Le 31 octobre 2001, des médias locaux sud-coréens ont annoncé que Séoul chercherait à organiser, en novembre, une rencontre tripartite avec Pékin et Tokyo sur le programme nucléaire de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord). La rencontre pourrait se tenir au niveau des ministres des Affaires étrangères, en marge d'une réunion internationale - par exemple dans le cadre de la prochaine réunion du forum de Coopération économique Asie-Pacifique (APEC) en Russie, ou à l'occasion du sommet de l'ASEAN en Indonésie. Mais Tokyo n'en reste pas moins le grand absent des Etats parties aux pourparlers à six, à l'heure où se multiplient les rencontres bilatérales entre les Six.
Discussions bilatérales entre Washington et Pyongyang d'une part, Pyongyang et Séoul d'autre part ; visite du vice-Premier ministre chinois Li Keqiang dans les deux capitales coréennes ; avancées dans la coopération ferroviaire entre la Russie et la RPD de Corée à l'occasion d'un voyage d'essai entre Rajin et Khasan, tandis que Moscou se repositionne sur la scène diplomatique en Asie du Nord-Est après le sommet à Oulan-Oude en août entre le président russe Dmitri Medvedev et le dirigeant de la RPD de Corée Kim Jong-il... Une intense activité diplomatique se déploie autour de la péninsule coréenne dans l'éventuelle perspective d'une reprise des pourparlers à six sur la dénucléarisation de la péninsule coréenne, que Pyongyang appelle de ses voeux. Seul le Japon reste largement à l'écart de ces négociations bilatérales ou trilatérales.
Pourtant, après l'alternance politique d'août 2009 qui a porté au pouvoir l'opposition démocrate, le changement semblait augurer d'une volonté du Japon de revenir sur la scène diplomatique. Ce dernier aurait pu reconnaître plus ouvertement les erreurs de l'impérialisme nippon - lequel reste le principal obstacle à une pleine insertion de Tokyo sur la scène internationale. Mais l'instabilité politique accrue après la démission du Premier ministre Yukio Hatoyama, qui n'a pas tenu ses promesses, n'a pas créé les conditions nécessaires à une approche moins frileuse de la diplomatie japonaise. Dans ce contexte, l'anticoréanisme viscéral de nombreux Japonais, qui se focalise aujourd'hui sur la RPD de Corée, est agité par des gouvernements faibles pour tenter de se refaire une virginité auprès de l'électorat d'extrême-droite.
Mais pour exister sur la scène diplomatique en Asie du Nord-Est, Tokyo doit prendre des initiatives : à cet égard, renouer le dialogue avec Pyongyang est probablement la meilleure carte que puisse jouer le Japon, pour ne pas être pris de court dans une accélération de l'histoire qui verrait, demain, une réconciliation entre les Etats-Unis et leurs ennemis d'aujourd'hui. Les diplomates nippons ne doivent pas oublier le "choc Nixon" : lorsque, au début des années 1970, Washington s'était spectaculairement rapproché de Pékin sous l'impulsion du président américain, Tokyo n'avait pas eu d'autre choix que de s'engager à son tour, et à marche forcée, dans des négociations bilatérales avec la République populaire de Chine, au risque sinon d'être enfermé dans un face-à-face avec Taïwan. Le Japon s'était alors vu imposer son calendrier diplomatique, et le même phénomène pourrait se reproduire demain avec Pyongyang.
Certes, le Japon est encore meurtri, frappé par les conséquences du terrible séisme et du tsunami qui ont touché l'archipel en mars de cette année. Mais alors que Tokyo aurait pu tendre la main à Pyongyang, qui a offert des secours d'urgence, tout comme Séoul, le gouvernement japonais s'est replié dans un isolationnisme dont il fait aujourd'hui les frais. Faute de règlement par le Japon de ses contentieux territoriaux avec la Russie sur les îles Kouriles, Moscou se tourne vers la péninsule coréenne pour établir un partenariat économique eurasiatique privilégié. Quand les Chinois cherchent à relancer les pourparlers à six, ils discutent d'abord avec les Etats-Unis et les deux Corée. Enfin, les Etats-Unis tendent de plus en plus à considérer Séoul comme leur allié privilégié en Asie de l'Est, non seulement dans le règlement de la question nucléaire mais aussi sur le plan économique, avec la douloureuse négociation de l'accord de libre-échange entre les deux pays. Enfin, l'intransigeance de Tokyo sur la souveraineté des îles Dokdo a même conduit à un rapprochement entre Séoul et Pyongyang sur la question de ces îlots coréens.
Si le Japon reste à l'écart des négociations avec la RPD de Corée, il ne sera jamais en mesure de régler les contentieux qui lui tiennent à coeur - comme le dossier de ses citoyens portés disparus au Nord de la Corée. Mais il faudra que Tokyo accepte aussi de revoir les droits et libertés des citoyens nord-coréens qui résident en permanence dans l'archipel depuis la colonisation japonaise de la Corée. Il faudra que le Japon reconsidère des questions historiques lourdes comme celle des "femmes de réconfort" coréennes, obligées de se prostituer pour les soldats nippons. Il faudra enfin que Tokyo accepte de verser une indemnisation à Pyongyang pour les dommages liés à la colonisation et à la guerre, comme il l'a fait vis-à-vis de la Corée du Sud en 1965 lors de la normalisation des relations entre les deux pays.
Toutefois, des canaux de dialogue sont préservés entre Pyongyang et Tokyo. Il s'agit notamment d'actions de coopération, comme à l'occasion de la récente visite en RPD de Corée d'une équipe de médecins japonais pour examiner les victimes nord-coréennes de Hiroshima et Nagasaki. Des échanges se maintiennent aussi au niveau parlementaire. Toutefois, des avancées réelles exigent une plus grande vision politique des gouvernants japonais au plus haut niveau, comme l'avait notamment montré le Premier ministre (conservateur) japonais Junichiro Koizumi. Ce dernier, lors de son premier sommet avec le président Kim Jong-il en RPD de Corée, avait signé le 17 septembre 2002 la déclaration de Pyongyang, pierre angulaire d'une possible réconciliation entre les deux pays.
Sources : AAFC, Xinhua.
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