissances seront-elles entendues ? Certains responsables politiques y font obstacle, comme le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian.

Donald Trump à la base militaire de Camp Humphreys, en Corée du Sud, le 7 novembre 2017

Donald Trump à la base militaire de Camp Humphreys, en Corée du Sud, le 7 novembre 2017

Ce n'est malheureusement pas parce que la question coréenne n'est plus à la une de l'actualité que les tensions diminuent : le fait est que seules les initiatives nord-coréennes sont mises en exergue par les médias occidentaux, celles des Etats-Unis et de leurs alliés étant systématiquement sous-évaluées quant aux dangers qu'elles font courir sur la paix dans la région Asie-Pacifique.

La menace est d'abord d'ordre militaire : comme l'a souligné un article publié par BFM TV le 11 novembre 2017, les manoeuvres militaires qui ont été engagées du 11 au 14 novembre 2017 ont été exceptionnelles par l'ampleur des moyens déployés, en ayant mobilisé trois porte-avions de l'armée américaine : 

L'exercice conjoint dans le Pacifique occidental, qui doit se poursuivre durant quatre jours, mobilise les porte-avions USS Ronald Reagan, USS Nimitz et USS Theodore Roosevelt, ainsi que sept navires sud-coréens, dont trois destroyers, a précisé le ministère sud-coréen de la Défense. C'est la première fois depuis dix ans que des manœuvres de ce type mobilisent trois porte-avions.

L'administration américaine resserre par ailleurs son étau économique sur la Corée du Nord : le 21 novembre 2017, le département du Trésor américain a annoncé sanctionner une nouvelle personnalité chinoise, 13 entités chinoises et nord-coréennes supplémentaires ainsi que 20 nouveaux navires appartenant à des compagnies nord-coréennes, qui seront donc désormais coupés du système financier américain. Si, selon l'agence sud-coréenne Yonhap, ces mesures sont justifiées par des "soupçons" de financement des programmes militaires de la RPDC, aucune preuve n'est apportée quant à la réalité de ces accusations, les autorités américaines multipliant les arguments d'autorité sur de prétendus contournements des sanctions. Au contraire figurent dans cette liste des entités administratives nord-coréennes ayant des activités commerciales très générales, dont le nom même ("bureau de l'administration maritime", "ministère des Transports terrestres et maritimes") ne corrobore pas véritablement l'hypothèse d'une quelconque implication dans des activités militaires. Celle-ci est d'autant plus douteuse qu'il existe une séparation stricte entre l'administration civile et l'administration militaire en RPDC.

Montrant son peu de connaissance des réalités économiques nord-coréennes, le secrétaire d'Etat Rex Tillerson a par ailleurs déclaré, à la suite de Donald Trump, que les sanctions commenceraient à avoir de l'effet comme le prouveraient "de longues queues d'attente dans les stations-service" - dans un pays où pourtant la grande majorité des habitants n'ont pas de voiture individuelle ou de véhicule professionnel. 

Enfin, la réinscription par Washington, toujours fin novembre, de la Corée du Nord dans la liste des Etats soutenant le terrorisme, sans faits nouveaux de nature à justifier cette décision, relève autant de l'unilatéralisme discrétionnaire américain (destiné à provoquer une réaction de Pyongyang, laquelle justifierait ainsi de nouvelles sanctions ?) que d'un plan d'asphyxie économique de la RPDC poursuivi de manière constante par les Etats-Unis, afin de provoquer l'effondrement de son système économique et social.


Conscientes des risques de conflit que comporte une telle escalade des tensions, la Chine et la Russie plaident, de manière constante, pour un double gel : de ses essais nucléaires et balistiques par la Corée du Nord, de la poursuite de leurs manoeuvres militaires et de l'alourdissement continu des sanctions par les Etats-Unis et leurs alliés. Lors d'une session du club de discussions Valdaï, qui réunit hommes politiques, experts et universitaires ainsi qu'hommes d'affaires, qui s'est tenue à Séoul le 27 novembre 2017, le vice-ministre russe des Affaires étrangères Igor Morgoulov a présenté les trois étapes de la feuille de route russo-chinoise :

- tout d'abord, le "double gel", avec une révision à la baisse des exigences attendues de la part de Washington (non plus la suspension des exercices militaires conjoints avec la Corée du Sud, mais la diminution de leur intensité et de leur ampleur), afin de faire baisser les tensions diplomatiques et militaires ;

- puis l'engagement de négociations bilatérales directes entre Pyongyang et Washington d'une part, Séoul et Pyongyang d'autre part ;

- enfin, des négociations multilatérales portant sur la mise en place d'un dispositif collectif de maintien de la paix et de la sécurité en Asie du Nord-Est, impliquant notamment la dénucléarisation de la Corée du Nord.

Si le gouvernement allemand - dans un pays où le sentiment pacifiste est très puissant - a soutenu la proposition du "double gel", celle-ci continue de se heurter à l'hostilité de plusieurs puissances internationales de premier plan. Au premier rang de celles-ci figure, le Japon, dont le Premier ministre a profité des tensions militaires actuelles pour provoquer et remporter largement des élections législatives anticipées en se déclarant "100 % d'accord" avec Donald Trump - suivant une position réaffirmée par le ministre des Affaires étrangères Taro Kono lors d'une rencontre à Moscou avec son homologue russe Sergueï Lavrov, le 24 novembre 2017.


Mais la France serait peut-être aussi sur la ligne dure, de manière plus surprenante au regard des déclarations du Président Emmanuel Macron quant au nécessaire retour à une tradition diplomatique "gaullo-mitterrandienne". Il est vrai cependant que le porte-parole de ces étranges déclarations de sympathie pour les "faucons" américains était le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, lors d'une rencontre à Pékin avec le Premier ministre chinois Li Keqiang. Or M. Le Drian est effet un des "transfuges" les plus visibles de la présidence de François Hollande, sous le mandat duquel il avait exercé les fonctions de ministre de la Défense et été en pointe dans l'engagement de la France sur de multiples terrains de guerre à l'étranger, comme la Syrie. En prenant le contrepied de la ligne diplomatique du Président Emmanuel Macron, sans doute M. Le Drian jouait-il l'une de ses innombrables partitions personnelles qui lui ont valu de devoir changer de département ministériel au printemps 2017 et d'être encadré par une administration plus respectueuse des lignes politiques fixées par le nouveau chef de l'Etat.

Pour sa part, l'Association d'amitié franco-coréenne reste comme toujours solidaire de toute initiative tendant à favoriser la paix et le dialogue en Asie du Nord-Est, quels qu'en soient les initiateurs. 

Sources : 

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28 octobre 2017 6 28 /10 /octobre /2017 21:16

Dans les années 1860, des paysans coréens fuyant l'oppression féodale commencèrent à s'établir dans l'extrême-orient russe - où ils furent ensuite rejoints par des résistants coréens au régime de protectorat (à partir de 1905) puis à la colonisation (1910) imposés par le Japon. Les conditions sociales objectives de la minorité coréenne, ainsi que son aspiration à la libération nationale, expliquent l'accueil favorable de la Révolution d'Octobre 1917 par les résistants coréens, ainsi que l'implication de militants coréens aux côtés des bolchéviques - tout particulièrement en Extrême-Orient, où ils constituaient alors une forte minorité. 

