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7 mars 2019 4 07 /03 /mars /2019 18:11

Kim Jong-un, dirigeant de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), et Donald Trump, président des Etats-Unis d'Amérique, se sont rencontrés les 27 et 28 février 2019 à Hanoï au Vietnam, leur second sommet après celui de Singapour le 12 juin 2018. Ce sommet était essentiellement consacré aux mesures de dénucléarisation que la RPDC pourrait prendre et les contreparties que pourrait offrir Washington, telles qu'un assouplissement des sanctions. Mais aucun accord n'a été signé à Hanoï, les deux parties donnant des explications contradictoires à ce sujet : la Corée du Nord a demandé spécifiquement la levée des sanctions contenues dans les cinq résolutions les plus récentes adoptées par le Conseil de sécurité des Nations unies, alors que les Etats-Unis évoquent une demande nord-coréenne de levée totale des sanctions. Toutefois, malgré l'absence d'accord, aucune partie ne parle d'échec à propos de la rencontre de Hanoï.

Réunion élargie entre la RPDC et les Etats-Unis, le 28 février 2019 à Hanoï (photo : KCNA)

Réunion élargie entre la RPDC et les Etats-Unis, le 28 février 2019 à Hanoï (photo : KCNA)

Comment la question des sanctions a mis prématurément fin au sommet de Hanoï

Le 28 février 2019, à l'issue de sa rencontre avec le dirigeant de la RPDC Kim Jong-un à Hanoï, le président américain a déclaré n'avoir pas réussi à parvenir à un accord, la partie nord-coréenne exigeant la levée de toutes les sanctions imposées à Pyongyang sans donner suffisamment de mesures de dénucléarisation. « Au fond, ils voulaient que les sanctions soient levées dans leur intégralité, mais nous ne pouvions pas le faire », a déclaré Donald Trump au cours d'une conférence de presse.

« Ils étaient prêts à dénucléariser une grande partie des zones que nous voulions mais nous ne pouvions pas lever toutes les sanctions pour eux », a ajouté le Président américain.
Donald Trump a déclaré qu'il devait
« quitter » la discussion sans aucun accord, estimant qu'il n'était pas approprié de signer un document.

« Je veux vraiment supprimer les sanctions parce que je veux que [la RPDC] grandisse », a déclaré Trump. « Mais ils doivent céder plus. » Pour lui, les sanctions ont été un « dealbreaker » (briseur d'accord).

Toutefois, le 1er mars 2019, quelques heures après la déclaration du Président des Etats-Unis, le ministre nord-coréen des Affaires étrangères Ri Yong-ho a tenu une conférence de presse à l'hôtel Melia de Hanoï, où logeait la délégation nord-coréenne. Au cours de cette conférence, le ministre nord-coréen a réfuté les déclarations du Président Trump selon lesquelles la Corée du Nord avait demandé la levée de l'intégralité des sanctions prises à son encontre. « Nous avons seulement demandé la levée des sanctions comprises dans les cinq résolutions adoptées par le Conseil de sécurité des Nations unies entre 2016 et 2017, et en particulier des sanctions qui pèsent sur l'économie civile et les moyens de subsistance du peuple », a dit le ministre.

En échange de cette levée partielle des sanctions, la Corée du Nord était prête à démanteler son principal site de production de matières nucléaires à Yongbyon, devant des experts américains et à travers des opérations conjointes de techniciens des deux pays. Etant donné le niveau actuel de confiance entre la Corée du Nord et les Etats-Unis, c'est la plus grande mesure de dénucléarisation que la RPDC pouvait proposer, a ajouté le ministre nord-coréen des Affaires étrangères.

Lors du sommet, les Nord-Coréens ont également proposé de mettre par écrit l'engagement d'arrêter de façon permanente leurs essais d'armes nucléaires et lancements de missiles à longue portée « pour apaiser les préoccupations des Etats-Unis », selon Ri Yong-ho.

Mais les Etats-Unis, selon lui, ont insisté pour que la RPDC prenne une mesure « de plus » au-delà du démantèlement de l'usine de Yongbyon, une indication claire que la partie amérIcaine n'était pas prête à un accord.

Quelles sont les sanctions que la RPDC veut voir levées ?

De la résolution n°1695 de juin 2006 à la résolution n°2397 de décembre 2017, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté onze résolutions sanctionnant la République populaire démocratique de Corée pour ses programmes nucléaire et ballistique, dont six en 2016 et 2017. Il s'agit des résolutions n°2270 (mars 2016), n°2321 (novembre 2016), n°2356 (juin 2017), n°2371 (août 2017), n°2375 (septembre 2017), et n°2397 (décembre 2017). La résolution n°2356 du 3 juin 2017 ne faisant qu'ajouter des organisations et des individus nord-coréens à la liste des sanctions déjà votées par le Conseil de sécurité, on peut supposer que la RPDC demandait l'annulation des cinq autres résolutions.

