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2 juillet 2011 6 02 /07 /juillet /2011 19:37

Journaliste au New York Times, Tim Weiner a reçu le prix Pulitzer pour ses recherches sur les programmes secrets de la défense nationale américaine. Son ouvrage Des cendres en héritage. L'histoire de la CIA est un remarquable travail d'investigation, conduit sur la base de plus de 50.000 documents d'archives de la CIA, de 2.000 récits d'officiers des services de renseignement américains et de 300 entretiens avec d'anciens responsables et agents de l'agence américaine. La guerre de Corée (1950-1953) est l'un des multiples exemples richement documentés traités par Tim Weiner, qui montre de manière convaincante le fiasco qu'a représenté pour la toute jeune CIA son intervention dans l'un des premiers conflits ouverts de la guerre froide. Cet ouvrage est salué par Donald P. Gregg, ancien membre du service d'action clandestine de la CIA ayant commencé sa carrière en Corée avant de devenir plus tard ambassadeur des Etats-Unis en Corée du Sud puis conseiller à la sécurité nationale du vice-président George H.W. Bush, dans un commentaire paru dans The Ambassador Review, la revue de politique étrangère du Conseil des ambassadeurs américains : "Le livre de Weiner, s'appuyant sur une documentation sans faille, ne m'a pas surpris et je ne saurais contester ses conclusions fondamentales. Ce qui me gêne et me navre, c'est de constater que la situation est encore pire que ce que je soupçonnais." Eclairage sur une défaite américaine.

tim weiner des cendres en héritage l histoire de la CIA (2

Si les historiographes américains et nord-coréens divergent quant à l'interprétation de l'issue de la guerre de Corée, les travaux de recherches menés par Tim Weiner, prix Pulitzer, dressent un revanche un constat sans appel de la victoire des services secrets nord-coréens et chinois sur leurs adversaires américains dans la guerre qu'ils se sont menés, apportant aussi des éclairages complémentaires sur la conduite du conflit : "sur le théâtre des opérations, la CIA avait pour alliés les services de renseignement de deux dirigeants aussi corrompus que peu fiables : le président de la Corée du Sud, Syngman Rhee, et le chef des nationalistes chinois Tchang Kaï-chek. Les informations valables étaient aussi difficiles à trouver que l'électricité et l'eau courante. La CIA se trouvait manipulée par des amis véreux, dupée par des ennemis communistes et à la merci d'exilés à court d'argent qui fabriquaient de faux renseignements." (Des cendres en héritage. L'histoire de la CIA, pp. 68-69)

 

Tim Weiner dresse la liste des échecs de la centrale de renseignement américaine en Corée, ainsi que de ses conséquences sur le conflit.

 

Premier handicap : l'animosité du général MacArthur envers la CIA, dont il cherchait à empêcher l'accès des agents aux pays d'Extrême-Orient, pour se fier à des impressions personnelles qui ont été des erreurs d'analyse majeures. Pour le commandant américain, la Chine devait rester à l'écart du conflit, si bien que l'intervention des volontaires chinois fut successivement jugée improbable, puis minimisée, ce qui donna aux Nord-Coréens et aux Chinois une force de frappe qui leur permit de repousser les troupes des Nations-Unies sous commandement américain au-delà du trente-huitième parallèle. Tim Weiner montre pourtant que l'antenne de la CIA à Tokyo avait mis en garde contre l'intervention de la Chine, mais le général MacArthur menaça de faire arrêter l'un des responsables du poste à Tokyo qui avait fait cette analyse - Bill Dugan - et cette information ne parvint jamais au président américain, pourtant en déplacement sur l'île de Wake en octobre 1950.

 

Deuxième handicap : alors que les Américains étaient parvenus à intercepter et à décrypter les câbles échangés entre Moscou et Pyongyang, l'accès à cette source d'information cessa quelques mois avant le déclenchement du conflit. En effet, un agent des services secrets soviétiques, William Wolf Weisband, qui exerçait les fonctions de décrypteur pour le Pentagone, traduisait les messages du russe en anglais. Le coup de maître de Weisband sera qualifié un demi-siècle plus tard par la National Security Agency américaine de "peut-être l'échec le plus significatif dans le domaine du renseignement de toute l'histoire des Etats-Unis" (David A. Hatch et Robert Louis Benson, The Korean War : the SIGINT Backgroung, National Security Agency).

 

Outre ces handicaps qui auraient pu être rédhibitoires à eux seuls, l'échec le plus spectaculaire de la CIA pendant la guerre de Corée a été d'acheter à prix d'or des informations fausses soit à des escrocs, soit à des informateurs travaillant en fait pour la République populaire de Chine et la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), pour engager des opérations-suicide qui se sont toutes soldées par des échecs.

     

Sur la base de ces fausses informations, "des milliers d'agents recrutés chez les Coréens et les Chinois furent parachutés au-dessus la Corée du Nord pendant la guerre pour ne jamais revenir" (Tim Weiner, p. 72). Ces agents - parmi lesquels plus de 1.500 Coréens au cours du seul été 1952 - étaient censés recueillir des informations ou animer des groupes de guérilla anticommunistes qui n'existaient que dans les faux témoignages de la CIA. Ces opérations d'intoxication de la CIA étaient facilitées par le fait que, sur les deux cents agents américains de la CIA à Séoul, pas un seul ne parlait coréen. Le nouveau chef de poste à Séoul, John Limond Hart, qui avait remplacé un prédécesseur incapable en plein conflit, établit que "presque tous les agents coréens qu'on lui avait légués avaient soit inventé les rapports qu'ils envoyaient, soit travaillé en secret pour les communistes (...) Les opérations paramilitaires de l'Agence en Corée avaient été infilitrées avant même d'être lancées" (Tim Weiner, p. 73 et 74). Le directeur de la CIA, Bedell Smith, ne choisit toutefois pas de fermer provisoirement l'antenne de Séoul, comme l'avait préconisé John Hart.

 

Un enseignement est que très peu de Coréens, sinon pas du tout, ont travaillé sincèrement pour la CIA. Cette  situation assez exceptionnelle ne se retrouve que dans des guerres d'indépendance, et ne peut être expliquée seulement par l'autoritarisme et la corruption du régime Syngman Rhee dont la défaite aux élections locales du printemps 1950, à la veille de la guerre, témoignait de l'impopularité. De ce point de vue, la guerre de Corée apparaît comme une guerre de libération nationale, contre les troupes étrangères onusiennes sous commandement américain.

     

Plusieurs témoignages d'agents de la CIA recueillis par Tim Weiner confirment que les parachutages d'agents de la CIA en Corée du Nord se sont poursuivis après l'armistice de 1953, confirmant donc que les mises à l'écart de responsables nord-coréens du Parti du travail de Corée pour espionnage ont répondu effectivement à des opérations de déstabilisation continues des Etats-Unis.

     

Autre signe du manque de professionnalisme de la CIA pendant la guerre de Corée, le président sud-coréen Syngman Rhee fut visé par erreur par des hommes de la CIA à l'entraînement, alors que son yacht longeait l'île Yong-do. Les officiers et les gardes du camp n'avaient pas été avertis de sa venue. S'il n'y eut pas de blessés, Syngman Rhee obtint le départ des agents de la CIA qui durent alors reprendre de zéro leurs opérations.

 

Par ailleurs, la CIA tenta d'ouvrir d'autres fronts, en Birmanie et en Chine, sur la base notamment de fausses informations quant à l'existence de forces anticommunistes sur le continent chinois. Les opérations en Chine échouèrent (en Mandchourie, la Chine révéla que sur 212 agents largués par la CIA, 101 furent tués et 111 faits prisonniers, soit un taux d'échec de 100 % pour les Américains), tandis que le soutien à la guérilla du général Li Mi au Nord de la Birmanie ne prévint pas sa défaite face aux troupes chinoises, entraînant son repli dans les montagnes où elle allait devenir un des centres mondiaux du trafic d'opium.

 

En conclusion, Tim Weiner observe que si les soldats américains ont parlé de la Corée comme d'une "guerre oubliée", "à la [CIA] on pourrait parler d'amnésie délibérée. On noya dans la comptabilité le gaspillage de 152 millions de dollars d'armes pour des guérillas fantômes" (op. cit., p. 78). Cet échec total de la CIA a alourdi les pertes humaines des Etats-Unis en Corée. Selon John Foster Dulles, devenu secrétaire d'Etat du président Dwight Eisenhower en 1953 et cité dans un document déclassifié en 2003, "nous avons perdu cent mille hommes en Corée", soit une estimation supérieure à celle admise jusqu'alors de 29.500 morts et 107.000 blessés et disparus. Mais John Foster Dulles, partisan du "refoulement" des communistes à commencer par le continent européen, conclut dans ce même entretien : "il faut bien avoir quelques martyrs."

 

Source : Tim Weiner, Des cendres en héritage. L'histoire de la CIA, traduit de l'américain par Jean Rosenthal, édition américaine 2007, édition française 2009 (éditions de Fallois). Notamment le chapitre 6 consacré principalement à la guerre de Corée : "C'étaient des missions-suicide" (pp. 67-78).

 

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23 janvier 2011 7 23 /01 /janvier /2011 00:33

hocine_belaid.jpgAlors que l'AAFC est aujourd'hui engagée dans une campagne internationale pour un traité de paix en Corée, près de vingt ans avant la fondation de l'Association, en 1969, de nombreux militants avaient payé un lourd tribut contre la guerre de Corée (1950-1953) : des milliers d'arrestations, des blessés et deux morts, Hocine Belaïd et Charles Guénard - victimes de la répression policière lors de la manifestation à Paris contre le général "Ridgway la peste", ancien commandant en chef des troupes américaines en Corée, mis en cause pour l'utilisation d'armes bactériologiques dans la péninsule. Il y a soixante ans, le 24 janvier 1951, la police a ainsi arrêté 3.267 personnes à proximité de l’hôtel Astoria, où logeait le général Eisenhower. A partir d'un article historique et de témoignage publié sur le site de la section d'Aubervilliers du Parti communiste français, l'AAFC revient sur le combat d'hommes et de femmes qui ont dit "non" à la guerre, certains au péril de leur vie. Elle salue leur courage et leur engagement, en appelant chacun et chacune à se montrer dignes de nos aïeux pour que les armes se taisent définitivement sur le sol de la péninsule coréenne.

 

Alors que des monuments, des citations et de commémorations rappellent abondamment la mémoire du "bataillon français des Nations-Unies" dirigé par le lieutenant-colonel Monclar, et engagé aux côtés des troupes sous commandement américain, de nombreux pans de l'histoire de la guerre de Corée ont été occultés par les gouvernements occidentaux - et notamment le refus de la guerre, porté en France par des dizaines de milliers d'hommes et de femmes, souvent membres du Parti communiste français et/ou du Mouvement de la paix et de la Confédération générale du travail.

 

Avant même la manifestation du 28 mai 1952 contre le général américain Ridgway, la mobilisation en France pour la paix en Corée a connu plusieurs grands moments, dont quelques-uns sont cités par André Narritsens dans un article publié sur le site de la section d'Aubervilliers du Parti communiste français, et s'inspirant des travaux de Michel Pigenet sur la manifestation Ridgway, publié en 1993 aux éditions L'Harmattan :

 

"Le 24 janvier 1951, la police a arrêté, aux bords de l’hôtel Astoria (où séjournait le général Eisenhower) 3.267 personnes, et bloqué aux portes de Paris les cars emplis de manifestants en provenance de banlieue."

 

"Le 12 février 1952, la police a procédé à l’arrestation préventive de dizaines de suspects et les a gardés une journée entière dans la cour de l’ancien hôpital Beaujon."

 

Le climat de guerre touche l'action militante de ceux qui, en France, osent s'opposer à la guerre de Corée. Ainsi, le quotidien communiste L’Humanité estime que, du 1er janvier au 30 juin 1952, 80 militants ont été poursuivis pour avoir collé des pages du journal. André Narritsens observe que "les représentations théâtrales ou projections de cinéma 'communistes' sont interdites. Le préfet Jean Baylot est le maître d’œuvre de cette répression".

 

Le point d'orgue des manifestations contre la guerre en Corée se focalisera sur la venue en France, dans le cadre d'une tournée en Europe, du général Ridgway, ancien commandant en chef des troupes américaines en Corée, et venant d'être nommé à la tête des forces de l’OTAN. Son nom est conspué dans les cortèges syndicaux du 1er mai, en France comme dans le reste du monde - des affrontements avaient ainsi eu lieu à Tokyo, à proximité du QG de Ridgway. Des "journées de Paris pour sauver la paix" sont organisées, le Mouvement de la paix engageant des journées de protestation contre les armes biologiques, tout en initiant quatorze rassemblements régionaux.

 

La manifestation du 28 mai 1952 a pris place dans un contexte de radicalisation politique, un article de François Billoux, membre du Bureau politique, ayant proposé que le Parti communiste vise à accélérer "le renversement de la politique française".

 

A l'issue d'une première manifestation organisée par le Mouvement de la paix le 23 mai, 279 interpellations sont opérées (dont 42 suivies de maintiens en état d’arrestation et d'inculpations), les forces de l'ordre revendiquant 49 blessés dans leurs rangs. Le 25 mai, André Stil, rédacteur en chef de L'Humanité, est arrêté pour infraction à la loi du 7 juin 1848 relative à la provocation d'attroupements publics : l'après-midi même, des portraits d'André Stil sont visibles dans la montée au mur des Fédérés, qui commémore la Commune de Paris.

 

André Narritsens résume ainsi la préparation et le déroulement de la journée du 28 mai 1952 :

 

"Le Parti communiste a chargé Raymond Guyot, membre du bureau politique, de l’organisation d’ensemble. Il est assisté d’André Souquière, secrétaire de la Fédération de la Seine et dirigeant important du Mouvement de la paix, à qui se voit confier la tâche de la coordination du PC et du Mouvement de la Paix. André Karman, lui aussi secrétaire de la Fédération de la Seine, suit, pour ce qui le concerne la mobilisation du Parti.

 

Les itinéraires des cortèges ont été établis et minutés. Le principe d’organisation est celui de la 'boule de neige' : de petits groupes se rassemblent et font mouvement jusqu’à un lieu convenu où ils s’agrègent à d’autres groupes. Ainsi doivent se former les 'colonnes' constituées des militants de banlieue et des arrondissements périphériques qui entreront dans Paris. Des véhicules sont chargés d’apporter le matériel de la manifestation : point de banderoles, mais de petites pancartes souvent en tôle, fixées sur de gros manches de bois. Non encombrés du matériel habituel des manifestations, les groupes ont vocation à être très mobiles et en capacité d’affronter la police de manière offensive. D’évidence, l’épreuve sera rude : des locaux ont été aménagés en infirmeries de campagne et des véhicules prévus pour le transport des blessés vers la clinique des Bluets

 

[...] Le cortège du Nord et de l’Est dans lequel prennent place les militants d’Aubervilliers est très complexe. Trois colonnes le constituent, l’une démarrée au carrefour des Quatre-Chemins qui regroupe environ 2.000 manifestants entrera dans Paris par la porte de La Villette, les autres pénètreront qui par la porte de La Chapelle, qui par la porte de Clignancourt. La fusion des trois cortèges doit se réaliser Place de La Chapelle. La 'colonne' ainsi constituée emprunte le Faubourg-Saint-Denis puis le boulevard Magenta pour tenter d’atteindre la place de la République.

 

manifestation_contre_ridgway_28_mai_1952.jpgLe but poursuivi ne sera pas atteint mais, deux heures durant, 20.000 manifestants vont affronter la police. Le bilan est lourd. Les forces de l’ordre déclareront 372 blessés dont 27 grièvement. Du côté des manifestants le bilan est difficile à établir mais l’on compte un mort (Hocine Belaïd), un blessé par balles (Charles Guénard) et de multiples contusionnés. La police procède à 718 interpellations souvent accompagnées de très violents passages à tabac et 140 inculpations vont être prononcées."

 

Hocine Belaïd est tombé place de Stalingrad, appartenant à la "colonne" formée au carrefour des Quatre-Chemins.  Ancien déporté, ancien conseiller municipal, Charles Guénard a été grièvement blessé par balle au genou : il est mort en mars 1953 lors d'une opération à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière.

 

Toujours le soir du 28 mai, Jacques Duclos est arrêté : deux pigeons morts trouvés dans sa voiture, destinés à la casserole, deviennent un temps de mystérieux pigeons voyageurs...

 

obseques_hocine_belaid.jpg

 

Les obsèques de Hocine Belaïd, ouvrier communal à Aubervilliers se sont déroulées le 13 juin, place de l’Hôtel de Ville. Le maire de la ville, Charles Tillon, a prononcé le discours d’hommage, avant que Hocine Belaïd ne soit enterré au cimetière d'Aubervilliers.

 

Le refus de la guerre de Corée a marqué durablement les mémoires : après la guerre, des intellectuels français feront le voyage en République populaire démocratique de Corée pour voir et comprendre un pays alors en pleine reconstruction. L'un d'entre eux, l'auteur, compositeur et interprète Francis Lemarque, sera, en 1969, un des membres fondateurs de l'Association d'amitié franco-coréenne.

 

Sources : AAFC, site de la section PCF d'Aubervilliers (première et deuxième parties de l'article, dont photos)

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26 juillet 2010 1 26 /07 /juillet /2010 23:00

 

PaixenCoréeLe 27 juillet 1953, après trois ans et plusieurs millions de morts, les combats de la Guerre de Corée prirent fin avec la conclusion d'un simple accord d'armistice. Aucun traité de paix n'a été signé depuis, et la péninsule coréenne est donc « techniquement » en état de guerre depuis 57 ans...

