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12 décembre 2010 7 12 /12 /décembre /2010 20:05

Même auréolé du Prix Nobel de la Paix, Le président américain Barack Obama semble marcher sur les traces de son prédécesseur George W. Bush. Suite aux incidents du 23 novembre sur l'île de Yeonpyeong, et loin de contribuer à mettre fin à un conflit de plus de 60 ans dans la péninsule coréenne, l'administration américaine n'a de cesse de jeter de l'huile sur le feu pour mieux justifier une présence militaire massive dans la zone Asie-Pacifique. Tout démontre que les moyens militaires déployés par les États-Unis en Corée et dans ses environs immédiats sont moins destinés à contrer la prétendue menace de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) qu'à contenir la montée en puissance de la Chine identifiée comme le principal adversaire stratégique des États-Unis depuis le début des années 2000.

Manœuvres à répétition

USS George WashingtonLe 1er décembre 2010, les États-Unis et leur allié sud-coréen ont achevé quatre jours de manœuvres navales en mer Jaune (mer de l'Ouest) où la Chine revendique une zone économique exclusive des 200 miles. Pour cet exercice, les États-Unis ont déployé le super porte-avions à propulsion nucléaire de 97 000 tonnes USS George Washington ainsi que son groupe de combat aéronaval composé d'un croiseur et de trois destroyers lance-missiles. Le déploiement américain consistait en 6 000 marins et 75 avions. La Corée du Sud a, elle, fourni des destroyers, des corvettes, des frégates, des navires de soutien, des avions de lutte anti-sous-marine et un nombre non révélé de soldats.

Cette simulation de guerre, avec exercices de bombardement et de tir à balles réelles, était la dernière en date d'une série de manœuvres entamée en juillet de cette année par les États-Unis dans la péninsule coréenne et sur les mers qui l'entourent.

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Du 25 au 28 juillet, les États-Unis et la Corée du Sud ont effectué l'exercice militaire Invicible Spirit en mer du Japon (mer de l'Est), en y engageant 20 bâtiments de guerre, dont le super porte-avions USS George Washington, 200 avions de combat, y compris des chasseurs furtifs F-22 Raptor, et 8 000 soldats.

En août, les armées américaine et sud-coréenne ont mené en Corée du Sud l'exercice militaire annuel Ulji Freedom Guardian, le plus vaste exercice de simulation de commandement et de contrôle au monde, mobilisant 30 000 soldats américains et 56 000 soldats sud-coréens.

En septembre, Washington et Séoul on effectué un exercice de guerre anti-sous-marine en mer Jaune, auquel participaient deux destroyers lance-missiles américains ainsi qu'un sous-marin d'attaque rapide et deux destroyers sud-coréens.

Seul l'exercice du mois d'août était de routine, dernier de la série de manœuvres Ulji Freedom Guardian qui ont lieu depuis plusieurs décennies.

Le 6 décembre, l'armée sud-coréenne a entamé cinq jours d'exercices de tirs d’artillerie sur 29 sites le long des côtes est, sud et ouest de la péninsule coréenne, « afin d'affirmer ses engagements pour des représailles fermes contre toute provocation future de la Corée du Nord »,  ont déclaré les responsables sud-coréens. L’île de Yeonpyeong, victime du duel d'artillerie du 23 novembre entre la Corée du Sud et la Corée du Nord, a néanmoins été exclue de ces exercices.

L'armée sud-coréenne a prévu d'effectuer de nouveaux exercices de tir à partir du 13 décembre, sur 27 sites. Les îles frontalières de la côte ouest de la péninsule coréenne, et notamment l'île de Yeonpyeong, sont toujours exclues du périmètre de ces exercices.

La RPDC a publié le 5 décembre une déclaration dénonçant ces manœuvres à munitions réelles, en accusant le Sud de «conduire la situation dans la péninsule coréenne à rapidement devenir extrêmement incontrôlable» après que le nouveau ministre de la Défense sud-coréen Kim Kwan-jin, successeur de Kim Tae-young, démissionnaire, eut promis des représailles, déclarant que l'armée sud-coréenne allait «prendre des mesures fortes pour que la Corée du Nord n'ose pas faire de nouvelles provocations».

