Patrick Kuentzmann, secrétaire général de l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC), accompagnait la délégation conjointe de l'AAFC et de l'association belge Korea-is-One qui s'est rendue du 7 au 19 octobre 2010 en République populaire démocratique de Corée (RPDC). Il s'agissait du cinquième voyage de l'AAFC en RPDC depuis 2005. Patrick Kuentzmann nous livre quelques impressions suite à ce séjour en Corée.
AAFC - Tu as toi-même participé aux voyages d'août 2006 et septembre 2008 organisés par l'AAFC, après une première visite en RPD de Corée avec l'association belge Korea-is-One en août 2005. Pourquoi avoir choisi de visiter la RPDC au mois d'octobre cette année?
PK - En général, les voyages en RPD de Corée coïncident avec les dates de célébrations importantes dans ce pays. Ainsi, dans la période récente, l'AAFC a organisé des voyages en août 2005 et en août 2006, à l'occasion des 60ème et 61ème anniversaires de la Libération de la Corée (15 août 1945), et en septembre 2008 et en septembre 2009, à l'occasion des 60ème et 61ème anniversaires de la fondation de la RPD de Corée (9 septembre 1948). Cette année 2010 voyait deux anniversaires significatifs : le 65ème anniversaire de la Libération et le 65ème anniversaire de la fondation du Parti du travail de Corée (10 octobre 1945). Afin de faciliter l'organisation, et pour la troisième année consécutive, il était prévu que notre groupe réunisse des adhérents de l'Association d'amitié franco-coréenne et de l'association belge Korea-is-One (KIO). Chargé d'organiser ce voyage, je me suis mis en relation avec nos partenaires coréens que je tiens encore à les remercier pour leur coopération, en particulier la secrétaire générale de l'Association d'amitié Corée-France, Madame Kim Ho-jong. Parallèlement, au début de cette année, nous avons demandé aux adhérents de l'AAFC et de KIO intéressés par un voyage en RPDC quelle période leur conviendrait le mieux, autour du 15 août ou autour du 10 octobre. Finalement, nous avons pu constituer un groupe de huit personnes, six Français, un Belge et un Irlandais, et le séjour en Corée a été fixé du 7 au 19 octobre 2010. Mais quand nous avons fixé ces dates, nous ne savions pas que le voyage aurait lieu à un moment si particulier où le monde entier, ou presque, aurait les yeux braqués sur la RPD de Corée.
Diverses manifestations ont été organisées à l'occasion du 65ème anniversaire du Parti du travail de Corée (10 octobre), peu après une conférence qui a renouvelé ses instances dirigeantes en consacrant l'accession aux responsabilités d'une nouvelle génération. Comment as-tu pu apprécier la couverture de ces événements par la presse occidentale?
En voyant tous les médias internationaux présents en RPD de Corée, nous avons vraiment ressenti que c'était l'endroit où il fallait être ! Cette présence massive des médias donna même lieu à une situation pour le moins paradoxale : le 10 octobre, jour du 65ème anniversaire de la fondation du Parti du travail de Corée, pour assister au défilé militaire sur la place Kim Il-sung, à Pyongyang, nous n'avons pas eu le droit d'amener nos appareils photos. Il en va ainsi lorsque le dirigeant Kim Jong-il est présent. Par exemple, le 9 septembre 2008, lors du défilé célébrant le 60ème anniversaire de la fondation de la RPD de Corée, Kim Jong-il n'était pas présent et nous avions eu le droit de prendre des photos. Mais, cette année, à quelques mètres seulement de nous, les journalistes occidentaux étaient là avec tout leur matériel ! Nous n'avons pu réellement apprécier la couverture des événements par la presse occidentale qu'à notre retour à Pékin, le 19 octobre. Comme on pouvait s'y attendre, la presse a, dans son immense majorité, choisi de faire dans le sensationnalisme, en insistant sur les nouveaux missiles présentés lors du défilé ou sur la transition, réelle ou supposée, à la tête de la RPDC. En général, les médias occidentaux présents à Pyongyang n'ont pas vraiment voulu s'intéresser à l'évolution de la société nord-coréenne, alors que les choses bougent vite dans ce pays. Il faut donc d'autant plus féliciter les journalistes qui, comme Alina Cho de la chaîne américaine CNN, ont profité de leur passage à Pyongyang pour essayer de rendre compte de ces évolutions. Mais Alina Cho était déjà venue à Pyongyang en 2008, avec l'Orchestre philharmonique de New York, et elle est d'origine coréenne, d'où peut-être une plus grande sensibilité que d'aucuns taxent de naïveté. A l'instar du patinage artistique, il y a des figures imposées dans les médias occidentaux quand il s'agit d'évoquer la Corée du Nord, et il semble difficile pour certains de sortir de ces figures imposées.
