Du 17 au 24 septembre 2010 s'est tenu le douzième festival international du film de Pyongyang. Le jury, présidé par Derek Elley, a décerné le premier prix au film Aller à l'école à pied, du Chinois Peng Xin. Comme lors des précédentes éditions, le cinéma français a été une fois encore à l'honneur. Mais l'événement du festival 2010 a été la redécouverte d'une production franco - nord-coréenne de 1958, Moranbong, grâce notamment à l'implication de Jérémy Segay, membre du comité de sélection de la Quinzaine des réalisateurs.
Dans l'après guerre de Corée (1950-1953), avec le soutien logistique du Parti communiste français, des intellectuels français font le voyage dans une République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) alors en pleine reconstruction. Cette expérience peu banale a été relatée par Claude Lanzmann dans Le Lièvre de Patagonie. Elle a donné lieu à un livre du photographe et réalisateur Chris Marker Coréennes (qui a dit, pour l'édition coréenne de son ouvrage en 1997, qu'il cherchait d'abord en Corée et à Cuba "une rupture avec le modèle soviétique"), et à un film, Moranbong, une aventure coréenne, réalisé en 1958 par Jean-Claude Bonnardot sur un scénario d'Armand Gatti, dans un partenariat si étroit avec les Nord-Coréens qu'on peut véritablement parler d'une coproduction franco - nord-coréenne - la première de la RPD de Corée avec un pays n'appartenant pas au bloc socialiste.
Moranbong transpose à l'époque de la guerre de Corée un récit coréen traditionnel aussi célèbre que Roméo et Juliette en Europe, l'histoire de la fidèle Chunhyang. Le chant de la fidèle Chunhyang est un pansori, l'opéra traditionnel coréen, qui narre les amours contrariées, dans la Corée royale, d'un jeune noble, Mongnyong, et de la fille d'une courtisane, Chunhyang. Chunhyang a juré un amour éternel à Mongnyong mais ce dernier doit partir suivre son père à Séoul, alors que le nouveau gouverneur de la province, le brutal Byeon Hakdo, a décidé de faire de Chunhyang sa courtisane. Moranbong reprend les formes du pansori, en faisant le récit douloureux des blessures de la guerre et de la séparation forcée de deux amants.
Présenté pour la première fois en République populaire démocratique de Corée à l'occasion du douzième festival international du film de Pyongyang, Moranbong de Jean-Claude Bonnardot et Armand Gatti a reçu le prix spécial du comité d'organisation.
Jérémy Segay, membre du comité de sélection de la Quinzaine des réalisateurs, a permis qu'une copie soit remise aux Nord-Coréens à l'occasion du festival. Il travaille aujourd'hui à la réalisation d'un documentaire sur l'histoire peu banale du film, interdit en France à sa sortie le 15 mai 1960, pour sa critique des troupes de l'ONU (dont un bataillon français) pendant la guerre de Corée. Un destin en partie similaire a frappé un autre récit français de la guerre de Corée, la pièce Les Coréens de Michel Vinaver. En 2008, une copie du script d'Armand Gatti dans sa version coréenne a été retrouvée par Jean-Jacques Hocquard, directeur du centre de création culturelle La Parole errante.
Mais l'histoire de Moranbong croise aussi celle de l'Association d'amitié franco-coréenne, fondée en 1969, qui a organisé des projections du film en France à ses adhérents et sympathisants au début des années 1970, à la faveur de l'éloignement de la censure tâtillonne ayant suivi les années de la guerre de Corée. Un des membres fondateurs de l'AAFC, le chansonnier Francis Lemarque, faisait partie de la délégation française partie en Corée avec Claude Lanzmann, Jean-Claude Bonnardot, Armand Gatti et Chris Marker.
Sources : AAFC ; Philippe Pons, "Un film ressuscité au festival de Pyongyang", in Le Monde, 28 septembre 2010, p. 2 ; Moranbong, aventure coréenne, sur le site des archives du fonds documentaire Armand Gatti à La Parole errante (dont photo).