Le 3 novembre 2011, la Banque de Corée (du Sud) a publié son estimation de croissance de l'économie nord-coréenne pour l'année 2010 : - 0,5 %. Cette évaluation doit être prise avec la plus grande précaution, au regard des nombreuses hypothèses à la base des estimations sud-coréennes sur l'économie de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord).
Selon la Banque de Corée (du Sud), le produit intérieur brut (PIB) de la RPD de Corée aurait enregistré un recul de 0,5 % en 2010, après une précédente baisse de 0,9 % en 2009 et une croissance en 2008 réévaluée à 3,1 % (après une première estimation de 3,7 %). Toujours selon les économistes sud-coréens, l'agriculture et la pêche auraient diminué de 2,1 % en 2010, et l'industrie de 0,3 %.
Si l'on évalue à environ 20 % la part de l'agriculture dans l'économie nord-coréenne, une diminution de 2 % de la production agricole a donc un impact négatif de 0,4 % sur le PIB. Une croissance globalement négative de - 0,5 % signifierait ainsi que, en dehors de l'agriculture soumise à de forts aléas climatiques, le reste de l'économie (mines, industrie, services) aurait enregistré une croissance quasiment nulle. De fait, s'agissant des services, les échanges économiques ont atteint leur plus haut niveau en 2010. Alors que la Corée du Sud est le deuxième partenaire commercial de la Corée du Nord, les exportations nord-coréennes au Sud auraient progressé de 11,7 %, et les importations nord-coréennes du Sud de 16,6 % l'an dernier. Les exportations nord-coréennes vers la Chine ont également atteint un pic l'an dernier, témoignant d'une croissance du secteur des mines. L'essor des mines et des services (lesquels intègrent également le secteur des transports, marqué par une circulation automobile en pleine croissance) plaident, selon nos analyses, pour considérer que l'économie nord-coréenne (hors agriculture et pêche) a progressé en 2010, alors que la croissance de ce secteur est estimé quasi-nulle par la Banque de Corée.
Si la République populaire démocratique de Corée ne publie plus régulièrement de statistiques économiques, les informations des médias nord-coréens donnent en effet une image très différente du tableau, assez sombre, dressé par la Banque centrale de Corée du Sud : développement de la production d'électricité (à gauche, le dirigeant Kim Jong-il visitant le barrage Ryongrim, en août 2011), accent mis sur la diversification de la production agricole, relance d'industries traditionnelles comme celle du vinalon, boom du secteur de la construction... Même si nombre des résultats obtenus concernent l'année 2011 (et ne sont donc pas intégrés dans l'évaluation du PIB nord-coréen que vient de publier la Corée du Sud pour 2010), la plupart de ces projets ont été engagés dès 2010.
De même, les visiteurs étrangers en RPD de Corée témoignent de signes d'amélioration tangibles, comme la quasi-disparition des coupures d'électricité, au moins dans la capitale, le développement des nouvelles technologies (et notamment de l'usage du téléphone portable, qui a sous-tendu la mise en place d'une industrie domestique) ou le nouvel essor des marchés généraux de biens et de services, après un coup d'arrêt temporaire lié à la réforme monétaire de la fin de l'année 2009, qui a toutefois effectivement eu des effets sur les échanges au début de l'année 2010.
Compte tenu de ces éléments, les estimations de la Banque de Corée du Sud doivent être considérées comme ce qu'elles sont : des évaluations, parmi d'autres, basée sur ses propres hypothèses, contestables comme toutes les hypothèses et non dénuées de possibles considérations politiques.