Le 6 décembre, alors que commençaient les exercices sud-coréens, la secrétaire d'État américaine Hillary Clinton rencontrait à Washington les ministres des Affaires étrangères de la Corée du Sud Kim Sung-hwan et du Japon Seiji Maehara. Tout comme la Russie et la Chine ont été exclues de l'enquête dirigée par les États-Unis sur le naufrage de la corvette sud-coréenne Cheonan, elles n'étaient pas invitées à la réunion de Washington. Pourtant, la Chine et la Russie participent depuis 2003 aux pourparlers à Six – avec les États-Unis, le Japon, la Corée du Sud et la Corée du Nord – sur la dénucléarisation de la péninsule coréenne. Suite aux affrontements inter-coréens du 23 novembre en mer Jaune, la Chine a même appelé à une réunion d'urgence des représentants des six pays parties aux pourparlers, la Corée du Nord étant d'accord pour une reprise des pourparlers à six interrompus depuis 2009. Dès le 2 décembre, la Russie s'est déclarée prête à se joindre à une éventuelle session d'urgence de négociations à six sur la situation dans la péninsule coréenne.

standard_missile_3_.jpgLes demandes de la Chine et de la Russie ont été écartées par les États-Unis et leurs alliés sud-coréens et japonais au profit d'initiatives moins apaisantes. Le 3 décembre, deux jours après la fin des manœuvres navales en mer Jaune dirigées par les États-Unis, ces-derniers ont commencé un exercice d'une semaine avec le Japon à proximité des côtes sud-coréennes. Ces manœuvres Keen Sword 2011 ont mobilisé 60 navires de guerre, 400 avions et 44 000 soldat, ce qui en fait le plus grand exercice militaire conjoint jamais organisé par les États-Unis et le Japon. Au cours de ces manœuvres, ont été utilisés les intercepteurs Standard Missile-3 (SM-3) embarqués à bord des destroyers américains et japonais de classe Aegis déployés en mer du Japon, et les missiles anti-balistiques Patriot Advanced Capability-3 (PAC-3) implantés du nord au sud du Japon, de Hokkaido à Okinawa. L'agence de presse Kyodo News a expliqué que « ces manœuvres constituent un entraînement pour la protection contre les attaques de missiles balistiques et pour la défense des îles japonaises reculées », cette dernière allusion faisant référence à une dispute entre la Chine et le Japon au sujet des îles Senkaku/Diaoyu situées en mer de Chine orientale.

Des militaires sud-coréens ont été invités à observer cet exercice. Avant eux, rapporte l'Australian Associated Press, des officiers australiens, britanniques et français avaient embarqué à bord de l'USS George Washington pour observer les manœuvres organisées du 28 novembre au 1erdécembre en mer Jaune.

Ce n'est pas seulement la menace de représailles conventionnelles qui est agitée devant la Corée du Nord. Le 22 novembre, le ministre sud-coréen de la Défense Kim Tae-young répondait par l'affirmative à un député demandant « si le gouvernement a l'intention d'envisager le redéploiement d'armes nucléaires américaines tactiques en Corée du Sud ».

Résurrection des alliances de la Guerre froide

dod_admiral_mullen_300_01Dec10.jpgLe naufrage de la corvette sud-coréenne Cheonan, le 26 mars 2010, a été avancé pendant plusieurs mois pour expliquer les manœuvres militaires des États-Unis et de leurs alliés au large de l'Asie de l'Est. Mais l'incident du 26 mars peine à justifier les manœuvres navales américano-vietnamiennes organisées en août en mer de Chine méridionale ou les visites effectuées en Australie et dans neuf autres pays de la zone Asie-Pacifique par le Président Barack Obama, le secrétaire à la Défense Robert Gates, la secrétaire d'État Hillary Clinton et le chef d'état-major des armées des États-Unis l'amiral Michael Mullen au cours du mois de novembre.

Trois mois après le naufrage du Cheonan, le Président Obama accusait son homologue chinois, Hu Jintao, d'« aveuglement délibéré » dans les relations avec la Corée du Nord au cours de ce qui fut rapporté comme une conversation « franche » pendant le sommet du G20 de Toronto, le 27 juin.

