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5 août 2018 7 05 /08 /août /2018 13:01

Le secrétaire d'Etat Mike Pompeo a dû le concéder : les négociations avec la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) sont longues et difficiles, les Nord-Coréens ayant le mauvais goût de ne pas renoncer unilatéralement, immédiatement et sans garanties de sécurité à leurs armes nucléaires, qui sont leur assurance-vie face aux menaces d'agression américaines. Dans ce contexte, les autorités américaines brandissent à nouveau la menace des sanctions - un rapport que des "experts" viennent opportunément de remettre Conseil de sécurité des Nations unies déplorant que les Nord-Coréens sont des méchants et des hors-la-loi qui cherchent à contourner des sanctions destinées à les étrangler économiquement et à tuer des populations - hommes, femmes, enfants... - prises dans des enjeux qui leur sont étrangers. Mais qui sont vraiment les criminels : ceux qui refusent de négocier un pistolet sur la tempe, ou ceux qui tiennent le pistolet et prennent des populations entières en otage ?  

Le conseil de sécurité des Nations unies

Le conseil de sécurité des Nations unies

Tout d'abord, examinons les pièces du procès fait à la Corée du Nord :

- des transbordements de produits pétroliers auraient lieu en mer, et auraient porté sur 500 000 barils depuis le début de l'année, c'est-à-dire 6 heures de la consommation nationale de pétrole en France, soit moins de 1/1.400e de la consommation annuelle française, alors que la population nord-coréenne atteint près de la moitié de celle de la France ; oui, vous avez bien lu, l'objectif des sanctions est qu'il n'y ait plus du tout de pétrole en Corée du Nord, ramener le pays et sa population à l'âge de pierre étant sans doute le plus sûr moyen de l'amener à accepter les diktats américains et de leurs alliés ; 
- la vente de petits armements et d'armes légères, pour des montants certainement si dérisoires (en centaines de milliers d'euros, pour des exportations d'armes de la Corée du Nord qui étaient auparavant en dizaines ou en centaines de millions d'euros ?) qu'ils ne sont même pas indiqués ;
- l'existence de plus de 200 "co-entreprises" avec la Corée du Nord, le rapport d'experts omettant naturellement de préciser si les co-entreprises en question ont (encore ?) une activité, si les comptes bancaires associés sont actifs et quel est le volume des transactions financières opérées, seul vrai critère en la matière, tout en pointant opportunément du doigt la Russie, autre pays dans le viseur des sanctions américaines ; 
- des exportations "illégales" de charbon, de fer, d'acier et d'autres marchandises nord-coréennes, notamment à la Chine et à l'Inde, qui auraient rapporté 14 millions de dollars à la Corée du Nord entre octobre 2017 et mars 2018, soit un peu plus de 2 million de dollars par mois... ou moins de 1 % des exportations mensuelles de la Corée du Nord avant l'imposition du plus drastique régime de sanctions jamais mis en place sous l'égide des Nations unies. 

Au regard de ces chiffres, la conclusion s'impose d'elle-même : si les "experts" n'ont rien trouvé, malgré des efforts déployés des mois durant, c'est soit qu'ils sont très mauvais (mais dans ce cas, pourquoi faire autant de bruit pour rien ? ), soit qu'il n'y a rien - ou plutôt quasiment rien - à trouver.

Mais s'est alors que s'est opéré le miracle de cette arme qu'est la propagande : comme disait Goebbels, un mensonge cent fois répété devient une grande vérité. Or, quelle vérité nous assènent nos "experts" des Nations unies ? Que les sanctions imposées l'an dernier seraient "sans effet" ! Les exportations nord-coréennes se sont effondrées, les preuves de contournement de l'embargo sont pratiquement inexistantes... bref les sanctions fonctionnent à plein régime, mais ce n'est pas encore assez. Comme le bourreau qui torture sa victime, tant que celle-ci n'est pas morte, quelques raffinements de cruauté seront les bienvenus pour extorquer les aveux tant attendus (en l'espèce, la dénucléarisation immédiate, unilatérale et sans contreparties tangibles de la Corée du Nord).

Et alors que les sanctions sont devenues pour les Etats-Unis une des alternatives privilégiées à la guerre ouverte (avec l'avantage qu'elles coûtent moins de vies en soldats américains, que les pacifistes n'ont généralement pas conscience de l'effet criminel des sanctions et se mobilisent bien faiblement contre ces guerres qui ne disent pas leur nom, et enfin que les morts - de faim - sont moins visibles que les charniers des champs de bataille et peuvent être mis sur le compte du régime honni avec cet argument imparable "s'ils faisaient ce qu'on leur dit de faire, leurs populations ne mourraient pas"), la presse occidentale entonne le grand air des vilains Nord-Coréens qui violeraient l'ordre juridique international, forcément incontestable, représenté par le Conseil de sécurité des Nations unies - qui, en l'espèce du moins , est pourtant instrumentalisé au profit des intérêts de la superpuissance américaine, en violation flagrante des principes de la charte des Nations unies.

Lisons en effet ce que nous disent quelques médias français.

Pour RFI / Reuters, le coupable, c'est la Corée du Nord, qui "viole" les sanctions et refuse de dénucléariser (deux arguments massue, le premier systématisé et exagéré contre toute évidence et le second largement contestable ; ces arguments sont une reprise en droite lignes des "éléments de langage" - comme l'on dit aujourd'hui pour éviter le mot "propagande", réservée aux régimes ennemis -  de l'administration américaine) : 

(...) la Corée du Nord a dénoncé l'impatience de Washington sauf qu'il n'y a toujours aucun véritable signe de dénucléarisation. Dans un rapport remis à l'ONU hier, plusieurs experts détaillent comment le régime de Kim Jong-un viole les sanctions prises par les Nations-Unies.

RFI

Plus mesuré, Le Monde reprend longuement une dépêche de l'AFP et se contente apparemment de titrer que : 

La Corée du Nord poursuit ses programmes nucléaire et balistique, selon l’ONU

Le Monde

Sauf que le rapport parle du contournement des sanctions, pas de la poursuite des programmes nucléaires et balistiques ! L'idée subliminale est ainsi de faire croire que si ces programmes se poursuivent, c'est parce que les sanctions sont violées. Habile, n'est-ce pas ? Le Pentagone n'aurait pas trouvé mieux. Même si la suite de l'article est plus mesurée et évoque les positions nord-coréennes, tout bon communicant sait que de nombreux articles de journaux ne sont pas lus au-delà de leur titre et (souvent) des premiers paragraphes. Les nuances échappent à 90 % des lecteurs, et c'est à eux que ciblent les opérations de désinformation massive.

Paresse intellectuelle à Libération - même dépêche AFP reprise sans recul ni esprit critique, et même titrage fallacieux qui, cette fois, opère directement le lien entre contournement supposé des sanctions et poursuite des programmes nucléaires et balistiques : 

La Corée du Nord poursuit son programme nucléaire et contourne les sanctions de l’ONU

Libération

Les spin doctors que sont les communicants aux ordres de la Maison Blanche et du Pentagone peuvent être fiers d'eux : la presse occidentale a gobé avec empressement la propagande qui lui a été servie sur un plateau, en en rajoutant dans la surenchère. 

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