Alors que l'AAFC est aujourd'hui engagée dans une campagne internationale pour un traité de paix en Corée, près de vingt ans avant la fondation de l'Association, en 1969, de nombreux militants avaient payé un lourd tribut contre la guerre de Corée (1950-1953) : des milliers d'arrestations, des blessés et deux morts, Hocine Belaïd et Charles Guénard - victimes de la répression policière lors de la manifestation à Paris contre le général "Ridgway la peste", ancien commandant en chef des troupes américaines en Corée, mis en cause pour l'utilisation d'armes bactériologiques dans la péninsule. Il y a soixante ans, le 24 janvier 1951, la police a ainsi arrêté 3.267 personnes à proximité de l’hôtel Astoria, où logeait le général Eisenhower. A partir d'un article historique et de témoignage publié sur le site de la section d'Aubervilliers du Parti communiste français, l'AAFC revient sur le combat d'hommes et de femmes qui ont dit "non" à la guerre, certains au péril de leur vie. Elle salue leur courage et leur engagement, en appelant chacun et chacune à se montrer dignes de nos aïeux pour que les armes se taisent définitivement sur le sol de la péninsule coréenne.
Alors que des monuments, des citations et de commémorations rappellent abondamment la mémoire du "bataillon français des Nations-Unies" dirigé par le lieutenant-colonel Monclar, et engagé aux côtés des troupes sous commandement américain, de nombreux pans de l'histoire de la guerre de Corée ont été occultés par les gouvernements occidentaux - et notamment le refus de la guerre, porté en France par des dizaines de milliers d'hommes et de femmes, souvent membres du Parti communiste français et/ou du Mouvement de la paix et de la Confédération générale du travail.
Avant même la manifestation du 28 mai 1952 contre le général américain Ridgway, la mobilisation en France pour la paix en Corée a connu plusieurs grands moments, dont quelques-uns sont cités par André Narritsens dans un article publié sur le site de la section d'Aubervilliers du Parti communiste français, et s'inspirant des travaux de Michel Pigenet sur la manifestation Ridgway, publié en 1993 aux éditions L'Harmattan :
"Le 24 janvier 1951, la police a arrêté, aux bords de l’hôtel Astoria (où séjournait le général Eisenhower) 3.267 personnes, et bloqué aux portes de Paris les cars emplis de manifestants en provenance de banlieue."
"Le 12 février 1952, la police a procédé à l’arrestation préventive de dizaines de suspects et les a gardés une journée entière dans la cour de l’ancien hôpital Beaujon."
Le climat de guerre touche l'action militante de ceux qui, en France, osent s'opposer à la guerre de Corée. Ainsi, le quotidien communiste L’Humanité estime que, du 1er janvier au 30 juin 1952, 80 militants ont été poursuivis pour avoir collé des pages du journal. André Narritsens observe que "les représentations théâtrales ou projections de cinéma 'communistes' sont interdites. Le préfet Jean Baylot est le maître d’œuvre de cette répression".
Le point d'orgue des manifestations contre la guerre en Corée se focalisera sur la venue en France, dans le cadre d'une tournée en Europe, du général Ridgway, ancien commandant en chef des troupes américaines en Corée, et venant d'être nommé à la tête des forces de l’OTAN. Son nom est conspué dans les cortèges syndicaux du 1er mai, en France comme dans le reste du monde - des affrontements avaient ainsi eu lieu à Tokyo, à proximité du QG de Ridgway. Des "journées de Paris pour sauver la paix" sont organisées, le Mouvement de la paix engageant des journées de protestation contre les armes biologiques, tout en initiant quatorze rassemblements régionaux.
La manifestation du 28 mai 1952 a pris place dans un contexte de radicalisation politique, un article de François Billoux, membre du Bureau politique, ayant proposé que le Parti communiste vise à accélérer "le renversement de la politique française".