Depuis le bombardement nord-coréen de l'île sud-coréenne de Yeonpyeong le 23 novembre, les États-Unis ont multiplié les pressions sur la Chine pour que celle-ci fasse pression sur la Corée du Nord. Le chef d'état-major américain Mullen a déclaré le 1er décembre devant un think tank de Washington que « l'appel de Pékin à des consultations ne sera pas un substitut à l'action », et, évoquant le programme de modernisation de l'armée chinoise :« Je suis préoccupé par certains moyens haut de gamme que [les Chinois] sont clairement en train de développer. Je ne les sous-estime pas en termes de capacités. Certaines de ces capacités spécifiques sont clairement concentrées et pointées vers les États-Unis d'Amérique, et il s'agit de capacités anti-accès. » En d'autres termes, les États-Unis reprochent à la Chine de se doter de moyens défensifs face à la présence militaire américaine croissante au large de ses côtes.

Les États-Unis utilisent la Corée du Nord comme un leurre pour viser la Chine et soutiennent le Japon dans ses différends territoriaux avec la Chine et la Russie dans le cadre d'une stratégie plus vaste de renouvellement, d'élargissement et d'intégration des alliances militaires nouées par Washington dans la zone Asie-Pacifique.

Washington reconnaît que les îles Senkaku (ou Diaoyu pour la Chine), administrées par le Japon, sont japonaises, mais considère aussi les îles Kouriles du sud, lesquelles appartiennent depuis 1945 à la Russie (et avant elle à l'Union soviétique), comme territoires japonais.

La visite de Hillary Clinton en Nouvelle-Zélande, en novembre, a abouti à la signature de la Déclaration de Wellington par laquelle les deux pays s'engagent à un nouveau partenariat stratégique, à des consultations militaires annuelles et à une reprise des exercices militaires en commun. Les États-Unis ont ainsi ressuscité le Traité de sécurité conclu par l'Australie, la Nouvelle-Zélande et les États-Unis (ANZUS) pendant la Guerre de Corée et invoqué par la suite pour envoyer des soldats australiens et néo-zélandais se battre aux côtés des Américains pendant la Guerre du Vietnam.

Kevin Rudd, ministre des Affaires étrangères d'Australie, a affirmé le 28 novembre que « l'Australie pourrait être entraînée dans un conflit militaire dans la péninsule coréenne en application de son alliance avec les États-Unis ».

De manière similaire, une note de synthèse préparée pour le ministre de la Défense du Canada Peter MacKay stipulait que « si une guerre éclate dans la péninsule coréenne, le Canada pourrait se trouver impliqué en raison d'une alliance militaire d'un demi-siècle avec les Nations Unies », le Commandement des Nations Unies formé par les États-Unis et leurs alliés de la Guerre de Corée après l'armistice signé en 1953. Toujours selon cette note, il est prévu que le Commandement des forces combinées (CFC) réunissant les États-Unis et la Corée du Sud mène les opérations militaires contre la Corée du Nord, et le CFC « inclut sous son parapluie stratégique organisationnel l'ancien Commandement des Nations Unies ».

Outre le Canada et les États-Unis, le Commandement des Nations Unies réunit des pays membres de l'OTAN - Grande-Bretagne, France, Pays-Bas, Belgique, Grèce, Turquie et Luxembourg -, les pays membres de l'ANZUS - Australie et Nouvelle-Zélande -, et les Philippines et la Thailande, pays avec lesquels les États-Unis ont noué des alliances – avec obligations d'assistance militaire – comparables à celles passées avec l'Australie, la Corée du Sud, le Japon et la Nouvelle-Zélande.

