Dix mois après une première conférence à Enghien-les-Bains, au lendemain de leur voyage en République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) d'avril 2012, Benoît Quennedey et Patrick Kuentzmann, respectivement vice-président chargé des actions de coopération et secrétaire général de l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC), ont à nouveau donné une conférence au Rotary Club d'Enghien-Montmorency, le 20 mars 2013. Une occasion de faire le point sur la question coréenne, alors que l'escalade actuelle des tensions soulève des inquiétudes sur des risques de conflit : dans un contexte de manoeuvres militaires conjointes américano - sud-coréennes, le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un a personnellement supervisé des exercices militaires aériens, tandis que des accusations de cyber-attaques ont été lancées de part et d'autre du 38ème parallèle.
Comment expliquer les tensions actuelles autour de la péninsule coréenne ? Quels sont les risques actuels d'un nouveau conflit qui endeuillerait le peuple coréen, soixante ans après l'armistice ayant mis fin aux combats de la guerre de Corée, mais sans véritable traité de paix ? C'est autour de ces deux questions d'une brûlante actualité que Patrick Kuentzmann, secrétaire général de l'AAFC procédant à l'aide d'un Powerpoint, a bâti son propos introductif lors de la conférence donnée par l'AAFC, à l'invitation du Rotary Club d'Enghien-Montmorency, le 20 mars 2013.
De fait, l'Asie du Nord-Est, et singulièrement la péninsule coréenne, se trouve au coeur d'enjeux diplomatiques, économiques et stratégiques - au carrefour des routes de l'énergie et du "pont terrestre ferroviaire eurasiatique". Ces enjeux conduisent aujourd'hui les Etats-Unis, unique superpuissance de l'après-guerre froide, à redéployer leur dispositif politico-militaire en direction de la région Asie-Pacifique, traversée par plusieurs crises, dont trois centrées sur la Corée (la question nucléaire nord-coréenne, les revendications de souveraineté du Japon et de la Corée du Sud sur les îles Dokdo et la délimitation contestée de la frontière maritime entre les deux Corée en mer de l'Ouest).
Alors que les combats de la guerre de Corée se sont achevés en 1953 par un simple accord d'armistice et non par un traité de paix, un état de guerre latent continue de prévaloir dans et autour de la péninsule. Les essais nucléaires nord-coréens - trois à ce jour, contre toutefois plus de 1 000 pour les Etats-Unis depuis qu'ils sont devenus une puissance nucléaire - de même que les exercices militaires conjoints américano - sud-coréens actuellement en cours, s'inscrivent dans un contexte spécifique, où les risques d'une nouvelle guerre n'ont jamais disparu depuis soixante ans.
Le rapport actuel des forces militaires en présence doit tenir compte que la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) dispose d'un budget militaire évalué à 5 milliards de dollars, représentant moins de 1 % de celui des Etats-Unis (lequel s'élève à plus de 600 milliards de dollars). Mais compte tenu de la taille de l'économie nord-coréenne, ces dépenses militaires représenteraient 18 % du PIB nominal. Au regard du déséquilibre des forces conventionnelles, les autorités nord-coréennes ont choisi de doter le pays d'une force de dissuasion nucléaire, selon des principes inspirés de la doctrine nucléaire française de "dissuasion du faible au fort". En conclusion, Patrick Kuentzmann a exprimé sa conviction, et celle de l'AAFC, que la signature d'un traité de paix serait de nature à apporter les garanties de sécurité attendues par la RPD de Corée, tout en préparant le chemin à une future réunification pacifique de la péninsule.
Revenant ensuite plus spécifiquement sur l'actualité, Benoît Quennedey, vice-président de l'AAFC, a tout d'abord rappelé les termes de l'escalade actuelle : mise sur orbite d'un satellite nord-coréen Kwangmyongsong-3 le 12 décembre 2012, suivie de nouvelles sanctions du Conseil de sécurité des Nations Unies après la mise sur orbite, entretemps, du premier satellite artificiel sud-coréen ; en réaction, troisième essai nucléaire nord-coréen le 12 février 2013, et sanctions renforcées du Conseil de sécurité... A l'action d'une des parties répond une réaction des autres parties qui alimente un cycle de tensions.
La crise actuelle doit toutefois être relativisée et resituée dans le contexte de l'alternance de phases de tensions et de dialogue, autour du nucléaire nord-coréen depuis 1993, ainsi que d'une conjoncture politique nouvelle à l'intérieur de la RPD de Corée : la disparition du dirigeant nord-coréen Kim Jong-il, en décembre 2011, correspond également à une phase de consolidation du pouvoir de Kim Jong-un, Premier secrétaire du Parti du travail de Corée, apparu sur le devant de la scène politique nord-coréenne en septembre 2010. Le maintien de la RPD de Corée et de son système politique apparaît ainsi comme un objectif fondamental des autorités nord-coréennes.
Dans ce contexte, si aucune des parties ne peut raisonnablement souhaiter la guerre, les discours en présence s'avèrent incompatibles : pour les Etats-Unis, il serait inacceptable d' "acheter deux fois le même cheval", c'est-à-dire de revenir sur les termes antérieurs d'accords aujourd'hui caducs ; pour la Corée du Nord, l'exercice de ses droits d'Etat souverain, pouvant se doter de l'arme nucléaire pour assurer sa défense, n'est pas négociable ; pour l'actuelle direction de la Corée du Sud, la politique d'ouverture au Nord poursuivie pendant dix ans, de 1998 à 2008, n'aurait pas permis de diminuer les tensions militaires, ni le programme nucléaire nord-coréen - tout en procédant ainsi à une corrélation nouvelle entre la question nucléaire et celle de la réunification, alors que pour la RPDC son statut d'Etat doté de l'armé nucléaire doit s'entendre au regard de ses relations avec les Etats-Unis. Pourtant, diminuer les tensions devrait être un objectif convergent de toutes les parties. Il est d'ailleurs clairement affiché comme tel par la Russie et surtout la Chine, hôte des pourparlers à six (les deux Corée, les Etats-Unis, la Chine, la Russie et le Japon) sur la dénucléarisation de la péninsule coréenne.
Les scénarios actuels sont au nombre de trois :
- un retour au dialogue, la position de la RPDC étant analysée comme voulant négocier en position de force ;
- des conflits localisés, dans des zones de marge mal délimitées, comme autour de l'île Yeonpyeong en novembre 2010 ;
- une succession d'affrontements débouchant sur un conflit généralisé, comme entre 1945 et 1950 où les affrontements autour du 38ème parallèle auraient alors causé 100 000 morts selon des historiens sud-coréens.
Mais ce dernier scénario n'est conforme ni aux intérêts nord-coréens de s'engager dans un conflit de longue durée face à des adversaires plus puissants économiquement, ni au refus de l'opinion américaine que des morts se multiplient sur des terrains de combat éloignés du territoire américain, comme ce fut naguère le cas au Vietnam.
A l'issue de cet exposé par des membres du bureau de l'AAFC, un riche débat contradictoire s'est engagé avec les rotariens présents, sur les origines et les responsabilités dans les tensions actuelles, les perspectives de dialogue et de réunification de la Corée ou encore le rôle joué par des associations comme l'Association d'amitié franco-coréenne pour diminuer les tensions et promouvoir les échanges et le dialogue.