Alexandra Kim (Kim Aerim)

Alexandra Kim (Kim Aerim)

C'est en 1863 que les premiers immigrants coréens (soit 13 familles) s'établissent de manière certaine (car documentée) en Sibérie, dans la région de Posyet, avec l'accord des autorités tsaristes, pour développer une région fortement sous-peuplée. Fuyant le régime d'exploitation féodale, mais aussi la famine consécutive à de mauvaises récoltes qui frappe à plusieurs reprises la péninsule coréenne (notamment en 1869), les Coréens deviennent agriculteurs, pêcheurs ou mineurs et cultivent le ver à soie. A partir des années 1880, ils obtiennent la possibilité d'acquérir la nationalité russe et de posséder des terres, à la condition de se convertir à l'orthodoxie. Nombre d'entre eux deviennent commerçants ou marchands. 

Ils constituent assez tôt une minorité soucieuse de défendre ses intérêts et favorable aux idées nouvelles : des ouvriers coréens se joignent aux grévistes dans la région du fleuve Amour en 1900 et des militants coréens participent à la révolution russe de 1905.

La domination japonaise sur la Corée conduit des centaines de résistants coréens à s'établir en Russie, comme Yi Dong-hwi, né en 1873, qui se soulève contre les Japonais à Kanghwa dès 1907, ce qui lui vaut d'être arrêté par la police japonaise. Replié en Mandchourie en 1911, il s'établit dans la Province maritime (Primorsky Krai) de l'extrême-orient russe en 1913. Il y crée un Parlement coréen en exil et une académie militaire coréenne.

Un autre militant indépendantiste coréen, An Jung-geun, né en 1879, passe en Sibérie après 1905, où il dirige une unité de partisans (faisant partie de ces unités non régulières connues, dans l'histoire de la Corée, sous le nom d'armées de justice ou vertueuses). An Jung-geun a assassiné en gare de Harbin, ville alors contrôlée par la Russie, le 26 octobre 1909, Hirobumi Ito, premier résident général japonais en Corée (exerçant les fonctions de gouverneur militaire), et a été condamné à mort et exécuté le 26 mars 1910. La Russie a ainsi été utilisée comme base arrière par les partisans, lors d'opérations parfois importantes : par exemple, en avril 1908, environ un millier de combattants des armées de justice attaquent des troupes japonaises dans le Nord Hamgyong. Les armées de justice ne semblent toutefois plus avoir été en mesure de combattre après 1912.

Le destin de Kim Aerim est pour sa part emblématique de l'engagement politique des membres de la minorité coréenne nés en Russie ou y ayant longtemps vécu. Née en 1885 dans le village coréen de Sinelnikovo, en Sibérie, elle est la fille de Kim Du Suh, un patriote coréen ayant émigré en Russie et s'étant converti à la religion orthodoxe, devenu traducteur et ayant pris le nom de Kim Piotr. Après la mort de son père en 1902, Kim Aerim (dont le nom russe est Alexandra Petrovna Kim, ou Alexandra Kim) a été adoptée par un couple d'amis de son père dont lui, Jozef Stankevich, était un technicien d'origine polonaise travaillant dans les chemins de fer. Ayant suivi une école pour filles à Vladivostok, Alexandra Kim est devenue trilingue (parlant coréen, chinois et russe) et s'est ouverte aux idées socialistes - comme d'autres étudiants coréens à la même époque, qu'ils aient vécu en Russie, en Chine ou au Japon. Elle est aussi l'une des premières féministes coréennes de l'ère contemporaine.

Devenue à son tour traductrice, Alexandra Kim s'établit dans l'Oural où elle s'engage dans la défense des migrants coréens (souvent bûcherons dans cette région). Au plan politique, elle rejoint le parti bolchévique en 1916 ou début 1917 (suivant les sources). En juillet 1917, Lénine lui confie la mission de retourner en Sibérie pour organiser politiquement les Coréens et faire face tant aux corps expéditionnaires étrangers qu'aux seigneurs de la guerre de Sibérie (tels Grigori Semenov) et de leurs bandes, qui commettent pillages, viols et meurtres. A Khabarovsk, Alexandra Kim devient responsable des affaires extérieures de la province.


Le choix de Lénine de s'appuyer sur la minorité coréenne se fonde sur sa volonté d'émancipation des peuples de l'ancien empire tsariste et prend en compte leur importance numérique : au moment de la Révolution d'Octobre, la population coréenne en Russie est estimée à 100.000 membres, dont 81.825 dans la seule Province maritime (soit un tiers de la population de cette province) - tandis que les Coréens auraient été, à cette date, au nombre de 5.000 en Sibérie occidentale et de 7.000 dans la partie européenne de la Russie.

Comme le souligne Vladimir Tikhonov dans Modern Korea and its Others, la sympathie pour les révolutionnaires russes dépasse alors largement les rangs de la gauche radicale et concerne aussi "une proportion significative de l'intelligentsia coréenne non communiste". Le réformiste Park Eun-sik, dont l'idéal est inspiré de la culture confucéenne, voit dans la Révolution d'Octobre "le coup de feu d'une reconstruction globale, le printemps nouveau de l'humanité" ; pour sa part, le journal du gouvernement provisoire coréen Tongnip Shinmun dénonce "l'incompétence" et "l'impopularité" du gouvernement "bourgeois" mis en place après la révolution de février, puis salue la dissolution par les bolchéviques de l'assemblée constituante élue en 1918, qui est vue comme paralysée par les luttes de pouvoir entre les partis socialistes et bourgeois.

Le 28 avril 1918, Alexandra Kim, Yi Dong-hwi, Kim Rip et d'autres militants coréens fondent le Parti socialiste du peuple coréen - la même année, une autre organisation socialiste coréenne est par ailleurs fondée à Irkoutsk. Mais, sous la pression des armées blanches et des troupes étrangères hostiles à la révolution russe, Alexandra Kim et d'autres communistes coréens sont arrêtés et exécutés par des troupes japonaises le 16 septembre 1918. De nombreux Coréens sont massacrés, qu'ils soient ou non communistes. 

Pour sa part, Yi Dong-hwi parvient à s'enfuir avec ses partisans et s'établit à Shanghaï en 1919, où il devient membre du gouvernement coréen en exil - jusqu'à sa démission en 1921, à la suite de la révélation sur l'utilisation par Kim Rip, proche camarade de Yi Dong-hwi, à d'autres fins que celles prévues, d'une somme de 400.000 roubles qu'avait remise Lénine au gouvernement coréen en exil (à noter qu'à cette époque le gouvernement révolutionnaire russe soutient les mouvements de libération nationale, au nom de la solidarité anti-impérialiste, qu'ils leur soient ou non favorables). Retourné en Sibérie, Yi Dong-hwi s'est éteint à Vladivostok en 1935.

Lorsque les bolchéviques chassèrent finalement de Sibérie les armées blanches et les troupes étrangères, ils reçurent l'appui de partisans coréens : le général Kim Gyong-chun fut reconnu en 1922 par les Soviétiques commandant de toutes les unités d'autodéfense de la région, coréennes et russes. 

Sources :

- Pan Pyong Yul, The Life and Activities of Kim Alexandra Petrovna (Stankevich): A Short Biography of the First Korean Communist Yun Pyong Sok Kyosu Hwangapkinyom Hanguk Kundaesa Nonchong, Seoul, 1990 ; 
- Pak Hwan, Kim Alexandra Petrovna (Stankevich), Leader of Korean Socialist Party Hanguksahan Nonchong, Seoul, 1992 ;

- Vladimir Tikhonov, Modern Korea and its Others. Perceptions of the neighbouring countries and Korean modernity, Routledge, Londres et New York, 2016.