Après 1953, les Etats-Unis ont apporté leur soutien aux gouvernements militaires en place à Séoul, faisant obstacle au développement de la démocratie et à la souveraineté de la Corée du Sud. Aujourd'hui, l'armée américaine maintient 28.500 soldats dans la péninsule coréenne et conservera le contrôle opérationnel des forces armées sud-coréennes en temps de guerre au moins jusqu'en 2015.

La Guerre froide est terminée mais un conflit peut toujours éclater dans la péninsule coréenne en raison de la politique hostile menée par les Etats-Unis à l'égard de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) et des exercices militaires visant constamment la RPDC, à l'instar des manoeuvres navales américano-sud-coréennes organisées du 25 au 28 juillet 2010 au large de la péninsule.

Le 19 septembre 2005, au cours des pourparlers sur la dénucléarisation de la péninsule coréenne, les deux Corée, les Etats-Unis, la Chine, la Russie et le Japon ont pourtant publié une déclaration affirmant la nécessité de conclure un traité de paix et d'établir une structure de paix dans la péninsule.

Prenant au mot ces six pays, des spécialistes et des juristes sud-coréens ont rédigé en 2008 un projet de traité de paix en Corée. Il s'agit d'une démarche concrète proposant des objectifs atteignables, pour peu, bien sûr, que toutes les parties aient la volonté sincère de parvenir à la paix.

Si un tel traité est signé, si les Etats-Unis renoncent à mener une politique hostile à la RPDC, si des relations normales s'instaurent entre la RPDC et les Etats-Unis, la réunification de la Corée ira de l'avant et la paix sera mieux garantie en Asie du Nord-Est et dans le monde.

L'organisation civique sud-coréenne Solidarité pour la paix et la réunification de la Corée (Solidarity for Peace and Reunification of Korea, SPARK), qui s'attache à faire connaître ce projet de traité, a lancé une pétition qui sera transmise aux gouvernements des quatre pays concernés : la République de Corée, la République populaire démocratique de Corée, les Etats-Unis d'Amérique et la République populaire de Chine.

Pour que chacun puisse se faire sa propre opinion, l'Association d'amitié franco-coréenne publie ici le projet de traité de paix pour la Corée, traduit en français à partir de la version anglaise figurant sur le site Internet de SPARK.

 

Pour rejoindre les 30.000 personnes qui ont déjà signé la pétition en faveur d'un traité de paix en Corée, vous pouvez envoyer votre nom et, éventuellement, le nom de votre organisation, sans oublier d'indiquer votre pays, à l'adresse suivante : spark946@hanmail.net

 

 

Traité de paix pour la péninsule coréenne (projet)

 

La République de Corée, la République populaire démocratique de Corée, les Etats-Unis d'Amérique et la République populaire de Chine (désignés ci-après comme les « Parties contractantes »),

Conformément à l'article 4, paragraphe 60 de l'« Accord entre le Commandant en chef du Commandement des Nations Unies, d'un côté, et le Commandant suprême de l'Armée populaire de Corée et le Commandant des Volontaires du peuple chinois, de l'autre côté, concernant un armistice militaire en Corée » (désigné ci-après comme l' « Accord d'armistice »), qui prévoit le règlement pacifique de la question coréenne et le retrait de toutes les forces militaires étrangères,

En vue de mettre fin à l'état d'armistice qui dure depuis plus d'un demi-siècle, d'empêcher une nouvelle guerre et de garantir une paix permanente dans la péninsule coréenne,

Ont conclu ce Traité de paix.

Les Parties contractantes confirment que le présent Traité aidera le peuple coréen, lequel a si longtemps souffert d'être séparé de force par les puissances étrangères, à agir en tant qu'une seule nation pour réunifier pacifiquement son pays divisé.

En outre, dans l'espoir de contribuer à la paix et à la sécurité en Asie du Nord-Est et à la paix mondiale, les Parties contractantes s'engagent à se conformer au présent Traité et à l'appliquer.

 

Chapitre I

Droits fondamentaux du peuple coréen

 

Article 1er

Le peuple coréen a le droit à son indépendance, à sa souveraineté et à son intégrité territoriale, ainsi que le droit à sa réunification, et les Etats-Unis d'Amérique et la République populaire de Chine reconnaissent et respectent ces droits.

 

Chapitre II

Fin de la guerre, dissolution du Commandement des Nations Unies et retrait des forces militaires étrangères

 

Article 2

Les Parties contractantes confirment que la Guerre de Corée, qui a débuté le 25 juin 1950 et a été suspendue à titre provisoire par la conclusion de l'Accord d'armistice, le 27 Juillet 1953, est terminée. L'Accord d'armistice sera annulé dès l'entrée en vigueur du présent Traité de paix.

 

Article 3

1) A l'entrée en vigueur du présent Traité de paix, les Etats-Unis d'Amérique procéderont immédiatement à la dissolution du Commandement des Nations Unies, auquel est confiée la mission de faire respecter le cessez-le-feu au sud de la ligne de démarcation militaire, conformément à l'Accord d'armistice.[1]

2) Les Parties contractantes affirment que la résolution 83 (S/1511) du 27 Juin 1950 et la résolution 84 (S/1588) du 7 Juillet 1950 du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies, et la résolution 376 (V) du 7 octobre 1950 de l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations Unies sont devenues nulles et non avenues.

 

Article 4

Dans les trois années suivant l'entrée en vigueur du présent Traité de paix, toutes les forces militaires étrangères stationnées sur le territoire de la République de Corée procéderont au retrait complet de tout leur personnel et équipement, par étapes, et toutes les bases militaires étrangères seront évacuées.

 

Article 5

A partir de l'entrée en vigueur du présent Traité de paix, les Etats-Unis d'Amérique n'amèneront pas de personnel ou d'équipement, de quelque type que ce soit, sur le territoire de la Corée du Sud. Toutefois, jusqu'au retrait des forces armées des Etats-Unis de Corée, ils seront autorisés à y remplacer leur personnel militaire à raison de un pour un.

 

Article 6

Les Volontaires du peuple chinois se sont retirés du territoire de la Corée du Nord et il est confirmé qu'aucune force militaire étrangère ne demeure sur le territoire de la Corée du Nord.

 

Article 7

Dans un esprit de compréhension mutuelle et de réconciliation, les deux parties qui s'opposaient pendant la Guerre de Corée s'abstiendront de soulever des questions politiques ou juridiques au niveau national ou international en se référant aux dommages causés aux ressources humaines et matérielles au cours de la guerre et pendant l'armistice. Les Parties contractantes feront en permanence tout ce qui est possible pour trouver une solution aux problèmes humanitaires survenus au cours de la Guerre de Corée et pendant le cessez-le-feu.

 

Chapitre III

Normalisation des relations et non-agression entre la République populaire démocratique de Corée et les Etats-Unis d'Amérique

 

Article 8

La République populaire démocratique de Corée et les Etats-Unis d'Amérique prendront les mesures nécessaires réciproques pour mettre fin à leur relation hostile et pour établir des relations diplomatiques. La République populaire démocratique de Corée et les Etats-Unis d'Amérique modifieront ou abrogeront les lois nationales qui désignent l'autre partie comme un pays ennemi.

 

Article 9

La République populaire démocratique de Corée et les Etats-Unis d'Amérique s'abstiendront de recourir ou de menacer de recourir à tout type de force contre l'autre partie quelles que soient les circonstances.

 

Article 10

La République populaire démocratique de Corée et les Etats-Unis d'Amérique reconnaîtront et respecteront la souveraineté de l'autre partie et ne s'ingéreront pas dans les affaires intérieures de l'autre partie.

 

Article 11

La République populaire démocratique de Corée et les Etats-Unis d'Amérique respecteront la Déclaration commune du 19 septembre, l'Accord du 13 février et l'Accord du 3 octobre des Pourparlers à six pays concernant la dénucléarisation de la péninsule coréenne.

 

Article 12

Conformément au principe « action pour action», la République populaire démocratique de Corée démantèlera ses armes nucléaires en même temps que les Etats-Unis d'Amérique procéderont au retrait de leurs forces militaires stationnées en République de Corée.

 

Article 13

La République populaire démocratique de Corée et les Etats-Unis d'Amérique règleront leurs différends par la voie du dialogue et de la négociation, sur la base de l'égalité et de la justice.

 

Chapitre IV

Non-agression entre la Corée du Sud et la Corée du Nord et réunification de la Corée

 

Article 14

1) Le Sud et le Nord (le Nord et le Sud) de la Corée mettront fin à leurs relations hostiles, et reconnaîtront et respecteront le système de l'autre partie. La Corée du Sud et la Corée du Nord n'entreprendront aucune action visant à détruire et à renverser l'autre partie.

2) Le Sud et le Nord de la Corée modifieront ou abrogeront les lois ou règlements désignant l'autre partie comme ennemie.

 

Article 15

Le Sud et le Nord (le Nord et le Sud) de la Corée s'abstiendront de recourir ou de menacer de recourir à tout type de force contre l'autre partie quelles que soient les circonstances.

 

Article 16

Le Sud et le Nord (le Nord et le Sud) de la Corée résoudront pacifiquement leurs différends, par la voie du dialogue et de la négociation. Les Etats-Unis d'Amérique et la République populaire de Chine n'entreprendront aucune action visant à entraver le règlement pacifique des différends entre le Sud et le Nord (le Nord et le Sud) de la Corée.

 

Article 17

1) La délimitation et la zone de non-agression terrestres entre le Sud et le Nord (le Nord et le Sud) de la Corée seront fixées le long de la ligne de démarcation militaire, tel que stipulé dans l'Accord d'armistice, et seront les mêmes limites et zones au sein desquelles le Sud et le Nord (le Nord et le Sud) de la Corée ont jusqu'à présent exercé leurs juridictions respectives.

2) Le Sud et le Nord (le Nord et le Sud) de la Corée fixeront la délimitation et la zone de non-agression maritimes sur la base de la compréhension mutuelle et de la réconciliation, de la promotion de la paix et du respect des lois maritimes internationales. Les détails devront être en conformité avec un accord supplémentaire entre le Sud et le Nord (le Nord et le Sud) de la Corée.

3) Les limites et l'espace aériens du Sud et du Nord (du Nord et du Sud) de la Corée seront fixés au-dessus des mêmes limites et zones terrestres et maritimes au sein desquelles le Sud et le Nord (le Nord et le Sud) de la Corée ont jusqu'à présent exercé leurs juridictions respectives.

4) Jusqu'au passage à la réunification, les limites et zones terrestres, maritimes, et aériennes mentionnées ci-dessus constitueront des limites et zones de non-agression provisoires.

 

Article 18

1) La Corée du Sud et la Corée du Nord ne concluront pas d'alliances militaires ni ne participeront à des alliances militaires multilatérales. Dans les trois ans suivant l'entrée en vigueur du présent Traité de paix, la Corée du Sud et la Corée du Nord dissoudront les alliances militaires existantes et abrogeront tous les traités ou accords qui s'y rapportent.

2) L'abrogation mentionnée dans la clause 1) ci-dessus concerne tout traité ou accord qui permettrait l'ingérence de puissances étrangères dans la question de la réunification ou conduirait à la réunification de la péninsule coréenne par la force.

 

Article 19

Après le retrait des forces militaires étrangères de la péninsule coréenne, et l'évacuation des bases militaires étrangères, le Sud et le Nord (le Nord et le Sud) la Corée ne permettront pas le stationnement de toute force militaire étrangère ou l'installation de toute base militaire étrangère.

 

Article 20

Le Sud et le Nord (le Nord et le Sud) de la Corée parviendront à la réunification de la péninsule coréenne par la voie d'un accord mutuel, conformément au Communiqué conjoint du 4 juillet, à l'Accord de base Nord-Sud, à la Déclaration commune du 15 juin, et à la Déclaration pour le développement des rapports Nord-Sud, la paix et la prospérité du 4 octobre, d'une manière indépendante et pacifique, sans aucune ingérence de pays étrangers.

 

Chapitre V

Etablissement d'une Zone de paix, mesures destinées à instaurer la confiance et désarmement

 

Article 21

Afin d'éliminer totalement les préoccupations quant à l'éclatement d'une guerre dans la péninsule coréenne, la République de Corée, la République populaire démocratique de Corée et les Etats-Unis d'Amérique prendront des mesures destinées à instaurer la confiance mutuelle et désarmeront.

 

Article 22

1) La Zone démilitarisée (DMZ) établie par l'Accord d'armistice sera transformée en une Zone de paix, et les installations et matériels militaires introduits dans la Zone démilitarisée avant la conclusion du présent Traité de paix seront tous enlevés et détruits. Dans la Zone de paix, le stationnement du personnel militaire et l'installation d'équipements et de structures militaires seront également interdits, et le passage des civils dans la Zone sera garanti.

2) La Zone de paix sera contrôlée conjointement par la Corée du Sud et la Corée du Nord. Les détails du contrôle conjoint et du trafic civil seront en conformité avec une annexe au présent Traité de paix entre le Sud et le Nord (le Nord et le Sud) de la Corée.

 

Article 23

Le Sud et le Nord (le Nord et le Sud) de la Corée établiront une Zone de paix et des aires de pêche communes en mer de l'Ouest, et en assureront conjointement le contrôle; ces détails seront en conformité avec une annexe au présent Traité de paix. Les Etats-Unis d'Amérique et la République populaire de Chine reconnaîtront et respecteront les accords entre le Sud et le Nord (le Nord et le Sud) de la Corée relatifs à la Zone de paix et aux aires de pêche communes en mer de l'Ouest.

 

Article 24

La Corée du Sud et la Corée du Nord (la Corée du Nord et la Corée du Sud) ne mèneront aucun exercice militaire combiné ni entraînement avec des forces militaires étrangères dans la péninsule coréenne.

 

Article 25

Afin d'éliminer les préoccupations de l'autre partie concernant des attaques surprises, et afin de prévenir tout affrontement armé accidentel, le Sud et le Nord (le Nord et le Sud) de la Corée appliqueront des mesures destinées à instaurer la confiance, dont des rapports et contrôles sur les mouvement de troupes et les exercices ou entraînements militaires de grande envergure, l'installation et l'exploitation de lignes téléphoniques directes entre les autorités militaires, des échanges de personnels militaires et d'informations, etc... Les détails concernant les mesures destinées à instaurer la confiance dans le domaine militaire seront en conformité avec une annexe au présent Traité de paix.

 

Article 26

Afin de mettre un terme à la course aux armements et afin de garantir une paix permanente dans la péninsule coréenne, le Sud et le Nord (le Nord et le Sud) de la Corée mettront en œuvre des mesures de désarmement mutuel, par étapes, à partir de l'entrée en vigueur du présent Traité de paix, en liaison avec le retrait des forces des Etats-Unis de Corée. L'introduction d'armes provenant de pays étrangers sera interdite, et les détails de l'élimination des armes de destruction massive et des capacités offensives, ainsi que les détails du désarmement mutuel, seront en conformité avec une annexe au présent Traité de paix.

 

Article 27

La Corée du Sud et la Corée du Nord (la Corée du Nord et la Corée du Sud) ne fabriqueront, ne recevront ou ne déploieront aucune arme nucléaire. En outre, le Sud et le Nord (le Nord et le Sud) de la Corée n'accepteront pas la proposition de parapluie nucléaire faite par un autre pays. Les Etats-Unis d'Amérique et la République populaire de Chine consacreront leurs efforts à la réalisation d'une zone exempte d'armes nucléaires en Asie du Nord-Est afin que la dénucléarisation de la péninsule coréenne puisse être préservée et solidement établie.

 

Chapitre VI

Commission conjointe pour l'application du présent Traité de paix

 

Article 28

1) Les représentants du Sud et du Nord de la Corée, des Etats-Unis d'Amérique et de la République populaire de Chine créeront et feront fonctionner une Commission militaire mixte quadripartite dont l'objectif est l'application du présent Traité de paix.

2) La Commission militaire mixte quadripartite examinera et vérifiera l'application de chacune des dispositions suivantes du présent Traité.

a) la dissolution du Commandement des Nations Unies (article 3)

b) le retrait des forces militaires étrangères et l'évacuation des bases militaires étrangères (article 4)

c) la rotation des forces militaires des Etats-Unis jusqu'au retrait des forces des Etats-Unis de Corée (article 5)

d) le respect de la dénucléarisation de la péninsule coréenne (article 11)

e) le retrait des forces des Etats-Unis de Corée et le démantèlement des armes nucléaires de la République populaire démocratique de Corée (article 12)

f) la suspension des exercices combinés ou entraînements avec les forces militaires étrangères tant par la Corée du Sud que par la Corée du Nord (article 24)

g) la concertation et la mise en œuvre du désarmement entre le Sud et le Nord de la Corée (article 26)

3) La République de Corée, la République populaire démocratique de Corée, les Etats-Unis d'Amérique et la République populaire de Chine se mettront immédiatement d'accord sur l'organisation, les procédures de travail, les moyens de mise en œuvre, les dépenses et l'emplacement de la Commission militaire mixte quadripartite. La Commission militaire mixte quadripartite sera dissoute lorsque sera achevé le retrait des forces des Etats-Unis de Corée et lorsque seront démantelées les armes nucléaires de la République populaire démocratique de Corée.

 

Article 29

1) Une Commission conjointe Sud-Nord (Nord-Sud) pour le contrôle de la paix sera établie, composée de représentants du Sud et du Nord de la Corée, aux fins d'application du présent Traité de paix.

