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17 mars 2015 2 17 /03 /mars /2015 22:18

Depuis un quart de siècle des auteurs très savants ont prédit la fin imminente de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), suite à la disparition de l'URSS et des démocraties populaires d'Europe de l'Est. Depuis un quart de siècle les faits ont démenti leurs pronostics. Malgré leur persistance dans l'erreur leur influence est grande, puisqu'ils exercent une influence notable dans les politiques occidentales vis-à-vis de la RPD de Corée : la conclusion d'un accord sur le nucléaire nord-coréen après 1994 n'avait-elle pas été motivée, côté américain, par la croyance qu'il ne serait jamais appliqué, la RPD de Corée étant alors vue comme vouée à une mort non moins imminente que certaine ? Alors que le réalisme conduirait à prendre en compte la situation actuelle et les opportunités d'un dialogue avec Pyongyang pour sortir de la crise internationale sur la question coréenne, le renforcement continu des sanctions internationales ne vise-t-elle pas principalement, sinon exclusivement, à créer les conditions d'un effondrement, tant désiré par les partisans du plus vieil embargo au monde - alors même que cette politique n'a pas atteint l'objectif qu'elle prétend poursuivre, à savoir endiguer les progrès des programmes nucléaires et balistiques de la RPD de Corée ? Comme l'a montré Aidan Foster-Carter dans un article publié sur le site 38 North, une interview donnée par le Président Obama pour Youtube a été d'une clarté sans précédent quant à la politique nord-coréenne de l'administration américaine : Barack Obama s'est révélé être un adepte de la théorie de l'effondrement (collapsism) de la Corée du Nord, et il aussi avoué que sa politique de "patience stratégique" visait bien, en réalité, à préparer un changement de régime - par d'autres moyens qu'une intervention militaire. Mais, comme il ne le précise pas, cette dernière option est exclue principalement par les capacités militaires, notamment dans le domaine nucléaire, de la Corée du Nord : si Pyongyang acceptait le désarmement unilatéral que veulent lui imposer les Etats-Unis et leurs alliés, elle n'en serait que plus affaiblie face à l'objectif américain constant de provoquer un changement de régime, suivant la politique suivie en Irak, en Libye ou en Ukraine.

Barack Obama se révèle un adepte de la théorie de l'effondrement de la Corée du Nord

Aidan Foster-Carter cite des extraits très éclairants de l'interview donnée par le Président Obama, qui a toujours accordé une grande importance à Internet comme média et qui, de même, considère que c'est d'Internet - notamment - que viendra le changement de régime à Pyongyang qu'il appelle de ses voeux. Tout d'abord, il définit la République populaire démocratique de Corée comme

"[...] la nation la plus isolée, la plus sanctionnée, la plus coupée du reste du monde… La forme d'autoritarisme qui existe là-bas, vous ne pouvez la reproduire nulle part ailleurs. Elle est brutale et oppressive, et par conséquent le pays ne peut même pas nourrir sa propre population [...] Avec le temps vous verrez un régime comme celui-là s'effondrer."


Peu importe que le lien établi par le Président Obama soit pour le moins douteux entre un régime politique, quel qu'il soit, et la situation alimentaire du pays gouverné - faisant par ailleurs l'objet d'une appréciation erronée, révélant l'ignorance de son auteur, puisque la RPD de Corée a pratiquement retrouvé l'autosuffisance alimentaire en 2014. Peu importe également l'appréciation sur la soi disant exceptionnalité du régime nord-coréen (est-il fondamentalement si différent, dans sa structure, de la Chine de la période Mao Zedong ?). Ce qui compte, c'est l'aveu que la Corée du Nord est le pays le plus sanctionné au monde, car c'est bien tout l'objectif de l'actuelle politique nord-coréenne des Etats-Unis. Avec une idée qui relève de la croyance et explique tout : la Corée du Nord doit s'effondrer, affirme péremptoirement Barack Obama.

Mais continuons d'écouter le chef d'Etat américain :

"Nous continuerons d'augmenter la pression, mais une part de ce qu'il arrive est que [...] Internet, avec le temps, commence à pénétrer le pays [...] Et il est très difficile de maintenir cette forme de régime autoritaire dans le monde moderne. Les informations finissent par filtrer avec le temps et entraîner des changements, et c'est quelque chose que nous cherchons à accélérer de manière constante. "


Les politiques de subversion sont également une des constantes des stratégies américaines de changement de régime. Mais là encore Barack Obama pèche par croyance : d'une part, l'Intranet nord-coréen occupe l'essentiel de la place dévolue à Internet ; d'autre part, les informations extérieures n'ont jamais été aussi nombreuses en RPD de Corée, sans que ce flux de nouvelles n'ait produit les changements désirés par l'administration américaine. C'est aussi dans ce contexte qu'il faut comprendre ce que révèle le film The Interview, qui a été salué par le gouvernement américain - ainsi que l'a révélé le piratage de Sony - comme une superbe entreprise de propagande. Mais ce film, dont le ressort prétendument humoristique est du niveau de la pétomanie et de la blague anale, a davantage suscité une vague de consternation parmi les réfugiés nord-coréens à l'étranger - si bien que sa diffusion par ballon au Nord de la péninsule ne peut qu'entraîner les mêmes réactions de rejet des Nord-Coréens qui le verraient. Mais qu'importe : la bonne conscience américaine et occidentale aura été satisfaite.

En quelques phrases, le Président Barack Obama a multiplié les erreurs diplomatiques : il a reconnu la mauvaise foi des appels au dialogue avec la RPDC lancés par sa propre administration, à commencer par lui-même lorsqu'il feignait d'exhorter la RPDC à changer de cap et à "s'ouvrir" ; il a justifié implicitement les volontés de contrôle du réseau Internet par les autorités nord-coréennes ; enfin, il a placé dans l'embarras ceux qui, dans l'administration sud-coréenne, cherchent encore à empêcher que ne s'envenime une situation dont les Coréens, et pas les Américains, feraient les premiers les frais en cas de conflit.

Naguère, George W. Bush, après avoir classé la Corée du Nord parmi les pays de l'Axe du mal, avait fait machine arrière et renoué avec une politique de dialogue vis-à-vis de la RPDC. C'est une constante des administrations américaines successives de changer de pied à l'égard de la Corée du Nord après avoir établi le constat de l'échec de la seule approche du bâton. Mais concernant l'administration Obama, après six ans d'exercice du pouvoir les croyances sur le dossier nord-coréen apparaissent si profondément ancrées que l'on peut douter qu'une démarche plus rationnelle puisse un jour prévaloir.

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