Pékin a réaffirmé récemment son alliance traditionnelle avec Pyongyang, forgée dans les combats en commun de la Guerre de Corée. A-t-on pu l'observer lors des cérémonies marquant l'anniversaire de la fondation du Parti ?
Le nouvel accent mis sur l'amitié traditionnelle entre la République populaire démocratique de Corée et la République populaire de Chine est un élément frappant. Par exemple, un tableau entier du spectacle de gymnastique de masse Arirang (le plus grand spectacle vivant du monde selon le Livre Guinness des records), qui a lieu tous les ans d'août à octobre, est désormais consacré à l'amitié entre la Chine et la Corée. Le 10 octobre, une délégation du Parti communiste chinois était présente à la tribune d'honneur pour assister au défilé militaire célébrant le 65ème anniversaire du Parti du travail de Corée. Nous avons aussi croisé de nombreux groupes de touristes chinois, à l'hôtel Haebangsan où nous résidions et dans des endroits tels que Panmunjom, dans la zone démilitarisée séparant la Corée du Nord et la Corée du Sud. L'officier de l'Armée populaire de Corée qui nous accompagnait à Panmunjom a d'ailleurs bien insisté sur le rôle des Volontaires du peuple chinois au cours de la Guerre de Corée. Le contexte international n'est sans doute pas étranger à l'accent mis sur l'alliance traditionnelle entre la RPDC et la République populaire de Chine, notamment après le naufrage de la corvette sud-coréenne, le Cheonan. On sait que, au moyen de « preuves » sujettes à caution, les Etats-Unis et leurs alliés sud-coréens ont accusé la Corée du Nord de ce naufrage en espérant enfoncer un coin entre Pékin et Pyongyang. En attisant ainsi les tensions en Asie du Nord-Est, les stratèges de Washington et Séoul semblent avoir réussi à obtenir l'effet inverse
Nouveau tableau du spectable de gymnastique de masse Arirang, consacré à l'amitié sino-coréenne
(7 octobre 2010)
Quelles ont été tes impressions globales sur les changements économiques et sociaux en cours en RPD de Corée depuis 2005, alors qu'a été fixé l'objectif d'édifier un pays puissant et prospère en 2012, année du centième anniversaire de la naissance du Président Kim Il-sung, fondateur de la RPD de Corée ?