En général, les sanctions imposées avant 2016 à la RPDC concernaient la fourniture de matériel militaires et de produits de luxe. Mais après le quatrième essai nucléaire du 6 janvier 2016 et le lancement d'un satellite le 7 février 2016les sanctions ont commencé à prendre pour cible l'ensemble de l'économie nord-coréenne (à partir de la résolution n°2270 votée le 2 mars 2016) et n'ont cessé de se renforcer. Ce sont les mesures contenues dans ces résolutions et visant l'« économie civile » (terme employé par opposition à l'économie militaire) que la RPDC veut voir abrogées.

Ainsi, la résolution n°2397 adoptée le 22 décembre 2017 limite la fourniture de produits pétroliers raffinés à la Corée du Nord à 500 000 barils par an. Si on considère que les résolutions précédentes fixaient cette limite à 2 millions de barils, la mesure figurant dans la résolution n°2397 apparaît extrêmement dure. En outre, la fourniture de pétrole brut est limitée à 4 millions de barils. Les produits pétroliers, raffinés ou non, étant utilisés pour faire fonctionner les centrales électriques thermiques, produire des engrais ou encore chauffer les serres agricoles, la limitation de l'importation de ces produits a bien un impact direct sur l'économie civile et sur les moyens de subistance du peuple.

Les résolutions sanctionnant la Corée du Nord adoptées par le Conseil de sécurité des Nations unies ont aussi limité ou interdit les exportations nord-coréennes de ressources naturelles telles que le charbon et l'acier, et l'emploi de la main d’œuvre nord-coréenne dans divers pays, les tenants d'une ligne dure à l'égard de la RPDC avançant comme argument que celle-ci utilise l'argent provenant des exportations de ressources minérales et de l'envoi de travailleurs à l'étranger pour financer ses programmes nucléaire et balistique.

Quant à la résolution n°2375 votée par le Conseil de sécurité le 12 septembre 2017, elle contient une disposition interdisant l'établissement d'entreprises communes avec des sociétés nord-coréennes et la fermeture des entreprises communes existantes dans les 120 jours. Compte tenu du besoin d'attirer les investissements étrangers en RPDC, cette dernière pourrait aussi demander la levée de cette restriction.

De l'aveu même de John Bolton, conseiller à la sécurité nationale des Etats-Unis, et partisan de longue date d'une ligne très dure à l'égard de la RPDCles discussions ont pris fin après que les Nord-Coréens ont refusé un « big deal » (grande offre) proposé, semble-t-il au dernier moment, par la partie américaine, à savoir un renoncement total aux programmes nucléaire et balistique de la RPDC en échange d'avantages économiques, loin d'une approche progressive, action pour action, qui permettrait d'établir un niveau de confiance suffisant entre la RPD de Corée et les Etats-Unis après sept décennies de relations hostiles. « Le sujet, vraiment, était de savoir si la Corée du Nord était prête ou non à accepter ce que le président a appelé le "big deal" qui est de dénucléariser totalement sous une définition que le président a transmise à Kim Jong-un et d'avoir le potentiel pour un énorme avenir économique », a ainsi déclaré Bolton le 3 mars.

Toutefois, Bolton ne considère pas le sommet de Hanoï comme un échec. « Je considère [le sommet de Hanoï] comme un succès dans le sens où le président a protégé et promu les intérêts américains. » a-t-il dit lors d'une interview accordée à la chaîne américaine CBS.

Le sommet de Hanoï, nouvelle étape dans l'instauration de la confiance entre la RPDC et les Etats-Unis?

La RPDC ne considère par non plus que le sommet de Hanoï soit un échec, même si c'est pour des raisons différentes. L'Agence centrale de presse (nord-)coréenne, KNCA , a ainsi rendu compte du sommet  :

