Depuis le retour des conservateurs au pouvoir à Séoul fin 2007, la loi de sécurité nationale a été utilisée de manière extensive pour réprimer la liberté d'expression. Elle a aussi brisé les vies de centaines de Sud-Coréens innocents : dans un article intitulé "Séoul intensifie les pressions sur les militants de gauche. Le gouvernement s'appuie sur une loi de 1948, utilisée par les dictatures militaires", le journaliste du Monde Philippe Pons a livré le récit de Kim Myung-soo, un universitaire sud-coréen jeté de l'université et privé d'accès à l'emploi, pour le seul crime d'avoir proposé à la vente sur Internet des ouvrages jugés subversifs. Plus que jamais, l'Association d'amitié franco-coréenne appelle à l'abrogation de la loi de sécurité nationale, une loi antidémocratique de plus en plus utilisée par un gouvernement aux abois pour se maintenir au pouvoir - à l'approche d'échéances électorales majeures en 2012, les élections législatives du 11 avril et l'élection présidentielle du 19 décembre.
Instituée en 1948 par le régime autoritaire de Syngman Rhee officiellement pour lutter contre les idées communistes, en réalité pour réprimer toute opinion contestataire, la loi de sécurité nationale (LSN) sud-coréenne a retrouvé une nouvelle vigueur dès 2007, sous l'impulsion des services de sécurité rendus plus audacieux par la perspective du retour au pouvoir des conservateurs - dont le principal candidat, Lee Myung-bak, a effectivement été élu à la magistrature suprême en décembre 2007. Comme l'a déclaré une victime de la LSN, Kim Myung-soo, (photo à gauche, source Los Angeles Times) : "jusque-là, la loi sur la sécurité nationale était peu appliquée. Mais sentant le retour probable des conservateurs, les services de sécurité avaient repris du poil de la bête".
Selon un décompte établi par la politologue américaine Christine Ahn, du Korea Policy Institute, reprenant des statistiques gouvernementales, le nombre de cas de personnes enfreignant la loi de sécurité nationale n'a cessé d'augmenter, de 39 en 2007 à 151 en 2010 et 114 pour les neuf premiers mois de l'année 2011. Cinq personnes furent poursuivies en justice pour activités « pro-Nord » en 2008, et 82 en 2010. Enfin, en 2011, le gouvernement sud-coréen a effacé 67 300 messages considérés comme pro-Nord postés sur Internet. Dans leur traque frénétique de toute activité jugée subversive, les services de sécurité sud-coréens n'ont reculé devant aucun excès - pour preuve, l'interdiction en Corée du Sud, en 2011, du site Internet de l'agence de voyages britannique basée à Pékin Koryo Tours, spécialisée dans les voyages en République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), et dont le crime était d'avoir reproduit des documents nord-coréens. Si Koryo Tours a finalement pu négocier son retour sur les écrans Internet sud-coréens, le message était clair : pour les conservateurs au pouvoir à Séoul, parler de la Corée du Nord en reproduisant des documents du Nord est un crime en Corée du Sud. La seule expression autorisée sur la Corée du Nord tend ainsi à devenir celle, filtrée et triée, de médias acquis à plus de 80 % aux conservateurs, dans la plus pure tradition autoritaire des généraux qui ont tenu le haut du pavé à Séoul jusqu'en 1993.
Ayant protesté depuis plus de 60 ans contre la loi de sécurité nationale, Amnesty International a dénoncé une loi "moins utilisée pour contrer des menaces pesant sur la sécurité nationale que pour intimider les gens et limiter la liberté d'expression".
La LSN sert ainsi toujours à briser les vies de centaines de Sud-Coréens. Le cas de Kim Myung-soo est exemplaire : en mai 2007, cet éditeur a été inculpé pendant trois semaines pour avoir proposé à la vente, sur Internet, des ouvrages jugés subversifs : Etoile rouge sur la Chine, d'Edgar Snow, des histoires des révolutions française de 1789 et russe de 1917, ou encore une biographie de Karl Marx.
Le but des services de sécurité sud-coréens n'était pas d'interdire la lecture de ces ouvrages, disponibles dans les grandes librairies et les principales bibliothèques de Séoul selon Kim Myung-soo, mais bien de faire taire une voix dérangeante. Depuis cinq ans, ce dernier a dû interrompre son doctorat en littérature consacré à un poète contestataire célèbre au lendemain de la Libération en 1945, et comme tout opposant marqué au fer rouge de la LSN il est exclu du marché du travail : un "rouge" ne peut pas devenir fonctionnaire, et est également considéré comme un indésirable dans les entreprises. La seule possibilité est de devenir travailleur indépendant, d'enchaîner les emplois précaires... ou de devenir permanent d'un parti, d'un syndicat ou de toute autre organisation sociale et politique de gauche.
Dans ce contexte, peu importe que les accusations tombent, ou non, les unes après les autres : relâché sous caution, Kim Myung-soo a été jugé non coupable en première instance en 2011, avant le jugement en appel prévu en ce début d'année. En effet, l'objectif est d'entretenir une culture de l'arbitraire vis-à-vis des sympathisants de gauche, en leur faisant subir les conséquences d'une mise au ban de la société par l'infâmie qu'emporte le principe même de poursuites judiciaires, dans une société de culture confucéenne où la victime n'est jamais totalement innocente des malheurs qui l'accablent.
L'arbitraire de la LSN est ainsi utilisé avec opportunisme par les gouvernements conservateurs sud-coréens. Comme l'observe Lee Kwang-cheol, avocat d'une autre victime de la LSN, le photographe Park Jong-geun, "son application dépend de la couleur politique du gouvernement (...). Aujourd'hui, nous sommes dans une phase d'extension de son application : la police a des tonnes de dossiers sur des dizaines de milliers de sympathisants de gauche et lorsqu'elle en a besoin, elle les sort pour les inculper".
La victoire des démocrates - qui n'auront jamais si bien mérité leur nom - aux élections législatives du 11 avril 2012 apparaît ainsi comme la meilleure garantie pour que cesse l'arbitraire de la LSN en Corée du Sud.
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