Les six pays (deux Corée, Etats-Unis, Chine, Russie, Japon) participant aux négociations sur le programme nucléaire nord-coréen se sont à nouveau réunis à Pékin. Cette septième session de pourparlers à six s'est achevée sur un désaccord au sujet de la méthode de vérification et du calendrier du démantèlement des installations nucléaires nord-coréennes. Au delà de cet échec prévisible - en raison des positions opposées des Etats-Unis et de la Corée du Nord et de l'attente de l'entrée en fonctions de l'administration Obama - cette nouvelle session de pourparlers a aussi permis de révéler l'importance d'un pays jusqu'ici plutôt en retrait, la Russie. Cette dernière pourrait bientôt jouer un rôle crucial pour la réussite des pourparlers et, plus généralement, pour la paix en Asie du Nord-Est.
L'échec des négociations sur le programme nucléaire nord-coréen qui ont eu lieu du 8 au 11 décembre 2008 à Pékin, tient d'abord à l'incapacité des six pays participants de se mettre d'accord sur un protocole de vérification du démantèlement des installations nucléaires nord-coréennes. Les Etats-Unis et la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) campent sur deux positions radicalement opposées : les Etats-Unis exigent que le processus de vérification soit exposé par écrit, sur la base de l'accord conclu avec la RPDC en octobre 2008 à Pyongyang, et veulent pouvoir prélever des échantillons sur les sites nucléaires nord-coréens ; de son côté, la RPDC affirme que l'accord d'octobre ne mentionne rien de tel et que la demande de pouvoir prélever des échantillons vise seulement à saborder les pourparlers à six en retardant la fourniture des compensations économiques promises à la RPDC en échange du démantèlement de ses installations. La partie nord-coréenne veut que soient seulement appliquées les trois méthodes de vérification convenues par écrit en juillet dernier - inspections de sites, examen de documents et entretiens avec des techniciens.
Selon les Etats-Unis, le prélèvement d'échantillons a fait l'objet d'un accord verbal entre les négociateurs américains et nord-coréens lors de leur rencontre d'octobre, seulement enregistré dans les notes du secrétaire d'Etat adjoint pour les Affaires de l'Asie de l'Est et chef de la délégation américaine, Christopher Hill. Les accords à six des 13 février et 3 octobre 2007, portant sur le démantèlement des installations nucléaires de Yonbyon - soit la deuxième phase de la mise en oeuvre de la déclaration commune du 19 septembre 2005 - ne mentionnent à aucun moment la collecte d'échantillons.
La RPDC, par l'intermédiaire de l'agence de presse officielle KCNA, juge inacceptable la demande d'un prélèvement d'échantillons. "La RPDC et les Etats-Unis sont toujours techniquement en guerre. Exiger ce qui n'est pas mentionné dans un accord écrit, en faisant fi du niveau de confiance atteint entre les deux parties, est une atteinte à la souveraineté aussi grave que le serait une perquisition à domicile," a précisé l'agence KCNA.
L'approche adoptée par la Corée du Sud et le Japon lors de cette session de pourparlers semble aussi avoir contribué à leur échec. Les délégations sud-coréenne et japonaise se sont montrées bien plus solidaires que pendant les précédentes sessions de pourparlers à six, suivant toutes les deux une ligne dure à l'égard de Pyongyang au cours des négociations. Le Japon reste focalisé sur la question de ses citoyens enlevés, tandis que la Corée du Sud, à la différence des précédentes sessions de pourparlers, n'a pas tenté de jouer le rôle de "promoteur créatif d'un accord", apte à rapprocher les points de vue de Washington et de Pyongyang.
Kim Sook, chef de la délégation sud-coréenne, a ainsi rappelé aux journalistes que la fourniture d'une assistance économique et énergétique à la Corée du Nord d'ici le mois de mars 2009, prévue par les accords du 13 février et 3 octobre 2007, ne figurait pas dans la déclaration finale de cette session de négociations. Le négociateur en chef sud-coréen n'a pas révélé si son gouvernement arrêterait son aide au Nord. "Il s'agit d'une question sensible sur laquelle je dois avoir des consultations une fois revenu" à Séoul, a déclaré Kim Sook. Mais, a-t-il précisé, "tout en ne pouvant pas se montrer complètement négatif" au sujet de l'aide, "cela ne signifie pas qu'on peut juste fournir une assistance sans considération pour tout le reste," indiquant ainsi qu'un arrêt de l'aide était possible. Pour leur part, les Etats-Unis ont clairement envisagé de suspendre leurs livraisons énergétiques à la Corée du Nord.
