Suite à la grave confrontation qui s'est produite entre les deux Corée en mer de l'Ouest le mardi 23 novembre 2010, et dont le lourd bilan s'élève désormais à 4 morts (2 militaires et 2 civils) et 18 blessés Sud-Coréens, Kim Tae-young, ministre sud-coréen de la Défense, a présenté sa démission le jeudi 25 novembre, en butte aux critiques de l'ensemble de la classe politique. Alors que de nouveaux exercices militaires conjoints américano - sud-coréens, à partir de ce dimanche, font courir de lourds risques d'escalade, Kim Tae-young apparaît aussi jouer un rôle de "fusible" pour protéger le président sud-coréen Lee Myung-bak. Enfin, les échanges intercoréens sont encore une fois sacrifiés : une réunion entre les Croix Rouge des deux Corée sur les réunions de familles séparées a été ajournée après les affrontements de mardi, et les livraisons du Sud vers le Nord, destinées à venir en aide aux victimes des inondations de cet été, ont été annulées.
A l'occasion d'une conférence de presse qui s'est tenue le jeudi 25 novembre, Yim Tae-hee, secrétaire général du cabinet du président sud-coréen, a annoncé que "le président Lee Myung-bak a décidé d’accepter la démission du ministre de la Défense, Kim Tae-young". Yim Tae-hee a ajouté que Kim tae-young avait déjà offert sa démission le 1er mai 2010, après le naufrage de la corvette sud-coréenne Cheonan. Une enquête civile internationale, composée notamment d'experts américains et sud-coréens, a incriminé la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) dans ce drame ayant causé 46 morts. Pyongyang a nié toute implication, et les lacunes de l'enquête officielle américano - sud-coréenne tendent en effet à privilégier l'hypothèse de l'accident comme la seule plausible.
Kim Tae-young est un ancien commandant de l'armée sud-coréenne, qui s'est illustré pour ses positions conservatrices hostiles à la République populaire démocratique de Corée, dans un pays longtemps gouverné par des généraux anticommunistes. L'armée sud-coréenne est restée un acteur puissant, et des militaires ou d'anciens militaires continuent toujours d'occuper le poste de ministre de la Défense.
Outre Kim Tae-young, les affrontements du 23 novembre ont fait une deuxième victime politique : le conseiller à la défense du président sud-coréen Lee Myung-bak.
Mais quels ordres a effectivement donnés Lee Myung-bak lors des affrontements du 23 novembre sur l'île de Yeonpyeong ? La présidence de la République a apporté des versions contradictoires des ordres qui auraient été donnés après les premiers tirs nord-coréens, intervenus dans un contexte d'exercices militaires sud-coréens préalables. Lors de la communication à la presse le jour même, à 15h50, il aurait été donné la consigne de "gérer la situation pour éviter une escalade", puis à 16h l'ordre aurait été de "faire tous les efforts pour que la situation ne dégénère pas" ; enfin, à 16h30, il aurait été ordonné de "répondre fermement, mais de faire tous les efforts pour que la situation ne dégénère pas". Puis, dans la communication faite officielle par Hong Sang-pyo de la présidence sud-coréenne, à 18h05, l'ensemble des remarques précédentes n'auraient jamais été formulées et le président aurait "souligné de manière constante qu'il fallait répondre fermement conformément aux règles de l'engagement".
Le hic est que Kim Tae-young, alors ministre de la Défense, a déclaré à la commission de la défense nationale que "Le premier ordre que j'ai reçu du Président Lee était d'être 'ferme mais de s'assurer qu'il n'y ait pas d'escalade' ". Ces propos ont été désavoués par Hong Sang-pyo, et lors d'une audition parlementaire Kim Tae-young a dû ensuite déclarer que l'ordre d'éviter une escalade n'était "pas quelque chose qu'il avait entendu du Président". Prenant ainsi sur lui les critiques tant de la majorité que du Parti démocrate (opposition, centriste) pour une gestion jugée trop faible de la crise (le Sud a visiblement procédé à moins de tirs d'artillerie que le Nord, en l'absence de communication des deux côtés sur d'éventuels sommages nord-coréens), Kim Tae-young a dû démissionner, protégeant ainsi le président Lee Myung-bak.
Ce n'est pas la première fois que des têtes tombent dans l'armée sud-coréenne après une crise politique et militaire. Déjà, lors du drame du Cheonan, des responsables militaires avaient fait les frais des incohérences de la communication officielle, tant en ce qui concerne l'heure du naufrage que le rôle présumé du Nord - infirmé par une enquête de la Marine russe, non rendue publique à ce jour. Le ministre de la défense Kim Tae-young s'était déjà illustré dans ses déclarations successives contradictoires.
Exposé aux critiques de l'armée, mais aussi de son extrême-droite prompte à le taxer de faiblesse dans sa réaction le 23 novembre, le président sud-coréen saura-t-il néanmoins faire preuve de la retenue nécessaire pour éviter que la situation ne dégénère ? C'est le voeu que formule l'Association d'amitié franco-coréenne : face aux risques d'un conflit dévastateur, l'intérêt supérieur de tous les Coréens et de tous les partisans de la paix est de ne négliger aucune moyen pour éviter que cette partie du monde ne s'embrase à nouveau. La prudence n'impose-t-elle pas de renoncer à conduire de nouveaux exercices militaires conjoints américano - sud-coréens dans les zones maritimes contestées entre les deux Corée ? Seul un traité de paix dans la péninsule coréenne, en lieu et place de l'armistice de juillet 1953, apportera une vraie solution, négociée, aux litiges territoriaux à l'origine de trop de morts coréens de part et d'autre.
Sources :
- AAFC ;
- Hankyoreh, "Lee's position shifts cause stirs", 25 novembre 2010 ;
- Ria Novosti, "Corée du Sud : la démission du ministre de la Défense", 25 novembre 2010 (dont photo) ;
- Yonhap, "Le président Lee a accepté la démission du ministre de la Défense", 25 novembre 2010.
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