Sur l'échiquier diplomatique en Asie du Nord-Est, la Russie a un rôle particulier à jouer - comme l'a rappelé la visite en République populaire démocratique de Corée, pour la première fois depuis 2009, de Sergueï Lavrov. Après de premiers échanges avec son homologue nord-coréen Ri Yong-ho en Russie en avril dernier (et qui l'avait alors invité à Pyongyang), le ministre des Affaires étrangères russe a rencontré le Président Kim Jong-un et l'a invité en Russie, en lui transmettant "les salutations les plus chaleureuses" du Président Vladimir Poutine et "ses souhaits de succès dans les importantes initiatives entreprises dans la péninsule coréenne" - au moment où s'accélèrent les préparations du sommet entre les présidents Kim Jong-un et Donald Trump envisagé à Singapour le 12 juin, le général Kim Yong-chol étant au même moment reçu aux Etats-Unis.
Comme l'a précisé un communiqué du ministère des Affaires étrangères russe citant le chef de la diplomatie Sergueï Lavrov, Moscou entend que la dénucléarisation de - toute - la Corée (donc, y compris du Sud, aujourd'hui placé sous le "parapluie" nucléaire américain), s'inscrive dans le cadre d'un processus de paix et de sécurité collective :
Cela va permettre non seulement de dénucléariser toute la péninsule mais également d'établir une paix durable et stable dans le nord-est de l'Asie.
Partisan constant de l'approfondissement du dialogue intercoréen, la Russie, à l'instar de la Chine, entend ainsi jouer tout son rôle dans l'établissement d'un mécanisme de sécurité collective, en tant que potentiel garant d'un accord entre les Etats-Unis et la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) qui devra disposer de garanties de sécurité et de non-agression en contrepartie de sa dénucléarisation.
La tenue du sommet suppose également que les Etats-Unis s'engagent sur une levée des sanctions internationales contre la RPD de Corée sans attendre l'achèvement du processus de dénucléarisation, ainsi que l'a rappelé Sergueï Lavrov à Pyongyang. La Russie aurait d'ailleurs un intérêt direct à la reprise des échanges économiques avec la RPD de Corée, notamment pour concrétiser les projets de liaisons ferroviaires (au point mort depuis 2016) et dans le domaine du transport du gaz.
Malgré des efforts réels de la Russie de jouer un rôle de médiateur lors de l'escalade des tensions en 2017, la sortie de crise n'est pas venue de la mise en oeuvre de la feuille de route russo-chinoise (qui proposait un double moratoire : de ses essais nucléaires et balistiques par la Corée du Nord, de ses manoeuvres militaires par les Etats-Unis) mais du spectaculaire rapprochement intercoréen opéré en début d'année 2018. Alors que le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un a effectué coup sur coup ses premières visites à l'étranger en tant que dirigeant suprême en Chine, la Russie entend bien reprendre toute sa place comme acteur de premier plan dans la péninsule coréenne : vis-à-vis de Pyongyang elle peut s'appuyer sur un rôle moins ambigu que celui de la Chine (Pékin ayant approuvé les volets successifs de sanctions internationales proposés par les Etats-Unis et leurs alliés, ce qui a eu un impact durable sur les relations sino-nord-coréennes) - sans que Moscou ait toutefois été jusqu'à opposer son veto aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies sur la question coréenne.
La RPD de Corée est consciente des propres limites que s'est imposée la Russie comme contrepoids à une politique américaine hostile, mais dans un contexte de recomposition du jeu diplomatique l'appui russe est précieux face à une politique américaine versatile, soumise aux influences négatives d'une fraction belliciste de l'administration Trump, pour faire face à tout durcissement, voire revirement, de Washington. A contrario, en cas de succès du sommet, Moscou pourrait favoriser la poursuite du dialogue, la garantie de mécanismes de sécurité collective et la prise d'engagements fermes des Etats-Unis qui justifieront la poursuite par Pyongyang de sa politique de dénucléarisation. Et au jeu d'échecs le vainqueur est celui qui a toujours un coup d'avance, en envisageant tous les scénarios.
Sources :
Sergueï Lavrov a rencontré Kim Jong-un à Pyongyang
MOSCOU (Reuters) - Le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a rencontré jeudi le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un lors de sa visite à Pyongyang, a déclaré le ministère russe des Affa...
https://www.challenges.fr/monde/serguei-lavrov-a-rencontre-kim-jong-un-a-pyongyang_590854
Corée du Nord: Lavrov rencontre Kim Jong-un à Pyongyang et l'invite en Russie
Le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov, en visite à Pyongyang, a été reçu jeudi 31 mai pour la première fois par Kim Jong-un. Le ministre russe des ...
http://www.rfi.fr/asie-pacifique/20180531-russie-coree-nord-kim-jong-lavrov-rencontre
Le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov invite Kim Jong-un à venir en Russie
En visite à Pyongyang, Sergueï Lavrov a été reçu pour la première fois par le dirigeant nord-coréen. Lors de cette rencontre, il l'a invité à venir en Russie, affichant la volonté d'une c...
https://francais.rt.com/international/51182-chef-diplomatie-russe-lavrov-kim-jong-un-pyongyang
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