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9 décembre 2014 2 09 /12 /décembre /2014 00:52

Les « preuves » avancées par une équipe d’enquête internationale - en fait largement dominée par la Corée du Sud et les Etats-Unis - pour imputer le naufrage de la corvette sud-coréenne Cheonan, survenu le 26 mars 2010, à la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) sont, une fois de plus, réfutées par une étude publiée le 20 novembre 2014 dans la revue Advances in Acoustics and Vibration. Il n’est malheureusement pas certain que l'avis des scientifiques incite le gouvernement sud-coréen à rouvrir l’enquête sur le naufrage du Cheonan, au risque de voir contredit le scénario officiel de 2010, dit de la torpille nord-coréenne, servant de justification à plusieurs sanctions adoptées par la Corée du Sud à l’encontre de la RPDC, lesquelles entravent les relations intercoréennes et contribuent à aggraver les tensions dans cette partie du monde.

Repêchage de l'épave du « Cheonan » (avril 2010)

Repêchage de l'épave du « Cheonan » (avril 2010)

Le 26 mars 2010, la corvette Cheonan de la marine sud-coréenne, avec 104 marins à son bord, coulait au large de l'île de Baengnyeong, à l'ouest de la péninsule coréenne, entraînant la mort de 46 hommes de l'équipage. Pour élucider les causes de ce naufrage, le gouvernement sud-coréen mit en place un groupe d'enquête composé d'experts civils et militaires de Corée du Sud (47), des Etats-Unis (15), de Suède (5), d'Australie (4) et du Royaume-Uni (3).

Le 20 mai 2010, ce groupe d'enquête - largement dominé par la Corée du Sud et les Etats-Unis - rendit son rapport intermédiaire (confirmé le 13 septembre suivant), selon lequel une torpille tirée par un sous-marin nord-coréen avait coulé le Cheonan.

Ces accusations furent aussitôt rejetées par la RPD de Corée, mais l'hypothèse d'une torpille nord-coréenne ayant coulé le Cheonan servit de justification aux mesures de rétorsion à l'encontre de la RPDC, annoncées le 24 mai 2010 par le gouvernement sud-coréen : reprise de la diffusion de messages de propagande par tracts et par haut-parleurs à la frontière avec le Nord par l'armée sud-coréenne ; organisation de manœuvres sous-marines conjointes avec les Etats-Unis en mer de l'Ouest (mer Jaune) ; fermeture du détroit de Jeju, à l'extrême sud de la péninsule coréenne, aux navires nord-coréens ; suspension des relations commerciales avec la RPDC, à l'exception de la zone industrielle intercoréenne de Kaesong ; restriction des contacts entre Coréens du Sud et du Nord.

Sur le plan diplomatique, Séoul saisit le Conseil de sécurité des Nations Unies pour alourdir les sanctions déjà en place contre la RPDC et en adopter de nouvelles. Mais, le 9 juillet 2010, le Conseil de sécurité, tout en condamnant l'« attaque » contre le Cheonan, se garda bien de désigner un agresseur, une prudence bien inhabituelle du Conseil de sécurité dès qu'il s'agit de la Corée du Nord...

Dans le même temps, les conclusions de l'enquête officielle américano-sud-coréenne étaient remises en question, entre autres, par un ancien membre du groupe d'enquête (le 26 mai 2010), par des chercheurs indépendants d'universités américaines (le 12 juillet 2010), et par les experts de la marine russe (juillet 2010) invités par Séoul à examiner les « preuves » de la culpabilité de la Corée du Nord.

Deux autres scientifiques, Kim Hwang-su, du département de physique de l'Université Kyungsung de Pusan (Corée du Sud), et Mauro Caresta, du département d'ingénierie de l'Université de Cambridge (Royaume-Uni), remettent à leur tour en question la version officielle américano-sud-coréenne dans un article publié le 20 novembre 2014 par la revue Advances in Acoustics and Vibration, laquelle se veut une « plateforme pour la diffusion de recherches innovantes et originales et de travaux de développement dans le domaine de l'acoustique et des vibrations ».