A l'instar du traité ANZUS, l'accord d'assistance militaire mutuelle américano-japonais de 1960 a été réactivé. Le 27 octobre, à Hawaï, la secrétaire d'État américaine et le ministre japonais des Affaires étrangères ont tenu ensemble une conférence de presse au cours de laquelle, interrogée au sujet de l'archipel des Senkaku/Diaoyu revendiqué à fois par Tokyo et par Pékin, Hillary Clinton a répondu : « Les Senkaku entrent dans le champ de l'article 5 du Traité de coopération mutuelle et de sécurité signé en 1960 par les États-Unis et le Japon. Cela concerne de manière plus générale l'engagement des États-Unis pour la sécurité du Japon. Nous considérons l'alliance entre les États-Unis et le Japon comme un des plus importants partenariats que nous ayons dans le monde et nous nous engageons à respecter nos obligations quant à la protection des Japonais. »

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La secrétaire d'État américaine a aussi déclaré que l'alliance entre Washington et Tokyo constitue « la pierre angulaire de l'engagement stratégique américain en Asie-Pacifique. »

Deux semaines plus tard, le Président Obama, en visite au Japon pour le sommet du Forum de coopération économique Asie-Pacifique (APEC), a tenu des propos similaires. Pour Barack Obama, « l'engagement des États-Unis dans la défense du Japon est inébranlable ».

Au mois de novembre 2010, avant les manœuvres militaires américano-japonaises Keen Sword, le lieutenant-général Hawk Carlisle, dirigeant l'exercice du côté américain, a pu déclarer : « En 1960, le Japon et les États-Unis ont signé le Traité de coopération mutuelle et de sécurité. Une participation à Keen Sword améliore encore l'alliance entre le Japon et les États-Unis, laquelle demeure une relation stratégique essentielle dans la région Asie-Pacifique. »

Et le 2 novembre, le porte-parole du département d'État américain Philip Crowley a soutenu les revendications territoriales du Japon sur les île Kouriles du sud appartenant à la Russie, en faisant référence aux « Territoires du nord », soit le terme employé par le gouvernement japonais pour parler de ces îles. Mais Crowley n'est pas allé aussi loin que Hillary Clinton qui, cinq jours auparavant, promettait d'appliquer l'article 5 du Traité américano-japonais de 1960, lequel stipule : « Chaque Partie reconnaît qu'une attaque armée contre l'une ou l'autre Partie dans les territoires administrés par le Japon constituerait un danger pour ses propres intérêts et sécurité et déclare qu'elle agira pour affronter le danger commun. » Il est donc tout à fait imaginable que Washington et Tokyo invoquent le Traité de 1960 contre la Russie.

Des blocs militaires, traités et accords d'assistance mutuelle vieux de plusieurs décennies et apparemment en sommeil sont en train d'être ressuscités et même élargis dans la région Asie-Pacifique. Les alliances militaires calquées sur le modèle de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord dans les années 1950 et leurs descendantes du 21ème siècle sont intégrées au sein d'une version orientale de l'OTAN, qui en est aussi un prolongement par bien des aspects.

 

Au moins huit pays d'Asie et du Pacifique – Australie, Kazakhstan, Malaisie, Mongolie, Nouvelle-Zélande, Singapour, Corée du Sud et Tonga – ont déjà des soldats participant à la Force internationale d'assistance à la sécurité de l'OTAN en Afghanistan. Et, dans le cadre de son effort de guerre en Afghanistan, l'OTAN maintient une présence militaire dans cinq pays frontaliers de la Chine : l'Afghanistan, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Pakistan et le Tadjikistan.

En novembre 2010, le Japon a annoncé le déploiement de troupes « dans son île la plus à l'ouest en réponse aux manœuvres navales chinoises en mer de Chine orientale ». Les cent premiers soldats seront envoyés sur l'île de Yonaguni, la plus au sud des îles Ryukyu/Nansei à moins de 160 kilomètres de l'archipel des Senkaku/Diaoyu. Le ministère japonais de la Défense « envisage aussi d'envoyer des soldats sur les îles de Miyako et d'Ishigaki à l'ouest d'Okinawa pour renforcer la sécurité des frontières », Ishigaki étant aussi située à environ 160 kilomètres des Senkaku/Diaoyu.