2) La Commission conjointe Sud-Nord (Nord-Sud) pour le contrôle de la paix examinera et vérifiera l'application de chacune des dispositions suivantes du présent Traité.

a) la transformation de la Zone démilitarisée en une Zone de paix, et le contrôle de celle-ci (article 22)

b) le contrôle conjoint de la Zone de paix et des aires de pêche communes en mer de l'Ouest (article 23)

c) la suspension des exercices combinés ou des entraînements avec les forces militaires étrangères (article 24)

d) les mesures destinées à instaurer la confiance dans le domaine militaire entre le Sud et le Nord (le Nord et le Sud) de la Corée (article 25)

e) la concertation et la mise en œuvre du désarmement entre le Sud et le Nord (le Nord et le Sud) de la Corée (article 26)

3) Le Sud et le Nord (le Nord et le Sud) de la Corée se mettront immédiatement d'accord sur l'organisation, les procédures de travail, les moyens de mise en œuvre, les dépenses et l'emplacement de la Commission conjointe Sud-Nord (Nord-Sud) pour le contrôle de la paix.

 

Article 30

La Commission militaire mixte quadripartite et la Commission conjointe Sud-Nord (Nord-Sud) pour le contrôle de la paix travailleront selon les principes de la concertation et du consensus. En cas d'avis divergents, il en sera référé à l'Equipe internationale de surveillance de la paix qui effectuera une médiation et trouvera une solution.

 

Chapitre VII

Equipe internationale de surveillance de la paix

 

Article 31

1) Cette Equipe internationale de surveillance de la paix sera établie dans le but de superviser la mise en œuvre du présent Traité de paix et d'arbitrer les divergences d'avis entre les pays concernés, qui peuvent survenir au cours du processus de mise en œuvre.

2) L'Equipe internationale de surveillance de la paix sera composée de représentants de cinq pays : la Suisse, l'Inde, la Malaisie, la Suède et le Brésil.

 

Article 32

1) L'Equipe internationale de surveillance de la paix supervisera et veillera à chacune des dispositions suivantes du présent Traité, et en présentera un compte rendu aux Parties contractantes.

a) la dissolution du Commandement des Nations Unies (article 3)

b) le retrait des forces militaires étrangères et l'évacuation des bases militaires étrangères (article 4)

c) la rotation des forces militaires des Etats-Unis jusqu'au retrait des forces des Etats-Unis de Corée (article 5)

d) le respect de la dénucléarisation de la péninsule coréenne (article 11)

e) le retrait des forces des Etats-Unis de Corée et le démantèlement des armes nucléaires de la République populaire démocratique de Corée (article 12)

f) la transformation de la Zone démilitarisée en une Zone de paix, et le contrôle de celle-ci (article 22)

g) le contrôle conjoint de la Zone de paix et des aires de pêche communes en mer de l'Ouest (article 23)

h) la suspension des exercices combinés ou des entraînements avec les forces militaires étrangères par le Sud et le Nord (le Nord et le Sud) de la Corée (article 24)

i) les mesures destinées à instaurer la confiance dans le domaine militaire entre le Sud et le Nord (le Nord et le Sud) de la Corée (article 25)

j) la concertation et la mise en œuvre du désarmement entre le Sud et le Nord (le Nord et le Sud) de la Corée (article 26)

2) La fonction de président de l'Equipe internationale de surveillance de la paix sera occupée successivement par les représentants de chaque pays, pour une période de temps et selon un calendrier à déterminer par cette Equipe.

3) Le bureau principal de l'Equipe internationale de surveillance de la paix sera situé à Panmunjom.

 

Article 33

L'Equipe internationale de surveillance de la paix formera un groupe de supervision afin de mener à bien sa mission. Les Parties contractantes fourniront les facilités nécessaires au travail du groupe de supervision.

 

Article 34

L'Equipe internationale de surveillance de la paix fonctionnera selon les principes de la concertation et du consensus. Lorsque les opérations de contrôle et de supervision liées à la mise en œuvre du présent Traité de paix seront achevées, l'Equipe internationale de surveillance de la paix sera dissoute.

 

Chapitre VIII

Articles additionnels

 

Article 35

Le présent Traité de paix entrera en vigueur dès sa signature.

 

Article 36

Le présent Traité de paix restera en vigueur jusqu'à la réunification complète de la Corée.

 

Article 37

Le présent Traité de paix peut être modifié et complété par l'accord mutuel des Parties contractantes.

 

Article 38

Le présent Traité de paix sera rédigé en coréen, en anglais et en chinois, ces trois versions ayant force égale.

 

 

le .../.../20...

 

... Représentant de la République de Corée

... Représentant de la République populaire démocratique de Corée

... Représentant des Etats-Unis d'Amérique

... Représentant de la République populaire de Chine

 

 

Source : Solidarity for Peace and Reunification of Korea. Traduction par l'AAFC, à partir de la version anglaise de Agatha Haun, membre de Tlaxcala (réseau international des traducteurs pour la diversité linguistique). Version coréenne disponible sur le site de SPARK.

 

 

Télécharger la pétition pour un traité de paix (en français)

 

 

 

[1] NdT : En Corée du Sud, un Commandement des Nations Unies a été constitué avec des militaires des 15 pays intervenus dans la Guerre de Corée aux côtés des Etats-Unis, en application d'une décision du Conseil de sécurité du 7 juillet 1950. Entre 1953 et 1957, ces 15 pays ont retiré leurs corps expéditionnaires de Corée, laissant les militaires américains seuls au sein du Commandement des Nations Unies. Voir Robert Charvin et Guillaume Dujardin, La Corée vers la réunification, L'Harmattan, 2010, pp. 156-159

 

 

Protest_25072010.jpg

Le 25 juillet 2010, à Séoul, quelque 300 manifestants sud-coréens sont réunis devant l'ambassade des Etats-Unis pour y faire entendre leurs slogans : "Halte aux manoeuvres de guerre !", "Mettons fin à l'alliance guerrière entre les Etats-Unis et la Corée du Sud !", "Etablissons la vérité sur le Cheonan !", "Reprenons immédiatement le contrôle opérationnel [en cas de guerre] !", "Forces américaines en Corée, rentrez chez vous !", et "Un Traité de paix maintenant !"

(source : Tongil News)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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6 juillet 2010 2 06 /07 /juillet /2010 23:21

Alors que l'année 2010 marque le soixantième anniversaire du début de la guerre de Corée (1950-1953), l'absence de traité de paix dans la péninsule coréenne depuis l'armistice de 1953 signale que la Corée reste, de manière anachronique, un des derniers théâtres de la guerre froide. Pour mieux comprendre un conflit complexe, nous reproduisons ci-après, avec l'autorisation de leurs auteurs, des extraits de l'ouvrage La Corée : vers la réunification de Robert Charvin et Guillaume Dujardin, publié par L'Harmattan en juin 2010. Cet ouvrage est disponible (25 euros) à L'Harmattan (16, rue des Ecoles - 75 005 Paris), auprès de l'AAFC et à la papeterie ENCR'ID (8, rue de Surène - 75 008 Paris).

 

38th_parallel.jpgContrairement aux idées reçues et simplistes répandues dans le monde occidental, la nature de cette guerre est complexe.

 

 Elle est d'abord une guerre civile [1] dont l'issue dans l'immédiat après-guerre était évidente : les forces révolutionnaires et nationalistes, dominantes au Nord, mais aussi fortement présentes au Sud, l'auraient rapidement emporté sans intervention extérieure. Le mécontentement de la population du Sud devant le maintien des privilèges des collaborateurs qui, déjà, durant la colonisation japonaise avaient profité de la domination nippone, et face à une armée américaine se comportant en maître absolu et en force d'occupation, ne pouvait que provoquer des réactions patriotiques [2].

 

Or, une intervention étrangère dans ce type de conflit est une ingérence au regard de la Charte des Nations Unies qui venait d'être adoptée et telle qu'on l'interprétait unanimement aux lendemains de son adoption. La résolution du Conseil de Sécurité (27 juin 1950) qui décidait d'envoyer une force armée à la demande des Etats-Unis [3] n'est en rien une garantie du respect de la légalité onusienne : ce n'est qu'une violation des principes de l'ONU par l'un de ses organes, d'autant que l'armée américaine était intervenue avant le vote de cette résolution !

 

Ce conflit interne a été en effet internationalisé afin d'éviter une victoire nationaliste et communiste en Corée. Les principaux responsables sont les Etats-Unis, assistés de la Grande-Bretagne, alors que les problèmes internes de la Corée ne pouvaient présenter une menace quelconque pour la paix dans la région, encore moins dans le monde. C'est au contraire cette internationalisation qui va provoquer une menace pour la paix mondiale, lorsque l'armée américaine et son commandant en chef MacArthur envisageaient d'user de l'arme atomique contre la Chine, elle-même intervenue pour assister ses alliés nord-coréens. Les objectifs mêmes des Nations Unies étaient remis en cause par les Nations Unies elles-mêmes à l'instigation des Etats-Unis !

 

De plus, il est reconnu par les chercheurs américains eux-mêmes ayant dépouillé les archives du Pentagone que le droit humanitaire a été massivement violé par l'aviation américaine, responsable de bombardements massifs au napalm des villes nord-coréennes (sur les 22 principales villes, 18 ont été rasées, y compris Pyongyang). Le général MacArthur avait même réclamé à Washington l'autorisation de larguer trente bombes atomiques, particulièrement le long de la frontière sino-coréenne, puis d'établir une ceinture de cobalt radioactif (dont la durée de vie varie de 60 à 120 ans) au nord de la frontière nord-coréenne. Un projet équivalent a été envisagé ultérieurement pour séparer le Nord du Sud [4] !

 

Toutefois, la guerre de Corée ne s'inscrit pas essentiellement dans la confrontation Est-Ouest [5]. L'URSS, en 1950, a pour préoccupation majeure l'Europe et la stabilisation des rapports établis par Yalta. L'Etat soviétique a freiné les stratégies offensives des partis communistes occidentaux (particulièrement en 1947-48) jugées trop « intempestives » en aspirant davantage à sa propre reconstruction et à sa sécurité qu'à l'extension d'un quelconque mouvement révolutionnaire [6]. Il se satisfait des acquis que représente le « glacis » des démocraties populaires en Europe de l'Est. Cette guerre est plus proche en réalité des affrontements qui suivront dans les années 60-70 entre les mouvements de libération nationale et les métropoles coloniales, assistées de leurs « harkis ».

 

Les deux parties Nord et Sud face à face ont « une vue quasi symétrique de la question », comme le note Nora Wang [7] : au Sud, la tension sociale est vive et le gouvernement de Pyongyang a pu estimer qu'étaient réunies les conditions d'une réunification ; le Président Syngman Rhee a dû avoir une analyse analogue en faveur d'une intervention avec l'aide irremplaçable des Etats-Unis, tout comme le représentant américain J. Foster-Dulles, les Chinois étant occupés par des problèmes au Tibet, par la question de Taïwan ainsi que par l'aide qu'ils commencent à apporter au Vietnam du Nord. Quant à l'URSS, elle ne siège plus au Conseil de Sécurité et ne peut donc faire jouer son droit de veto [8]. L'Armée Rouge avait quitté le territoire coréen depuis 1948. Comme pour les Vietnamiens, la réunification pour la majorité des Coréens est avant tout une question nationale : il s'agit de réaliser enfin la souveraineté de la Corée.

 

La guerre de Corée appartient donc à l'ensemble des conflits qui, sur tous les continents entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et les années soixante-dix, aboutiront à la naissance de nombreux « Nouveaux Etats » et du Tiers Monde.



[1] Dans la plupart des manuels occidentaux de « Relations Internationales » destinés aux étudiants, la « guerre de Corée » est présentée comme un conflit armé interétatique classique, s'insérant dans la « guerre froide » entre le bloc communiste et le bloc « occidental ». Cf. par exemple, S. Sur. Relations internationales. Montchrestien. 1995, p. 111. Néanmoins, le professeur Guilhaudis (Relations Internationales contemporaines. Litec. 2002) définit la guerre civile comme un « affrontement de masses armées importantes pouvant aboutir au partage du pays en deux ou plusieurs zones contrôlées chacune par une des parties qui s'opposent » (p. 100). Mais l'illustration donnée est celle de la révolution chinoise, et non celle de la Corée.  
[2] L'opinion officieuse de la France est publiée dans l'éditorial du journal Le Monde (26-28 juin 1950) : « Il est peut-être trop tard pour sauver la Corée du Sud (...) en raison des inconséquences et des hésitations de la politique américaine en Extrême-Orient (....) Il n'est guère probable heureusement que l'on voit dégénérer l'affaire coréenne en conflit international ».  
[3] La résolution du Conseil de Sécurité (25 juin), qui a précédé celle décidant l'intervention militaire des forces des Nations Unies, faisait simplement appel aux deux parties pour la cessation des hostilités, alors que les Etats-Unis souhaitaient que le Conseil de Sécurité ne s'adresse qu'à la Corée du Nord. Ce décalage entre les deux positions révèle les hésitations des membres du Conseil de Sécurité. Mais les Etats-Unis, dès le 25 juin, avaient décidé d'envoyer en Corée les troupes stationnées au Japon.
[4] Voir par exemple, les travaux du professeur de l'Université de Chicago, Bruce Cumings. North Korea, Another Country, The New Press. New York. 2004. Voir aussi B. Cumings, The Origins of the Korea War. Princeton University Press. 1990.
Après le départ de MacArthur, les Etats-Unis ont continué à envisager l'usage des armes atomiques. En mars 1951, elles étaient installées à Okinawa, prêtes à être lancées sur la Corée du Nord.  
[5] Si pour les Etats-Unis, la Corée est une « tête de pont » stratégique de première importance étant donné sa position géographique, pour l'URSS la Corée n'a qu'un intérêt très secondaire, tout comme l'Europe occidentale. L'URSS a, à cette époque, pour préoccupations le renforcement de son propre Etat et sa mise en sécurité, et non celle d'aider le mouvement communiste international à s'étendre partout dans le monde. « L'internationalisme » du PCUS n'a jamais été une priorité au détriment des intérêts étatiques plus prosaïques.  
[6] Certains auteurs occidentaux croient devoir, sans aucun argument, mentionner que Staline est, directement ou indirectement, responsable de « l'attaque » nord-coréenne. Voir T. Delpech. L'ensauvagement. Grasset. 2005, p. 302 et  P. Rigoulot. Corée du Nord, Etat voyou. Buchet-Chastel. 2003, p. 19.  
[7] Cf. N. Wang, op. cit., p. 235.  
[8] Il serait paradoxal que « l'attaque du Nord » ait été décidée au moment même où l'URSS ne pouvait empêcher les Etats-Unis d'instrumentaliser l'ONU ! Au contraire, on peut faire l'hypothèse que les Etats-Unis craignaient que l'installation définitive du PC chinois au pouvoir à Pékin risque de rendre irréversible les avancées des communistes nord-coréens.
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24 juin 2010 4 24 /06 /juin /2010 23:01

Le 25 juin 2010 marque le soixantième anniversaire du début de la Guerre de Corée, appelée « Guerre de Libération de la patrie » en République populaire démocratique de Corée.  Entre 1950 et 1953, les hostilités ont fait près de quatre millions de victimes, mais l' « héritage » de cette guerre va  bien au-delà de ce bilan humain déjà terrifiant : l'accord d'armistice signé à Panmunjom le 27 juillet 1953 a scellé la division de la péninsule coréenne en établissant une ligne de démarcation militaire entre le nord et le sud, et, faute de véritable traité de paix, la Corée reste « techniquement » en état de belligérance. Au lendemain de la libération de la Corée (15 août 1945), après 35 ans de colonisation japonaise, le peuple coréen pouvait pourtant légitimement prétendre à recouvrer son indépendance et sa souveraineté, comme s'y étaient engagés les pays alliés lors de la Conférence du Caire (novembre 1943). Cette légitime aspiration de la nation coréenne ne fut malheureusement pas réalisée dans le contexte d'affrontement des grandes puissances : dès le mois de septembre 1945, deux zones d'occupation, soviétique et américaine, se mirent en place de part et d'autre du 38eme parallèle. En 1948, l'organisation d'élections séparées au sud, sous l'égide de l'ONU où les Etats-Unis disposaient de la majorité, aboutit à la création de deux Etats coréens : la République de Corée au sud, la République populaire démocratique de Corée au nord. La partition de fait de la Corée était réalisée. La nation coréenne se trouvait dramatiquement divisée contre son gré par la « frontière » artificielle du 38eme parallèle, autour de laquelle divers accrochages firent des milliers de morts de 1945 à 1950. La thèse de l'offensive nord-coréenne du 25 juin 1950 servit de prétexte à une intervention militaire des Etats-Unis, dans le cadre d'une stratégie américaine globale de « refoulement du communisme ».  L'intervention américaine en Corée fut légitimée par le Conseil de sécurité de l'ONU  - où l'URSS ne siégeait pas en raison du refus d'y admettre la jeune République populaire de Chine -, le président américain Harry Truman présentant alors l'envoi de troupes en Corée comme une « opération de police » dont le but était de repousser un « raid de bandits contre la République de Corée ». Le président américain l'a fait sans déclaration de guerre, jusqu'alors une condition préalable à la participation militaire des Etats-Unis à l'étranger. Il a ainsi établi un précédent pour le président Lyndon Johnson qui a engagé des troupes dans la Guerre du Vietnam sans jamais solliciter un mandat du Congrès pour son action. Les interventions en Irak et en Afghanistan ont été menées selon les mêmes principes. Pour cette « opération de police », les Etats-Unis eurent recours à des armes de destruction massive,  ou menacèrent d'en utiliser, ce qui contribue encore à éclairer la situation actuelle. Comme l'écrit  l'historien américain Bruce Cumings en conclusion de l'article que nous reproduisons ci-après, « la Corée du Nord tenterait, sans raison, de s’équiper en armes de destruction massive, tandis que l’opposition de Washington à cette stratégie relèverait de l’innocence originelle. Pourtant, depuis les années 1940, les Etats-Unis ont eux-mêmes utilisé ou menacé d’utiliser ces armes en Asie du Nord-Est. Ils sont la seule puissance à avoir eu recours à la bombe atomique, et leur dissuasion repose sur la menace de les employer de nouveau en Corée ». Cumings écrivait ces lignes en 2004, sous l'administration Bush. Elles restent d'une troublante actualité, surtout  après l'annonce, le 6 avril 2010, de la nouvelle posture nucléaire de l'administration Obama, selon laquelle les Etats-Unis s'autorisent à frapper la Corée du Nord avec des armes nucléaires même si celle-ci n'utilise que des armes conventionnelles.