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10 septembre 2017 7 10 /09 /septembre /2017 10:37

Alors que les Etats-Unis font pression sur la Chine et la Russie pour l'adoption d'une résolution par le Conseil de sécurité des Nations unies qui aurait des conséquences catastrophiques sur la vie des populations, un article de Iouri Selivanov pour l'agence russe News Front (intitulé "La politique d'apaisement avec l'agresseur, c'est la voie directe vers une nouvelle guerre"), publié le 5 août 2017, soulignait le danger pour la Russie de céder face aux exigences américaines. Nous publions ci-après une traduction du russe (par YB) de cet article, qui reflète également les réticences de l'opinion publique russe vis-à-vis de la politique américaine en Corée - alors que le président Vladimir Poutine a exprimé publiquement son refus de nouvelles sanctions contre la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord). 

Ce graphique, intitulé "Un embargo sur le pétrole nord-coréen rajouterait de l'huile sur le feu", montre que la Chine est le principal exportateur de pétrole vers la Corée du Nord (source : "The Korea Herald", http://www.koreaherald.com/view.php?ud=20170910000225)

Ce graphique, intitulé "Un embargo sur le pétrole nord-coréen rajouterait de l'huile sur le feu", montre que la Chine est le principal exportateur de pétrole vers la Corée du Nord (source : "The Korea Herald", http://www.koreaherald.com/view.php?ud=20170910000225)

La politique d’apaisement avec l’agresseur c’est la voie directe vers une nouvelle guerre

Une certaine « source dans le conseil de sécurité de l'ONU », dont l’opinion a été instantanément reprise par la partie politiquement correcte de la presse russe, a communiqué à l'agence Reuter qu'il y a « une haute assurance » à ce que Moscou et Pékin votent pour de nouvelles sanctions contre Pyongyang.

Le caractère provocateur et spéculatif de cette « information », qui est évidemment dirigée vers la création de motivations psychologiques supplémentaires pour Moscou et Pékin à ne pas s'opposer à « l'opinion publique mondiale », déjà formée par la machine médiatique occidentale, est tout à fait évident.

J'espère sincèrement que cette provocation médiatique ne correspond pas du tout à la réalité. Premièrement parce que proposée par un pays "impartial", comme les États-Unis la nouvelle résolution proposée au conseil de sécurité de l’ONU concernant la RPDC n’est rien d’autre qu’un plan d’asphyxie économique complète de cet État. il suffit de mentionner le point qui interdit aux ports de tous les pays du monde l’accès de tout navire sous pavillon de la RPDC ! Ce qui est équivaut au blocus commercial complet de ce pays, le tout appuyé par les marines militaires.

Deuxièmement, il serait extrêmement peu pratique, en tout cas pour Moscou, de soutenir une telle résolution juste après que les autorités américaines ont introduit de nouvelles sanctions économiques draconiennes contre la Russie. Et en outre ils ont fait cela dans un paquet commun concernant aussi la RPDC et l’Iran. Le soutien dans de telles conditions du blocus américain de la Corée du Nord serait équivalent au signal de divergences profondes entre des adversaires les plus rigides des États-Unis les obligeant à s’étouffer entre eux dans les conditions d’une menace commune américaine.

Un tel soutien naturellement, pourrait inspirer aux Américains de nouveaux "exploits" agressifs. En réalité, maintenant à l'exemple de la Corée du Nord le système sera rodé et on approuvera la stratégie américaine de l'isolement international complet  d’un autre pays avec son asphyxie économique et sa soumission militaire et politique.

Et si Washington réussi cette manoeuvre avec Pyongyang il tentera de l'appliquer de nouveau. Y compris par rapport à la Russie. Et même, probablement, par rapport à elle, en prenant en considération le degré élevé de la tension dans ses relations avec les États-Unis.

Dans tous les cas l'acceptation d'une telle résolution clairement agressive en ce qui concerne la RPDC est absolument impossible sans le soutien de la Fédération de Russie et de la République Populaire de Chine, devenant une grande victoire géopolitique des États-Unis et une puissante motivation pour l'accroissement ultérieur des appétits globaux de ce pays et de ses ambitions militaristes.

Si nous voulons obtenir un tel résultat, alors il faut absolument voter pour cette résolution au conseil de sécurité de l'ONU !

Mais il est peu probable que nous voulions cela. Parce que nous comprenons parfaitement à quoi cela ressemble. Ceci ramène tristement à la mémoire « la politique d’apaisement » des puissances occidentales, qui dans les années 30, cédaient l'Europe par morceaux à Hitler à la mesure de l'accroissement de ses appétits. Notamment la politique de non résistance de l’occident, même liée à ses propres intérêts géopolitiques, a amené à ce que l'Allemagne nazie a perdu définitivement toute mesure et s'est assurée de son invincibilité. Et finalement le monde est tombé dans la deuxième Guerre mondiale.

La même chose peut se passer aujourd'hui. Sûr de lui jusqu'à perdre toute conscience de la réalité, le monstre géopolitique s’enflera de la conscience de sa grandeur personnelle au fur et à mesure qu'on lui jettera de nouvelles proies, et son appétit grandira.

On peut certes amener un tas "d'arguments" au profit de la nécessité d’une certaine « flexibilité tactique » en vue de trouver des décisions mutuellement acceptables. D'autant plus qu'en faveur d'une telle "flexibilité" travaillent des intérêts commerciaux considérables, y compris ceux des élites russes. Mais je crains qu'à l'étape actuelle ce soit déjà des illusions mal fondées.

De façon évidente n'importe quelles concessions ultérieures à l'Occident seront perçues par celui-ci que comme une manifestation de faiblesse de ses adversaires, comme leur non préparation à une opposition ferme et, par conséquent, comme une invitation à l'intensification ultérieure de ses prétentions et de la pression en vue de l'extorsion de plus larges concessions. Et ainsi à l'infini. Et en effet pourquoi l’Occident changerait-il de tactique, s'il est persuadé qu'elle fonctionne ?

Il y a de plus en plus de signes permettant une telle interprétation de la position occidentale dans le monde. Et cela se manifeste le plus clairement dans les lieux périphériques, où les roquets locaux ont constamment le nez en l’air, saisissent les moindres changements dans l'humeur de leur maître et commencent de plus en plus à aboyer sur ses adversaires.

Un exemple typique, une sorte de girouette géopolitique est constituée par la Roumanie proaméricaine. Ces derniers temps, elle devient chaque jour de plus en plus insolente par rapport à la Russie. Auparavant les Roumains, même en rêve, n’auraient pu imaginer ce qu'ils font aujourd'hui en plein jour. L'interception de l'avion avec une délégation russe gouvernementale à bord est un fait extraordinaire dans les relations entre Moscou et Bucarest. Mais comme si cela ne suffisait pas, le jour suivant le gouvernement de la Moldavie, qui danse sur la partition de Bucarest, a déclaré "persona non grata" le vice-premier ministre de la Fédération de Russie Dimitri Rogozine, représentant russe pour la Transnistrie. Et, ainsi, on a fait dérailler les négociations et tout le processus de paix sur les bords du Dniestr !

Que tout soit dirigé entièrement de Bucarest, est confirmé par les demandes récentes du Ministre des Affaires étrangères Melechkanu, qui sur un ton extrêmement impertinent a conseillé au représentant autorisé russe pour les pourparlers de la paix sur la Transnistrie d’ «exprimer ses points de vue à Moscou ou quelque part ailleurs», mais non en Moldavie. Ainsi que le ministre roumain le dise d'une façon directe et sans la moindre réserve diplomatique et commande la politique d’un autre État, la Moldavie, en lui indiquant qui on peut admettre chez lui, et qui on ne peut pas, est, premièrement, une indication singulièrement claire qu'à Bucarest on a effacé depuis longtemps la Moldavie de la carte politique, comme État indépendant. Et deuxièmement, avec un tel degré d'audace et d’assurance, le fait que les Roumains ne font que le retransmettre directement des bords de la rivière de Potomak.

