Les affrontements entre la Corée du Nord et la Corée du Sud du 23 novembre 2010 étaient malheureusement parfaitement prévisibles, compte tenu de contentieux territoriaux non résolus et d'un état de guerre qui perdure depuis 60 ans dans la péninsule coréenne. En France, les principaux médias n'ont que très rarement rendu compte de la situation exacte qui prévaut en Corée et des moyens de prévenir des crises futures. Car de tels moyens existent. L'Association d'amitié franco-coréenne les aide à y voir plus clair en proposant la traduction française du dossier rédigé à ce sujet par National Campaign to End the Korean War (Campagne nationale pour mettre fin à la Guerre de Corée) qui, aux États-Unis, regroupe des organisations de citoyens d'origine coréenne, de vétérans, de défense des droits de l'homme et toutes les personnes désireuses de promouvoir un traité de paix dans la péninsule coréenne et une nouvelle politique des États-Unis à l'égard de la Corée. Parallèlement, l'Association d'amitié franco-coréenne continue de diffuser une pétition pour un traité de paix en Corée. Les derniers événements démontrent qu'il est plus que jamais nécessaire de signer et de faire signer cette pétition.
Des eaux disputées : contexte d'une crise
Le 23 novembre 2010, les militaires de la République de Corée (RC, Corée du Sud) et des États-Unis effectuaient les exercices de simulation de guerre « Hoguk » [« Défendre le pays »], une mobilisation conjointe massive impliquant 70 000 soldats, 600 chars, 500 avions, 90 hélicoptères, et 50 navires. Il était prévu qu'ils s'étalent sur neuf jours.
La République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) a envoyé plusieurs avertissements à la Corée du Sud, demandant que l'armée sud-coréenne stoppe ses manœuvres militaires et arrête ses tirs d'artillerie dans les eaux territoriales nord-coréennes.
Les unités d'artillerie sud-coréennes positionnées sur les îles en mer de l'Ouest, à seulement 12 kilomètres des côtes nord-coréennes, ont commencé leurs exercices de tir le 23 novembre 2010, lesquels ont duré quatre heures. Selon le ministère sud-coréen de la Défense nationale, les unités basées sur ces îles, dont l'île de Yeonpyeong, ont tiré 3 657 fois, soit 900 obus par heure, dans des eaux disputées revendiquées à la fois par Pyongyang et Séoul près de la ligne de limite nord (NLL). Fixée de manière unilatérale par la Marine américaine en 1953, la NLL n'est pas reconnue au niveau international et n'a jamais été acceptée par la Corée du Nord.
Les unités d'artillerie nord-coréennes ont répliqué en bombardant l'île de Yeonpyeong. L'armée sud-coréenne a répondu en tirant sur les bases nord-coréennes. Sur l'île de Yeonpyeong, où se trouvent des bases militaires sud-coréennes et 1 300 résidents d'une communauté de pêcheurs, l'artillerie nord-coréenne a tué deux marines sud-coréens et deux civils qui étaient des contractuels travaillant à la construction de nouveaux baraquements sur une installation militaire. L'attaque a fait au moins seize autres blessés. Il est rapporté que les tirs sud-coréens ont fait au moins deux victimes en Corée du Nord.
Le Président Obama a envoyé le porte-avions à propulsion nucléaire USS George Washington (emportant 75 avions et un équipage de plus de 6 000 hommes) et d'autres navires de guerre pour effectuer des manœuvres militaires conjointes supplémentaires avec l'armée sud-coréenne à partir du 28 novembre.
Au milieu des récentes hostilités, de modestes gestes d'apaisement ont été faits, bien que compromis par l'ambiance conflictuelle régnant dans la région. La Corée du Nord a publié un communiqué qualifiant de « très regrettables » les décès de civils, mais a aussi critiqué la Corée du Sud pour avoir mis en place ce que le Nord a appelé « un bouclier humain en plaçant des civils autour des positions d'artillerie et à l'intérieur des installations militaires ». Le 29 novembre, la Corée du Sud a annulé une série d'exercices d'artillerie prévus à partir de l'île de Yeonpyeong, sans donner d'explication pour ce changement. Les manœuvres militaires conjointes américano-sud-coréennes ont recommencé en mer Jaune (mer de l'Ouest), mais elles ont eu lieu hors de la zone maritime disputée, à environ 200 kilomètres au sud de la NLL.