Mémoires de feu en Corée du Nord

par Bruce Cumings

 

Plutôt que d’une guerre « oubliée », mieux vaudrait parler, s’agissant de la Guerre de Corée (1950-1953), d’une guerre inconnue. L’effet incroyablement destructeur des campagnes aériennes américaines contre la Corée du Nord – qui allèrent du largage continu et à grande échelle de bombes incendiaires (essentiellement au napalm) aux menaces de recours aux armes nucléaires et chimiques [1] et à la destruction de gigantesques barrages nord-coréens dans la phase finale de la guerre – est indélébile. Ces faits sont toutefois peu connus, même des historiens, et les analyses de la presse sur le problème nucléaire nord-coréen ces dix dernières années n’en ont jamais fait état. [NdT : ce texte a été écrit en décembre 2004] 

 

La Guerre de Corée passe pour avoir été limitée, mais elle ressembla fort à la guerre aérienne contre le Japon impérial pendant la Seconde Guerre mondiale, et fut souvent menée par les mêmes responsables militaires américains. Si les attaques d’Hiroshima et de Nagasaki ont fait l’objet de nombreuses analyses, les bombardements incendiaires contre les villes japonaises et coréennes ont reçu beaucoup moins d’attention. Quant aux stratégies nucléaire et aérienne de Washington en Asie du Nord-Est après la Guerre de Corée, elles sont encore moins bien comprises, alors que ces stratégies ont défini les choix nord-coréens et demeurent un facteur-clé dans l’élaboration de la stratégie américaine en matière de sécurité nationale. (...)

 

Le napalm fut inventé à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Son utilisation provoqua un débat majeur pendant la Guerre du Vietnam, attisé par des photos insoutenables d’enfants qui couraient nus sur les routes, leur peau partant en lambeaux... Une quantité encore plus grande de napalm fut néanmoins larguée sur la Corée, dont l’effet fut beaucoup plus dévastateur, car la République populaire démocratique de Corée (RPDC) comptait bien plus de villes peuplées que le Nord-Vietnam. En 2003, j’ai participé à une conférence aux côtés d’anciens combattants américains de la Guerre de Corée. Lors d’une discussion à propos du napalm, un survivant de la bataille du Réservoir de Changjin (Chosin, en japonais), qui avait perdu un œil et une partie de la jambe, affirma que cette arme était bel et bien ignoble, mais qu’elle « tombait sur les bonnes personnes ».

 

Les bonnes personnes ? Comme lorsqu’un bombardement toucha par erreur une douzaine de soldats américains : « Tout autour de moi, les hommes étaient brûlés. Ils se roulaient dans la neige. Des hommes que je connaissais, avec qui j’avais marché et combattu, me suppliaient de leur tirer dessus... C’était terrible. Quand le napalm avait complètement brûlé la peau, elle se détachait en lambeaux du visage, des bras, des jambes... comme des chips de pommes de terre frites. »  [2]

 

Un peu plus tard, George Barrett, du New York Times, découvrit un « tribut macabre à la totalité de la guerre moderne » dans un village au nord d’Anyang (en Corée du Sud) : « Les habitants de tout le village et dans les champs environnants furent tués et conservèrent exactement l’attitude qu’ils avaient lorsqu’ils furent frappés par le napalm : un homme s’apprêtait à monter sur sa bicyclette, une cinquantaine d’enfants jouaient dans un orphelinat, une mère de famille étrangement intacte tenait dans la main une page du catalogue Sears-Roebuck où était cochée la commande no 3811294 pour une “ravissante liseuse couleur corail”. » Dean Acheson, secrétaire d’Etat, voulait que ce genre de « reportage à sensation » soit signalé à la censure afin qu’on puisse y mettre un terme . [3]

 

WarKorea_B-29-korea.jpgL’un des premiers ordres d’incendier des villes et des villages que j’ai trouvés dans les archives fut donné dans l’extrême sud-est de la Corée, pendant que des combats violents se déroulaient le long du périmètre de Pusan, début août 1950, alors que des milliers de guérilleros harcelaient les soldats américains. Le 6 août 1950, un officier américain donna l’ordre à l’armée de l’air « que soient oblitérées les villes suivantes » : Chongsong, Chinbo et Kusu-Dong. Des bombardiers stratégiques B-29 furent également mis à contribution pour des bombardements tactiques. Le 16 août, cinq formations de B-29 frappèrent une zone rectangulaire près du front qui comptait un grand nombre de villes et de villages, et créèrent un océan de feu en larguant des centaines de tonnes de napalm. Un ordre semblable fut émis le 20 août. Et le 26 août, on trouve dans ces mêmes archives la simple mention : « Onze villages incendiés ». [4] 

 

Les pilotes avaient ordre de frapper les cibles qu’ils pouvaient discerner pour éviter de frapper des civils, mais ils bombardaient souvent des centres de population importants identifiés par radar, ou larguaient d’énormes quantités de napalm sur des objectifs secondaires lorsque la cible principale ne pouvait être atteinte. La ville industrielle de Hungnam fut la cible d’une attaque majeure le 31 juillet 1950, au cours de laquelle 500 tonnes de bombes furent lâchées à travers les nuages. Les flammes s’élevèrent jusqu’à une centaine de mètres. L’armée américaine largua 625 tonnes de bombes sur la Corée du Nord le 12 août, un tonnage qui aurait requis une flotte de 250 B-17 pendant la Seconde Guerre mondiale. Fin août, les formations de B-29 déversaient 800 tonnes de bombes par jour sur le Nord. [5] Ce tonnage consistait en grande partie en napalm pur. De juin à fin octobre 1950, les B-29 déversèrent 3,2 millions de litres de napalm.

 

Boy victim of napalm

Enfant coréen brûlé par le napalm

 

Au sein de l’armée de l’air américaine, certains se délectaient des vertus de cette arme relativement nouvelle, introduite à la fin de la précédente guerre, se riant des protestations communistes et fourvoyant la presse en parlant de « bombardements de précision ». Les civils, aimaient-ils à prétendre, étaient prévenus de l’arrivée des bombardiers par des tracts, alors que tous les pilotes savaient que ces tracts n’avaient aucun effet. [6] Cela n’était qu’un prélude à la destruction de la plupart des villes et villages nord-coréens qui allait suivre l’entrée de la Chine dans la guerre.

 

Larguer trente bombes atomiques ?

 

inchon-mcarthur.jpgL’entrée des Chinois dans le conflit provoqua une escalade immédiate de la campagne aérienne. A compter du début novembre 1950, le général MacArthur ordonna que la zone située entre le front et la frontière chinoise soit transformée en désert, que l’aviation détruise tous les « équipements, usines, villes et villages » sur des milliers de kilomètres carrés du territoire nord-coréen. Comme le rapporta un attaché militaire britannique auprès du quartier général de MacArthur, le général américain donna l’ordre de « détruire tous les moyens de communication, tous les équipements, usines, villes et villages » à l’exception des barrages de Najin, près de la frontière soviétique et de Yalu (épargnés pour ne pas provoquer Moscou et Pékin). « Cette destruction [devait] débuter à la frontière mandchoue et continuer vers le sud. » Le 8 novembre 1950, 79 B-29 larguaient 550 tonnes de bombes incendiaires sur Sinuiju, « rayant de la carte ». Une semaine plus tard, un déluge de napalm s’abattait sur Hoeryong « dans le but de liquider l’endroit ». Le 25 novembre, « une grande partie de la région du Nord-Ouest entre le Yalu et les lignes ennemies plus au sud (...) est plus ou moins en feu ». La zone allait bientôt devenir une « étendue déserte de terre brûlée  ». [7] 

 

Tout cela se passait avant la grande offensive sino-coréenne qui chassa les forces de l’ONU du nord de la Corée. Au début de l’attaque, les 14 et 15 décembre, l’aviation américaine lâcha au-dessus de Pyongyang 700 bombes de 500 livres, du napalm déversé par des avions de combat Mustang, et 175 tonnes de bombes de démolition à retardement qui atterrirent avec un bruit sourd et explosèrent ensuite, quand les gens tentèrent de sauver les morts des brasiers allumés par le napalm. Début janvier, le général Ridgway ordonna de nouveau à l’aviation de frapper la capitale Pyongyang « dans le but de détruire la ville par le feu à l’aide de bombes incendiaires » (objectif qui fut accompli en deux temps, les 3 et 5 janvier 1951). A mesure que les Américains se retiraient au sud du 38eme parallèle, la politique incendiaire de la terre brûlée se poursuivit : Uijongbu, Wonju et d’autres petites villes du Sud, dont l’ennemi se rapprochait, furent la proie des flammes. [8]

 

Battle_of_Inchon.jpgL’aviation militaire tenta aussi de décapiter la direction nord-coréenne. Pendant la guerre en Irak, en mars 2003, le monde a appris l’existence de la bombe surnommée « MOAB » (Mother of all bombs, Mère de toutes les bombes), pesant 21 500 livres et d’une capacité explosive de 18 000 livres de TNT. Newsweek en publia une photo en couverture, sous le titre « Pourquoi l’Amérique fait-elle peur au monde ?». [9] Au cours de l’hiver 1950-1951, Kim Il-sung et ses alliés les plus proches étaient revenus à leur point de départ des années 1930 et se terraient dans de profonds bunkers à Kanggye, près de la frontière mandchoue. Après trois mois de vaines recherches à la suite du débarquement d’Inchon, les B-29 larguèrent des bombes « Tarzan » sur Kanggye. Il s’agissait d’une bombe nouvelle, énorme, de 12 000 livres, jamais utilisée auparavant. Mais ce n’était encore qu’un pétard à côté de l’arme incendiaire ultime, la bombe atomique.

 

Le 9 juillet 1950, deux semaines seulement après le début de la guerre, le général MacArthur envoya au général Ridgway un « message urgent » qui incita les chefs d’état-major (CEM) « à examiner s’il fallait ou non donner des bombes A à MacArthur ». Le général Charles Bolte, chef des opérations, fut chargé de discuter avec MacArthur de l’utilisation de bombes atomiques « en soutien direct aux combats terrestres ». Bolte estimait qu’on pouvait réserver de 10 à 20 bombes au théâtre coréen sans que les capacités militaires globales des Etats-Unis s’en trouvent affectées « outre mesure ». MacArthur suggéra à Bolte une utilisation tactique des armes atomiques et lui donna un aperçu des ambitions extraordinaires qu’il nourrissait dans le cadre de la guerre, notamment l’occupation du Nord et une riposte à une potentielle intervention chinoise ou soviétique comme suit : « Je les isolerai en Corée du Nord. En Corée, je vois un cul-de-sac. Les seuls passages en provenance de Mandchourie et de Vladivostok comportent de nombreux tunnels et ponts. Je vois là une occasion unique d’utiliser la bombe atomique, pour frapper un coup qui barrerait la route et demanderait un travail de réparation de six mois. »

 

A ce stade de la guerre, toutefois, les chefs d’état-major rejetèrent l’usage de la bombe car les cibles suffisamment importantes pour nécessiter des armes nucléaires manquaient, ils redoutaient les réactions de l’opinion mondiale cinq ans après Hiroshima et ils s’attendaient que le cours de la guerre soit renversé par des moyens militaires classiques. Le calcul ne fut plus le même lorsque d’importants contingents de soldats chinois entrèrent en guerre, en octobre et novembre 1950.

 

Lors d’une célèbre conférence de presse, le 30 novembre, le président Truman agita la menace de la bombe atomique. [10] Ce n’était pas une bourde comme on le supposa alors. Le même jour, le général de l’armée de l’air Stratemeyer envoya l’ordre au général Hoyt Vandenberg de placer le commandement stratégique aérien en alerte « afin qu’il soit prêt à envoyer sans retard des formations de bombardiers équipés de bombes moyennes en Extrême-Orient,(...) ce supplément [devant] comprendre des capacités atomiques ». Le général d’aviation Curtis LeMay se souvient à juste titre que les CEM étaient parvenus auparavant à la conclusion que les armes atomiques ne seraient probablement pas employées en Corée, sauf dans le cadre d’une « campagne atomique générale contre la Chine maoïste ». Mais puisque les ordres changeaient en raison de l’entrée en guerre des forces chinoises, LeMay voulait être chargé de la tâche ; il déclara à Stratemeyer que son quartier général était le seul qui possédait l’expérience, la formation technique et « la connaissance intime » des méthodes de largage. L’homme qui dirigea le bombardement incendiaire de Tokyo en mars 1945 était prêt à mettre le cap de nouveau sur l’Extrême-Orient pour diriger les attaques. [11] Washington se souciait peu à l’époque de savoir comment Moscou allait réagir car les Américains possédaient au moins 450 bombes atomiques tandis que les Soviétiques n’en avaient que 25.

 

Peu de temps après, le 9 décembre, MacArthur fit savoir qu’il voulait un pouvoir discrétionnaire concernant l’utilisation des armes atomiques sur le théâtre coréen, et, le 24 décembre, il soumit une « liste de cibles devant retarder l’avancée de l’ennemi » pour lesquelles il disait avoir besoin de 26 bombes atomiques. Il demandait en outre que 4 bombes soient larguées sur les « forces d’invasion » et 4 autres sur les « concentrations ennemies cruciales de moyens aériens ».

 

Dans des interviews parues après sa mort, MacArthur affirmait avoir un plan permettant de remporter la guerre en dix jours : « J’aurais largué une trentaine de bombes atomiques (...) en mettant le paquet le long de la frontière avec la Mandchourie. » Il aurait ensuite amené 500 000 soldats de la Chine nationaliste au Yalu, puis aurait « répandu derrière nous, de la mer du Japon à la mer Jaune, une ceinture de cobalt radioactif (...) dont la durée de vie active se situe entre soixante et cent vingt années. Pendant soixante ans au moins, il n’aurait pas pu y avoir d’invasion terrestre de la Corée par le nord ». Il avait la certitude que les Russes n’auraient pas bougé devant cette stratégie de l’extrême : « Mon plan était simple comme bonjour. » [12]

 

La radioactivité du cobalt 60 est 320 fois plus élevée que celle du radium. Selon l’historien Carroll Quigley, une bombe H de 400 tonnes au cobalt pourrait détruire toute vie animale sur terre. Les propos bellicistes de MacArthur paraissent insensés, mais il n’était pas le seul à penser de la sorte. Avant l’offensive sino-coréenne, un comité dépendant des chefs d’état-major avait déclaré que les bombes atomiques pourraient s’avérer être le « facteur décisif » qui stopperait l’avancée chinoise en Corée. Au départ, on envisageait éventuellement leur utilisation dans « un cordon sanitaire [pouvant] être établi par l’ONU suivant une bande située en Mandchourie juste au nord de la frontière coréenne ».

 

La Chine en ligne de mire

 

Quelques mois plus tard, le député Albert Gore (le père d’Al Gore, candidat démocrate malheureux en 2000), qui s’opposa par la suite à la Guerre du Vietnam, déplorait que « la Corée détruise peu à peu la virilité américaine » et suggérait de mettre fin à la guerre par « quelque chose de cataclysmique », à savoir une ceinture radioactive qui diviserait la péninsule coréenne en deux de façon permanente. Bien que le général Ridgway n’ait pas parlé de bombe au cobalt, après avoir succédé à MacArthur en tant que commandant américain en Corée, il renouvela en mai 1951 la demande formulée par son prédécesseur le 24 décembre, réclamant cette fois 38 bombes atomiques. [13] Cette demande ne fut pas acceptée.

 

Début avril 1951, les Etats-Unis furent à deux doigts d’utiliser des armes atomiques, au moment, précisément, où Truman révoquait MacArthur. Si les informations concernant cet événement sont encore en grande partie classées secrètes, il est désormais clair que Truman ne destitua pas MacArthur uniquement en raison de son insubordination réitérée, mais parce qu’il voulait un commandant fiable sur le terrain au cas où Washington décide de recourir aux armes atomiques. En d’autres termes, Truman se débarrassa de MacArthur pour garder ouverte sa politique en matière d’armes atomiques. Le 10 mars 1951, après que les Chinois eurent massé de nouvelles forces près de la frontière coréenne et que les Soviétiques eurent stationné 200 bombardiers sur les bases aériennes de Mandchourie (d’où ils pouvaient frapper non seulement la Corée, mais les bases américaines au Japon) [14], MacArthur demanda une « force atomique de type Jour J » afin de conserver la supériorité aérienne sur le théâtre coréen. Le 14 mars, le général Vandenberg écrivait : « Finletter et Lovett alertés sur les discussions atomiques. Je pense que tout est prêt. » Fin mars, Stratemeyer rapporta que les fosses de chargement des bombes atomiques sur la base aérienne de Kadena, à Okinawa, étaient de nouveau opérationnelles. Les bombes y furent transportées en pièces détachées, puis montées sur la base, seul le noyau nucléaire restant à placer. Le 5 avril, les CEM ordonnèrent que des représailles atomiques immédiates soient lancées contre les bases mandchoues si de nouveaux contingents importants de soldats chinois se joignaient aux combats ou, semble-t-il, si des bombardiers étaient déployés de là contre des positions américaines. Le même jour, Gordon Dean, président de la Commission sur l’énergie atomique, prit des dispositions pour faire transférer 9 têtes nucléaires Mark IV au 9eme groupe de bombardiers de l’aviation militaire, affecté au transport des bombes atomiques. (...)