C’est seulement un cas, mais très typique de la conduite d’un roquet géopolitique des États-Unis, qui, par son degré extrême d’excitation révèle l'état d'esprit agressif de son maître transocéanique. Et de tels cas aujourd'hui il y en a quantité. Montrer de la faiblesse face à une telle meute c’est la dernière chose à faire. C’est le pire modèle de conduite. Parce qu'il suffit que cette meute sente chez l’autre la peur ou l'indécision, et c’est la fin. Elle se jettera sur vous sans cérémonie. En tout cas je ne donnerai pas un sou de l’intégrité de vos pantalons et de l’inviolabilité de votre derrière.

Iouri Selivanov, spécialement pour News Front

Article original en russe : 

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31 août 2017 4 31 /08 /août /2017 10:58

Alors que l'escalade militaire se poursuit dangereusement dans la péninsule coréenne - le 31 août 2017, les Etats-Unis ont déployé dans le ciel coréen deux bombardiers stratégiques B-1B et quatre chasseurs furtifs F-35B, conjointement avec des appareils sud-coréens, après le survol du Japon par un missile nord-coréen Hwasong-12 deux jours plus tôt - la Russie continue, de concert avec la Chine, à mettre en garde contre les risques que comporte une telle escalade des tensions. Les prises de position de Moscou témoignent d'une implication accrue sur le dossier coréen, dont l'approche au Conseil de sécurité des Nations unies tend ainsi à évoluer d'un duopole Washington-Pékin vers un tripole Washington-Pékin-Moscou. 

Sergueï Lavrov (à gauche) et Rex Tillerson (à droite) se sont entretenus par téléphone le 30 août 2017 sur la situation internationale.

Sergueï Lavrov (à gauche) et Rex Tillerson (à droite) se sont entretenus par téléphone le 30 août 2017 sur la situation internationale.

Le 30 août 2017, le secrétaire d'Etat américain Rex Tillerson a appelé son homologue russe Sergueï Lavrov. La question coréenne figurait parmi les sujets évoqués, avec la Syrie et la situation dans le golfe persique. Selon un communiqué ensuite publié par le ministère des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov a affirmé qu'un renforcement des sanctions contre la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) serait "contre-productif et dangereux" : 

Sergueï Lavrov a de nouveau souligné qu'il n'y avait d'autre solution possible que des moyens politiques et diplomatiques pour réduire les tensions dans la péninsule coréenne. Il a estimé indispensable de s'abstenir de toute démarche militaire qui risquerait de déboucher sur des conséquences imprévisibles. Dans le même temps, il a noté que la Russie estimait contre-productif et dangereux de durcir les sanctions contre la Corée du Nord.

Après le lancement de deux missiles balistiques intercontinentaux les 4 et 28 juillet 2017 par la RPD de Corée, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté à l'unanimité de ses membres (y compris la Chine et la Russie), le 5 août 2017, la résolution 2371, qui a très fortement alourdi les sanctions contre la Corée du Nord - son impact est estimé à 1 milliard de dollars par an sur les revenus d'exportations de la RPDC (soit plus de 3% de son PIB, en données non corrigées en parité de pouvoir d'achat).

Avant que Sergueï Lavrov ne s'exprime, le vice-ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Riabkov, cité par l'agence russe RIA Novosti, avait exprimé la "préoccupation" russe face à l'évolution de la situation et déclaré que les manoeuvres militaires américano - sud-coréennes avaient "joué leur rôle en provoquant Pyongyang à un nouveau tir" le 29 août 2017, soulignant ainsi les responsabilités partagées des différents acteurs dans l'escalade en cours. En outre, alors que le programme initial des exercices de guerre américano-sud-coréens Ulji Freedom Guardian (UFG) ne mentionnait pas le déploiement de bombardiers stratégiques B-1B, ceux-ci ont fait leur apparition dans le ciel coréen, le dernier jour des manoeuvres UFG et le surlendemain du tir nord-coréen. 

La Russie, comme la Chine, a condamné le lancement du missile Hwasong-12 du 29 août 2017 comme contrevenant aux résolutions du CSNU qui enjoignent à la RPDC de ne pas procéder à des tirs balistiques ou à des essais nucléaires. Toutefois, Moscou et Pékin estiment que les sanctions ne sont pas une fin de soi et que la voie diplomatique est la seule possible pour dénouer la crise. Après l'adoption de la résolution 2371, un éditorial du Global Times, réputé proche des autorités chinoises, publié le 10 août, avait affirmé que, en cas de conflit entre les Etats-Unis et la RPDC, la Chine resterait neutre au cas où Pyongyang lancerait en premier un missile qui menacerait le sol américain, et qu'elle empêcherait les Etats-Unis et la Corée du Sud de s'attaquer à la Corée du Nord pour y entraîner un changement de régime.


Depuis des mois, la Chine et la Russie plaident pour une désescalade se fondant sur une suspension des exercices militaires américains ainsi que de ses tirs balistiques et nucléaires par la RPD de Corée. Si ce discours n'a pas été entendu par Pyongyang, qui poursuit la constitution d'une force de dissuasion nucléaire, il n'a pas davantage reçu d'écho à Washington, Séoul, Tokyo, Londres ou Paris. Les derniers événements tendent pourtant à montrer que, si Moscou et Pékin avaient été davantage écoutés, la crise n'aurait pas atteint ses proportions actuelles - mais il n'est jamais trop tard pour retrouver le chemin du dialogue et de la raison, bien que le coût d'un retour à la table des négociations (en termes, notamment, de levée des sanctions) augmente désormais pour les Etats-Unis et leurs alliés.

Au demeurant, la Chine et la Russie peuvent avoir le sentiment d'avoir été instrumentalisées par Washington dans le vote de la résolution 2371 du CSNU, âprement discutée entre les différents membres permanents du Conseil de sécurité : si les Etats-Unis s'étaient alors engagés envers Pékin et Moscou à rechercher les voies d'une solution diplomatique, impliquant une discussion avec la RPDC, en contrepartie de leur accord sur le projet de résolution, il s'agirait d'un marché de dupes, au regard des propos enflammés du président américain Donald Trump - qui a de nouveau déclaré, après le tir nord-coréen du 29 août, que toutes les options (y compris militaires) étaient sur la table.