Sur un plan purement technique, les économistes sud-coréens évaluent la situation économique au Nord à partir des multiples témoignages qu'ils recueillent, notamment de visiteurs se rendant dans le pays. Ces observations sur place ne peuvent pas s'appuyer sur des statistiques de production que donneraient les Nord-Coréens. Il s'agit donc essentiellement d'impressions : par exemple, tel spécialiste de l'extraction charbonnière va estimer que la production de charbon au Nord a dû être interrompue suite à des inondations ; tel visiteur relève la modernisation d'une usine textile dans la région de Pyongyang et, compte tenu de ses connaissances accumulées par comparaison avec d'autres pays, donne une évaluation de la production globale à l'échelle du pays, par extrapolation... Comme on le comprend aisément, ces données sont éminemment sujettes à interprétation.
La marge d'erreur est considérable, non seulement sur les volumes de production estimés, mais aussi sur les taux de croissance mesurés. Dans ce contexte, évaluer à - 0,3 % la croissance de l'industrie en Corée du Nord en 2010 est un exercice périlleux. Quel spécialiste pourra dire que, dans telle usine nord-coréenne qu'il a visitée, il estime la croissance de la production à - 0,3 % ? Un tel chiffre n'est que la pondération moyenne des estimations de multiples experts (ou se prétendant tels), elles-mêmes aléatoires et pouvant relever de marges d'erreur qui peuvent être de plus ou moins 3 % (si nous retenons une fourchette étroite). Or, de telles marges d'erreur appliquées à une moyenne de - 0,3 % signifient que, en réalité, la croissance économique constatée serait située entre - 3,3 % et + 2,7 %. Dans le premier cas, la production industrielle recule gravement. Dans le second cas, la production augmente à un bon rythme. Les différences sont considérables et les analyses radicalement différentes. Le scénario à + 2,7 % est compatible avec les informations provenant des médias nord-coréens, quand celui à - 3,3 % pourra être retenu par les néoconservateurs partisans de la thèse de l'effondrement de la RPDC - un effrondrement que, du reste, ils prédisent depuis vingt ans sans que leur prophétie ne se soit réalisée.
Privilégier une hypothèse ou une autre est donc un choix purement politique, comme l'illustre notamment le débat sur la production agricole nord-coréenne. L'évaluation de la production agricole devrait être l'une des questions économiques les moins sujettes à discussion compte tenu non seulement du flux d'informations disponibles, notamment des ONG présentes sur place et des équipes d'experts internationaux invités à visiter la RPDC, mais aussi d'éléments objectifs comme les aléas climatiques. Or tel n'est pas le cas : alors que pour les ONG et les agences des Nations Unies (comme du reste selon nous) les récoltes ont été mauvaises en 2010, légitimant l'appel de la RPD de Corée à une aide internationale, le gouvernement sud-coréen estime que la situation ne serait pas plus grave que d'habitude, si bien que l'aide gouvernementale promise par Séoul en août 2011 n'a finalement pas été versée.
Face à ce dilemme, la Banque de Corée du Sud a tranché : en 2010, la production agricole nord-coréenne aurait sensiblement baissé, mais dans des proportions moins fortes qu'en 2006 et 2007, à savoir de 2,1 % l'an passé. Il est singulier que l'hypothèse retenue soit celle du gouvernement conservateur à Séoul, jetant une ombre sur l'indépendance des évaluations de la Banque centrale sud-coréenne.
De même, comment expliquer que l'estimation de la croissance nord-coréenne ait été publiée cette année en novembre et non comme d'habitude en août, au moment où faisait rage le débat sur les effets causés par les catastrophes climatiques sur l'agriculture nord-coréenne ? Si l'on ajoute que beaucoup de sources sud-coréennes sont issues des services de renseignement, il doit être rappelé que l'année 2010 a été marquée par de graves incidents dans les relations intercoréennes. Ces éléments de contexte plaident pour accueillir avec la plus grande prudence les récentes analyses des économistes de la banque centrale sud-coréenne sur l'économie nord-coréenne. Invoquer les sanctions internationales pour justifier un taux de croissance légèrement négatif (de seulement 0,5 %, malgré une marge d'erreur importante), comme l'a fait la Banque de Corée, conforte opportunément les orientations politiques du gouvernement de Lee Myung-bak vis-à-vis de Pyongyang.