Revenant sur le grand nombre de visites effectuées par de hauts responsables diplomatiques et militaires des États-Unis dans la région Asie-Pacifique au cours du mois de novembre 2010, le quotidien indien The Hindu a écrit : « Les visiteurs américains [...]ont déclaré que Washington est résolu à étendre son empreinte en Asie du Sud-Est. Clinton a appelé à renforcer la présence militaire américaine à Singapour, ce qui implique une plus forte emprise sur le détroit stratégique de Malacca, une coopération plus étroite en matière de défense avec la Thailande et les Philippines [...] et une interaction grandissante avec le Vietnam. »

L'élément le plus ambitieux du plan américain de création d'un équivalent asiatique de l'OTAN est le recrutement de l'Inde. Les États-Unis veulent prendre la place de la Russie en tant que principal fournisseur d'armes et allié militaire historique de l'Inde. Les pays de l'Asie du Sud-Est sont ainsi embarqués dans la stratégie américaine visant à empêcher l'émergence de la Chine comme puissance régionale et mondiale.

Washington utilise la crise de la péninsule coréenne pour polariser politiquement et militairement l'Asie de l'Est. Voilà pourquoi les tentatives de la Chine et de la Russie pour désamorcer le conflit coréen, relancer les négociations et aboutir à une solution pacifique sont méprisées par les responsables gouvernementaux et militaires américains.

La cible chinoise désignée par Bush et validée par Obama

Quand on analyse les motivations profondes de la politique américaine en Asie, on ne voit aucune différence entre l'administration Obama et l'administration Bush qui l'a précédée. En janvier 2001, l’administration Bush est entrée en fonction avec un objectif clair : ressusciter la doctrine de domination permanente énoncée dans les Directives pour le plan de défense (Defense Planning Guidance, DPG) pour les années 1994-1999, premier exposé formel des buts stratégiques des États-Unis après la disparition de l’Union soviétique. Selon la première version de ce document, sortie dans la presse au début de 1992, le premier objectif stratégique des États-Unis est d’empêcher l’apparition d’un futur concurrent susceptible de défier la supériorité militaire américaine. « Notre premier objectif est de prévenir la réapparition d’un nouveau rival [...] qui présente une menace de l’ordre de celle présentée autrefois par l’Union soviétique »,est-il écrit dans ce document. En conséquence, « nous devons nous efforcer d’empêcher toute puissance hostile de dominer une région dont les ressources, contrôlées ensemble, suffiraient à donner une puissance mondiale. »

En 1992, la doctrine de domination permanente ne spécifiait pas l’identité des futurs concurrents dont il fallait empêcher l’émergence par une action coercitive. Les stratèges américains s’inquiétaient alors d’un ensemble de rivaux potentiels, parmi lesquels la Russie, l’Allemagne, l’Inde, le Japon et la Chine ; chacun d’entre eux, pensaient-ils, pouvait devenir en quelques décennies une superpuissance, et ils devaient donc tous en être dissuadés. Cependant, quand George W. Bush fut élu président des États-Unis en 2000, le nombre des rivaux potentiels s’était réduit. Aux yeux des stratèges de Washington, seule la République populaire de Chine possédait la capacité économique et militaire de défier les États-Unis et d’aspirer à la superpuissance. Dorénavant, perpétuer la supériorité américaine dans le monde impliquait de contenir la puissance chinoise.

Pendant la campagne présidentielle de 2000, Condoleezza Rice, alors conseillère pour la politique étrangère du candidat républicain George W. Bush, signa dans la revue Foreign Affairs, publiée par le Council on Foreign Relations, influent think tank américain, un article suggérant que la République populaire de Chine défierait inévitablement les intérêts vitaux des États-Unis.

« la Chine n’est pas une puissance du ‘statu quo’, mais une puissance qui aimerait changer en sa propre faveur l’équilibre du pouvoir en Asie. Cela seul suffit à en faire un concurrent stratégique, et non pas ce que l’administration Clinton a qualifié une fois de ‘partenaire stratégique’ », écrivait Condoleezza Rice en 2000. Elle insistait sur l'importance d’adopter une stratégie prévenant l’émergence de la Chine comme puissance régionale. En particulier, écrivait Rice, « les États-Unis doivent approfondir leur coopération avec le Japon et la Corée du Sud et s’engager à maintenir une forte présence militaire dans la région », Washington devant aussi « prêter davantage attention au rôle de l’Inde dans l’équilibre régional », et intégrer ce pays dans un système d’alliance contre la Chine.