A l'issue d'une première manifestation organisée par le Mouvement de la paix le 23 mai, 279 interpellations sont opérées (dont 42 suivies de maintiens en état d’arrestation et d'inculpations), les forces de l'ordre revendiquant 49 blessés dans leurs rangs. Le 25 mai, André Stil, rédacteur en chef de L'Humanité, est arrêté pour infraction à la loi du 7 juin 1848 relative à la provocation d'attroupements publics : l'après-midi même, des portraits d'André Stil sont visibles dans la montée au mur des Fédérés, qui commémore la Commune de Paris.
André Narritsens résume ainsi la préparation et le déroulement de la journée du 28 mai 1952 :
"Le Parti communiste a chargé Raymond Guyot, membre du bureau politique, de l’organisation d’ensemble. Il est assisté d’André Souquière, secrétaire de la Fédération de la Seine et dirigeant important du Mouvement de la paix, à qui se voit confier la tâche de la coordination du PC et du Mouvement de la Paix. André Karman, lui aussi secrétaire de la Fédération de la Seine, suit, pour ce qui le concerne la mobilisation du Parti.
Les itinéraires des cortèges ont été établis et minutés. Le principe d’organisation est celui de la 'boule de neige' : de petits groupes se rassemblent et font mouvement jusqu’à un lieu convenu où ils s’agrègent à d’autres groupes. Ainsi doivent se former les 'colonnes' constituées des militants de banlieue et des arrondissements périphériques qui entreront dans Paris. Des véhicules sont chargés d’apporter le matériel de la manifestation : point de banderoles, mais de petites pancartes souvent en tôle, fixées sur de gros manches de bois. Non encombrés du matériel habituel des manifestations, les groupes ont vocation à être très mobiles et en capacité d’affronter la police de manière offensive. D’évidence, l’épreuve sera rude : des locaux ont été aménagés en infirmeries de campagne et des véhicules prévus pour le transport des blessés vers la clinique des Bluets
[...] Le cortège du Nord et de l’Est dans lequel prennent place les militants d’Aubervilliers est très complexe. Trois colonnes le constituent, l’une démarrée au carrefour des Quatre-Chemins qui regroupe environ 2.000 manifestants entrera dans Paris par la porte de La Villette, les autres pénètreront qui par la porte de La Chapelle, qui par la porte de Clignancourt. La fusion des trois cortèges doit se réaliser Place de La Chapelle. La 'colonne' ainsi constituée emprunte le Faubourg-Saint-Denis puis le boulevard Magenta pour tenter d’atteindre la place de la République.
Le but poursuivi ne sera pas atteint mais, deux heures durant, 20.000 manifestants vont affronter la police. Le bilan est lourd. Les forces de l’ordre déclareront 372 blessés dont 27 grièvement. Du côté des manifestants le bilan est difficile à établir mais l’on compte un mort (Hocine Belaïd), un blessé par balles (Charles Guénard) et de multiples contusionnés. La police procède à 718 interpellations souvent accompagnées de très violents passages à tabac et 140 inculpations vont être prononcées."
Hocine Belaïd est tombé place de Stalingrad, appartenant à la "colonne" formée au carrefour des Quatre-Chemins. Ancien déporté, ancien conseiller municipal, Charles Guénard a été grièvement blessé par balle au genou : il est mort en mars 1953 lors d'une opération à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière.
Toujours le soir du 28 mai, Jacques Duclos est arrêté : deux pigeons morts trouvés dans sa voiture, destinés à la casserole, deviennent un temps de mystérieux pigeons voyageurs...
Les obsèques de Hocine Belaïd, ouvrier communal à Aubervilliers se sont déroulées le 13 juin, place de l’Hôtel de Ville. Le maire de la ville, Charles Tillon, a prononcé le discours d’hommage, avant que Hocine Belaïd ne soit enterré au cimetière d'Aubervilliers.
Le refus de la guerre de Corée a marqué durablement les mémoires : après la guerre, des intellectuels français feront le voyage en République populaire démocratique de Corée pour voir et comprendre un pays alors en pleine reconstruction. L'un d'entre eux, l'auteur, compositeur et interprète Francis Lemarque, sera, en 1969, un des membres fondateurs de l'Association d'amitié franco-coréenne.
Sources : AAFC, site de la section PCF d'Aubervilliers (première et deuxième parties de l'article, dont photos)