Les propos de Sergueï Lavrov dans son entretien avec Rex Tillerson impliquent que Moscou, dans la situation actuelle, opposerait donc son veto à un renforcement des sanctions contre la RPDC. Ils peuvent être analysés comme la conséquence des discussions passées entre Washington et Moscou sur la question coréenne, qui faisait jusqu'à présent l'objet de discussions principalement entre la Chine et les Etats-Unis - ces deux pays se mettant d'accord à partir d'un texte rédigé par les Américains, avant de soumettre une version commune aux autres membres du CSNU. Ses initiatives récentes tendent à montrer que Moscou entend jouer un rôle plus actif, dessinant un tripole l'impliquant davantage dans les discussions au sein du CSNU relatives à la péninsule coréenne. La Russie avait déjà bloqué, en juillet, l'adoption d'une déclaration par le CSNU à la suite du tir nord-coréen du 4 juillet 2017. Sans remettre en cause sa coopération avec la Chine sur ce dossier, elle dit clairement s'opposer à de nouvelles sanctions, à la différence de Pékin. Par ailleurs, elle développe ses analyses propres - elle a ainsi affirmé que le tir lancé le 4 juillet 2017 par la RPDC n'était pas un ICBM - et met en place de nouveaux canaux d'échanges économiques russo-nord-coréens, posant les bases d'un rôle diplomatique et stratégique accru

Ce retour de la Russie peut être favorisé par le net refroidissement des relations sino-nord-coréennes  : lors des dernières cérémonies officielles à Pyongyang, à l'occasion de l'anniversaire de la Libération le 15 août, il n'y avait pas de délégation officielle chinoise, et le dirigeant Kim Jong Un n'a d'ailleurs pas reçu de responsables de l'Etat ou du Parti chinois depuis la commémoration de la fondation du Parti du travail de Corée en octobre 2015 - alors que, a contrario, il a reçu un représentant du PC cubain à l'été 2016. 

Enfin, la Russie coopère avec les Etats-Unis sur d'autres dossiers internationaux, comme celui syrien, ce qui a créé des habitudes de discussion qui pourraient être mises à profit pour régler la crise coréenne. Lors du sommet du G20 à Hambourg, les 7 et 8 juillet 2017, Donald Trump avait ainsi demandé à Vladimir Poutine de l'aider sur le dossier nord-coréen.

Vladimir Poutine et Kim Yong Nam, président du praesidium de l'Assemblée populaire suprême de la RPD de Corée, au Kremlin le 9 mai 2015.

Vladimir Poutine et Kim Yong Nam, président du praesidium de l'Assemblée populaire suprême de la RPD de Corée, au Kremlin le 9 mai 2015.

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14 juillet 2017 5 14 /07 /juillet /2017 18:27

Lors du sommet du G20 à Hambourg des 7 et 8 juillet 2017, intervenu quelques jours après le lancement d'un missile balistique de longue portée par la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), le président américain Donald Trump a recherché l'appui de son homologue russe Vladimir Poutine sur la question nucléaire nord-coréenne, qualifiée par le président russe de "problème très grave" qu'il faut traiter "de manière pragmatique et très délicate", tout en gardant "son sang froid". Cette interpellation du leader russe, après que l'administration Trump a fait part de sa déception vis-à-vis de la Chine pour traiter la question nord-coréenne (en mettant en place des sanctions secondaires contre les entreprises chinoises commerçant avec la RPDC), est particulièrement significative du rôle que la Fédération de Russie peut être amenée à jouer dans la péninsule, malgré une influence économique encore limitée.
 

Vladimir Poutine et Kim Yong Nam, président du praesidium de l'Assemblée populaire suprême de la RPD de Corée, au Kremlin le 9 mai 2015.

Vladimir Poutine et Kim Yong Nam, président du praesidium de l'Assemblée populaire suprême de la RPD de Corée, au Kremlin le 9 mai 2015.

Alors que pendant la guerre froide l'Union Soviétique avait été le principal partenaire de la RPD de Corée, l'influence de la Russie en Corée du Nord avait fortement décliné dans les années 1990, avant de connaître un regain à la suite de l'élection de Vladimir Poutine, qui avait visité la Corée du Nord dès juillet 2000, puis rencontré Kim Jong Il en Russie à plusieurs reprises - notamment en août 2011, à la fin de la vie du dirigeant nord-coréen, soucieux de développer les relations de la RPD de Corée avec d'autres partenaires que la Chine. La visite en Russie d'août 2011 avait permis de conclure l'annulation de la plus grande partie de la dette bilatérale nord-coréenne vis-à-vis de la Russie, actée par le Parlement russe en mai 2014 en contrepartie d'investissements russes en RPD de Corée. Même si le Maréchal Kim Jong Un n'a pas donné suite à l'invitation de Moscou de venir en Russie à l'occasion des célébrations de la fin de la Seconde guerre mondiale, plusieurs hauts responsables nord-coréens ont fait le déplacement et rencontré le président russe, notamment Choe Ryong Hae, membre du praesidium du bureau politique du Parti du travail de Corée, en novembre 2014, et Kim Yong Nam, chef d'Etat en titre en qualité du président du praesidium de l'Assemblée populaire suprême, lors de l'ouverture des Jeux olympiques de Sotchi en février 2014, et à l'occasion des cérémonies de la victoire à Moscou en mai 2015.

Le développement des relations économiques bilatérales, par ailleurs favorable au développement de l'Extrême-Orient russe, reste cependant encore largement à concrétiser - même en considérant comme exactes les récentes allégations d'un défecteur nord-coréen, selon lequel la Russie serait l'un des principaux fournisseurs d'hydrocarbures de la RPDC, à hauteur de quelques 300 000 tonnes de produits pétroliers par an. En 2015, selon les données officielles disponibles, le commerce bilatéral russo - nord-coréen est ainsi resté inférieur à 100 millions de dollars (constitué à 83,2 millions de dollars d'exportations russes et à 5,7 millions de dollars d'exportations nord-coréennes), nettement en-deçà des niveaux atteints au milieu des années 2000 (200 millions de dollars par an). A ces échanges commerciaux s'ajoutent cependant les travailleurs nord-coréens en Russie, qui seraient plusieurs dizaines de milliers. 

Commerce bilatéral Russie - RPD de Corée (2007-2015), en millions d'euros.

Commerce bilatéral Russie - RPD de Corée (2007-2015), en millions d'euros.

Tout en respectant strictement les sanctions internationales vis-à-vis de la RPDC, en les étendant même à la coopération scientifique et culturelle, la Russie cherche à développer ses relations économiques avec la Corée du Nord - ainsi qu'en a témoigné l'établissement, en mai 2017, d'une liaison maritime entre Rason et Vladivostok. Cet essor reste cependant entravé par les capacités d'investissement russes et surtout le contexte international : en étendant en 2016 ses sanctions unilatérales contre la Corée du Nord aux projets ferroviaires entre la Russie et la RPDC, en reportant sine die les perspectives prometteuses d'établissement de liaisons énergétiques (oléoducs et gazoducs) entre la Russie et le Sud de la péninsule via la RPDC, les autorités sud-coréennes ont délibérément cherché à couper les relations économiques entre la Russie et la RPDC, conformément à la stratégie des conservateurs (au pouvoir à Séoul entre 2008 et 2017) d'asphyxier la Corée du Nord pour provoquer son effondrement.

Si les relations économiques ne sont pas dépourvues d'importance, la question nord-coréenne est cependant d'abord stratégique et diplomatique pour Moscou. A l'écart des pourparlers internationaux (à quatre) dans les années 1990, présente dans les pourparlers à six dans les années 2000, la Russie a longtemps adopté un profil relativement bas sur la question coréenne depuis la fin de l'URSS : en soutenant les initiatives de la Chine acceptant le principe de sanctions internationales accrues au fur et à mesure des progrès des programmes balistiques et nucléaires nord-coréens, mais dans le but (selon Pékin) d'un retour in fine à la table des négociations, la Russie est apparue suiviste de Pékin, dont l'influence principale en Corée du Nord était de facto reconnue. Vis-à-vis de la Corée du Nord, Moscou partage toujours les objectifs stratégiques de Pékin (pas de Corée du Nord nucléarisée, pas d'actions déstabilisatrices tant du côté nord-coréen qu'américain, refus de l'unilatéralisme de Washington et notamment du déploiement en Corée du Sud du système de missiles antimissile américain THAAD qui remet en cause les équilibres stratégiques). Mais la Russie se place désormais sur un pied d'égalité avec la Chine, en prenant des initiatives conjointes en vue de faire baisser les tensions dans la péninsule : le jour même du lancement d'un missile balistique intercontinental par la Corée du Nord, Pékin et Moscou réitéraient
 leur proposition que Washington et Séoul suspendent leurs manoeuvres militaires dans la péninsule coréenne, en contrepartie d'un gel (et non d'un démantèlement) de ses programmes balistiques et nucléaires militaires par Pyongyang.