Pour Pyongyang, la question du prélèvement d'échantillons et l'intérêt que les médias y portent ont pour seul objectif d'amener les pays participant aux pourparlers à six à ne pas respecter leurs engagements quant aux compensations économiques accordées à la RPDC pour l'abandon de son programme nucléaire ou, au moins, de justifier le retard pris dans l'application de ces engagements. Or, précise l'agence nord-coréenne KCNA, "c'est le principe 'action pour action' qui maintient en vie le processus de dénucléarisation de la péninsule coréenne." Certaines parties n'ayant pas respecté ce principe, la RPDC a décidé de ralentir le rythme de déchargement des barres de combustible usager à Yongbyon, une contre-mesure face au retard pris dans la fourniture de l'aide promise.
Kim Sook et Christopher Hill (ici en discussion le 9 décembre à Pékin), ont souligné l'"importance de la Russie". La nouvelle place prise par la Russie à l'occasion de cette réunion est assez exceptionnelle au regard de l'histoire des pourparlers à six jusqu'ici mais est justifiée à plusieurs titres.
Premièrement, on s'attend à ce que la Russie joue un rôle important dans la mise au point d'un protocole de vérification et dans sa mise en oeuvre. La Russie est, avec les Etats-Unis, la principale nation détenant l'arme atomique tout en ayant l'expérience du démantèlement de vastes arsenaux nucléaires dans des pays tels que l'Ukraine, le Kazakhstan ou la Biélorussie au cours des années 1990, après l'éclatement de l'Union soviétique. "La Russie est un pays avec une grande expérience en matière de démantèlement nucléaire et de vérification," a ainsi déclaré Christopher Hill. "La Russie a fait part d'opinions constructives qu'elle communiquera à la Corée du Nord." La Russie s'est elle-même montrée très active, ses représentants aux pourparlers rencontrant dès le dimanche 7 décembre ceux de la Corée du Sud et des Etats-Unis, puis ayant le lendemain des discussions approfondies de près de deux heures avec les négociateurs nord-coréens.
Deuxièmement, le rôle de la Russie pourrait encore croître avec les discussions concernant l'instauration d'un mécanisme de paix et de sécurité en Asie du Nord-Est. Au cours des négociations du 8 au 11 décembre, la Russie a soulevé la question d'un "avant-projet pour les principes de base d'un mécanisme de sécurité et de paix en Asie du Nord-Est." Les principes fondamentaux exposés par la Russie et destinés à garantir des mesures de sécurité en Asie du Nord-Est ont été accueillis positivement par les autres pays et une réunion devrait avoir lieu en février 2009 à Moscou. La question de la mise au point d'un mécanisme de paix et de sécurité en Asie du Nord-Est est importante car un tel mécanisme servira de base à la tenue de pourparlers à six au niveau des ministres des Affaires étrangères, ce qui en garantira l'efficacité et donnera une nouvelle impulsion pour entrer dans la troisième phase des négociations, celle concernant l'abandon du programme nucléaire nord-coréen.
Il est à noter que, presque au même moment, pendant le 16e Conseil des ministres des Affaires étrangères de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) qui s'est tenu à Helsinki les 4 et 5 décembre, la Russie a proposé l'organisation d'un sommet de l'OSCE pour un nouveau traité de sécurité européenne. De fait, l'OSCE a été incapable de prévenir l'agression de la Géorgie contre l'Ossétie du Sud, malgré la présence d'observateurs sur le terrain depuis les années 1990 et un premier conflit entre Ossètes et Géorgiens à la chute de l'URSS.
En plus de ce plan ambitieux pour la sécurité en Asie du Nord-Est, la Russie, qui porte de grands projets d'infrastructures énergétiques et de transport dans la région, respectera les engagements pris lors des sessions antérieures des pourparlers à six et livrera l'aide promise à la Corée du Nord, invitant les quatre autres pays concernés à en faire autant.
Le vice-ministre des Affaires étrangères, chef de la délégation russe aux pourparlers, Alexei Borodavkine, a fait part de sa surprise suite à une déclaration américaine selon laquelle le Japon, la Russie, les Etats-Unis et la Corée du Sud avaient convenu d'un arrêt des livraisons d'énergie à la Corée du Nord jusqu'à ce que des progrès soient accomplis sur la vérification des activités nucléaires de Pyongyang. "Il n'y aura plus de livraison de fioul en l'absence d'un régime de vérification," a ainsi déclaré le porte-parole du département d'Etat américain, Sean McCormack.
A cette déclaration intempestive, Borodavkine a répondu espérer que "toutes les parties aux pourparlers respecteront les accords existants", et que, en retour, Pyongyang abandonnera son complexe nucléaire de Yongbyon. "La déclaration du département d'Etat américain suite aux pourparlers à six de Pékin nous a surpris," a continué le vice-ministre russe, ajoutant que la délégation russe n'a jamais voulu suspendre l'aide énergétique promise.
La Russie livrera donc à la RPDC un troisième lot de 50.000 tonnes de fioul en décembre, et finira de livrer son quota de 200.000 tonnes dans un futur proche. (sources : Hankyoreh, KCNA, RIA-Novosti, Voice of America)
Les routes du pétrole et du gaz russes (source : Philippe Rekacewicz, Cartographier le présent, 2007)
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