Il y a cinquante ans, Cho Bong-am, opposant de gauche à Syngman Rhee, était exécuté à l'issue d'un procès truqué. Le peuple coréen attend toujours la réhabilitation de cette figure historique de la lutte pour l'indépendance et de la réunification pacifique de la péninsule, dont l'Association d'amitié franco-coréenne appelle à honorer la mémoire.
Le destin tragique de Cho Bong-am, exécuté il y a cinquante ans à l'instigation du dictateur Syngman Rhee, est celui d'un homme d'honneur, dont la vie s'est confondue avec la lutte pour l'indépendance et la réunification de la Corée. Pourtant, un demi-siècle après, le combat pour sa réhabilitation reste à gagner.
Né en 1898, Cho Bong-am participa au soulèvement du 1er mars 1919. Journaliste au Chosun Ilbo, il fut, en 1925, l'un des fondateurs du Parti communiste de Corée. Son combat pour libérer la Corée de l'occupation japonaise lui valut d'être emprisonné, à deux reprises, à partir de 1932.
Après l'indépendance de la Corée en 1945, Cho Bong-am fut élu député. Dans un contexte de répression anticommuniste au Sud, Cho Bong-am quitta le mouvement communiste, quand d'autres dirigeants communistes du Sud - tels Pak Heon-yeong - choisirent finalement de rejoindre le Nord de la péninule. Déclarant désormais s'opposer tant à la "dictature du prolétariat qu'à l'autoritarisme capitaliste", Cho Bong-am devint ministre de l'Agriculture et de la forêt en 1948, avant d'occuper les fonctions de vice-président de l'Assemblée nationale.
Lors de l'élection présidentielle de 1952, Cho Bong-am atteignit la deuxième place derrière le président sortant Syngman Rhee (11,36 % selon les résultats officiels).
Le 15 mai 1956, le dictateur Syngman Rhee était à nouveau reconduit dans ses fonctions de chef de l'Etat, à l'issue d'élections largement entachées de fraudes. Malgré l'ampleur de la manipulation des résultats, Cho Bong-am, obtenait un résultat remarquable en tant que candidat du Comité de promotion du Parti progressiste (2,16 millions de voix selon les résultats officiels, soit 30,01 % des suffrages exprimés, contre 5,04 millions à Syngman Rhee et 1,85 million de suffrages nuls, dont une majorité pour Shin Ik-hui, candidat du Parti démocrate, opposant de droite décédé pendant la campagne).
Devenu un des principaux adversaires de Syngman Rhee, Cho Bong-am s'employa à organiser le Parti progressiste, fondé en novembre 1956, dont le programme prônait une politique sociale d'aide aux plus pauvres et la réunification pacifique de la Corée, refusant ainsi une division du pays qui n'était que le produit de la guerre froide.
Par des campagnes d'intimidation et de terreur, la police de Syngman Rhee empêcha la constitution des fédérations du Parti progressiste, avant de viser Cho Bong-am et les autres dirigeants du Parti progressiste : arrêté le 13 janvier 1958, il fut condamné en première instance à cinq ans de prison pour port d'arme non autorisé, avant d'être condamné à mort en appel, pour espionnage en faveur de la Corée du Nord, en application de la loi de sécurité nationale (à gauche, Cho Bong-am lors de son procès en octobre 1958). La sentence fut confirmée par la Cour suprême, et Cho Bong-am exécuté le 31 juillet 1959. Ainsi s'achevait un des procès truqués les plus retentissants de l'ère Syngman Rhee, dont il devait accélérer la chute lors de la révolution du 19 avril 1960, tout en ayant décapité la gauche sud-coréenne qui ne fut pas en mesure de conquérir le pouvoir lors de la parenthèse démocratique de 1960-1961.
Cho Bong-am est aujourd'hui enterré au cimetière du parc Manguri.
Cinquante ans après l'exécution de Cho Bong-am, le combat pour sa réhabilitation et la défense de sa mémoire reste à gagner. Le 30 juillet 2009, 130 parlementaires - de la majorité (Chung Eui-hwa, Won Hee-ryong, Chung Doo-un, Yim Tae-hee...) comme de l'opposition (dont Choo Mi-ae, Moon Hee-sang et Park Jie-won) - ont plaidé pour rétablir son honneur après sa mort, dans une déclaration rendue publique au Centre coréen de la presse, à Séoul : "Il doit être procédé de manière correcte à une évaluation historique du rôle du combattant pour l'indépendance, qui a posé les fondations de la mise en place de la nation et poursuivi la réunification pacifique de la Corée". Les signataires ont appelé la Cour suprême à réouvrir son procès, alors qu'en 2007 la Commission Vérité et Réconciliation avait qualifié son exécution d' "acte inhumain de suppression politique portant atteinte aux droits de l'homme", en l'absence de preuves sur les motifs de sa condamnation à mort.
Cho Bang-am avait-il renié ses idéaux communistes en occupant des fonctions importantes dans les institutions sud-coréennes mises en place après la fondation de la République en Corée en 1948, à l'issue d'élections législatives largement boycottées par l'opposition, de droite comme de gauche, ou avait-il choisi une position tactique de critique au sein des institutions, ce qui lui avait finalement permis de s'affirmer comme l'un des principaux opposants à Syngman Rhee dès 1952, avant même la fin de la guerre de Corée ? Dans l'impossibilité de trancher ce débat, il convient de saluer les positions courageuses et visionnaires défendues par Cho Bang-am, pour la justice sociale et la réunification pacifique de la Corée. Plus encore, il convient d'honorer la mémoire d'un combattant de l'indépendance et d'un martyr de la liberté, victime d'un procès arbitraire. La veille de son exécution, Cho Bong-am déclara que "l'unique crime qu'il avait commis était son engagement politique".
Sources principales :
- Seo Joong-seok, La Corée du Sud : 60 ans d'histoire contemporaine. Origines et étapes du mouvement démocratique, Fondation coréenne pour la démocratie, Séoul, 2007, pp. 77-80
- The Korea Times
- The Chosun Ilbo (dont photo ; ce quotidien ultra-conservateur sud-coréen défend un de ses anciens journalistes - quand il s'agissait d'un titre favorable à l'indépendance de la Corée - tout en présentant Cho Bong-am comme un démocrate de gauche, opposé aux régimes tant nord que sud-coréens)
- JoongAng Daily (biographie d'un des titres conservateurs de la presse sud-coréenne, orientée dans un sens défavorable à Cho Bong-am mais consultée toutefois pour certaines données factuelles avant 1950)
- wikipédia