La nouvelle ne figurait pas dans le communiqué conjoint américano - nord-coréen du 12 juin 2018 : elle n'avait été annoncée par le président américain Donald Trump qu'à l'issue de son sommet avec le président nord-coréen Kim Jong-un, et avait d'ailleurs surpris tant les dirigeants de la République de Corée (Corée du Sud) que le haut commandement militaire américain, faute manifestement de concertation en amont. Le commandant suprême des Etats-Unis avait fait savoir qu'il entendait arrêter les manoeuvres militaires conjointes avec la Corée du Sud - les plus grandes au monde en temps de paix - pendant les négociations avec la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) sur sa dénucléarisation. Il s'agit d'une mesure destinée à construire la confiance avec les Nord-Coréens, et qui apparaît comme le pendant à la suspension par ces derniers de leurs essais nucléaires et balistiques. L'annonce officielle conjointe par Séoul et Washington de l'arrêt des manoeuvres militaires est désormais attendue cette semaine selon l'agence sud-coréenne Yonhap, suivant des modalités à déterminer (prise d'effet immédiate ou différée ? champ de la mesure quant aux manoeuvres militaires concernées ? inclusion, implicite ou explicite, d'une clause de reprise des manoeuvres en cas d'initiative nord-coréenne considérée comme ne favorisant pas la poursuite du processus de dénucléarisation par Pyongyang ?).
Les termes dans lesquels le président américain avait dénoncé, le 12 juin 2018, les manoeuvres militaires conjointes avec la Corée du Sud - qui n'ont cessé de gagner en ampleur et en intensité depuis leur lancement il y a plus de 40 ans - avaient décontenancé tous les partisans de la pression "maximale" sur la Corée du Nord : en parlant d' "exercices de guerre" "provocateurs", Donald Trump reprenait des termes également utilisés par les Nord-Coréens, et non les éléments de langage traditionnels de l'administration américaine qui s'était évertuée, année par année, de présenter ces exercices comme soi-disant "défensifs" par nature, et qui auraient légitimement répondu aux "provocations" nord-coréennes. Mais l'argument devenait de plus en plus difficilement recevable au regard des décisions prises par Pyongyang de suspendre ses essais nucléaires et ses tirs balistiques intercontinentaux, et enfin de détruire le site d'essais nucléaires de Punggye-ri.
Désirant sincèrement le dialogue, ayant publiquement fait savoir, à la veille du sommet avec le Président Kim Jong-un qu'il n'était pas favorable à la politique de la pression maximale, le Président Donald Trump a donc mis en concordance ses paroles et ses actes et annoncé la suspension de ces exercices de guerre le temps des discussions - se réservant bien sûr la possibilité de les reprendre en cas d'accrocs (et il y en aura) dans les discussions avec Pyongyang sur le processus de dénucléarisation. Au demeurant, fidèle en cela à une tradition isolationniste d'une partie de la classe politique américaine, il a ajouté que ces manoeuvres militaires étaient "coûteuses" - là encore, l'argument n'est pas nouveau, puisque Donald Trump avait fait savoir, dès sa campagne présidentielle, qu'il entendait revoir les aspects financiers de l'alliance militaire avec la Corée du Sud, notamment le stationnement au sud de la péninsule de plus de 28 000 GIs américains (il est d'ailleurs à noter que la remise en cause de cette présence, du moins à court et à moyen termes, n'a été ni évoquée par le président américain, ni demandée par les Nord-Coréens, contrairement à un certain discours médiatique qui veut présenter le Président Trump comme le liquidateur de l'alliance entre Washington et Séoul).
Si l'on considère la nature même des exercices militaires Key Resolve et Foal Eagle, il n'y a guère de doutes sur leur nature offensive, l'AAFC ayant souligné à plusieurs reprises qu'ils s'inscrivent dans la mise en oeuvre de plans opérationnels régulièrement mis à jour et visant ouvertement à "l'élimination du régime nord-coréen" :
Même présentés comme « routiniers » et « défensifs », les exercices Key Resolve et Foal Eagle préparent l'application du plan opérationnel 5027 (OPLAN 5027), soit une offensive tous azimuts dont les buts revendiqués sont « l'élimination du régime nord-coréen » et l'anéantissement de l'armée nord-coréenne. Conçu en 1974 par les stratèges du Pentagone, le plan opérationnel 5027 a régulièrement été mis à jour pour inclure, entre autres, des frappes préventives contre la RPDC (OPLAN 5027-98) ou l'emploi de moyens antimissiles (OPLAN 5027-04).
Connu pour son style direct, Donald Trump a donc appelé un chat un chat en décrivant les manoeuvres militaires Key Resolve, Foal Eagle et Ulji Freedom Guardian comme ce qu'elles sont, et non comme ce que le Pentagone veut faire croire qu'elles seraient. Le renversement de position est patent par rapport à ses propres déclarations et actions de l'année 2017, notamment lorsqu'en décembre 2017 les Etats-Unis menaient "Vigilant ACE", un exercice militaire aérien sans précédent entre Washington et Séoul.
Dans ce contexte, la prudence est de mise : tous ceux qui aux Etats-Unis et dans le monde veulent le renversement de la Corée du Nord, notamment par une politique de sanctions toujours accrues, tenteront d'exploiter le moindre aléa du dialogue américano-nord-coréen naissant pour que reprennent les exercices de guerre - quitte à oublier qu'ils avaient déjà été suspendus une première fois, en 1992, à l'époque (déjà) d'un dialogue entre Washington et Pyongyang. Le front du refus est large et disparate : il inclut d'anciens membres de l'administration Obama, qui s'était révélé un adepte de la théorie de l' "effondrement" de la Corée du Nord ; des bellicistes comme le conseiller présidentiel John Bolton, grand défenseur de la guerre en Irak en 2003 et artisan du mensonge sur les armes de destruction massives irakiennes ; les conservateurs sud-coréens, qui ont subi une cuisante défaite aux élections locales du 13 juin 2018 mais continuent de représenter un quart de l'électorat sud-coréen ; des gouvernements étrangers partisans de la pression maximale sur Pyongyang, au premier rang desquels ceux du Japon et de la France (la ministre des Affaires européennes a presque regretté la tenue du sommet de Singapour) ; des officines néo-conservatrices, liés à des pans complets d'agences nationales du renseignement, appuyés par un puissant lobby médiatique et religieux, et qui ont d'ores et déjà replacé sur le devant de la scène des réfugiés nord-coréens dont les intérêts matériels sont liés à la diabolisation du régime nord-coréen en instrumentalisant la question des droits de l'homme...
Pour sa part, l'Association d'amitié franco-coréenne, tout en étant consciente de la personnalité versatile de Donald Trump et des amitiés ou au contraire aversions pour certains pays, prend positivement acte du fait que pour la première fois un président américain en exercice a été prêt à tenir un sommet historique avec un dirigeant suprême nord-coréen : il convient de soutenir pleinement la poursuite d'un processus par nature long, difficile et incertain, mais qui apporte l'espoir d'une paix durable en Asie du Nord-Est et d'une réunification de la Corée par la volonté des Coréens eux-mêmes, et non par la voie des armes.
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