 

Les chefs d’état-major envisagèrent de nouveau l’emploi des armes nucléaires en juin 1951 – cette fois, du point de vue tactique sur le champ de bataille [15] – et ce fut le cas à maintes autres reprises jusqu’en 1953. Robert Oppenheimer, l’ancien directeur du Projet Manhattan, travailla sur le Projet Vista, destiné à évaluer la faisabilité de l’usage tactique des armes atomiques. Au début de 1951, un jeune homme du nom de Samuel Cohen, qui effectuait une mission secrète pour le département de la Défense, étudia les batailles ayant conduit à la seconde prise de Séoul et en conclut qu’il devait exister un moyen de détruire l’ennemi sans détruire la ville. Il allait devenir le père de la bombe à neutrons. [16]

 

Des milliers de villages anéantis

 

Le projet nucléaire le plus terrifiant des Etats-Unis en Corée fut probablement l’opération Hudson Harbor. Cette opération semble avoir fait partie d’un projet plus vaste portant sur « l’exploitation ouverte par le département de la Défense et l’exploitation clandestine par la Central Intelligence Agency, en Corée, de la possibilité d’utiliser les armes nouvelles » (un euphémisme désignant ce qu’on appelle maintenant les armes de destruction massive). (...)

 

Sans recourir aux « armes nouvelles », bien que le napalm ait été très nouveau à l’époque, l’offensive aérienne n’en a pas moins rasé la Corée du Nord et tué des millions de civils avant la fin de la guerre. Pendant trois années, les Nord-Coréens se sont trouvés face à la menace quotidienne d’être brûlés par le napalm : « On ne pouvait pas y échapper », m’a confié l’un eux en 1981. En 1952, pratiquement tout avait été complètement rasé dans le centre et le nord de la Corée. Les survivants vivaient dans des grottes. (...)

 

Au cours de la guerre, écrivit Conrad Crane, l’armée de l’air américaine « provoqua une destruction terrible dans toute la Corée du Nord. L’évaluation à l’armistice des dégâts provoqués par les bombardements révéla que sur les 22 villes principales du pays, 18 avaient été au moins à moitié anéanties. » Il ressortait d’un tableau établi par l’auteur que les grandes villes industrielles de Hamhung et de Hungnam avaient été détruites à 80 %-85 %, Sariwon à 95 %, Sinanju à 100 %, le port de Chinnamp’o à 80 % et Pyongyang à 75 %. Un journaliste britannique décrivit l’un des milliers de villages anéantis comme « un monticule étendu de cendres violettes ». Le général William Dean, qui fut capturé après la bataille de Taejon, en juillet 1950, et emmené au Nord, déclara par la suite qu’il ne restait de la plupart des villes et des villages qu’il vit que « des gravats ou des ruines couvertes de neige ». Tous les Coréens qu’il rencontra, ou presque, avaient perdu un parent dans un bombardement. [17] Winston Churchill, vers la fin de la guerre, s’émut et déclara à Washington que, lorsque le napalm fut inventé à la fin de la Seconde Guerre mondiale, personne n’imaginait qu’on en « aspergerait » toute une population civile. [18]

 

Telle fut la « guerre limitée » livrée en Corée. En guise d’épitaphe à cette entreprise aérienne effrénée, citons le point de vue de son architecte, le général Curtis LeMay, qui déclara après le début de la guerre : « Nous avons en quelque sorte glissé un mot sous la porte du Pentagone disant : “Laissez-nous aller là-bas (...) incendier cinq des plus grandes villes de Corée du Nord – elles ne sont pas très grandes – ça devrait régler les choses.” Eh bien, on nous a répondu par des cris – “Vous allez tuer de nombreux civils”, et “c’est trop horrible”. Pourtant, en trois ans (...), nous avons incendié toutes (sic) les villes en Corée du Nord de même qu’en Corée du Sud (...). Sur trois ans, on arrive à le faire passer, mais tuer d’un coup quelques personnes pour régler le problème, beaucoup ne peuvent pas l’encaisser. » [19]

 

La Corée du Nord tenterait, sans raison, de s’équiper en armes de destruction massive, tandis que l’opposition de Washington à cette stratégie relèverait de l’innocence originelle. Pourtant, depuis les années 1940, les Etats-Unis ont eux-mêmes utilisé ou menacé d’utiliser ces armes en Asie du Nord-Est. Ils sont la seule puissance à avoir eu recours à la bombe atomique, et leur dissuasion repose sur la menace de les employer de nouveau en Corée.

 

Bruce Cumings est professeur d’histoire à l’université de Chicago. Il est auteur, entre autres, de Parallax Visions : Making Sense of American-East Asian Relations, Duke University Press, Londres, 1999 et de North Korea, Another Country,The New Press, New York, 2004.

 

[1] Stephen Endicott, Edward Hagerman, « Les armes biologiques de la Guerre de Corée », Le Monde diplomatique, juillet 1999.

[2] Cité dans Clay Blair, Forgotten War, Random House, New York, 1989. 

[3] Archives nationales américaines, dossier 995 000, boîte 6175, dépêche de George Barrett, 8 février 1951.

[4] Archives nationales, RG338, dossier KMAG, boîte 5418, journal KMAG, entrées des 6, 16, 20 et 26 août 1950.

[5] The New York Times, 31 juillet, 2 août et 1er septembre 1950. 

[6] Voir "Air War in Korea", dans Air University Quarterly Review 4, n° 2, automne 1950, pp. 19-40, et "Precision bombing", dans Air University Quartely review 4, n° 4, été 1951, pp. 58-65.

[7] Archives MacArthur, RG6, boîte 1, « Stratemeyer à MacArthur », 8 novembre 1950 ; Public Record Office, FO 317, pièce n° 84072, « Bouchier aux chefs d’état-major », 6 novembre 1950 ; pièce no 84073, 25 novembre 1959, sitrep.

[8] Bruce Cumings, The Origins of the Korean War, tome II, Princeton University Press, 1990, pp. 753-754 ; New York Times, 13 décembre 1950 et 3 janvier 1951.

[9] Newsweek, 24 mars 2003.

[10] The New York Times, 30 novembre et 1er décembre 1950. 

[11] Hoyt Vandenberg Papers, boîte 86, Stratemeyer à Vandenberg, 30 novembre 1950 ; LeMay à Vandenberg, 2 décembre 1950. Voir aussi Richard Rhodes, Dark Sun : The Making of the Hydrogen Bomb, 1955, pp. 444-446. 

[12] Bruce Cumings, op. cit., p. 750. Charles Willoughby Papers, boîte 8, interviews par Bob Considine et Jim Lucas en 1954  parus dans le New York Times, 9 avril 1964.

[13] Carroll Quigley, Tragedy and Hope : A History of the World in Our Time, MacMillan, New York, 1966, p. 875. C. Quigley fut le professeur préféré de William Clinton à Georgetown University. Voir aussi B. Cumings, op. cit., p. 750. 

[14] Les documents rendus publics après l’effondrement de l’Union soviétique ne semblent pas corroborer cette information. Selon les historiens, les Soviétiques ne déployèrent pas une force aérienne de cette importance à l’époque, contrairement à ce que pensaient les services de renseignement – en raison peut-être d’une désinformation efficace de la part des Chinois.

[15] Il ne s’agissait pas d’utiliser des armes nucléaires dites tactiques, non encore disponibles en 1951, mais d’utiliser les Mark IV tactiquement dans les combats, comme les bombes classiques larguées par les B-29 avaient été utilisées dans les combats depuis fin août 1950.

[16] Samuel Cohen était un ami d’enfance d’Herman Kahn. Voir Fred Kaplan, The Wizards of the Armageddon, Simon & Schuster, New York, 1983, p. 220. Sur Oppenheimer et le projet Vista, voir B. Cumings, op. cit., pp. 751-752, David C. Elliot, « Project Vista and Nuclear Weapons in Europe », dans International Security 2, no 1, été 1986, pp. 163-183.

[17] Conrad Crane, American Airpower Strategy in Korea,University Press of Kansas, Lawrence, 2000, pp. 168-169. 

[18] Jon Halliday et Bruce Cumings, Korea : The Unknown War, Pantheon Books, New York, 1988, p. 166.

[19] John Foster Dulles Papers, histoire orale Curtis LeMay, 28 avril 1966.

 

Le Monde Diplomatique, décembre 2004

(photos ajoutées par l'AAFC)

 

Picasso_Massacre_in_Korea.jpg

Massacre en Corée, par Pablo Picasso, 1951

(Musée national Picasso - Paris)

 

 

 

 

 

 

 

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23 mars 2010 2 23 /03 /mars /2010 01:35

Guerre_bio_Coree.JPGCette année marque le soixantième anniversaire du déclenchement de la Guerre de Corée qui opposa pendant trois ans la Corée du Nord , soutenue par la Chine, à la Corée du Sud, soutenue par une coalition des Nations Unies menée par les Etats-Unis. Le 27 juillet 1953, un accord d'armistice mit fin aux combats après quatre millions de morts civils et militaires mais, soixante ans après, la Corée est toujours « techniquement » en guerre. Les armées des deux camps se font toujours face de part et d'autre du 38ème parallèle, tandis que les relations entre les Etats-Unis et la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) restent dominées par les disputes autour du programme nucléaire militaire nord-coréen. Mais les relations entre les deux pays sont hantées par une autre question : l'utilisation d'armes biologiques par les Etats-Unis contre des populations civiles pendant la Guerre de Corée. S'il était avéré que Washington a introduit et utilisé en premier de telles armes de destruction massive en Corée, il s'agirait d'une violation des conventions internationales et cela donnerait une nouvelle légitimité à la force de dissuasion nucléaire développée par la RPDC. La chaîne de télévision Al Jazeera a consacré une longue enquête à cette affaire qui, avec les massacres de civils perpétrés avec la complicité de l'armée américaine et mis à jour par la Commission Vérité et Réconciliation sud-coréenne, constitue un des « sales petits secrets » (titre du reportage diffusé par Al Jazeera) de la Guerre de Corée, premier conflit armé de la Guerre froide.

 

La Corée du Nord affirme depuis longtemps que les Etats-Unis ont utilisé des armes biologiques contre les populations civiles au cours de la Guerre de Corée. Les forces américaines auraient largué sur plusieurs villages de Corée des bombes « bactériologiques » contenant des insectes, des coquillages et des plumes porteurs de la maladie du charbon, de la typhoïde et de la peste bubonique. Les Etats-Unis ont toujours nié avec véhémence ces accusations, les qualifiant de simple propagande et poursuivant ceux qui s'en faisaient l'écho.

 

MoriMasataka.jpgDiffusée par la chaîne de télévision qatarie Al Jazeera, l'émission People & Power a mené l'enquête sur ces accusations, en accompagnant en Corée du Nord un éminent universitaire japonais, le professeur Mori Matasaka, qui essaie depuis vingt ans de connaître la vérité sur cette affaire. En se rendant pour la quatrième fois en RPDC, le professeur Mori voulait plus particulièrement parler aux témoins directs des attaques biologiques perpétrées en 1952 contre leurs villages.

 

En introduction du reportage intitulé « Dirty little secrets » (« Sales petits secrets ») diffusé le 17 mars 2010, le professeur Mori et le producteur de l'émission People & Power, Tim Tate, admettent n'avoir eu aucune illusion en allant en Corée du Nord, pays réputé secret et fermé aux journalistes. De fait, à toutes les étapes de leur enquête en Corée, Mori et Tate étaient accompagnés de représentants du gouvernement nord-coréen, contrôlant strictement ce qui était filmé.

 

Dans un musée de Pyongyang, le professeur Mori a commencé par examiner une pièce consacrée à ce que les Nord-Coréens présentent comme les preuves de la guerre biologique menée par les Etats-Unis, dont des bocaux contenant des spécimens de mouches, de moustiques et de puces qui auraient transporté des agents pathogènes mortels.

 

Insectes.jpgLe capitaine Ryu Uk-hui, de l'Armée populaire de Corée (APC), a attiré l'attention du scientifique japonais sur des cylindres métalliques récupérés pendant le conflit, des bombes conçues, selon l'officier de l'APC, pour s'ouvrir à l'impact en libérant les insectes destinés à infecter la population locale. Sur les images d'un film d'actualités nord-coréen de 1952, le professeur Mori put ainsi observer des insectes rampant sur le sol couvert de neige à proximité d'un cylindre ouvert.

 

Dans le film du musée de Pyongyang, apparaissent aussi 36 pilotes américains faits prisonniers et livrant un compte rendu détaillé de leur participation à la guerre bactériologique menée par les Etats-Unis. Tout cela pourrait constituer de fausses preuves, comme l'a toujours affirmé Washington, d'autant que tous ces pilotes sont revenus sur leurs « aveux » après leur retour aux Etats-Unis à la fin de la guerre.

 

Mais d'autres témoignages sont plus difficiles à mettre en doute.

 

YunChangbin.jpgLe reportage présenté par Al Jazeera a suivi le professeur Mori dans la campagne nord-coréenne jusqu'au village de Hwanjin où l'attendaient deux vieux hommes, simples agriculteurs « ne semblant pas être apprêtés pour l'occasion », pour reprendre l'expression des journalistes d'Al Jazeera. L'un de ces hommes, Yun Chang-bin, a parlé avec passion des circonstances dans lesquelles son père et beaucoup d'autres sont décédés, peu après l'apparition des insectes.

 

« C'était au mois de mars, dit Yun Chang-bin dans le reportage. Les mouches étaient grosses et de couleur brunâtre. Peu après, vers avril, de terribles épidémies comme la fièvre typhoïde ont éclaté. Les gens du village avaient de la température. Ils ont perdu l'appétit puis ont eu mal aux bras et aux jambes, il y avait beaucoup de douleur.  »

 

Yun explique encore que plus de trente personnes sont décédées parmi les cinquante familles habitant le village. « Mon père est mort. Il avait une forte fièvre, puis n'a plus été capable d'utiliser la moitié inférieure de son corps, ni de se nourrir ou de bouger. » Puis s'adressant directement au professeur Mori : « Je veux que vous alliez raconter aux gens qui aiment la paix dans le monde toutes les atrocités que les Américains ont commises pour nous faire du mal, pour nous rendre malheureux, et pour nous tuer tous, nous le peuple coréen, en répandant des microbes avec des bombes pour nous exterminer. »

 

Dans un autre village, un autre témoin oculaire, Li San décrit le cylindre métallique qui, près de soixante ans auparavant, est tombé sur un lac gelé d'un avion volant à basse altitude, répandant sur la neige sa cargaison d'insectes. Les habitants du village ont alors commencé à être malades et à mourir. « Il y avait du sang dans leurs selles. Puis leur fièvre s'est aggravée, et elle leur faisait tout vomir. Ma grand-mère est morte après avoir attrapé cette fièvre. Un de mes oncles est mort aussi. Nous devons donc considérer les Américains comme nos ennemis jurés – comment penser du bien d'eux », déclare Li San.

 

Au fil des ans, Mori Matasaka a interrogé des dizaines de Nord-Coréens qui lui ont tous raconté des histoires similaires. « Ils m'ont raconté leur histoire, en versant des larmes et en grimaçant de colère. Ils m'ont dit que cette guerre bactériologique avait vraiment eu lieu. » Mais, même s'il trouve ces histoires convaincantes, le professeur Mori sait que les témoignages de citoyens nord-coréens ne suffiront pas à persuader un monde sceptique que les Etats-Unis ont utilisé des armes biologiques en Corée. « Une enquête scientifique devrait être réalisée par des médecins ou des biologistes. Je pense qu'il est absolument nécessaire qu'une organisation non politique et purement scientifique soit envoyée en Corée du Nord pour y enquêter », affirme Mori.

 

Une commission d'enquête a déjà existé. Le gouvernement nord-coréen invita une commission d'enquête internationale dans les mois qui suivirent les premières accusations lancées à l'encontre des Etats-Unis, en 1952. Composée de scientifiques venus de France, d'Italie, de Suède, d'Union soviétique et du Brésil, dirigée par le grand embryologiste britannique – aux sympathies de gauche - Joseph Needham, la commission visita les zones touchées, interrogeant les malades et les mourants pour analyser en détail leurs infections.

 

La commission rédigea un rapport de 600 pages incluant les résultats d'autopsies de victimes, lesquelles permirent d'identifier la peste bubonique, le choléra et la maladie du charbon. Les conclusions de la commission confirmaient donc les accusations lancées par la Corée du Nord : les Etats-Unis avaient mené une guerre bactériologique en Corée. Malgré l'abondance apparente de preuves scientifiques, ces conclusions furent à nouveau rejetées par les Etats-Unis comme de la désinformation communiste.

 

Selon le professeur Mori, si une nouvelle enquête internationale devait être entreprise, elle devrait dépasser le seul cadre de la Corée du Nord et s'étendre en particulier aux Etats-Unis où la vérité se trouve certainement, enfouie avec les autres secrets accumulés par la superpuissance américaine pendant la Guerre froide.