Des accrochages navals dans un état de guerre persistant
La Guerre de Corée n'a jamais officiellement pris fin. Un simple armistice provisoire a suspendu les hostilités militaires en 1953, mais les négociations de Genève pour un traité de paix ont échoué en 1954. Des millions de Coréens restent séparés des autres membres de leur famille en raison de la poursuite de l'état de guerre et de la division de la Corée.
En l'absence de traité pour une paix permanente, les deux Corée ne s'accordent pas sur la reconnaissance mutuelle de leurs frontières maritimes, et elles manquent des canaux diplomatiques officiels qui contribueraient à empêcher une escalade des accrochages frontaliers tant sur sur terre que sur mer, particulièrement dans les eaux disputées au large de la côte ouest de la Corée. D'après Leon Sigal, ancien membre du comité éditorial du New York Times, « la situation est tendue depuis... 1953, quand la Marine des États-Unis a imposé unilatéralement une ligne de cessez-le-feu maritime au nord de la ligne de démarcation militaire (MDL) terrestre. La Corée du Nord s'oppose depuis longtemps à cette ligne de limite nord (NLL), laquelle n'est pas reconnue au niveau international. Elle souhaite que la MDL soit prolongée en mer. » (Arms Control Today,novembre 2010)
Les batailles navales se sont intensifiées sur la NLL au cours des dernière années. En juin 1999, un accrochage de ce type a provoqué le naufrage d'un navire de Corée du Nord, tuant « entre 17 et 80 marins nord-coréens ». (Reuters, 26 janvier 2010) En Juin 2002, « un accrochage entre navires du Sud et du Nord en mer Jaune[a coulé] une frégate sud-coréenne et [a tué] six marins sud-coréen ainsi que, estime-t-on, 13 Nord-Coréens ». (Reuters, 26 janvier 2010) En 2009, les deux camps se sont affrontés une troisième fois en mer de l'Ouest.
Les gouvernements sud-coréens précédents avaient progressé sur la voie d'une solution aux revendications mutuelles sur les eaux disputées, mais ces efforts ont été abandonnés par l'actuelle administration Lee Myung-bak, laquelle a adopté une attitude hostile à l'égard de la Corée du Nord.
En octobre 2007, un sommet inter-coréen entre Roh Moo-hyun, le précédent président de Corée du Sud (2003-2008), et Kim Jong-il, dirigeant de la RPDC, avait abouti à une déclaration par laquelle ils s'engageaient à prendre des mesures concrètes pour améliorer les relations entre les deux Corée. Les deux parties promettaient de discuter d'une zone de pêche commune et s'accordaient sur un projet de création d'une « zone de paix et de coopération » en mer de l'Ouest. De manière significative, la Corée du Nord acceptait par cette déclaration de ne pas toucher à la NLL.
Pourtant, en quelques mois, le président Lee Myung-bak nouvellement élu a cassé la Déclaration du 4 Octobre avant d'abroger tous les accords inter-coréens conclus depuis l'historique sommet de 2000 qui avait permis à la Corée du Nord et à la Corée du Sud de travailler selon une approche commune à leur réconciliation jusqu'à la réunification finale.
Les relations se sont encore détériorées en 2009 lorsque la Corée du Nord a protesté contre la décision de la Corée du Sud de participer totalement à une initiative d'interdiction navale lancée par les États-Unis et considérée par la Corée du Nord comme une violation de sa souveraineté. En réponse, la Corée du Nord a dénoncé tous les accords diplomatiques et militaires signés avec la Corée du Sud.