Kim et Caresta ont analysé le spectre des signaux sismiques laissés par le naufrage du Cheonan, tels que consignés dans les rapports officiels. En 2010, l'équipe d'enquête expliqua certains pics de ces signaux par les vibrations de la colonne d'eau formée par une explostion sous-marine. L'analyse menée par Kim et Caresta les amène à douter de cette explication, à l'instar de plusieurs autres scientifiques cités dans leur étude, et en proposent une autre : les signaux sismiques enregistrés lors du naufrage du Cheonan sont « cohérents avec les fréquences des vibrations naturelles d'un grand sous-marin d'une longueur d'environ 113 mètres ». Comme l'écrivent Kim et Caresta, « ces résultats accroissent la possibilité que le navire de la République de Corée Cheonan ait coulé à cause d'une collision avec un grand sous-marin plutôt qu'à la suite d'une explosion de torpille ou de mine sous-marine ».

Dans leur étude, Kim Hwang-su et Mauro Caresta se bornent à exposer des données scientifiques et ne se livrent à aucune hypothèse quant à l'origine du sous-marin pouvant être à l'origine du naufrage du Cheonan.

On peut seulement remarquer que le naufrage du Cheonan est intervenu à la fin d'exercices militaires américano-sud-coréens.

On peut aussi observer qu'un sous-marin nucléaire d'attaque américain de classe Los Angeles mesure 110 mètres et que, sur la quarantaine d'unités déployées en 2010, certaines l'étaient au large de l'Asie orientale.

Et si on veut pousser plus loin, on peut rappeler que, de 1986 à 2009, les sous-marins de classe Los Angeles ont été impliqués dans au moins dix accidents : trois collisions (dont deux démenties par la marine américaine) avec des sous-marins « ennemis » soviétiques puis russes, une collision avec un autre sous-marin américain, une collision avec un transport de chalands de débarquement américain, une collision avec un chalutier japonais, deux collisions avec des cargos norvégien et turc, une collision avec un pétrolier japonais, une collision avec une montagne sous-marine… à cause d'une carte de navigation périmée.

Certains de ces accidents ont été particulièrement meurtriers, comme lorsque le sous-marin USS Greeneville heurta, le 9 février 2001, le chalutier-école japonais Ehime Maru au large de l'archipel d'Hawaï, entraînant la mort de neuf marins japonais. Le Conseil national de la sécurité des transport, agence indépendante chargée d'enquêter sur les accidents maritimes aux Etats-Unis, conclut que la collision avait été provoquée par une communication inadéquate entre les officiers supérieurs de l'USS Greeneville.

Le USS « Greeneville » en réparation après sa collision avec le chalutier « Ehime Maru » (février 2001)

Le USS « Greeneville » en réparation après sa collision avec le chalutier « Ehime Maru » (février 2001)

Dès lors, comment interpréter la réponse faite à Donald P. Gregg, ancien conseiller pour la sécurité nationale du président américain George H. Bush et ancien ambassadeur des Etats-Unis en Corée du Sud, par un Russe au fait du dossier, sur les raisons du silence prolongé des experts de la marine russe ayant mené leur propre enquête sur le naufrage du Cheonan? « Cela ferait beaucoup de tort politique au Président Lee Myung-bak et embarrasserait le Président Obama. » (cité par Claude Helper dans Corée du Nord : dénucléarisation et succession de Kim Jong-il, L'Harmattan, 2010)

De fait, une collision mortelle entre un bâtiment de la marine des Etats-Unis et un navire sud-coréen, dans les eaux sud-coréennes de surcroît, aurait de très graves répercussions politiques.

A contrario, les bénéfices retirés de la controversée thèse officielle « de la torpille nord-coréenne » par Séoul et Washington sont multiples. Pour le gouvernement sud-coréen, cette thèse justifie le resserrement de l'alliance avec les Etats-Unis, l'intensification des exercices militaires menés conjointement avec Washington et un raidissement de la Corée du Nord, autorisant l'abandon de la politique d'ouverture des anciens présidents sud-coréens démocrates Kim Dae-jung et Roh Moo-hyun, en exigeant des « excuses » de Pyongyang. Pour l'administration américaine, elle constitue un prétexte commode pour renforcer la présence militaire des Etats-Unis dans la zone Asie-Pacifique, dans le cadre d'une politique d'encerclement de la Chine identifiée depuis le début des années 2000 comme le principal adversaire stratégique.

Rouvrir l'enquête sur le naufrage du Cheonan, pour enfin connaître de manière incontestable ce qu'il s'est réellement passé le 26 mars 2010 au large de l'île de Baengnyeong, est une urgence absolue, dans l'intérêt de la paix en Asie et dans le monde.

 

Sources principales :

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