Signe que la Russie n'est plus seulement le partenaire mineur de la Chine sur la question nord-coréenne, elle développe aussi ses analyses propres (selon Moscou, la RPDC n'a pas procédé à un tir de missile balistique intercontinental le 4 juillet 2017) et joue une partition diplomatique qui n'est celle d'aucun autre pays. Ainsi, si les résolutions onusiennes contre la Corée du Nord sont, jusqu'à aujourd'hui, toujours le fruit d'un travail en commun entre Washington et Pékin ensuite soumis aux autres membres du Conseil de sécurité des Nations Unies, l'adoption de la résolution 2270 du Conseil de sécurité des Nations Unies, prise après l'essai nucléaire nord-coréen du 6 janvier 2016, avait été retardée par la Russie - qui l'avait d'ailleurs modifiée à la marge en ce qui concerne la liste des personnes et entités sanctionnées. En juillet 2017, le Conseil de sécurité des Nations Unies n'a pas adopté de déclaration condamnant le lancement d'un ICBM par la RPDC à la suite du refus russe d'affirmer qu'il s'agissait d'un ICBM. Les Etats-Unis ont alors décidé de renoncer à une déclaration, annonçant qu'ils se concentreraient sur la seule adoption d'une nouvelle résolution renforçant les sanctions contre la Corée du Nord.

L'influence croissante de la Russie en Corée a été favorisée par la distorsion des liens entre la Corée du Nord et la Chine qui désormais n'a plus d'objections à une place accrue de la Russie. Moscou n'entend pas favoriser une partie plutôt qu'une autre (et son soutien aux sanctions internationales suffirait à prouver qu'elle n'entend pas voir ses positions assimilées à une défense des initiatives nord-coréennes) : elle se place en faiseuse de paix et en promoteur du dialogue, non seulement intercoréen mais aussi entre l'ensemble des parties impliquées dans la péninsule coréenne (au rang desquelles l'Union européenne est toujours la grande absente), pouvant aussi jouer sur les différences de positions entre les Etats-Unis et leurs alliés, comme la Corée du Sud soucieuse de renouer avec le dialogue Nord-Sud depuis l'élection de Moon Jae-in à la présidence de la République à Séoul. Apparaissant comme le chef de file d'une conception des relations internationales fondée sur le respect de la souveraineté des Etats, la recherche de solutions par le dialogue et le multilatéralisme, la Russie gagne en influence et en respectabilité, tout en pouvant abattre la carte coréenne pour appuyer son rôle majeur de puissance internationale incontournable dans d'autres régions du monde - comme la Syrie, l'Irak et l'Iran.

Sources : 

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18 mai 2017 4 18 /05 /mai /2017 23:03

Le 18 mai 2017 a été inaugurée une nouvelle liaison maritime entre Vladivostok, en Russie, et Rason, en République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), assurée par le ferry Man Gyong Bong, qui peut transporter 200 passagers. Les trajets, d'une durée de neuf heures, seront hebdomadaires, dans chacun des deux sens.

Etablissement d'une liaison maritime Rason-Vladivostok

Business as usual. Les tensions autour de la péninsule coréenne n'empêchent pas la poursuite du rapprochement économique russo - nord-coréen, marqué par l'effacement en 2014 de la plus grande partie de la dette nord-coréenne vis-à-vis de la Russie. Cet essor des relations entre les deux pays permet également de contrebalancer l'influence chinoise, de plus en plus prépondérante dans les échanges économiques extérieurs de la RPD de Corée.

Dans ce contexte, l'établissement d'une liaison maritime directe par ferry entre Vladivostok et Rason répond déjà à un objectif de développement économique, les passagers attendus étant principalement des Russes, des Nord-Coréens et des touristes chinois bénéficiant ainsi d'un accès à la mer.

Le ferry Man Gyong Bong permettra aussi des gains précieux de temps pour le transport de marchandises, ainsi que l'a souligné auprès de l'AFP Vladimir Baranov, directeur de la société InvestStroïTrest :

[Le ferry] transportera aussi des marchandises parce qu'actuellement, la situation est terrible sur le plan de la logistique: il faut 22 jours pour transporter des marchandises entre Vladivostok et Rajin [autre nom de la ville de Rason, NdA].

Cette initiative prend enfin place dans un contexte où le Président Vladimir Poutine a dénoncé comme dangereuses et inefficaces de nouvelles sanctions contre Pyongyang, signe d'une volonté russe de jouer une partition qui lui est propre dans la péninsule coréenne tout en préservant la paix et la stabilité - auxquelles contribuent des initiatives telles que la liaison maritime par ferry entre l'Extrême-Orient russe et la RPD de Corée.

Sources :

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25 mars 2017 6 25 /03 /mars /2017 22:24

Le 16 mars 2017, le journal russe en ligne Vzgliad, dont la fréquentation estimée à 20 millions de visiteurs par mois, a publié un article d'Andrei Rezchikov intitulé (en français) : "Les « mises en garde » chinoises sur la défense anti missiles commencent à produire leur effet", revenant sur la montée des tensions dans la péninsule coréenne, à la suite notamment du déploiement dans le Sud de la Corée du système américain de missiles antibalistique Terminal High Altitude Area Defense (THAAD). Nous reproduisons ci-après une traduction en français de cet article par Marianne Dunlop, par ailleurs adhérente de l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC), publiée sur le site Histoire et société. L'AAFC a ajouté les liens dans cet article vers d'autres articles du blog de l'AAFC.

Moon Jae-in, favori de l'élection présidentielle anticipée sud-coréenne du 9 mai 2017.

Moon Jae-in, favori de l'élection présidentielle anticipée sud-coréenne du 9 mai 2017.

Il semble bien que la Corée du Sud ait l’intention de reconsidérer sa décision de déployer sur son territoire le système de défense antimissile des États-Unis. Des allusions en ce sens ont commencé à apparaître au sein du parti dont le représentant est susceptible de diriger le pays après la prochaine élection. La Chine a trouvé des arguments très sensibles pour les Coréens.

Jeudi, le chef de l’opposition parlementaire sud-coréenne « Toburo » (« Ensemble ») A San-ho a appelé à renoncer à l’installation du système anti-missile US THAAD – tant que le pays n’aura pas obtenu le consentement de la Russie et de la Chine.

Le politicien a expliqué que le déploiement du système anti-missile n’est possible que si cela ne porte pas atteinte aux relations de Séoul avec les pays voisins, rapporte TASS en référence à « Yonhap. » « Nous devons être très prudents dans cette affaire délicate, – a-t-il dit. – La Chine exerce une forte pression économique ».

Début mars, le commandement du contingent américain en Corée du Sud a annoncé avoir commencé le déploiement du complexe anti- missile THAAD. Les deux premiers lanceurs ont été acheminés vers une base militaire près de la ville de Pyeongtaek, à 70 km de Séoul. Selon la position officielle de Washington, la raison de l’installation de THAAD dans la région a été la menace nucléaire de la Corée du Nord.