En novembre 2009, « un patrouilleur nord-coréen a franchi la NLL dans les eaux disputées – précisément ce que le sommet de 2007 avait cherché à prévenir – et un navire sud-coréen a effectué des tirs de semonce. Le Nord a répliqué et le Sud a tiré, endommageant gravement le navire nord-coréen et causant un nombre indéterminé de victimes. » (Leon Sigal, Arms Control Today,novembre 2010)
En mars 2010, le Cheonan, corvette de 1 200 tonnes de la Marine sud-coréenne, a été brisé en deux et a coulé au large de l'île de Baengnyeong, l'île située la plus au nord en mer de l'Ouest dans les eaux disputées proches de la NLL. Quarante-six marins sud-coréens ont péri dans ce naufrage.
Le groupe d'enquête mixte (JIG) civil et militaire, une commission multinationale conduite par la Corée du Sud, a conclu au bout de presque deux mois de travail qu'une torpille nord-coréenne a coulé le Cheonan. Cette explication a été acceptée, à peu d'exceptions près, comme un fait irréfutable par la plupart des principaux médias.
Cependant, la plausibilité des conclusions du JIG a été remise en question par les analyses empiriques et scientifiques rigoureuses de spécialistes tels que le physicien Seunghun Lee (Université de Virginie) et le politologue Jae-Jung Suh (Université Johns Hopkins) ainsi que par les enquêtes indépendantes menées par le groupe de presse sud-coréen Hankyoreh et par des organisations civiques comme People's Solidarity for Participatory Democracy. Ils ont découvert des preuves de falsifications et une longue liste d'incohérences factuelles.
Pour une synthèse détaillée des nombreuses enquêtes indépendantes sur le naufrage du Cheonan, on peut se référer au documentaire de HaniTV, Beneath the Surface (http://bit.ly/cheonan).
La preuve la plus incontestable jetant un doute sur les résultats du JIG réside peut-être dans le fait que, malgré la perte tragique de 46 vies, presque tous les 58 membres survivants de l'équipage n'ont pas de blessures graves et le matériel embarqué à bord du navire est demeuré intact. En revanche, les modélisations scientifiques ont montré que l'explosion d'une torpille aurait dû « faire voler comme des balles » les membres de l'équipage contre le matériel environnant, en fracturant leurs os, et que la force de l'explosion aurait probablement dû entraîner des décès par commotion. Pourtant, les autopsies ont révélé que toutes les victimes du Cheonan étaient mortes par noyade, et non à cause des blessures subies. Comme l'ont expliqué Lee et Suh, « ni l'état du navire ni celui de l'équipage ne correspondent aux dommages attendus d'une explosion extérieure » provoquée par une torpille, laquelle aurait généré une énorme onde de choc. (Asia-Pacific Journal, 12 juillet 2010)
Dans un article paru en juillet et évaluant les preuves concernant le naufrage du Cheonan, l'historien Mark E. Caprio (Université Rikkyo, Tokyo) a écrit : « Les conditions d'un conflit sont réunies dans la péninsule coréenne depuis sa division à la fin de la Deuxième Guerre mondiale en 1945. La posture extraordinairement agressive adoptée par le régime sud-coréen actuel accroît la probabilité d'autres incidents tragiques – planifiés ou accidentels – entre les deux Corée, lesquels pourraient aussi entraîner les alliés des deux camps. Les États-Unis et la République de Corée, en refusant de participer à des négociations jusqu'à ce que Pyongyang s'excuse pour un incident qu'il nie avec insistance avoir commis, et en décidant de faire pression sur la RPDC en organisant de nouveaux et massifs exercices militaires conjoints et en lui infligeant davantage de sanctions économiques, font preuve de virilité mais augmentent aussi considérablement la possibilité que surviennent d'autres incidents de type Cheonan et, dans le pire des scénarios, une seconde Guerre de Corée. » (Asia-Pacific Journal,26 juillet 2010)
Une nouvelle Guerre froide ?
Certains analystes croient en l'émergence d'une « nouvelle Guerre froide » en Asie du Nord-Est. Le Président Obama a identifié la Corée du Sud comme étant « une pierre angulaire de la sécurité des États-Unis dans la région du Pacifique », une expression qu'il a déjà employée pour décrire le Japon. En même temps, la Corée du Sud, le Japon et les États-Unis ont refusé d'entamer de nouvelles négociations avec la Corée du Nord, tandis que les dirigeants nord-coréens ont resserré les liens avec leur homologues chinois.