C'était mon quatrième voyage en RPD de Corée depuis 2005 et, par rapport à ma dernière visite, en 2008, j'ai remarqué beaucoup de petits détails dont certains peuvent paraître anodins à ceux qui viennent dans le pays pour la première fois, mais témoignent d'une société en mouvement. Il est d'autant plus facile de se rendre compte de ces changements que nous logeons toujours dans le même hôtel, le Haebangsan. Ce n'est pas un hôtel de classe internationale comme le Koryo ou le Yanggakdo, mais il a le mérite d'être situé au centre de Pyongyang, au croisement de plusieurs grandes artères et à proximité de nombreuses entreprises et administrations. Nous pouvons ainsi observer les citoyens de Pyongyang en train de vaquer à leurs occupations, aller au travail, en revenir... On remarque l'utilisation croissante des téléphones portables par les Coréens (même si les nôtres doivent toujours être laissés à la consigne en entrant dans le pays), l'intensification de la circulation automobile, les feux tricolores qui fonctionnent désormais aux principaux carrefours où les fameuses « fliquettes » réglaient autrefois la circulation... Que les fans des « fliquettes » de Pyongyang se rassurent, elles sont toujours là, mais leurs missions changent. Et puis, la capitale, Pyongyang, s'est embellie : il y a de nouvelles constructions, qu'il s'agisse d'immeubles d'habitation ou d'édifices à vocation culturelle ou commerciale. D'autres immeubles ont été réhabilités, comme l'hôtel Ryugyong qui en 2008 n'était encore qu'une pyramide de béton de 300 mètres de haut, à l'abandon depuis l'arrêt des travaux en 1992. Les travaux y ont repris et le Ryugyong est maintenant une élégante flèche de verre bleuté se découpant dans le paysage de Pyongyang. Il est question d'ouvrir cet hôtel en 2012, et il est tout à fait envisageable que, après avoir été tant décrié (« l'immeuble le plus laid du monde », disaient certains), le Ryugyong devienne l'emblème de Pyongyang, comme la Tour Eiffel pour Paris ! En province, en nous rendant à Nampo, sur la côte ouest, dans les monts Myohyang, à une centaine de kilomètres au nord de la capitale, ou dans la zone démilitarisée séparant les deux Corée, on a pu observer de nouveaux villages et de nombreuses personnes, dont beaucoup de militaires, participant aux travaux agricoles. Il y a aussi davantage de tracteurs qu'auparavant. Tout semble prioritaire en RPDC : comme les Coréens nous l'ont dit eux-mêmes, de nombreux défis restent à relever dans les domaines de l'alimentation, de l'énergie et des transports, sans parler de l'effort important que la RPDC doit toujours consentir pour sa propre défense alors que les Etats-Unis la menacent régulièrement d'attaques « préventives » tout en maintenant 30.000 soldats en Corée du Sud et un réseau de bases militaires en Asie du Nord-Est.
L'hôtel Ryugyong en pleine rénovation (15 octobre 2010)
Les autorités nord-coréennes ont engagé un vaste programme de construction de logements. As-tu pu constater sur place l'état d'avancement de ce programme ? Les Nord-Coréens ont-ils exprimé des attentes particulières en matière de coopération ?
En effet, le gouvernement nord-coréen veut construire 100.000 nouveaux logements à Pyongyang d'ici à 2012. Le 8 octobre, nous avons pu visiter un chantier de sept bâtiments d'un total de 340 logements. Les travaux se sont étalés du 23 février au 27 septembre, mobilisant un millier d'ouvriers, et ces 340 appartements étaient donc sur le point d'être livrés. Ces bâtiments couvrent une surface totale de 18.000 m2 dans le centre de la capitale, près de la station de métro Ponghwa pour être précis. Un petit tour sur Google Earth (voir ci-dessous) permet de se rendre compte du tour de force accompli par les ouvriers coréens : au début de l'année 2010, il n'y avait qu'un terrain vague à cet endroit. Les responsables du chantier nous ont néanmoins expliqué avoir toujours besoin de casques, de combinaisons de travail et de divers outils tels que des appareils de mesure, des meuleuses, etc... Si des gens veulent aider à fournir ce matériel aux ouvriers coréens, ils peuvent contacter l'AAFC.
Ces deux photos du centre de Pyongyang, près de la station de métro Ponghwa, prises le 20 décembre 2009
et le 7 octobre 2010 permettent de se rendre compte de la rapidité des changements dans la ville (source : Google Earth)
Ensemble de logements nouvellement construits dans le centre de Pyongyang (8 octobre 2010)
On imagine qu'un effort particulier est fait en faveur de l'éducation...