 

Le reportage de People & Power révèle ainsi que, durant les années 1940 et 1950, les scientifiques travaillant sur la base militaire américaine de Fort Detrick, dans le Maryland, ont élaboré des moyens de charger des bombes avec des insectes infectés par la peste bubonique et d'autres agents pathogènes mortels.

 

Les journalistes de People & Power ont également découvert deux documents étonnants conservés aux Archives nationales américaines, prouvant que les Etats-Unis ont acquis le savoir-faire de l'Unité 731 de l'armée japonaise, qui avait pratiqué des expériences atroces sur les êtres humains dans les années 1930 et 1940 afin de perfectionner les techniques de la guerre biologique. Grâce à ces « recherches », les forces du Japon impérial purent larguer des milliers de « bombes biologiques » sur le nord de la Chine pendant la Seconde Guerre mondiale, tuant des millions de civils.

 

Japon US 1947

Un troisième document portant la mention « Top Secret » apprend que, en septembre 1951, le Comité des chefs d’états-majors interarmées des Etats-Unis donna l'ordre de commencer « des essais sur le terrain à grande échelle […] afin de déterminer l'efficacité de certains agents BW [bacteriological warfare / guerre bactériologique] dans des conditions opérationnelles. »

 

Guerre_bio_US_1951.jpg

 

Si ces « essais sur le terrain » ont effectivement été menés, ils ont pu s'appuyer sur le savoir-faire de l'équipe japonaise chargée de la guerre biologique. Au Japon, les journalistes de People & Power ont trouvé une vidéo dans laquelle un des anciens membres de cette équipe affirme que ses chefs ont bien aidé les Américains à monter une « attaque » en Corée.

 

 

Mais la meilleure preuve est peut-être venue d'un ancien officier de l'US Air Force, Kenneth Enoch, qui participa aux bombardements sur la Corée du Nord. L'avion de Kenneth Enoch fut abattu en janvier 1952 et il fut retenu comme prisonnier de guerre pendant vingt mois. Enoch est un des 36 pilotes de l'US Air Force qui, pendant leur captivité en Corée, firent des « aveux » écrits et filmés sur leur participation à des missions de « bombardement bactériologique ».

 

 

Quand ces prisonniers de guerre furent rapatriés aux Etats-Unis en 1953, le département américain de la Défense menaça de les inculper de trahison pour avoir coopéré avec leurs geôliers. Devant les caméras de l'armée américaine, ils revinrent tous sur leurs aveux obtenus, disaient-il désormais, après avoir été torturés ou endoctrinés dans les prisons chinoises et nord-coréennes.

 

KennethEnoch2009.JPGMais les journalistes de Al Jazeera ont réussi à retrouver Kenneth Enoch, maintenant âgé de 85 ans et vivant dans une communauté de retraités au Texas. Enoch dit ne pas avoir été maltraité ou endoctriné et semble reconnaître, au moins en partie, que les Etats-Unis ont employé des armes biologiques pendant la Guerre de Corée. « Les gens qui s'occupent de ça n'ont pas à aller se battre, et c'est une affaire très agréable pour eux. Mais, vous savez, ils se servent de vous pour les envoyer », a ainsi déclaré l'ancien pilote aux journalistes de People & Power. Kenneth Enoch continue néanmoins de nier avoir joué un quelconque rôle personnel dans des attaques au moyen d'armes biologiques.

 

 

Les rapports des missions de bombardement effectuées par Kenneth Enoch en Corée du Nord ont été retirés des archives officielles par les enquêteurs de l'US Air Force en mars 1952, soit deux mois après sa capture et une semaine avant ses aveux sur la « guerre bactériologique ». Les journalistes de People & Power ont cherché à obtenir un entretien avec des responsables du département d'Etat et du département de la Défense des Etats-Unis pour évoquer les questions soulevées dans leur reportage. Le département d'Etat et le département de la Défense n'ont pas voulu accorder d'entretien et ont aussi refusé de répondre à dix questions précises posées par l'équipe de People & Power au sujet des allégations nord-coréennes.. Au lieu de cela, un porte-parole de l'administration américaine a rejeté les affirmations de la Corée du Nord comme « sans fondements », les qualifiant de « campagne de désinformation refusant de mourir ».

 

Alors qui croire? Le professeur Mori Matasaka pense connaître la réponse. « L'utilisation d'armes biologiques dans une guerre viole la Convention de Genève. Je crois que c'est la raison pour laquelle les Américains  rejettent ces allégations. Mais je n'ai aucun doute. Je suis absolument certain que cela a eu lieu. »

 

Il est évident que si les affirmations nord-coréennes venaient à être prouvées, les Etats-Unis s'exposeraient à des poursuites pour crimes de guerre, une situation pour le moins gênante quand les Etats-Unis jouent de leur autorité morale pour conduire les efforts internationaux de lutte contre le terrorisme mondial et contre la prolifération nucléaire. Mais tant que l'innocence ou la culpabilité des Etats-Unis ne sera pas clairement établie – éventuellement suite à une enquête indépendante – un des plus longs mystères de la Guerre froide continuera de peser sur les relations entre Washington et Pyongyang.

Pour en savoir plus : Patrick Berche, L'Histoire secrète des guerres biologiques : mensonges et crimes d'Etat, Robert Laffont, 2009

 

Source (y compris photos) :  Al Jazeera, « Dirty little secrets » (47mn, en anglais), première diffusion le 17 mars 2010 dans l'émission People & Power

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10 mars 2010 3 10 /03 /mars /2010 23:30
Après la création de la Commission Vérité et Réconciliation (CVR) en Afrique du Sud, destinée à faire face à l’héritage de l’apartheid et du colonialisme, d’autres commissions de ce type ont vu le jour dans de nombreux pays cherchant à affronter les séquelles douloureuses du colonialisme, de la guerre ou de conflits intérieurs. Des pays victimes de tels traumatismes, aussi divers que le Chili, l’Argentine, le Timor Oriental et le Sierra Leone, on établi des CVR. Peu de ces commissions ont toutefois eu l'engagement de la Commission Vérité et Réconciliation instituée en Corée du Sud afin d’exhumer les fantômes associés à la division du pays, à la guerre et à des décennies de dictature. Etablie en 2005, et aujourd’hui sur le point d’être démantelée suite aux décisions du président sud-coréen Lee Myung-bak, la CVR sud-coréenne mérite qu’on porte une attention particulière à ses tentatives pour guérir les blessures du passé et bâtir un avenir commun dans une nation qui reste politiquement divisée, entre le Nord et le Sud et au sein même de la société sud-coréenne.

Rapport_CVR.jpgLa Commission Vérité et Réconciliation sud-coréenne achèvera en avril 2010 ses travaux à l’issue du mandat de quatre ans qui lui avait été initialement confié. Les mandats de deux ans de l’ancien président de la Commission et d’un autre commissaire permanent, tous les deux nommés par le président Roh Moo-hyun, expiraient en décembre 2009. En conséquence, le président Lee Myung-bak a désigné un nouveau président et un nouveau commissaire permanent, et les membres actuels de la Commission ont décidé de prolonger leurs travaux jusqu’en juin 2010 seulement, ce qui signifie que beaucoup d’affaires en instance ne seront pas résolues. Avec la nomination d’un nouveau président et des commissaires permanents hostiles à l’esprit de la Commission, à l’instar du président Lee Myung-bak lui-même, la publication de la version anglaise du rapport de synthèse 2009 a même été interdite (sur les circonstances de cette censure, lire notammment « La Censure de retour en Corée? », sur le site Agoravox)

Un article qui vient de paraître dans The Asia-Pacific Journal présente ce rapport censuré accompagné d’un entretien avec Kim Dong-choon, membre permanent qui a récemment quitté la Commission où il était plus particulièrement chargé d'enquêter sur les massacres de la Guerre de Corée (1950-1953). Voici le texte de cet entretien.

Mark Selden - Quels sont les problèmes auxquels doit faire face la CVR suite à la fin de son mandat de quatre ans et au renouvellement de sa direction en décembre 2009 ?

Kim Dong-choon - La direction actuelle, y compris l’ancien commissaire permanent Lee Young-jo qui est le nouveau président, a une opinion différente et même contraire à la nôtre sur la nécessité de la CVR. Alors que nous insistons sur l’importance de conclure les travaux de la commission au moment opportun, avec beaucoup de travail restant à accomplir, la direction actuelle cherche à mettre fin prématurément à ses activités. Par exemple, si on a mené à terme plus de 75% des dossiers sur la répression des civils coréens par la dictature et les militaires de Corée du Sud, beaucoup d’autres restent à boucler. En particulier, il faut encore enquêter et résoudre les affaires concernant les bombardements américains de civils et d’autres atrocités. Je crois comprendre, par exemple, que le nouveau commissaire permanent qui me remplace soutient la légitimité des bombardements aveugles effectués par les Etats-Unis pendant la Guerre de Corée. Il se peut que la question la plus importante concerne l’élaboration du rapport final de la Commission. Le gouvernement Lee voulant mettre fin à la CVR en juin prochain, plutôt que de prolonger de deux ans son mandat comme nous le proposons, je crains que le rapport final ne rende pas clairement compte d’une part essentielle de la vérité validée à ce jour. Il se peut que le rapport final infirme bon nombre des conclusions les plus importantes de la Commission.

Une autre difficulté qui se pose à la CVR en Corée [du Sud] est le manque de soutien et de coopération de la part des institutions gouvernementales. Sous l’actuel gouvernement Lee Myung-bak, la police et le Service national de renseignement se montrent peu coopératifs, à la différence de ce qui se passait quand nous travaillions avec eux pendant le précédent gouvernement de Roh Moo-hyun. L’ancien gouvernement accordait beaucoup d’importance à la Commission et la considérait comme une grande réalisation. Il exigeait en conséquence que les agences et autres institutions gouvernementales coopèrent avec la Commission. Et dans un dossier important concernant un massacre de civils durant la guerre, le président Roh s’est rendu sur l’île de Cheju [ou Jeju] pour présenter directement des regrets. La non-coopération de la police, de l’armée et du renseignement ne fait pas qu’entraver notre capacité d’enquêter, elle compromet aussi les tentatives de réconcilier les victimes grâce à des cérémonies publiques de réhabilitation.

Exhumation_CVR.JPG
Travaux d'exhumation menés en Corée du Sud par la Commission Vérité et Réconciliation

M. S. - Selon vous, quels sont les réussites et les défauts de la Commission ?

K. D.-C. - J’ai commencé à travailler sur les sujets liés à la rectification historique il y a plus de dix ans avec des organisations de la société civile, puis j’ai été nommé commissaire permanent en 2005. L’objectif de la Commission était de créer des conditions favorables pour parvenir à une justice dans les domaines historique, politique et juridique en faisant éclater  des vérités longtemps refoulées. Comme toutes les autres commissions sur la vérité existant dans le monde, notre commission n’a pas recherché la justice à travers le système juridique. En particulier, les atrocités commises pendant la guerre ne peuvent pas être réglées exclusivement par des procédures juridiques. Compte tenu du nombre énorme de victimes dans la population coréenne pendant la Guerre de Corée, laquelle a coûté la vie à plus de deux millions de personnes, il était impossible de résoudre devant les tribunaux les questions liées à ces victimes civiles. Nous avons plutôt cherché à donner naissance à un contre-récit en donnant la parole aux victimes longtemps réduites au silence, en explorant les archives officielles du gouvernement et de l’armée et non officielles telles que la presse, et surtout en faisant témoigner les citoyens. C’était particulièrement difficile dans une société encore en guerre (il n’y a pas eu de traité de paix entre le Nord et le Sud, ni engageant les Etats-Unis ou les Nations Unies) et dans laquelle l’anticommunisme reste profondément ancré. Il est permis de penser que la diffusion de réclamations de citoyens relatives à la Guerre de Corée constitue une forme de démocratisation par le bas, une nouvelle étape dans l’accomplissement des droits de l’homme au sein de la société coréenne.

M. S. - Certains ne pourraient-ils pas dire que c'est une approche favorisant la vérité par rapport à la justice, dans le sens où elle n’a pas mis en avant l’indemnisation des victimes ?

K. D.-C. - Dès le début de nos activités législatives, nous avons choisi de ne pas mettre l’accent sur l’indemnisation des victimes ou la punition des coupables (qu’ils soient Sud-Coréens, Nord-Coréens ou Américains). C’était en partie dû à notre expérience des tentatives du gouvernement d’affronter le passé après la fin du régime militaire en 1987. On peut aussi voir cela comme le reflet de sérieuses divisions entre le gouvernement et la société en Corée et au sein même du gouvernement et de la société. Dans ces conditions, j’ai pensé que la première chose à faire était d'explorer les faits sans référence à une indemnisation ou à une punition judiciaire. En diffusant la vérité sur la Guerre de Corée, en déterminant ce qui s'était réellement passé et qui étaient les coupables et les victimes, j'espérais que la société pourrait mieux prendre conscience des massacres et atrocités commis pendant la Guerre de Corée. Cela permettrait à la fois de garantir une sorte de punition sociale pour les coupables, que leur nom soit rendu public ou pas, et de redonner une légitimité aux victimes.

M. S. - Qu'en est-il des mesures prises par le gouvernement pour indemniser les victimes?

K. D.-C. - La Commission a officiellement recommandé au gouvernement de promulguer une loi spéciale pour l'indemnisation des victimes, par exemple pour le paiement des factures médicales dans un cas avéré de persécutions massives. Mais, à mon avis, l'instauration de la vérité et la réhabilitation de la réputation des victimes constituaient les premières tâches à accomplir et les bases d'une réconciliation.

Dans les années 1990, nous avons connu les victimes de Kwangju qui demandaient réparation. Le résultat a été de diviser les victimes entre elles – l'argent devenait plus important qu'établir la vérité – et les questions d'indemnisation ont éclipsé les tâches visant justement à reconstituer toute la vérité et à punir les coupables.

J'ai découvert que, pendant la Guerre de Corée, plus de la moitié de ceux qui avait combattu pour l'indépendance avant 1945 ont été tués, principalement par ceux qui avaient collaboré avec les Japonais avant d'arriver à des postes de responsabilité avec l'aide des Américains après 1945. L'occupation de la Corée par les Etats-Unis en 1945 et la Guerre de Corée peuvent être vues comme la poursuite du colonialisme dans la mesure où ce sont les Etats-Unis qui ont créé et soutenu le gouvernement de Syngman Rhee. Comme ses prédécesseurs sous la domination japonaise, le régime de Rhee était soutenu par des troupes étrangères. Les exécutions de masse de Coréens peuvent se comprendre comme un post-scriptum du colonialisme. Dans ce cas, identifier les coupables avec précision n'aurait pas beaucoup de sens. De toute façon, l'ampleur de leurs crimes et le passage du temps rendent quasiment impossible de punir les auteurs, lesquels sont presque tous décédés depuis longtemps. Ce qu'on peut faire, c'est rétablir la réputation et la dignité de familles qui avaient longtemps souffert de l'injustice.

Si un massacre fait des victimes directes, nous pouvons également considérer que les survivants et les membres des familles des victimes deviennent aussi des victimes. La plupart de leurs souffrances ont été provoquées par le traitement discriminatoire qu'elles ont ressenti en tant que citoyens de seconde zone. Dans certains cas, des biens ont été confisqués ou des possibilités d'étudier ont été bloquées, tandis que des personnes étaient ostracisées car désignées comme « rouges ». Pendant trente ou quarante ans, des survivants et parents ont ainsi souffert.

Non seulement les familles, mais aussi la société tout entière s’est sentie victime. En d'autres termes, les massacres ont eu de profondes répercussions sociales. La stigmatisation de tous les membres d'une même famille considérés comme des « citoyens de seconde zone » ou des « intouchables » servait d'exemple pour les autres, les avertissant de ce qui arrive quand on agit contre le gouvernement. Cette situation révèle la brutalité inhérente à la société coréenne sous la dictature soutenue par les Etats-Unis.

Bien qu'il soit important que les membres de la famille retrouvent leur dignité, il est aussi impératif de porter cette histoire à la connaissance des citoyens coréens afin de commencer à guérir les maux de notre société. Etant donné la gravité des maux dont souffre la société, il est impératif de révéler les fautes du passé pour montrer que tout méfait sera finalement dévoilé. L'impact potentiel d'une telle leçon serait puissant.

Le plus important, à mon avis, est la punition sociale. Pour ce qui concerne les rapports de la Commission, les noms des individus auteurs de crimes ont tous été retirés. Ceci était prévu dans la loi initiale ayant instauré la CVR. C’était le fruit d’un compromis entre les différents partis à l'époque. La Commission devait exposer les procédés et mettre à jour les événements, mais pas constituer de dossiers pour poursuivre des individus dont les crimes avaient, pour la plupart, eu lieu plus d'un demi-siècle auparavant. Dans une affaire, lorsque la Commission a révélé par inadvertance le nom d’un auteur, des anciens combattants ont lancé des poursuites contre le président de la Commission et les commissaires permanents. Le procès a finalement été suspendu sans qu’une peine soit prononcée. Dans cette affaire, les médias étrangers ayant fourni les noms, ceux-ci étaient dans le domaine public.

