Alors que l'année 2010 marque le soixantième anniversaire du début de la guerre de Corée (1950-1953), l'absence de traité de paix dans la péninsule coréenne depuis l'armistice de 1953 signale que la Corée reste, de manière anachronique, un des derniers théâtres de la guerre froide. Pour mieux comprendre un conflit complexe, nous reproduisons ci-après, avec l'autorisation de leurs auteurs, des extraits de l'ouvrage La Corée : vers la réunification de Robert Charvin et Guillaume Dujardin, publié par L'Harmattan en juin 2010. Cet ouvrage est disponible (25 euros) à L'Harmattan (16, rue des Ecoles - 75 005 Paris), auprès de l'AAFC et à la papeterie ENCR'ID (8, rue de Surène - 75 008 Paris).
Contrairement aux idées reçues et simplistes répandues dans le monde occidental, la nature de cette guerre est complexe.
Elle est d'abord une guerre civile [1] dont l'issue dans l'immédiat après-guerre était évidente : les forces révolutionnaires et nationalistes, dominantes au Nord, mais aussi fortement présentes au Sud, l'auraient rapidement emporté sans intervention extérieure. Le mécontentement de la population du Sud devant le maintien des privilèges des collaborateurs qui, déjà, durant la colonisation japonaise avaient profité de la domination nippone, et face à une armée américaine se comportant en maître absolu et en force d'occupation, ne pouvait que provoquer des réactions patriotiques [2].
Or, une intervention étrangère dans ce type de conflit est une ingérence au regard de la Charte des Nations Unies qui venait d'être adoptée et telle qu'on l'interprétait unanimement aux lendemains de son adoption. La résolution du Conseil de Sécurité (27 juin 1950) qui décidait d'envoyer une force armée à la demande des Etats-Unis [3] n'est en rien une garantie du respect de la légalité onusienne : ce n'est qu'une violation des principes de l'ONU par l'un de ses organes, d'autant que l'armée américaine était intervenue avant le vote de cette résolution !
Ce conflit interne a été en effet internationalisé afin d'éviter une victoire nationaliste et communiste en Corée. Les principaux responsables sont les Etats-Unis, assistés de la Grande-Bretagne, alors que les problèmes internes de la Corée ne pouvaient présenter une menace quelconque pour la paix dans la région, encore moins dans le monde. C'est au contraire cette internationalisation qui va provoquer une menace pour la paix mondiale, lorsque l'armée américaine et son commandant en chef MacArthur envisageaient d'user de l'arme atomique contre la Chine, elle-même intervenue pour assister ses alliés nord-coréens. Les objectifs mêmes des Nations Unies étaient remis en cause par les Nations Unies elles-mêmes à l'instigation des Etats-Unis !
De plus, il est reconnu par les chercheurs américains eux-mêmes ayant dépouillé les archives du Pentagone que le droit humanitaire a été massivement violé par l'aviation américaine, responsable de bombardements massifs au napalm des villes nord-coréennes (sur les 22 principales villes, 18 ont été rasées, y compris Pyongyang). Le général MacArthur avait même réclamé à Washington l'autorisation de larguer trente bombes atomiques, particulièrement le long de la frontière sino-coréenne, puis d'établir une ceinture de cobalt radioactif (dont la durée de vie varie de 60 à 120 ans) au nord de la frontière nord-coréenne. Un projet équivalent a été envisagé ultérieurement pour séparer le Nord du Sud [4] !
Toutefois, la guerre de Corée ne s'inscrit pas essentiellement dans la confrontation Est-Ouest [5]. L'URSS, en 1950, a pour préoccupation majeure l'Europe et la stabilisation des rapports établis par Yalta. L'Etat soviétique a freiné les stratégies offensives des partis communistes occidentaux (particulièrement en 1947-48) jugées trop « intempestives » en aspirant davantage à sa propre reconstruction et à sa sécurité qu'à l'extension d'un quelconque mouvement révolutionnaire [6]. Il se satisfait des acquis que représente le « glacis » des démocraties populaires en Europe de l'Est. Cette guerre est plus proche en réalité des affrontements qui suivront dans les années 60-70 entre les mouvements de libération nationale et les métropoles coloniales, assistées de leurs « harkis ».
Les deux parties Nord et Sud face à face ont « une vue quasi symétrique de la question », comme le note Nora Wang [7] : au Sud, la tension sociale est vive et le gouvernement de Pyongyang a pu estimer qu'étaient réunies les conditions d'une réunification ; le Président Syngman Rhee a dû avoir une analyse analogue en faveur d'une intervention avec l'aide irremplaçable des Etats-Unis, tout comme le représentant américain J. Foster-Dulles, les Chinois étant occupés par des problèmes au Tibet, par la question de Taïwan ainsi que par l'aide qu'ils commencent à apporter au Vietnam du Nord. Quant à l'URSS, elle ne siège plus au Conseil de Sécurité et ne peut donc faire jouer son droit de veto [8]. L'Armée Rouge avait quitté le territoire coréen depuis 1948. Comme pour les Vietnamiens, la réunification pour la majorité des Coréens est avant tout une question nationale : il s'agit de réaliser enfin la souveraineté de la Corée.
La guerre de Corée appartient donc à l'ensemble des conflits qui, sur tous les continents entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et les années soixante-dix, aboutiront à la naissance de nombreux « Nouveaux Etats » et du Tiers Monde.
[1] Dans la plupart des manuels occidentaux de « Relations Internationales » destinés aux étudiants, la « guerre de Corée » est présentée comme un conflit armé interétatique classique, s'insérant dans la « guerre froide » entre le bloc communiste et le bloc « occidental ». Cf. par exemple, S. Sur. Relations internationales. Montchrestien. 1995, p. 111. Néanmoins, le professeur Guilhaudis (Relations Internationales contemporaines. Litec. 2002) définit la guerre civile comme un « affrontement de masses armées importantes pouvant aboutir au partage du pays en deux ou plusieurs zones contrôlées chacune par une des parties qui s'opposent » (p. 100). Mais l'illustration donnée est celle de la révolution chinoise, et non celle de la Corée.