A chacune de nos visites en Corée, nous nous rendons dans des établissements d'enseignement de tout niveau, car l'éducation est vitale pour l'avenir d'un pays. Cette année, à Pyongyang, nous avons visité le jardin d'enfants du quartier Changgwang, l'école primaire numéro 4, l'école secondaire numéro 1 (avec laquelle est jumelée l'Association d'amitié franco-coréenne), le Lycée des langues étrangères, l'Université des langues étrangères et l'Université Kim Il-sung. Des investissements particulièrement importants ont été faits à l'Université Kim Il-sung qui accueille 18 000 étudiants. Nous avons pu ainsi visiter la nouvelle piscine de l'Université, ouverte en mars 2009, et la nouvelle bibliothèque électronique, ouverte en avril 2010. Cette « e-bibliothèque » permet de consulter des documents en ligne et de donner des cours à distance, réguliers ou à la demande, dans les 500 universités et établissements d'enseignements supérieurs de RPD de Corée connectés. L'effort en matière d'enseignement concerne donc tout le pays.
Pour sa part, l'AAFC a aussi un jumelage avec l'école secondaire n° 1 du quartier de Moranbong, à Pyongyang. Quelles actions ont été menées cette année, avec le soutien des adhérents et sympathisants de l'AAFC ?
L'école secondaire numéro 1 de Moranbong accueille environ 1.000 élèves agés de 10 à 16 ans. Cette année, l'Association d'amitié franco-coréenne a recueilli auprès de ses adhérents et sympathisants 800 euros qui serviront à acheter des vidéoprojecteurs pour l'école. Depuis 2005, l'AAFC a collecté 4.000 euros qui ont servi à acheter du matériel informatique et pédagogique. La directrice de l'école est très sensible à tous les efforts accomplis par l'AAFC depuis plusieurs années et a le projet de rassembler tout ce qui a été offert par notre association dans une ou plusieurs salles de l'établissement. Notre seul regret est que l'école secondaire numéro 1 ne propose toujours pas de cours de français aux élèves.
Où en est l'apprentissage du français ? En 2006, l'AAFC avait offert un vidéo-projecteur au département de français de l'Université Kim Il-sung...
Le projecteur est toujours là et en état de marche. Nous avons pu assister à deux cours de première année de français, à l'Université Kim Il-sung et à l'Université des langues étrangères. Le niveau des étudiants est excellent. Malheureusement l'enseignement du français est en déclin : tous niveaux confondus, il n'y a que 15 étudiants en langue française à l'Université Kim Il-sung, et 25 à l'Université des langues étrangères, alors qu'il y a, respectivement, 400 et 1.500 étudiants en langue anglaise. Quand on demande aux professeurs les raisons de ce déclin, c'est l'absence de relations diplomatiques entre la France et la RPD de Corée qui est mise en avant. En outre, il semble que le gouvernement français ne fasse pas beaucoup d'efforts pour promouvoir l'apprentissage de notre langue en RPD de Corée : le matériel pédagogique offert par la France est parfois incomplet (il manque des livres ou des CD), et les échanges d'étudiants et de professeurs sont réduits à la portion congrue. Pourtant, les Nord-Coréens souhaiteraient de tels échanges mais se heurtent au problème de leur financement. Dans ces conditions, la passion de la langue française que montrent les étudiants et les professeurs rencontrés a quelque chose d'assez émouvant et l'Association d'amitié franco-coréenne fera tout ce qu'elle peut pour leur venir en aide. Cette année, comme à l'occasion de chaque visite, nous avons remis des livres de français. L'an dernier, quand trois professeurs coréens de français étaient venus en France pour un stage d'un mois, nous avions répondu à leur demande en offrant de la littérature humaniste du 16ème siècle. Mais l'Association d'amitié franco-coréenne est une petite association et nous ne pouvons pas nous substituer totalement aux autorités françaises pour la défense de la francophonie en Corée !
