Depuis deux ans, une commission gouvernementale sud-coréenne est chargée de faire la lumière sur les crimes de masse commis par les autorités sud-coréennes pendant la guerre de Corée (1950-1953). Un des principaux enseignements est de souligner l'ampleur des massacres de civils au début de la guerre, lesquels ont causé des centaines de milliers de morts.
100.000 morts : c'est l'estimation minimale du nombre de victimes civiles exécutées sans procès par les autorités sud-coréennes en juillet 1950, au début de la guerre de Corée, alors que les troupes nord-coréennes progressaient rapidement vers le sud. Mais ces données de la commission gouvernementale vérité et réconciliation, mise en place il y a deux ans pour établir la vérité historique sur des faits longtemps niés tant par les autorités sud-coréennes que par l'armée américaine, sont très en-deçà de la réalité, selon l'historien Kim Dong-choon membre de la commission, dans un évident souci d'apaisement politique.
Comment expliquer des crimes de guerre à une telle échelle ? Au début de la guerre de Corée, la rapidité de l'attaque nord-coréenne affole l'administration Syngman Rhee, élu président deux ans plus tôt au terme d'un processus électoral boycotté par les forces d'opposition, de droite comme de gauche. Les prisons renferment 30.000 prisonniers politiques suspects de sympathies communistes, souvent sans preuves, et l'un des premiers gestes des troupes nord-coréennes, dès leur arrivée à Séoul, est de libérer les prisonniers. Pour Syngman Rhee, qui a maté dans le sang les mouvements de guérilla qui s'étaient soulevés suite aux élections de 1948, il s'agit d'empêcher coûte que coûte la formation de groupes civils qui pourraient combattre aux côtés des Nord-Coréens. Une organisation paramilitaire dite de "rééducation", la Ligue nationale, avait été instituée en promettant à leurs membres des rations de riz et d'autres avantages ; en contrepartie, ses membres devaient dénoncer les suspects de sympathies communistes, en fait dans leur grande majorité des paysans peu politisés.
Le général américain Mac Arthur, bien qu'exerçant le contrôle de l'armée sud-coréenne, a considéré les exécutions comme une "affaire interne" à la Corée du Sud. Ses hommes ont été impliqués dans plusieurs affaires, dont le "massacre au pont de Nogun Ri", suivant le titre d'un manhwa dessiné par Park Kun-woong et écrit par Chung Eun-yong
Pourquoi un tel silence sur ces massacres de masse ? Il a fallu attendre la démocratisation de la Corée du Sud, dans les années 1990, pour que des informations largement relayées, tant par les témoignages des familles de victimes que par les soldats ayant reçu l'ordre de tirer, ne soient plus considérées comme relevant de la propagande communiste, alors que l'armée américaine a commencé à déclassifier ses informations. Les 17 membres du sous-comité de la commission gouvernementale, sur les "sacrifices civils de masse", ont à instruire des demandes de plus de 7.000 Sud-Coréens portant sur 1.200 incidents supposés (et pas seulement des massacres à grande échelle), dont 215 impliquent l'armée américaine.
Par ailleurs, les travaux d'aménagement, mais aussi la forte exposition de la péninsule coréenne aux aléas climatiques, ont mis à jour une - infime - partie des corps des victimes. Les médias sud-coréens avaient souligné, en 2002, le cas d'une tombe découverte après le passage d'un typhon, tandis qu'un autre corps était retrouvé dans une mine cachée. A ce jour, la commission a identifié de manière certaine 150 tombes contenant les restes d'au moins 400 personnes. Mais de nombreux corps, jetés à la mer, ne seront jamais retrouvés.
Parmi les faits clairement établis, deux massacres de masse ont été identifiés à Cheongwon et à Ulsan, où l'ancien président sud-coréen Roh Moo-hyun avait présenté des excuses au nom de la Corée du Sud pour la mort d'au moins 870 personnes. Dans la vallée de Sannae, l'historien Kim Dong-choon évalue le nombre d'exécutions entre 3.000 et 7.000. A Daejeon, un document américain déclassifié évalue à 4.000 le nombre de personnes tuées par les troupes et les policiers sud-coréens lors d'une seule opération (cf. ci-joint une photo déclassifiée fournie par les Archives nationales américaines de College Park, le 5 mai 2008). Dans la ville de Pusan, qui n'a jamais été contrôlée par les troupes nord-coréennes, le nombre de victimes avait été estimé à 10.000 par un parlementaire, à l'issue d'une enquête menée moins de dix ans après les faits, pendant la brève parenthèse démocratique de 1960-1961.
L'avenir de la commission, dotée d'un budget annuel de 19 millions de dollars, garanti jusqu'en 2010, est cependant incertain. Même si ses membres appartiennent à toutes les sensibilités politiques, l'élection du conservateur Lee Myung-bak, dont le parti est l'héritier des militaires au pouvoir en Corée du Sud jusqu'en 1993, rend plus probable des coupes budgétaires ou un plus grand écho aux protestations de l'extrême-droite contre le travail de la commission. De fait, le musée national de la guerre à Séoul fait aujourd'hui totalement l'impasse sur les massacres commis par les troupes sud-coréennes et leurs alliés américains pendant la guerre de Corée. (source : the Associated Press)