Kim Jong-un, président du Parti du travail de Corée et président de la Commission des affaires d'Etat de la République populaire démocratiqiue de Corée, a eu une nouvelle rencontre et des discussions avec Donald J. Trump, président des Etats-Unis d'Amérique, jeudi [28 février 2019].
Le dirigeant suprême du Parti, de l'Etat et de l'armée Kim Jong-un a rencontré le président des Etats-Unis Donald J. Trump à l'hôtel Metropole de Hanoï à 9h, heure locale, et eu un entretien en tête-à-tête avant de tenir des discussions élargies en présence de leurs assistants.
Au cours des discussions en tête-à-tête et élargies, les dirigeants suprêmes des deux pays ont hautement apprécié le progrès remarquable accompli sur la voie historique de l'application de la déclaration commune de Singapour. Ils ont eu un échange de vues franc et constructif sur les problèmes pratiques qui se posent pour ouvrir une nouvelle époque d'amélioration des relations entre la RPDC et les Etats-Unis sur la base de ce progrès.
Pendant les discussions, ils se sont accordés à considérer que les efforts faits par les deux parties et les mesures proactives qu'elles ont prises pour atténuer les tensions et préserver la paix dans la péninsule coréenne et y parvenir à une dénucléarisation complète sont d'une grande signification pour promouvoir la confiance mutuelle et aboutir à un changement fondamental dans les relations bilatérales caractérisées depuis des décennies par la méfiance et l'hostilité.
Les dirigeants suprêmes ont écouté leurs opinions respectives sur les problèmes à résoudre sans faute à l'étape actuelle pour réaliser les objectifs communs figurant dans la déclaration commune de Singapour, et ont eu une discussion approfondie quant aux moyens d'y parvenir.
Ils ont exprimé leur conviction que, malgré la haute barrière d'antagonisme et de confrontation érigée par sept décennies de relations hostiles et l'existence d'obstacles et de difficultés inévitables sur le chemin qui voit s'écrire une nouvelle histoire des relations entre la RPDC et les Etats-Unis, ils pourront susciter une avancée significative dans les relations RPDC-Etats-Unis, comme le veulent les peuples des deux pays, s'ils se donnent fermement la main pour surmonter ces obstacles et difficultés en faisant preuve de sagesse et de patience.
Les dirigeants suprêmes des deux pays ont apprécié que leur seconde rencontre à Hanoï a offert une occasion importante d'approfondir le respect et la confiance mutuels et de porter les relations entre les deux pays à un nouveau palier.
Ils ont convenu, à l'avenir aussi, de rester en liaison étroite pour la dénucléarisation de la péninsule coréenne et le développement considérable des relations entre la RPDC et les Etats-Unis, et de poursuivre des dialogues productifs en vue de résoudre les problèmes discutés au sommet de Hanoï.
Kim Jong-un a remercié Trump d’avoir bien voulu consentir des efforts énergiques pour la réussite de cette rencontre et de ces discussion en faisant un long voyage et lui a adressé un au revoir en promettant une nouvelle rencontre.

Agence centrale de presse coréenne, 1er mars 2019

En Corée du Sud, le Président Moon Jae-in a lui aussi fait part de sa confiance quant à la possibilité de voir la Corée du Nord et les Etats-Unis parvenir à terme à un accord sur la dénucléarisation en demandant à ses conseillers et ministres de chercher des moyens d'aider à réduire les divergences entre les deux parties.

« Je suis persuadé que les négociations Corée du Nord-Etats-Unis aboutiront à terme à un accord mais je vous demande d'œuvrer à une reprise rapide du dialogue de travail entre les deux [parties] car nous ne voulons pas que l'impasse se prolonge », a déclaré le Président Moon lors d'une réunion du Conseil de sécurité nationale sud-coréen le 4 mars 2019.

« Le deuxième sommet Corée du Nord-Etats-Unis, même s'il est très décevant concernant son résultat, a été l'occasion de constater des progrès très significatifs qui ont été réalisés à travers le dialogue entre les deux pays », a aussi noté le président sud-coréen.

Il a aussi souligné que le fait que les deux pays se sont abstenus d'accroître les tensions, même après avoir échoué à parvenir à un accord, laissait entrevoir la possibilité de progrès dans le futur.

Moon a en outre noté que l'amélioration des relations inter-coréennes serait un moyen de promouvoir le futur dialogue. « Ensuite, je vous demande de trouver activement des moyens d'accompagner le dialogue Corée du Nord-Etats-Unis en développant les relations inter-coréennes dans la limite des sanctions. En outre, je vous demande de préparer [le lancement] des projets de coopération inter-coréens qui ont été convenus en vertu de la déclaration de Panmunjom et de la déclaration de Pyongyang. »

Le Président Moon avait proposé plus tôt aux Etats-Unis d'utiliser la coopération économique inter-coréenne comme une de ses options afin de récompenser la Corée du Nord pour ses mesures de dénucléarisation.

De son côté, la Chine a appelé toutes les parties concernées à adopter une attitude constructive et à jouer un rôle actif dans le règlement de la question de la péninsule coréenne. « Nous espérons que la RPDC et les Etats-Unis poursuivront leurs pourparlers, feront un pas vers l'un et l'autre, tiendront compte de leurs préoccupations légitimes sur la base du respect mutuel et feront avancer la solution politique du problème de la péninsule coréenne », a déclaré le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères le 1er mars.

Il a souligné que la Chine est prête à continuer de jouer un rôle constructif dans ce processus et rappelé qu'elle a toujours proposé que le Conseil de sécurité des Nations unies (dont la Chine est un membre permanent) envisage de modifier les sanctions à l'encontre de la RPDC en fonction de l'évolution positive de la situation dans la péninsule coréenne. L'idée d'une levée progressive des sanctions contre la Corée du Nord en fonction des progrès constatés sur le terrain était déjà contenue dans la proposition chinoise d'une « dénucléarisation conditionnelle, réciproque et par étapes » (conditional, reciprocal, incremental denuclearization, CRID) de la Corée du Nord - et à laquelle celle-ci semble adhérer -, approche plus « réaliste et pratique » que la « dénucléarisation complète, vérifiable et irréversible » (complete, verifiable, irreversible denuclearization, CVID) exigée par les Etats-Unis et une nouvelle fois en échec à Hanoï le 28 février 2019.

 

Sources :

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