Un accent est mis tout particulièrement sur les nouvelles technologies, et notamment l'informatique, malgré l'embargo occidental. Comment apprécier les opérations de modernisation de l'outil industriel ?
Il est vrai que l'embargo féroce appliqué depuis plusieurs décennies a incité la RPD de Corée à développer des solutions « nationales » en matière de nouvelles technologies. C'est le cas dans la nouvelle bibliothèque électronique de l'Université Kim Il-sung qui s'appuie sur un système développé en RPD de Corée sous LINUX. C'est aussi le cas dans les entreprises nord-coréennes qui ont de plus en plus recours au contrôle numérique automatisé (Computer Numerical Control, CNC) dans leur processus de production. Là aussi, la RPDC a développé ses propres machines à commande numérique capables, nous a-t-on dit, de rivaliser avec les machines occidentales dont l'exportation est interdite vers la Corée du Nord. Nous avons pu voir de telles machines à l'usine textile Sunkyo où 1.500 ouvriers (dont 85% de femmes) fabriquent des vêtements sous la propre marque de l'usine, Kalmaeki (« mouette » en coréen), ou en sous-traitance.
Usine textile Sunkyo de Pyongyang (18 octobre 2010)
En matière de coopération, l'AAFC et KIO ont conduit des actions spécifiques dans le domaine de l'agriculture. Comment KIO a-t-il réussi à acheter - et à livrer ! - un tracteur pour la ferme coopérative d'Ontchon, avec laquelle l'association de coopération belge est jumelée ?
La ferme coopérative d'Ontchon est installée sur la côte ouest de la Corée. Ses 805 hectares sont en grande partie constitués de polders et on y cultive surtout le riz. C'est une véritable ville où vivent 3.500 personnes, avec son jardin d'enfants, son école, etc... En 1997, la ferme a été ravagée par un typhon et beaucoup de terres ont été inondées par l'eau salée, devenant impropres à l'agriculture. Les efforts des fermiers d'Ontchon ont permis de progressivement laver les terres souillées par le sel et aujourd'hui le rendement est de 5 tonnes par hectare. C'est en 1997 que l'association belge Korea-is-One est entrée en contact avec la ferme d'Ontchon et, depuis, les relations entre la ferme et KIO n'ont cessé de grandir. La ferme s'est même officiellement jumelée avec KIO le 12 août 2005. Depuis 2003, KIO récolte des fonds pour offrir un tracteur à la ferme d'Ontchon et le tracteur a pu enfin être acheté cette année en Chine. Le directeur de la ferme nous a raconté être allé chercher lui-même le tracteur dans la ville frontalière de Sinuiju pour le ramener, par la route, à la ferme, soit un périple de presque 300 kilomètres !
Elèves et enseignantes de l'école de la ferme d'Ontchon (15 octobre 2010)
Pour sa part, l'AAFC a remis des semences de maïs et de colza. Comment a été conduite cette opération ?
L'action de l'AAFC dans le domaine de l'agriculture est plus modeste que ce qu'a réussi à faire KIO, mais nous nous efforçons de répondre aux demandes formulées par nos amis coréens. Ainsi, cette année, nous avons remis à l'Académie d'agriculture de la RPDC 1 kg de semence de colza et 1 kg de semences d'une douzaine de variétés de maïs. Ces semences ont été fournies par un agriculteur membre de l'ARDEAR (Association régionale pour le développement de l'emploi agricole et rural). Je tiens encore à remercier cet agriculteur et tous ses collègues de l'ARDEAR dont l'objectif est de réintroduire des variétés de céréales et d’espèces fourragères, adaptées aux conditions de terroir locales et à des pratiques agricoles ayant peu (ou pas du tout) recours aux intrants chimiques. Or, le manque d'engrais chimiques est un problème en RPD de Corée, le pays ne disposant pas encore des 600.000 tonnes d'engrais qui lui permettraient d'atteindre son objectif de production de 6.000.000 tonnes de céréales par an (les derniers chiffres de production indiquent 5.000.000 tonnes). Les semences offertes par l'ARDEAR, potentiellement adaptées aux conditions de la Corée et peu gourmandes en intrants chimiques, peuvent donc contribuer à la sécurité alimentaire du pays. Nous attendons avec impatience les résultats des expériences qui seront menées avec ces semences par l'Académie d'agriculture. Ce sera un bon exemple de coopération entre agriculteurs habitant dans des pays éloignés mais ayant des préoccupations communes.