Initialement le déploiement de THAAD était prévu pour l’été, mais le processus a été accéléré après que la Corée du Nord a mené une série de lancements de missiles. A Moscou, le Conseil de la Fédération a qualifié l’apparition de THAAD en Corée du Sud « un nouveau défi à la Russie », une tentative de « l’encercler par l’est et l’ouest. » La Chine est encore plus préoccupée. Pékin estime que la puissance de THAAD est excessive pour dissuader la Corée du Nord, et son véritable objectif est la surveillance de la partie nord-est de la Chine avec l’aide d’un puissant radar. « Nous ne permettrons pas de porter atteinte à nos intérêts de sécurité nationale », – a déclaré à cette occasion le porte-parole du ministère des Affaires étrangères Hong Lei.

Le fait que ce soit la gauche qui s’oppose au déploiement du système antimissile américain n’est pas un hasard. Selon un expert de la Corée, le Professeur de l’Université d’Etat de St. Petersbourg Irina Lantsova, la vie politique de la Corée du Sud comprend principalement : une aile droite conservatrice, qui est basée sur une alliance étroite avec les Etats-Unis, et un groupe de partis, dont le « Toburo », qui peut être qualifié de centre-gauche. Ils préconisent une politique étrangère plus équilibrée avec un appui non seulement sur les États-Unis mais aussi d’autres puissances régionales.

« Déjà au printemps et en été de l’année dernière, beaucoup de personnalités de centre-gauche se sont opposées au système de défense antimissile en Corée. La société en Corée du Sud n’est pas unie sur cette question. Et maintenant, avec la crise politique que connaît le pays, lorsque les chances pour l’arrivée du centre-gauche au pouvoir sont accrues, des voix s’élèvent à nouveau pour que soit révisée la décision sur la défense antimissile », – dit Lantsova à notre journal.

Pour rappel, des élections présidentielles anticipées sont prévues à la date du 9 mai. Elles ont été rendues nécessaires après que le Parlement a voté la destitution de la présidente Park Geun-hye, et maintenant la décision a été approuvée par la Cour constitutionnelle. Selon Lantsova, après le fiasco de Park Geun-hye, la cote de la droite a chuté et les chances d’arrivée au pouvoir du centre-gauche sont grandes. Comment l’écrivait jeudi « Kommersant », le favori incontesté de la course est aujourd’hui le représentant du parti « Toburo », Moon Jae-in.

Des sanctions non annoncées officiellement, mais néanmoins efficaces

En outre, un grand impact sur la politique de Séoul a été exercé par les sanctions de la Chine, qui a commencé à restreindre le commerce avec son voisin, y compris l’annulation officieuse des tournées de chanteurs et la diffusion de films en provenance de Corée du Sud. « La Chine est le principal partenaire économique de la République de Corée. Les restrictions commerciales concernent principalement les biens de consommation de la jeunesse. En outre, les Chinois ont limité la présence de grandes sociétés coréennes comme le groupe Lotte », – dit-elle. Le ministère de la Défense coréen a reconnu que la tension dans ce domaine s’est également amplifiée – la coopération militaire entre les deux pays est presque au point mort. C’est la société Lotte qui a fourni un emplacement sur le territoire de Corée pour l’installation de THAAD, et maintenant la moitié de son réseau de supermarchés en Chine a déjà fermé – sous divers prétextes.

Le politologue de Corée du Sud Pak No-ja a expliqué au journal VZGLIAD que, selon les sondages, la plupart des Coréens considèrent déjà ces sanctions comme une menace pour l’économie du pays, jusqu’à 30% du commerce étant effectué avec la Chine (en comptant Taiwan et Hong Kong). « Du point de vue de nombreux Coréens, qui sont essentiellement préoccupés par la survie économique, THAAD  est de la folie complète », – a dit Pak.

Le parti « Toburo » s’appuie sur de grands conglomérats tels que Samsung et Hyundai, qui sont maintenant liés à la Chine, et non aux États-Unis. La plus grande usine de Samsung pour la production de semi-conducteurs se trouve en Chine. « Du point de vue du capital monopoliste coréen, une rupture avec la Chine serait un coup mortel, couvrir de telles pertes à court terme serait absolument impossible », – dit-il.

En fin de compte, tout se résume à qui l’emportera, du grand capital en alliance avec les libéraux et le centre-gauche, ou de la droite étroitement associée au lobby militaire, puisque le ministère de la Défense est le principal soutien du THAAD. Pak prévoit que l’élection de mai portera sans doute au pouvoir l’opposition, et le président sera le représentant de « Toburo » Moon, et ensuite, avec le soutien de la grande entreprise, le nouveau chef va se battre contre le ministère de la Défense. « Le résultat de cette lutte montrera quels sont les rapports de forces sociales et politiques dans la société, leur influence, leurs possibilités », – prédit Pak No-ja.

Dans le cas d’une telle lutte, l’expert n’exclut pas que les Etats-Unis par la suite abandonnent le système de défense antimissile en Corée du Sud, afin de conserver leur influence sur la partie sud de la péninsule coréenne. « Les Etats-Unis comprennent qu’il leur faut maintenir l’hégémonie idéologique. Il faut que la majorité des Coréens soient persuadés que la suprématie politique et militaire américaine en fin de compte est à leur avantage », – a-t-il conclu.

La situation autour du radar américain en Corée du Sud ressemble à celle autour du radar américain en Pologne. Les États-Unis envisagent de déployer un radar en Pologne pour surveiller la Russie, de même que leur radar en Corée du Sud est conçu pour avoir un œil sur la Chine. Cependant, la peur de fâcher la Chine en Corée du Sud, semble-t-il, a été beaucoup plus forte que la peur de fâcher la Russie en Pologne.

Traduit par Marianne Dunlop pour Histoire et Société

Sources :

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2 mars 2017 4 02 /03 /mars /2017 20:27

Le 22 février 2017, le journal russe Kolokol Russia a publié un article du journaliste indépendant Boris Djerelievsky dans lequel celui-ci dénonce les sanctions que s'apprête à prendre la Fédération de Russie à l'encontre de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord). Il déplore que celles-ci traduisent une soumission aux intérêts des puissances occidentales (et en premier lieu des États-Unis) et soient contradictoires avec la dénonciation par les autorités russes elles-mêmes des sanctions que lui imposent l'Occident. Nous publions ci-après une traduction du russe de cet article.

 Sanctions contre Pyongyang, Moscou joue une partition étrangère

Les sanctions russes en cours de préparation contre la RPDC sont loin d’être indiscutables tant au point de vue moral que pratique.