Depuis 1945, les États-Unis maintiennent une présence militaire en Corée du Sud, avec aujourd'hui 28 500 soldats américains stationnés dans ce pays. Soixante-cinq ans après, les États-Unis gardent toujours le contrôle opérationnel des forces sud-coréennes en temps de guerre, et les armées américaine et sud-coréenne conduisent régulièrement des exercices de simulation de guerre en commun près de la zone démilitarisée (DMZ) et dans les eaux disputées au large de la péninsule coréenne. Ces manœuvres combinées constituent une évidente démonstration de force, étalant la sophistication de la technologie militaire américaine et sud-coréenne. La Corée du Nord condamne ces exercices militaires comme étant des provocations et voit ces manœuvres comme une possible couverture pour une attaque réelle.
La voie à suivre
Ces incidents tragiques récurrents au large de la côte occidentale de la Corée sont le résultat d'un état de guerre qui n'a jamais pris fin et d'une division de la péninsule coréenne qui continue.
Ils mettent en évidence la fragilité de l'Accord d'armistice de 1953 et confirment le besoin urgent de remplacer une trêve provisoire par un traité pour une paix permanente.
Alors que les tensions continuent de croître, il est essentiel de presser le Président Barack Obama, lauréat du Prix Nobel de la Paix en 2009, de mettre fin aux exercices militaires conjoints américano-sud-coréens et d'admettre que de telles manœuvres simulant une guerre augmentent inévitablement le risque d'une escalade inacceptable et incontrôlable menaçant des millions de vies.
Les États-Unis doivent ouvrir de nouvelles négociations pour aboutir à un accord de paix qui mettrait un terme à la Guerre de Corée.
La Corée du Sud doit relancer le processus de paix avec la Corée du Nord afin de réduire la très grande instabilité de la péninsule coréenne qui met en danger toute la région.
Des négociations directes, en tant que premier pas vers un traité de paix ou un accord, sont la seule option viable dans une région lourdement militarisée qui voit des affrontements navals récurrents, des frontières contestées et des contentieux non résolus.
Les enjeux de la paix en Corée sont immenses, et le moment du processus pour une paix véritable est arrivé.
Les voix de la raison
« Nous faisons [de Kim Jong-il] un démon en le considérant comme 'fou', mais j'ai parlé à des Russes, à des Chinois, à des Sud-Coréens et à des Américains qui l'ont rencontré longuement, et tous disent qu'il est extrêmement intelligent. Ce que veut Kim, ce sont des discussions sérieuses et suivies avec les États-Unis, menant à un traité de paix exhaustif. […] Notre problème est que, à chaque fois que nous élisons un nouveau président, nous paraissons éprouver le besoin de repartir de zéro avec la Corée du Nord. »
Donald P. Gregg
Ambassadeur des États-Unis en Corée du Sud (1989-1993)
Conseiller pour la sécurité nationale du Vice-président George H. W. Bush
« […] Un point devrait figurer en haut de l'ordre du jour, cependant, afin de lever tous les obstacles inutiles empêchant d'avancer, c'est l'instauration d'un traité de paix pour remplacer la trêve en vigueur depuis 1953. Un des éléments ayant contrarié toutes les négociations jusqu'à maintenant est le statut non résolu de la Guerre de Corée. Un traité de paix fournirait une base de référence pour nos relations, éliminant la question de la légitimité de l'autre et de son droit à exister. »
James Laney
Ambassadeur des États-Unis en Corée du Sud (1993-1997)
Président émérite de l'Université Emory
« Pyongyang envoie un message constant selon lequel, en cas de négociations directes avec les États-Unis, il est prêt à conclure un accord pour mettre fin à ses programmes nucléaires, à tous les soumettre aux inspections de l'AIEA et à signer un traité pour une paix permanente afin de remplacer le cessez-le-feu 'provisoire' de 1953. »
Jimmy Carter
39ème Président des États-Unis
Source : National Campaign to End the Korean War (photos et liens ajoutés par l'AAFC)
commenter cet article …