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6 juillet 2010 2 06 /07 /juillet /2010 23:21

Alors que l'année 2010 marque le soixantième anniversaire du début de la guerre de Corée (1950-1953), l'absence de traité de paix dans la péninsule coréenne depuis l'armistice de 1953 signale que la Corée reste, de manière anachronique, un des derniers théâtres de la guerre froide. Pour mieux comprendre un conflit complexe, nous reproduisons ci-après, avec l'autorisation de leurs auteurs, des extraits de l'ouvrage La Corée : vers la réunification de Robert Charvin et Guillaume Dujardin, publié par L'Harmattan en juin 2010. Cet ouvrage est disponible (25 euros) à L'Harmattan (16, rue des Ecoles - 75 005 Paris), auprès de l'AAFC et à la papeterie ENCR'ID (8, rue de Surène - 75 008 Paris).

 

38th_parallel.jpgContrairement aux idées reçues et simplistes répandues dans le monde occidental, la nature de cette guerre est complexe.

 

 Elle est d'abord une guerre civile [1] dont l'issue dans l'immédiat après-guerre était évidente : les forces révolutionnaires et nationalistes, dominantes au Nord, mais aussi fortement présentes au Sud, l'auraient rapidement emporté sans intervention extérieure. Le mécontentement de la population du Sud devant le maintien des privilèges des collaborateurs qui, déjà, durant la colonisation japonaise avaient profité de la domination nippone, et face à une armée américaine se comportant en maître absolu et en force d'occupation, ne pouvait que provoquer des réactions patriotiques [2].

 

Or, une intervention étrangère dans ce type de conflit est une ingérence au regard de la Charte des Nations Unies qui venait d'être adoptée et telle qu'on l'interprétait unanimement aux lendemains de son adoption. La résolution du Conseil de Sécurité (27 juin 1950) qui décidait d'envoyer une force armée à la demande des Etats-Unis [3] n'est en rien une garantie du respect de la légalité onusienne : ce n'est qu'une violation des principes de l'ONU par l'un de ses organes, d'autant que l'armée américaine était intervenue avant le vote de cette résolution !

 

Ce conflit interne a été en effet internationalisé afin d'éviter une victoire nationaliste et communiste en Corée. Les principaux responsables sont les Etats-Unis, assistés de la Grande-Bretagne, alors que les problèmes internes de la Corée ne pouvaient présenter une menace quelconque pour la paix dans la région, encore moins dans le monde. C'est au contraire cette internationalisation qui va provoquer une menace pour la paix mondiale, lorsque l'armée américaine et son commandant en chef MacArthur envisageaient d'user de l'arme atomique contre la Chine, elle-même intervenue pour assister ses alliés nord-coréens. Les objectifs mêmes des Nations Unies étaient remis en cause par les Nations Unies elles-mêmes à l'instigation des Etats-Unis !

 

De plus, il est reconnu par les chercheurs américains eux-mêmes ayant dépouillé les archives du Pentagone que le droit humanitaire a été massivement violé par l'aviation américaine, responsable de bombardements massifs au napalm des villes nord-coréennes (sur les 22 principales villes, 18 ont été rasées, y compris Pyongyang). Le général MacArthur avait même réclamé à Washington l'autorisation de larguer trente bombes atomiques, particulièrement le long de la frontière sino-coréenne, puis d'établir une ceinture de cobalt radioactif (dont la durée de vie varie de 60 à 120 ans) au nord de la frontière nord-coréenne. Un projet équivalent a été envisagé ultérieurement pour séparer le Nord du Sud [4] !

 

Toutefois, la guerre de Corée ne s'inscrit pas essentiellement dans la confrontation Est-Ouest [5]. L'URSS, en 1950, a pour préoccupation majeure l'Europe et la stabilisation des rapports établis par Yalta. L'Etat soviétique a freiné les stratégies offensives des partis communistes occidentaux (particulièrement en 1947-48) jugées trop « intempestives » en aspirant davantage à sa propre reconstruction et à sa sécurité qu'à l'extension d'un quelconque mouvement révolutionnaire [6]. Il se satisfait des acquis que représente le « glacis » des démocraties populaires en Europe de l'Est. Cette guerre est plus proche en réalité des affrontements qui suivront dans les années 60-70 entre les mouvements de libération nationale et les métropoles coloniales, assistées de leurs « harkis ».