M. S. : Comment les médias ont-ils couvert les travaux de la Commission ?

K. D.-C. - Nous avons dû composer avec le fait que les plus grand journaux coréens ont ignoré ou dissimulé l'importance de nos résultats et décisions. La presse conservatrice ne parvient pas à reconnaître la relation qui existe entre les torts du passé et les injustices du présent quand elle s’adresse à de nombreux citoyens de Corée et d’autres pays. Elle manque de sensibilité ou de la conscience historique des caractéristiques communes des interventions américaines pendant la Guerre de Corée et dans les guerres actuelles en Irak et en Afghanistan, en termes de victimes civiles. Ce sont surtout les trois grands journaux Chosun Ilbo, Donga Ilbo et Jungang Ilbo qui ont uniformément fait preuve d’hostilité et peu couvert les travaux de la Commission sauf pour en pointer les erreurs. Ils sont toujours restés fidèles à cette ligne de conduite. Mais les chaînes de télévision, notamment KBS et MBC qui étaient d’abord favorables à la Commission sous la présidence de Roh Moo-hyun, ont changé après l’élection de Lee Myung-bak et ont cessé de couvrir nos travaux. Seuls le Hankyoreh et le Kyunghyang Daily, les médias progressistes, ont régulièrement suivi nos travaux.

M. S. - Peut-on dire que l'évolution des connaissances historiques et de la conscience sociale est un résultat des travaux de la Commission?

K. D.-C. - Le sujet le plus responsable, le ministère de la Défense, a toujours fermement refusé de reconnaître ses fautes. Mais nous avons senti un petit changement d’attitude chez les Coréens ordinaires. Les résultats les plus importants ont été les changements de regard sur des tragédies historiques au sein de nombreuses communautés locales. C’est en partie parce que les médias locaux ont largement couvert nos travaux. Quand une affaire est résolue, la Commission organise un service commémoratif officiel avec les personnes endeuillées au siège du comté. A ce service, participent le gouverneur, les militaires, la police et d'autres responsables ainsi que les familles des victimes. En outre, un monument est dédié aux victimes. Mais il n'a pas été possible de le faire partout. Dans des régions comme le Cholla, une telle reconnaissance officielle a permis de redonner une dignité aux victimes. Mais dans d'autres régions où les dirigeants locaux sont hostiles à la Commission, cela a été impossible.

M. S. - Comment envisagez-vous l'avenir du mouvement pour la vérité et la réconciliation?

K. D.-C. - Dans un sens, nous en sommes encore au stade initial même si beaucoup de choses ont déjà été accomplies. J'entends par là qu'il est crucial que des groupes civiques, plutôt que le gouvernement, jouent désormais le rôle principal dans le traitement du passé. L'actuel gouvernement conservateur a semblé utiliser tous les moyens pour défaire toutes les réalisations des gouvernements libéraux précédents. Afin de réaliser complètement l’objectif d’un traitement humain du passé, de nouveaux types de mouvements seront nécessaires. Nous devons exiger du gouvernement qu’il mette en œuvre les recommandations de la CVR quant aux mesures suivantes : l’indemnisation, la création d’une fondation, des excuses officielles, le rétablissement des victimes dans leur dignité, la rectification des données gouvernementales, l’éducation aux droits humains, et la réécriture de l’histoire moderne de la Corée.

Le Forum sur la Vérité et la Justice, une association de citoyens nouvellement créée avec le soutien de militants et d'anciens membres de la CVR, vise à perpétuer et à approfondir les travaux de la Commission. Le Forum continuera à enquêter sur les affaires, à rendre publics des documents et à publier des rapports, même s’il n'a pas l'imprimatur officiel de la CVR. Avec la fin prochaine des activités de la CVR, il n'est pas possible pour ses anciens employés d'utiliser les documents mis à jour par la Commission. Pour ce faire, il faudrait engager un procès. Mais une fois que les déclarations des victimes et des auteurs de crimes sont publiées, que ce soit par la CVR ou dans la presse, ces déclarations font partie du domaine public. Il est aussi possible pour les victimes d'agir en justice pour exiger la communication des déclarations recueillies par la CVR. Il y a eu quelques victoires de ce genre devant les tribunaux. En résumé, des efforts sont en cours pour poursuivre les travaux de la Commission Vérité et Réconciliation grâce aux organisations civiques.

KimDongchoon.JPGKim Dong-choon, professeur de sociologie à l’Université Sung Kong Hoe de Séoul, a été membre permanent de la Commission Vérité et Réconciliation de République de Corée (du Sud) de décembre 2005 à décembre 2009. Il est l’auteur de nombreux ouvrages publiés en coréen et en anglais, dont The Unending Korean War: A Social History [La Guerre de Corée ininterrompue : une histoire sociale], traduit en anglais, en allemand et en japonais.



MarkSelden.jpgMark Selden, coordinateur à Japan Focus, est chercheur associé au programme pour l’Asie de l’Est de l’Université Cornell et professeur d’histoire et de sociologie à l’Université Binghamton aux Etats-Unis. Il est spécialiste de l’histoire, de l’économie politique et de la géopolitique modernes et contemporaines de la Chine, du Japon et de la zone Asie-Pacifique. Dans les années 1960, il a été un des membres fondateurs du Committee of Concerned Asian Scholars et fut pendant plus de trente ans un des rédacteurs du Bulletin of Concerned Asian Scholars. Au cours de l’été 2009, il a visité les sites des massacres perpétrés en Corée du Sud sur lesquels a enquêté la CVR.

 

Source : Kim Dong-choon et Mark Selden, "South Korea’s Embattled Truth and Reconciliation Commission," The Asia-Pacific Journal, 9-4-10, March 1, 2010 (traduction : AAFC)

 

Rapport de la Commission Vérité et Réconciliation (en anglais)

Site de la Commission Vérité et Réconciliation de Corée du  Sud (en coréen)

 

 

 

 

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25 décembre 2008 4 25 /12 /décembre /2008 12:06

Le journaliste américain John W. Powell, accusé de "sédition" dans les années 1950 pour avoir levé le voile sur l'utilisation d'armes biologiques par les Etats-Unis en Corée, vient de disparaître à l'âge de 89 ans. Retour sur une vie extraordinaire au service de la vérité.


Né à Shanghai en 1919, John W. Powell a grandi dans le Missouri. Son père, John Benjamin Powell, dirigeait en Chine le magazine qu'il avait fondé en 1917, The China Weekly Review. A la fin des années 1930, et pendant toute la seconde guerre sino-japonaise (1937-1945), John Benjamin Powell fut un grand soutien de la cause chinoise face à l'occupation japonaise. En décembre 1941, après l'attaque de la base américaine de Pearl Harbor, il fut même interné dans un camp japonais où il perdit les deux pieds à cause de la gangrène. Il mourut en 1947 à l'âge de 60 ans. 


Après avoir fréquenté l'école de journalisme de l'Université du Missouri, le jeune John W. Powell retourna en Chine où il travailla pendant la Seconde Guerre mondiale dans le Bureau d'information de guerre des Etats-Unis. Puis il reprit le magazine de son père, devenu The China Monthly Review, avant de rentrer aux Etats-Unis, à San Francisco, avec sa famille en 1953. 

Pendant la guerre de Corée (1950-1953), John W. Powell publia plusieurs témoignages de responsables chinois accusant l'armée des Etats-Unis d'utiliser des armes biologiques dans la péninsule coréenne - des méthodes auparavant employées en Chine par l'armée japonaise.

 

Ces articles valurent à Powell d'être poursuivi à partir de 1956 par la justice américaine pour sédition - une accusation rare d'incitation à la révolte contre le gouvernement.
 

Le gouvernement américain accusait Powell d'avoir violé les lois sur la sédition en temps de guerre en publiant de fausses déclarations et d'entamer la loyauté des soldats américains faits prisonniers en Corée et obligés de lire de tels articles. Ces chefs d'accusation étaient passibles d'une peine maximale de 20 ans de prison ou de 10.000 dollars d'amende, voire des deux.

 

Deux autres rédacteurs du China Monthly Review, la propre épouse de Powell, Sylvia (décédée en 2004), et Julian Schuman, furent également poursuivis.

 

Quand le procès s'ouvrit en 1959, de nouvelles plaintes pour trahison furent déposées par le gouvernement américain contre les trois accusés. Finalement, incapable de soutenir l'acte d'accusation, le gouvernement abandonna en 1961 toutes les charges pesant sur John Powell, Sylvia Powell et Julian Schuman, avec l'approbation du ministre de la Justice, Robert F. Kennedy.

 

John W. Powell fut quand même empêché d'exercer son métier de journaliste et se reconvertit alors dans la restauration de résidences de style victorien et dans le commerce d'antiquités.

 

Dans les années 1980, il écrivit de nouveaux articles traitant de la guerre biologique menée par le Japon au cours de la Seconde Guerre mondiale, notamment de l'unité 731 de l'armée japonaise qui expérimenta à grande échelle des armes biologiques en Chine, faisant des centaines de milliers de victimes.

 

Powell affirmaient dans ces articles que le gouvernement des Etats-Unis n'avait pas voulu accuser le Japon de crimes de guerre en échange des données sur les expériences médicales menées par l'unité 731. Ces informations, écrivait Powell, permirent aux Etats-Unis d'acquérir un savoir-faire dans le domaine de la guerre biologique, utilisé quelques années plus tard en Corée. Certains historiens continuent néanmoins de nier l'utilisation d'armes biologiques par les Etats-Unis.

 
Inlassable défenseur de la vérité qui y sacrifia sa carrière,  John W. Powell s'est éteint le 15 décembre 2008 à San Francisco. (souces : New York Times, Los Angeles Times)

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29 juillet 2008 2 29 /07 /juillet /2008 19:10
Ancien président du Conseil d'Etat de la République de Cuba, Fidel Castro Ruz est un des grands acteurs de la scène politique internationale de la seconde moitié du 20ème siècle. Depuis son retrait de la tête de l'Etat cubain, en février 2008, il continue de livrer régulièrement ses réflexions et analyses. A la veille du 55ème anniversaire du cessez-le-feu qui a mis fin aux combats de la Guerre de Corée (27 juillet 1953), il a ainsi voulu revenir sur l'histoire de la péninsule coréenne depuis la fin du 19ème siècle, une histoire tourmentée qui éclaire à bien des égards la situation actuelle.



Les deux Corée

par Fidel Castro Ruz


La nation coréenne, que sa culture spécifique différencie de ses voisins chinois et japonais, existe depuis trois mille ans, cette antiquité qu’elle partage avec la plupart des sociétés d’Asie, dont la vietnamienne, la distinguant aussi absolument des cultures occidentales dont certaines ont moins de deux cent cinquante ans.


Les Japonais avaient enlevé à la Chine, par la guerre de 1894, le contrôle qu’elle exerçait sur la dynastie coréenne et ils firent de la Corée une colonie. C’est par accord entre les Etats-Unis et les autorités coréennes que le protestantisme y fut introduit en 1892, alors que le catholicisme avait pénétré durant ce même siècle à travers les missions. On calcule que, de nos jours, environ le quart de la population sud-coréenne est chrétienne, autant que les bouddhistes. La philosophie de Confucius exerça une grande influence sur l’esprit des Coréens qui ne se caractérisent pas par leur fanatisme religieux.


Deux figures importantes ont occupé le devant de la scène politique coréenne au 20ème siècle : Syngman Rhee, né en mars 1875, et Kim Il-sung, né trente-sept ans après, en avril 1912. Ces deux personnalités, aux origines sociales différentes, se heurtèrent à partir de circonstances historiques indépendantes de leur volonté.


Les chrétiens s’opposaient au système colonial japonais, entre autres Syngman Rhee, protestant pratiquant. La Corée changea de statut : le Japon l’annexa en 1910. Neuf ans après, Syngman Rhee fut nommé président du gouvernement provisoire en exil, établi à Shanghai (Chine). Il ne recourut jamais aux armes contre les envahisseurs, et la Société des nations de Genève n’en fit aucun cas.


L’empire japonais employa des méthodes de répression brutales contre la population coréenne. Les patriotes résistèrent les armes à la main à la politique colonialiste du Japon et parvinrent à libérer une petite zone montagneuse dans le Nord, presque à la fin du 19ème siècle.


Kim Il-sung, né aux environs de Pyongyang, rejoignit à dix-huit ans les guérillas communistes qui se battaient contre les Japonais. A trente-trois ans à peine, menant une vie révolutionnaire active, il occupait déjà la direction politique et militaire des combattants antijaponais dans le Nord de la Corée.



Durant la Deuxième Guerre mondiale, les Etats-Unis décidèrent du sort que courrait la Corée dans l’après-guerre : ils entrèrent dans le conflit après avoir été attaqués par une de leurs créatures, l’Empire du soleil levant, dont les portes féodales hermétiquement closes avaient été ouvertes, dans la première moitié du 19ème siècle, par le commodore Perry dont les canons forcèrent l’entrée de cet étrange pays asiatique qui refusait de faire du commerce avec les Etats-Unis.


Le brillant disciple se convertit plus tard en un puissant rival, comme je l’ai expliqué à un autre moment. Quelques décennies plus tard, le Japon attaqua tour à tour la Chine et la Russie, s’emparant au passage de la Corée. Mais il fut toutefois l’astucieux allié des vainqueurs de la Première Guerre mondiale aux dépens de la Chine. Il accumula des forces et, converti à une version asiatique du fascisme, il tenta d’occuper la Chine en 1937 et attaqua les Etats-Unis en décembre 1941, portant la guerre jusque dans le Sud-est asiatique et l’Océanie.


Les possessions coloniales de la Grande-Bretagne, de la France, des Pays-Bas et du Portugal étant vouées à la disparition, les Etats-Unis surgirent comme la nation la plus puissante de la planète, le seul pays en mesure de leur résister étant l’Union soviétique, détruite par la Deuxième Guerre mondiale et par les énormes pertes matérielles et humaines que lui avait causées l’attaque des nazis. Quand la boucherie mondiale prit fin en 1945, la Révolution chinoise était sur le point de se conclure : le combat unitaire contre les Japonais galvanisait alors ses énergies. Mao, Ho Chi Minh, Gandhi, Sukarno et d’autres leaders poursuivirent leur lutte contre la restauration du vieil ordre mondial désormais insupportable.


Truman largua la bombe atomique contre deux villes civiles japonaises, une arme nouvelle terriblement destructrice dont, comme je l’ai dit, il n’avait jamais informé son allié soviétique, le pays qui avait contribué le plus à la liquidation du fascisme. Rien ne justifiait ce massacre, même pas les quinze mille soldats étasuniens ayant péri du fait de la tenace résistance des Japonais dans l’île d’Okinawa. Le Japon était déjà vaincu et cette arme, lancée contre une cible militaire, aurait eu tôt ou tard le même effet démoralisateur sur le militarisme nippon, sans d’autres pertes pour les soldats étasuniens. Ce fut un acte de terreur inqualifiable.


Comme promis à la fin des combats en Europe, les soldats soviétiques avançaient vers la Mandchourie et le Nord de la Corée, les alliés ayant défini au préalable jusqu’où pourrait progresser chaque force : le milieu de la Corée, sur une ligne de démarcation équidistante du fleuve Yalu et du sud de la péninsule. Le gouvernement étasunien négocia avec les Japonais les règles qui devaient régir la reddition de leurs troupes sur ce territoire. Les Etats-Unis occuperaient le Japon. Il existait encore en Corée, annexée au Japon, une grande force de la puissante armée nippone. Ce sont les intérêts des Etats-Unis qui allaient prévaloir au sud du 38ème parallèle, autrement dit la ligne de démarcation prévue. Le gouvernement étasunien réinstalla dans cette partie du territoire, avec la coopération ouverte des Japonais, Syngman Rhee qui remporta de peu les élections de 1948. Les soldats de l’Union soviétique, eux, s’étaient retirés cette même année de Corée du Nord.


C’est le 25 juin 1950 que la guerre éclata dans ce pays. On discute encore pour savoir qui tira le premier : les combattants du Nord ou les soldats étasuniens qui montaient la garde aux côtés des soldats recrutés par Syngman Rhee. Le débat n’a aucun sens vu du côté coréen : les combattants de Kim Il-sung avaient lutté contre les Japonais pour libérer toute la Corée, et ils avancèrent, irrésistibles, après avoir occupé Séoul et d’autres villes, jusqu’à la pointe sud où les Yankees se défendaient en recourant massivement à leurs avions de combat. MacArthur, chef des forces étasuniennes dans le Pacifique, fit débarquer l’infanterie de marine à Incheon, sur les arrières des forces du Nord qui ne purent contre-attaquer. Pyongyang tomba aux mains des forces yankees après des attaques aériennes dévastatrices. Ce qui incita le quartier général étasunien du Pacifique à vouloir occuper toute la Corée, étant donné que l’Armée populaire de libération chinoise, conduite par Mao Zedong, avait infligé une défaite retentissante aux forces de Tchang Kaï-Chek, équipées et soutenues par les Etats-Unis, récupérant ainsi l’ensemble du territoire continental et maritime, exception faite de Taipei et de quelques autres petites îles où les forces du Guomindang se réfugièrent, transportées par les bâtiments de la sixième flotte.

 



On connaît bien la suite des événements. N’oublions pas que Boris Eltsine livra à Washington, entre autres, les archives de l’Union soviétique.