La Russie se prépare à prendre de dures sanctions contre la République populaire démocratique de Corée. Le projet des mesures annoncées par les médias, déjà visibles sur les portails d'information juridique, constitue la réponse aux essais nucléaires réalisés par Pyongyang et interdits par les accords internationaux. Il est indiqué que l'introduction de nouvelles sanctions est liée à la résolution 2321 du Conseil de sécurité de l'ONU du 30 novembre 2016, qui prévoit une série de restrictions en ce qui concerne la RPDC en réponse à la réalisation de ses essais nucléaires, ainsi qu’à la loi de la Fédération de Russie du 30 décembre 2006. Le projet de décret du Président de la Russie prévoit la cessation de toute coopération scientifique et technique avec certaines personnes ou certaines organisations de la RPDC « à l'exception des échanges dans le domaine de la médecine ». La coopération dans le domaine de la science nucléaire, de l’aérospatial et de l’aéronautique est possible seulement avec l'approbation du comité du Conseil de sécurité de l'ONU. Le projet de décret prévoit aussi l'introduction de l'interdiction d’importer de RPDC du cuivre, du nickel, de l’argent et du zinc et de transporter ces minerais sur le territoire de la Russie. Par exception il est possible d’acheter à la Corée du Nord du charbon et du minerai de fer, si ne participent pas à ces achats des personnes physiques et morales figurant sur la liste de sanction ou des personnes liées au programme nucléaire du pays. Sont projetées également la clôture des représentations existantes des banques de la Fédération de Russie, qui agissent sur le territoire de la RPDC sous juridiction russe (excepté pour ce qui est destiné à l'aide humanitaire), et l'expulsion de Russie de ceux qui travaillent en Fédération de Russie au nom de ou pour n'importe quelle institution financière nord-coréenne. En outre serait interdite à la Corée du Nord l'utilisation de biens immobiliers, qu’elle en soit propriétaire ou locataire, sur le territoire de la Fédération de Russie pour tout usage autre que ses activités diplomatiques ou consulaires.

Le décret prévoit aussi la restriction du nombre des comptes bancaires des citoyens de la République populaire démocratique de Corée à un seul compte pour chaque diplomate accrédité en Russie et chaque collaborateur d’un consulat.

Le programme nucléaire et balistique de la Corée du Nord compte déjà plus d’une décennie d’existence. A Pyongyang son début est lié aux événements de la crise des Caraïbes (1962). Après que le leader soviétique de l’époque Nikita Khrouchtchev a pris, sous la pression des États-Unis, la décision de retrait des fusées soviétiques du territoire de Cuba  malgré les objections catégoriques de la direction cubaine, le leader de la République populaire démocratique de Corée Kim Il-sung en est arrivé à la conclusion que pour avoir une garantie de sécurité on peut compter que sur soi-même. Cette question est tout à fait réelle pour ce pays qui, depuis sa création, s’est trouvé et se trouve sous la menace de l'agression américaine. Washington et Séoul ne cachent pas leurs intentions hostiles en ce qui concerne la Corée du Nord, en déclarant ouvertement préparer des actes de terroristes contre ses dirigeants et une « attaque préventive ». Durant les années de la guerre froide la Corée du Nord recevait une aide militaire de l’URSS et de la République populaire de Chine. Actuellement cette aide a entièrement cessé. Moscou n’apprécie pas la faible capacité de paiement de Pyongyang, et Pékin est extrêmement mécontent de sa politique. On peut ajouter que fin décembre 2016, après l'essai de bombe thermonucléaire, le président de la Russie Vladimir Poutine a interdit de livrer à la Corée du Nord tout armement léger. Le slogan « compter sur ses propres forces », qui est la pierre angulaire de la politique de la République populaire démocratique de Corée, est entièrement justifié dans la situation  internationale actuelle, quand les institutions supranationales appelées à défendre les intérêts et à assurer la sécurité de tous les pays participants, en réalité soit présentent une totale inefficacité, soit servent ouvertement les pays riches - et avant tout les États-Unis.

Le destin tragique de la Yougoslavie, de l'Iraq, de la Syrie et de la Libye, montre que le régime de droit international existant sur la planète ne fonctionne pas et n’est pas en état de protéger l'indépendance et l'intégrité territoriale d'un pays qui n’est pas lui-même capable de façon indépendante, soit de repousser les coups de l'agresseur, soit au moins de lui infliger des pertes sérieuses. Peut-être la seule possibilité de défendre sa souveraineté dans une telle situation est la possession de l'arme nucléaire et des moyens balistiques associés. Le bouclier nucléaire de la République populaire démocratique de Corée est strictement défensif, il est vraiment risible d’imaginer que la Corée du Nord nourrisse des intentions agressives en ce qui concerne les États-Unis compte tenu de la disproportion des forces. Bien que toute la puissance de la propagande occidentale tente de persuader le monde entier de l'imprévisibilité et du caractère irréaliste de la direction de la Corée du Nord, ses dirigeants, depuis la création du pays, ont mené une politique étrangère tout à fait conséquente avec des tâches tout à fait évidentes, parmi lesquelles on n’observe pas d’intentions agressives. Entre autres, Pyongyang déclare que, vis-à-vis de la Corée du Sud, l'arme nucléaire ne sera pas utilisée quelles que soient les circonstances. De plus, il est facile de remarquer que les États-Unis et le régime de Séoul, qui dépend d’eux, provoquent constamment et d'une manière délibérée la Corée du Nord. Ce sont les manoeuvres répétées avec la planification d’attaques contre la RPDC, pendant lesquelles se déroule la préparation de débarquement de troupes et ce à proximité directe des frontières, ce qui ne ressemble pas à des manoeuvres ordinaires, et les apparitions constantes dans la péninsule coréenne ou à proximité des armes nucléaires américaines. La politique d'agression des États-Unis dans la péninsule n’est pas seulement dirigée contre la Corée du Nord. La tension soigneusement entretenue par les États-Unis leur a permis de créer dans la péninsule coréenne une place forte contre la République populaire de Chine, et, naturellement aussi contre la Russie. C'est en particulier le cas des dispositifs de défense antimissiles qui sont déployés sur le territoire de la Corée du Sud. Au vu de tout ce qui précède apparaît une question évidente : qui est le plus coupable de violation du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, la RPDC ou les États-Unis, qui ne laissent pas à ne laissent pas d'autre choix à Pyongyang ?

Quand le seul garant de la souveraineté nationale et de la sécurité est le bouclier nucléaire, aucune sanction n'obligera pas à s’en séparer. À propos du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, comme on le sait, la Corée du Nord n’en est pas signataire de même que l'Inde, le Pakistan et Israël. Et en outre, ce dernier, à la différence de la RPDC, mène réellement une politique d'agression, en portant de temps en temps des coups aux pays voisins et en menaçant de guerre l'Iran et en évoquant la possibilité d'une frappe nucléaire. Cependant, personne ne soulève de questions sur le programme illégal balistique et nucléaire de l'État juif. Où est la raison d’une sélectivité si surprenante ? La question est purement rhétorique concernant les États-Unis.

Mais nous sommes beaucoup plus inquiets de la position de la Russie, dont les représentants ont qualifié maintes fois les sanctions économiques de l'Ouest de « contre-productives et sans perspectives ». Et on peut utiliser des mêmes mots pour caractériser les sanctions que notre pays a l'intention d'appliquer à Corée du Nord. Elles ne pousseront pas Pyongyang à tourner le dos à l'indépendance et à la sécurité et sont seulement à même de détériorer les relations entre nos deux États. La RPDC est un pays original, plusieurs de ses traditions et de ses orientations nous semblent étranges et incompréhensibles, mais cette circonstance ne peut en aucune façon mettre en doute le droit de vivre des Coréens, conformément aux valeurs qu’ils ont choisies. Notre département de politique extérieure a affirmé plus d'une fois avec fermeté ce droit souverain. Mais le droit ne peut avoir de sens que s'il est confirmé et protégé. Dans la situation concrète donnée il se trouve que la Russie joue un jeu étranger, selon des règles étrangères fausses, selon les règles de ces forces, qui veulent voir le monde non comme un ensemble de pays libres et souverains mais comme un camp de concentration mondial sous la direction de l'oligarchie financière, camp dans lequel les États-Unis jouent le rôle du principal gardien-surveillant.

Boris Djerelievsky (journaliste indépendant)

Traduction du russe : AAFC - YB.

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