 

Les deux parties Nord et Sud face à face ont « une vue quasi symétrique de la question », comme le note Nora Wang [7] : au Sud, la tension sociale est vive et le gouvernement de Pyongyang a pu estimer qu'étaient réunies les conditions d'une réunification ; le Président Syngman Rhee a dû avoir une analyse analogue en faveur d'une intervention avec l'aide irremplaçable des Etats-Unis, tout comme le représentant américain J. Foster-Dulles, les Chinois étant occupés par des problèmes au Tibet, par la question de Taïwan ainsi que par l'aide qu'ils commencent à apporter au Vietnam du Nord. Quant à l'URSS, elle ne siège plus au Conseil de Sécurité et ne peut donc faire jouer son droit de veto [8]. L'Armée Rouge avait quitté le territoire coréen depuis 1948. Comme pour les Vietnamiens, la réunification pour la majorité des Coréens est avant tout une question nationale : il s'agit de réaliser enfin la souveraineté de la Corée.

 

La guerre de Corée appartient donc à l'ensemble des conflits qui, sur tous les continents entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et les années soixante-dix, aboutiront à la naissance de nombreux « Nouveaux Etats » et du Tiers Monde.



[1] Dans la plupart des manuels occidentaux de « Relations Internationales » destinés aux étudiants, la « guerre de Corée » est présentée comme un conflit armé interétatique classique, s'insérant dans la « guerre froide » entre le bloc communiste et le bloc « occidental ». Cf. par exemple, S. Sur. Relations internationales. Montchrestien. 1995, p. 111. Néanmoins, le professeur Guilhaudis (Relations Internationales contemporaines. Litec. 2002) définit la guerre civile comme un « affrontement de masses armées importantes pouvant aboutir au partage du pays en deux ou plusieurs zones contrôlées chacune par une des parties qui s'opposent » (p. 100). Mais l'illustration donnée est celle de la révolution chinoise, et non celle de la Corée.  
[2] L'opinion officieuse de la France est publiée dans l'éditorial du journal Le Monde (26-28 juin 1950) : « Il est peut-être trop tard pour sauver la Corée du Sud (...) en raison des inconséquences et des hésitations de la politique américaine en Extrême-Orient (....) Il n'est guère probable heureusement que l'on voit dégénérer l'affaire coréenne en conflit international ».  
[3] La résolution du Conseil de Sécurité (25 juin), qui a précédé celle décidant l'intervention militaire des forces des Nations Unies, faisait simplement appel aux deux parties pour la cessation des hostilités, alors que les Etats-Unis souhaitaient que le Conseil de Sécurité ne s'adresse qu'à la Corée du Nord. Ce décalage entre les deux positions révèle les hésitations des membres du Conseil de Sécurité. Mais les Etats-Unis, dès le 25 juin, avaient décidé d'envoyer en Corée les troupes stationnées au Japon.
[4] Voir par exemple, les travaux du professeur de l'Université de Chicago, Bruce Cumings. North Korea, Another Country, The New Press. New York. 2004. Voir aussi B. Cumings, The Origins of the Korea War. Princeton University Press. 1990.
Après le départ de MacArthur, les Etats-Unis ont continué à envisager l'usage des armes atomiques. En mars 1951, elles étaient installées à Okinawa, prêtes à être lancées sur la Corée du Nord.  
[5] Si pour les Etats-Unis, la Corée est une « tête de pont » stratégique de première importance étant donné sa position géographique, pour l'URSS la Corée n'a qu'un intérêt très secondaire, tout comme l'Europe occidentale. L'URSS a, à cette époque, pour préoccupations le renforcement de son propre Etat et sa mise en sécurité, et non celle d'aider le mouvement communiste international à s'étendre partout dans le monde. « L'internationalisme » du PCUS n'a jamais été une priorité au détriment des intérêts étatiques plus prosaïques.  
[6] Certains auteurs occidentaux croient devoir, sans aucun argument, mentionner que Staline est, directement ou indirectement, responsable de « l'attaque » nord-coréenne. Voir T. Delpech. L'ensauvagement. Grasset. 2005, p. 302 et  P. Rigoulot. Corée du Nord, Etat voyou. Buchet-Chastel. 2003, p. 19.  
[7] Cf. N. Wang, op. cit., p. 235.  
[8] Il serait paradoxal que « l'attaque du Nord » ait été décidée au moment même où l'URSS ne pouvait empêcher les Etats-Unis d'instrumentaliser l'ONU ! Au contraire, on peut faire l'hypothèse que les Etats-Unis craignaient que l'installation définitive du PC chinois au pouvoir à Pékin risque de rendre irréversible les avancées des communistes nord-coréens.
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