En 2006, pendant le second mandat du président Bush, l’Examen quadriennal de la Défense (Quadrennial Defense Review, QDR), réaffirmant le précepte général énoncé dans les DPG de 1992, identifia la Chine comme la superpuissance concurrente la plus probable et la plus dangereuse : « Parmi les puissances émergentes majeures, la Chine a le plus fort potentiel pour rivaliser militairement avec les États-Unis et capter des techniques militaires perturbatrices qui pourraient au bout d’un certain temps contrebalancer les avantages militaires traditionnels des États-Unis. »

Le QDR en appelait donc à un renforcement des moyens de combat dans la zone Asie-Pacifique, insistant particulièrement sur les moyens navals : « La flotte sera davantage présente dans l’océan Pacifique », note le document. Pour y parvenir, « la Marine envisage d’ajuster la position et l’implantation de ses forces pour fournir dans le Pacifique au moins six porte-avions opérationnels et disponibles ainsi que 60% de ses sous-marins à des fins d’engagement, de présence et de dissuasion ».

Chaque porte-avions étant au centre d’un large déploiement de navires de soutien et d’avions de protection, une concentration des forces navales américaines était à prévoir dans l’ouest du Pacifique, nécessitant également une extension substantielle du complexe des bases américaines dans la région. On sait aujourd'hui que,  prenant prétexte du naufrage du Cheonan et de la prétendue implication de la Corée du Nord, l’armée américaine conservera au moins jusqu’en 2015 le contrôle opérationnel de l’armée sud-coréenne en temps de guerre, et non jusqu’en 2012 comme négocié en 2007, ainsi que sa base militaire sur l’île japonaise d’Okinawa, contrairement à ce qu’avait promis l’ancien Premier ministre nippon Yukio Hatoyama; lequel a été poussé à la démission pour ce reniement.

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La Russie et la Chine partagent chacune une frontière avec la Corée du Nord et un conflit dans la péninsule coréenne les affecterait. Les États-Unis sont, eux, loin de la Corée, et exploitent donc l'aggravation des tensions dans la péninsule afin d'accroître leur présence dans la zone Asie-Pacifique, notamment par l'intermédiaire du Japon et de la Corée du Sud. Les États-Unis entendent constituer une alliance militaire triangulaire avec le Japon et la Corée du Sud. Une telle alliance serait conforme aux vœux du président sud-coréen Lee Myung-bak qui a manifesté dès son élection, en décembre 2007, sa volonté de resserrer les liens entre la Corée du Sud et les États-Unis, d'une part, et le Japon, d'autre part. Mais cette alliance serait à bien des égards contre-nature compte tenu de contentieux historiques et territoriaux non résolus entre le Japon et la Corée.

Et la France? Jusqu'à présent, elle se contente de suivre la politique des États-Unis en Corée. Le fait le plus saillant de cette politique suiviste est son refus persistant d'établir des relations diplomatiques complètes avec la République populaire démocratique de Corée, alors qu'elle est le dernier pays de l'Union européenne – avec l'Estonie – à ne pas l'avoir fait. Pendant les manœuvres américano-sud-coréennes du 28 novembre au 1er décembre, des militaires français étaient observateurs. Quelle sera la prochaine étape? En tant que pays membre du Commandement des Nations Unies en Corée, la France pourrait-elle aussi être entraînée dans un conflit majeur dans la péninsule? La France nourrit de grande ambitions pour ses relations avec la Chine comme l'a montré la visite d'État effectuée en France par le président chinois Hu Jintao du 4 au 6 novembre 2010. La Déclaration conjointe des présidents Hu et Sarkozy adoptée lors de cette visite prône une « approche stratégique et de long terme, le respect mutuel et la prise en considération de la souveraineté, de l'intégrité territoriale et des intérêts fondamentaux des deux pays pour faire progresser encore davantage le partenariat global stratégique entre la France et la Chine ». Il n'est pas certain que, en appuyant la stratégie anti-chinoise des États-Unis en Asie, et particulièrement en Corée, la France serve ses propres intérêts.

 

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