Il y a deux ans, le 26 mars 2010, le naufrage de la corvette sud-coréenne Cheonan causait 46 morts. Une enquête internationale, composée principalement d'experts américains et sud-coréens, avait imputé ce drame à la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), qui avait vigoureusement démenti toute implication. Alors que l'enquête officielle a suscité de nombreuses interrogations, notamment d'un ancien membre de l'équipe d'enquête choisi par l'opposition sud-coréenne et de membres de la Marine russe, un spécialiste français de la péninsule coréenne, Claude Helper - qui a accompli de nombreuses missions tant au Nord qu'au Sud de la Corée au début des années 1990 - a démonté les arguments officiels américano - sud-coréens pour conclure à l'évidence : "Le naufrage du Cheonan n'a pas été provoqué par une torpille nord-coréenne (...) ce naufrage a très probablement été provoqué par une mine" (Corée du Nord : dénucléarisation et succession de Kim Jong-il, L'Harmattan, 2010, p. 248). L'AAFC reprend les différents points développés par Claude Helper dans l'ouvrage (pp. 236-248), à partir notamment de sources que nous avions eu l'occasion de citer dans les mois ayant suivi le naufrage.
L'inscription en coréen sur la torpille
Brandie comme la pièce à conviction de l'implication de la RPD de Corée dans le naufrage du Cheonan, l'hélice rouillée d'une torpille nord-coréenne (photo ci-dessus) exhibée par les experts américains et sud-coréens, et portant des caractères qui seraient seulement utilisés au Nord de la péninsule, a finalement apporté la preuve la plus concluante de la mise en scène opérée par Washington et Séoul. Dans un article publié par le Asia-Pacific Journal le 12 juillet 2010 (et dont l'AAFC a publié une traduction en français), le professeur Lee Seung-hun (de l'Université de Virginie), assisté du professeur Jae-jung Suh (de l'Université Johns Hopkins), indique notamment qu'à la température de l'explosion (autour de 1 000 °C) les inscriptions auraient dû disparaître, comme la peinture recouvrant ces pièces et qui a, elle, bien disparu. Mieux encore, la peinture des inscriptions aurait dû se consumer à une température moins élevée (150 °C) que la peinture des pièces (350 °C) qui a seule brûlé... La conclusion d'évidence, rappelée par Claude Helper, est que les signes en coréen (du Nord) ont "été gravés ou peints par dessus la rouille" (ibid., p. 237).
Claude Helper rappelle également les conclusions d'une équipe d'experts de la Marine russe, à l'origine pourtant sollicités par Séoul pour faire taire les critiques persistantes d'une grande partie de l'opinion publique sud-coréenne. La publication du rapport des experts russes, sans cesse reportée, ne paraîtra finalement jamais officiellement... avant qu'un journal d'opposition, le Hankyoreh, n'y ait accès, et livre les conclusions de la Marine russe : le naufrage a été causé par une mine, et non par une torpille ; le navire sud-coréen, lors d'une manoeuvre à l'endroit peu profond où il devait couler, aurait agrippé un filet de pêche et dragué accidentellement une mine, ainsi à l'origine de l'explosion.
Précisons que la plupart des mines dans cette région ont été disposées par le gouvernement sud-coréen depuis l'armistice de 1953, pour empêcher une intrusion nord-coréenne dans une zone qui, au moment des faits, était le théâtre de manoeuvres militaires à grande échelle.
Outre ce rappel des faits, Claude Helper a eu le mérite de mettre en perspective les raisons pour lesquelles les gouvernements américain et sud-coréen s'en sont tenus à une version officielle aussi peu convaincante. En effet, les experts russes n'en seraient pas restés à leurs premières conclusions publiées par le Hankyoreh. Après le fiasco causé par cet article, le gouvernement sud-coréen leur a fourni de plus amples informations... qui eurent, une fois encore, l'effet inverse. Une preuve en a été apportée par un témoin digne de foi, peu suspect de sympathie pro-Corée du Nord, Donald P. Gregg, ancien conseiller pour la sécurité nationale de George H. Bush de 1982 à 1988, puis ancien ambassadeur américain à Séoul, aujourd'hui président d'honneur de la Korean Society. Selon un article du International Herald Tribune, publié en septembre 2010 et cité par Claude Helper, Donald P. Gregg aurait obtenu la réponse suivante d'un contact russe, au fait du dossier, sur les raisons du silence prolongé des experts de la Marine russe : "Because it would do much political damage to President Lee Myung-bak and would embarrass President Obama" (car "cela ferait beaucoup de tort politique au Président Lee Myung-bak et embarrasserait le Président Obama").
De fait, ce sont des experts américains qui ont dû être dépêchés en catastrophe sur place, alors que le gouvernement Lee Myung-bak était très vite dépassé par les événements - et en particulier par la colère des familles des marins d'abord portés disparus avant de mourir, un deuxième scandale étouffé ayant été l'incapacité à les sauver, alors qu'ils étaient encore enfermés dans l'épave. Associés aux experts d'autres pays tous alliés (ainsi que d'experts suédois, mais dont le silence n'a été que plus assourdissant), les analystes américains ont pu mettre en place les éléments justificatifs de la thèse officielle. Pour leur part, les médias sud-coréens acquis au gouvernement de droite, soit parce qu'ils sont à capitaux publics (comme KBS ou Yonhap), soit parce qu'ils sont d'orientation conservatrice, ont fait leur une pendant des semaines sur un "11 septembre" coréen, avant de marteler la thèse officielle de la torpille nord-coréenne - tandis que la répression faisait taire les voix dissidentes.
Claude Helper a, pour sa part, mis sur l'accent sur les bénéfices retirés de la présentation de la thèse officielle par le gouvernement sud-coréen, au niveau international : resserrement de l'alliance avec les Etats-Unis ; intensification des exercices de guerre menés conjointement avec Washington, à un rythme et en engageant un niveau de forces sans précédent ; raidissement de la Corée du Nord justifiant l'abandon de la politique d'ouverture au Nord des anciens présidents démocrates, en exigeant préalablement des "excuses" de Pyongyang.
Quant à elle, l'AAFC dénonce vigoureusement la politique de confrontation avec le Nord menée de manière constante par le gouvernement Lee Myung-bak. Pour que cessent les atteintes à la démocratie perpétrées par les conservateurs au pouvoir à Séoul, sur la vérité concernant le naufrage du Cheonan comme plus largement pour l'expression de la liberté d'opinion, elle forme le voeu que les élections législatives du 11 avril en Corée du Sud sanctionnent les dirigeants sud-coréens qui ont non seulement menti à leur peuple sur le naufrage du Cheonan, mais aussi cherché à manipuler l'opinion internationale.
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