Que firent les Etats-Unis quand éclata un conflit quasiment inévitable compte tenu des prémisses créées en Corée ? Ils présentèrent la partie Nord comme l’agresseur. Le Conseil de sécurité de la toute récente Organisation des Nations Unies mise en place par les puissances victorieuses de la Deuxième Guerre mondiale vota la Résolution sans qu’un de ses cinq membres puisse imposer son veto. Ces mois-là, l’Union soviétique avait protesté contre l’exclusion de la Chine du Conseil de sécurité où les USA reconnaissaient Tchang Kaï-Chek, qui contrôlait moins de 0,3% du territoire national et moins de 2%de la population, comme membre ayant pouvoir de veto. Cette décision arbitraire entraîna l’absence du délégué soviétique, ce qui permit au Conseil de sécurité de donner à la guerre le caractère d’une action militaire de l’ONU contre le prétendu agresseur, la République populaire démocratique de Corée. La Chine, absolument étrangère au conflit qui portait même préjudice à sa lutte pour la libération totale de son territoire, vit planer une menace directe sur elle, ce qui était inacceptable d’un point de vue sécuritaire. Selon des données désormais publiques, elle envoya son premier ministre Zhou Enlai à Moscou pour exposer ses vues à Staline : l’inadmissibilité de la présence de forces onusiennes, sous le commandement des USA, sur les rives du Yalu, qui délimite la frontière sino-coréenne, et réclamer la coopération de l’Union soviétique. Aucune contradiction profonde ne séparait alors les deux géants socialistes.


On affirme que la contre-attaque chinoise était prévue pour le 13 octobre, mais que Mao l’ajourna au 19, dans l’attente de la réponse soviétique. C’était le plus qu’il pouvait retarder.

[...]

Le 19 octobre 1950, plus de quatre cent mille combattants chinois, des volontaires, franchirent le Yalu sur instructions de Mao Zedong et partirent contrer les troupes étasuniennes qui avançaient vers la frontière chinoise et qui, surprises par l’action énergique du pays qu’elles avaient sous-estimé, durent reculer jusqu’aux abords de la côte méridionale sous la poussée des forces combinées des Chinois et des Nord-Coréens. Staline, qui était extrêmement précautionneux, coopéra bien moins que ce qu’attendait Mao, mais d’une façon utile toutefois : des Mig-15 pilotés par des Soviétiques sur un front limité de seulement 98 kilomètres, qui protégèrent à l’étape initiale la progression intrépide des forces terrestres. Celles-ci récupérèrent Pyongyang et réoccupèrent Séoul, défiant les attaques incessantes des forces de l’air étasuniennes, les plus puissantes jamais réunies alors.


MacArthur brûlait d’attaquer la Chine en recourant à des armes atomiques dont il demanda l’usage après sa honteuse défaite. Le président Truman fut contraint de le casser et de nommer le général Matthews Ridgway à la tête des forces étasuniennes – terre, air et mer – sur le théâtre d’opérations.


Les Etats-Unis ne furent pas les seuls dans cette équipée impérialiste : ils furent accompagnés du Royaume-Uni, de la France, des Pays-Bas, de la Belgique, du Luxembourg, de la Grèce, du Canada, de la Turquie, de l’Ethiopie, de l’Afrique du Sud, des Philippines, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, de la Thaïlande et de la Colombie. Ce dernier pays, sous le gouvernement unitaire du conservateur Laureano Gómez, responsable de tueries de paysans massives, fut le seul d’Amérique latine à y avoir participé ; aux côtés, comme on peut le constater, de l’Ethiopie d’Haïlé Sélassié, où régnait encore l’esclavage, et de l’Afrique du Sud gouvernée par les racistes blancs.


La boucherie mondiale, débutée en septembre 1939, avait pris fin à peine cinq ans auparavant, en août 1945. Au terme de combats sanglants sur le territoire coréen, le 38ème parallèle redevint la démarcation entre le Nord et le Sud. Selon les calculs, près de deux millions de Nord-Coréens, d’un demi million à un million de Chinois, et plus d’un million de soldats alliés moururent durant cette guerre. Pour les Etats-Unis, près de quarante-quatre mille soldats périrent – dont beaucoup étaient nés à Porto Rico ou dans d’autres pays latino-américains, recrutés pour prendre part à une guerre en leur qualité d’immigrants pauvres.


Le Japon tira de gros avantages de ce conflit : en un an, son secteurs manufacturier crut de 50%, et en deux ans, retrouva son niveau d’avant-guerre. Ce qui ne modifia en rien toutefois la vision des génocides perpétrées par les troupes impériales en Chine et en Corée : tous les gouvernements japonais ont rendu hommage aux actions génocides de leurs soldats qui, comme je l’ai rappelé dans des Réflexions antérieures, violèrent en Chine des dizaines de milliers de femmes et assassinèrent brutalement des centaines de milliers de personnes.


Extrêmement travailleurs et tenaces, les Japonais ont converti leur pays, privé de pétrole et d’autres matières premières importantes, en la seconde puissance économique mondiale.


Le PIB du Japon, mesuré en termes capitalistes – bien que les données varient selon les sources occidentales – atteint aujourd’hui plus 4.500 milliards de dollars et ses réserves en devises se chiffrent à plus de 1.000 milliards. Soit pour l’instant le double du PIB chinois – 2.200 milliards – bien que la Chine possède 50% de plus de réserves en monnaie convertible. Le PIB des Etats-Unis – 12.400 milliards de dollars, mais avec 36,4 fois plus de territoire et 2,3 fois plus de population – est à peine le triple de celui du Japon, dont le gouvernement est aujourd’hui l’un des principaux alliés de l’impérialisme alors que celui-ci est menacé par la récession économique et qu’il brandit ses armes perfectionnées de superpuissance aux dépens de la sécurité de l’espèce humaine.


Ce sont là des leçons de l’Histoire indélébiles.


La guerre, en revanche, affecta sérieusement la Chine. Truman ordonna à la sixième flotte d’empêcher le débarquement des forces révolutionnaires chinoises qui devaient couronner la libération totale de leur pays en récupérant ce 0,3% de leur territoire occupé par le reste des forces de Tchang Kaï-Chek qui s’y étaient réfugiées avec l’aide des impérialistes.


Les rapports entre la Chine et l’Union soviétique se dégradèrent ensuite, à la mort de Staline en mars 1953. Le mouvement révolutionnaire se scinda presque partout en deux. Dans son appel dramatique, Ho Chi Minh fit état du dommage que cela avait causé, tandis que l’impérialisme, fort de son énorme appareil médiatique, attisa les flammes de l’extrémisme de faux théoriciens révolutionnaires, un art dans lequel les services de renseignement étasuniens sont devenus des experts.


A la suite de la division arbitraire du pays, la Corée du Nord avait eu en lot la partie le plus accidentée. Chaque gramme d’aliment s’y obtenait au prix d’efforts et de sacrifices. Il n’était pas resté pierre sur pierre de Pyongyang, la capitale. Il fallait prendre en charge un grand nombre de blessés et de mutilés de guerre. Le pays était bloqué et sans ressources. L’URSS et les autres pays du camp socialiste étaient en pleine reconstruction.


Quand je suis arrivé en République populaire et démocratique de Corée le 7 mars 1986, presque trente-trois ans après une guerre qui y avait laissé de telles destructions, je n’en croyais pas mes yeux. Ce peuple héroïque avait bâti une infinité d’ouvrages : de grands et petits barrages et canaux pour accumuler l’eau nécessaire à la production d’électricité, à l’alimentation des villes et à l’irrigation des champs ; des centrales thermiques ; d’importantes usines de production mécanique et d’autres branches, dont beaucoup enterrées dans les profondeurs des montagnes au prix d’un travail difficile et méthodique. Faute de cuivre et d’aluminium, les Nord-Coréens furent même contraints d’utiliser du fer dans leurs lignes électriques dévoreuses d’une énergie qui provenait en partie de la houille. La capitale et les autres villes rasées avaient été reconstruites mètre après mètre. Je calculais alors des millions de nouveaux logements dans les zones urbaines et rurales, et des dizaines de milliers d’installations de services de toutes sortes. Des heures de travail infinies converties en pierres, en ciment, en acier, en bois, en produits synthétiques et en équipements. Les champs que je pus observer, partout où j’allai, ressemblaient à des jardins. De partout, un peuple bien habillé, organisé et enthousiaste accueillait le visiteur. Il méritait la coopération et la paix.


Je fis à peu près le tour de toutes les questions avec mon hôte illustre, Kim Il-sung. Je ne l’oublierai pas.


La Corée fut donc divisée en deux par une ligne imaginaire. Le Sud vécut une expérience différente. C’était la partie la plus peuplée, celle qui avait le moins souffert des destructions de la guerre. La présence d’une énorme quantité de troupes étrangères avait exigé des livraisons de produits locaux finis ou autres, qui allaient depuis l’artisanat jusqu’aux fruits et légumes frais, en plus des services. Les dépenses militaires des alliés avaient été énormes. Le même scénario se répéta quand les Etats-Unis décidèrent de maintenir indéfiniment de grandes forces militaires. Les transnationales occidentales et japonaises y investirent durant les années de Guerre froide des sommes considérables, soutirant des richesses illimitées du travail des Sud-Coréens, tout aussi laborieux et dévoués que leurs frères du Nord. Les grands marchés du monde furent ouverts à leurs produits. Ils n’étaient pas en butte à un blocus. Aujourd’hui, cette partie a atteint des niveaux élevés de technologie et de productivité. Elle a souffert des crises économiques occidentales qui provoquèrent le rachat de nombreuses entreprises sud-coréennes par les transnationales. L’austérité du peuple a permis à l’Etat d’accumuler d’importantes réserves de devises. Il souffre aujourd’hui de la dépression de l’économie étasunienne, notamment des cours élevés des combustibles et des aliments, et des pressions inflationnistes découlant de ces deux phénomènes.


Le PIB de la Corée du Sud (787 milliards de dollars) est similaire à celui du Brésil (796 milliards) et du Mexique (768 milliards), qui ont tous deux d’abondantes ressources en hydrocarbures et des populations incomparablement supérieures. L’impérialisme a imposé son système à ces nations : deux sont restées à la traîne, la troisième a bien plus avancé.


Rares sont les Sud-Coréens qui émigrent en Occident ; les Mexicains le font en masse vers le territoire actuel des Etats-Unis ; les Brésiliens, les Sud-Américains et les Centraméricains le font partout, poussés par le besoin de travail et par la propagande consumériste. On le leur en sait gré maintenant par des lois rigoureuses et méprisantes.


On connaît la position de principes de Cuba au sujet des armes nucléaires, exprimée au sein du Mouvement des pays non alignés et ratifiée à la Conférence au sommet de La Havane en septembre 2006.


J’avais salué pour la première fois le dirigeant actuel de la République populaire et démocratique de Corée, Kim Jong-il, à mon arrivée à l’aéroport de Pyongyang, alors qu’il se tenait discrètement à côté du tapis rouge, près de son père. Cuba maintient d’excellentes relations avec son gouvernement.


A la disparition de l’URSS et du camp socialiste, la RPDC perdit des sources et des marchés importants de pétrole, de matières premières et d’équipements. Comme pour nous, les conséquences en furent très dures, menaçant les progrès faits au prix de grands sacrifices. Le pays fit toutefois la preuve de sa capacité à fabriquer des armes nucléaires.


Quand la Corée du Nord procéda à l’essai correspondant voilà à peu près un an, nous fîmes part à son gouvernement de nos points de vue au sujet du dommage que cela pouvait causer aux pays pauvres du Tiers-monde qui livraient une lutte inégale et difficile contre les plans de l’impérialisme à une heure décisive pour le monde. Peut-être n’aurait-il pas fallu le faire. Kim Jong-il, arrivé à ce point-là, avait décidé d’avance ce qu’il devait faire compte tenu des facteurs géographiques et stratégiques de la région.


Nous nous félicitons de la déclaration dans laquelle la Corée du Nord se dit en disposition de suspendre son programme d’armes atomiques. Une décision qui n’a rien à voir avec les crimes et chantages de Bush, qui s’en vante maintenant comme d’un succès de sa politique génocidaire. La Corée du Nord ne fait pas ce geste à l’adresse du gouvernement étasunien, face auquel elle n’a jamais cédé, mais à l’égard de la Chine, voisine et amie, dont la sécurité et le développement sont vitaux pour les deux Etats.


Les pays du Tiers-monde ont tout intérêt à l’amitié et à la coopération entre la Chine et les deux parties de Corée, dont l’union ne doit pas se faire forcément aux dépens de l’une, comme cela est arrivé en Allemagne, aujourd’hui l’alliée des Etats-Unis à l’OTAN. Les liens qui uniront les deux Corée continueront de se tisser pas à pas, sans hâte mais sans trêve, en correspondance avec leur culture et leur histoire. Nous développons progressivement nos relations avec la Corée du Sud ; avec la Corée du Nord, elles ont toujours existé, et nous continuerons de les renforcer.


Agence cubaine d'information

22 juillet et 24 juillet 2008


(photos insérées par l'AAFC)

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20 mai 2008 2 20 /05 /mai /2008 09:51

Depuis deux ans, une commission gouvernementale sud-coréenne est chargée de faire la lumière sur les crimes de masse commis par les autorités sud-coréennes pendant la guerre de Corée (1950-1953). Un des principaux enseignements est de souligner l'ampleur des massacres de civils au début de la guerre, lesquels ont causé des centaines de milliers de morts.

100.000 morts : c'est l'estimation minimale du nombre de victimes civiles exécutées sans procès par les autorités sud-coréennes en juillet 1950, au début de la guerre de Corée, alors que les troupes nord-coréennes progressaient rapidement vers le sud. Mais ces données de la commission gouvernementale vérité et réconciliation, mise en place il y a deux ans pour établir la vérité historique sur des faits longtemps niés tant par les autorités sud-coréennes que par l'armée américaine, sont très en-deçà de la réalité, selon l'historien Kim Dong-choon membre de la commission, dans un évident souci d'apaisement politique.

Comment expliquer des crimes de guerre à une telle échelle ? Au début de la guerre de Corée, la rapidité de l'attaque nord-coréenne affole l'administration Syngman Rhee, élu président deux ans plus tôt au terme d'un processus électoral boycotté par les forces d'opposition, de droite comme de gauche. Les prisons renferment 30.000 prisonniers politiques suspects de sympathies communistes, souvent sans preuves, et l'un des premiers gestes des troupes nord-coréennes, dès leur arrivée à Séoul, est de libérer les prisonniers. Pour Syngman Rhee, qui a maté dans le sang les mouvements de guérilla qui s'étaient soulevés suite aux élections de 1948, il s'agit d'empêcher coûte que coûte la formation de groupes civils qui pourraient combattre aux côtés des Nord-Coréens. Une organisation paramilitaire dite de "rééducation", la Ligue nationale, avait été instituée en promettant à leurs membres des rations de riz et d'autres avantages ; en contrepartie, ses membres devaient dénoncer les suspects de sympathies communistes, en fait dans leur grande majorité des paysans peu politisés.

Le général américain Mac Arthur, bien qu'exerçant le contrôle de l'armée sud-coréenne, a considéré les exécutions comme une "affaire interne" à la Corée du Sud. Ses hommes ont été impliqués dans plusieurs affaires, dont le "massacre au pont de Nogun Ri", suivant le titre d'un manhwa dessiné par Park Kun-woong et écrit par Chung Eun-yong

Pourquoi un tel silence sur ces massacres de masse ? Il a fallu attendre la démocratisation de la Corée du Sud, dans les années 1990, pour que des informations largement relayées, tant par les témoignages des familles de victimes que par les soldats ayant reçu l'ordre de tirer, ne soient plus considérées comme relevant de la propagande communiste, alors que l'armée américaine a commencé à déclassifier ses informations. Les 17 membres du sous-comité de la commission gouvernementale, sur les "sacrifices civils de masse", ont à instruire des demandes de plus de 7.000 Sud-Coréens portant sur 1.200 incidents supposés (et pas seulement des massacres à grande échelle), dont 215 impliquent l'armée américaine.

Par ailleurs, les travaux d'aménagement, mais aussi la forte exposition de la péninsule coréenne aux aléas climatiques, ont mis à jour une - infime - partie des corps des victimes. Les médias sud-coréens avaient souligné, en 2002, le cas d'une tombe découverte après le passage d'un typhon, tandis qu'un autre corps était retrouvé dans une mine cachée. A ce jour, la commission a identifié de manière certaine 150 tombes contenant les restes d'au moins 400 personnes. Mais de nombreux corps, jetés à la mer, ne seront jamais retrouvés.

Parmi les faits clairement établis, deux massacres de masse ont été identifiés à Cheongwon et à Ulsan, où l'ancien président sud-coréen Roh Moo-hyun avait présenté des excuses au nom de la Corée du Sud pour la mort d'au moins 870 personnes. Dans la vallée de Sannae, l'historien Kim Dong-choon évalue le nombre d'exécutions entre 3.000 et 7.000. A Daejeon, un document américain déclassifié évalue à 4.000 le nombre de personnes tuées par les troupes et les policiers sud-coréens lors d'une seule opération (cf. ci-joint une photo déclassifiée fournie par les Archives nationales américaines de College Park, le 5 mai 2008). Dans la ville de Pusan, qui n'a jamais été contrôlée par les troupes nord-coréennes, le nombre de victimes avait été estimé à 10.000 par un parlementaire, à l'issue d'une enquête menée moins de dix ans après les faits, pendant la brève parenthèse démocratique de 1960-1961.

L'avenir de la commission, dotée d'un budget annuel de 19 millions de dollars, garanti jusqu'en 2010, est cependant incertain. Même si ses membres appartiennent à toutes les sensibilités politiques, l'élection du conservateur Lee Myung-bak, dont le parti est l'héritier des militaires au pouvoir en Corée du Sud jusqu'en 1993, rend plus probable des coupes budgétaires ou un plus grand écho aux protestations de l'extrême-droite contre le travail de la commission. De fait, le musée national de la guerre à Séoul fait aujourd'hui totalement l'impasse sur les massacres commis par les troupes sud-coréennes et leurs alliés américains pendant la guerre de Corée. (source : the Associated Press)


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