Il y a aussi eu une visite au complexe d'arbres fruitiers de Taedonggang, près de Pyongyang...
Le complexe d'arbres fuitiers de Taedonggang est situé au bord du fleuve Taedong, à une quinzaine de kilomètres à l'est du centre de Pyongyang. C'est un lieu très impressionnant quand on l'observe du haut d'une des collines qui l'entourent : les vergers s'étendent à perte de vue, sur 1.000 hectares. Il y a là 95% de pommiers et 5% d'autres arbres fruitiers (poiriers, cerisiers, pruniers). Les 500 personnes qui travaillent ici habitent dans des lotissements construits au coeur des vergers. L'objectif est de produire 50.000 tonnes de fruits en 2012. Ce complexe d'arbres fruitiers est décrit par les Coréens comme représentatif de la politique de Songun (« priorité aux affaires militaires ») suivie en RPD de Corée. En effet, 10.000 soldats de l'Armée populaire de Corée se sont relayés sur le chantier du complexe, rasant littéralement des collines pour aménager plusieurs centaines d’hectares de vergers, tracer des routes et des canaux, et planter des centaines de milliers d'arbres fruitiers. L'armée a aussi construit les différents bâtiments du complexe, habitations, école, hôpital, crèche, jardin d’enfants... La dernière tranche de travaux a duré seulement deux mois et demi, entre décembre 2009 et février 2010, et a permis de faire sortir de terre 265 nouveaux hectares de vergers. Il faut savoir que, en RPD de Corée, l'armée, en plus d'avoir en charge la sécurité du pays - dans le contexte géopolitique que l'on sait -, est un opérateur économique de premier plan. Les moyens alloués à l'armée bénéficient donc aussi aux civils. Souvent, les médias occidentaux, dans une de ces fameuses figures imposées dont je parlais tout à l'heure, critiquent la Corée du Nord en affirmant de manière péremptoire que l'armée y est pléthorique et détourne des moyens au détriment du reste de la société. En Corée du Nord, une telle opposition entre militaires et civils n'a aucun sens. Ainsi, le 10 octobre, nous étions perdus au milieu de la foule des citoyens de Pyongyang acclamant les militaires qui venaient de défiler et regagnaient leurs casernes. Ces acclamations n'étaient pas feintes. On sent que les Nord-Coréens aiment leur armée. En RPD de Corée, pour les hommes comme pour les femmes, c'est une fierté de servir plusieurs années au sein de l'Armée populaire. En plus de participer à la défense de leur pays, ils peuvent y travailler à des tâches civiles bénéficiant finalement à toute la société nord-coréenne.
Dans les rues de Pyongyang, après le défilé militaire célébrant le 65ème anniversaire du PTC
(10 octobre 2010)
Le programme comportait aussi des visites dans des espaces de loisirs. Quel regard avez-vous pu porter sur les loisirs des familles coréennes, et notamment des jeunes ?
Dans les monts Myohyang, au nord de la capitale, nous avons pique-niqué dans un endroit prisé des Coréens qui adorent ce genre de sortie. A Pyongyang et en province, des terrains sont aménagés pour ceux qui pratiquent le tennis ou le basket-ball et, vu l'engouement pour ces sports, il ne serait pas étonnant de voir la RPDC faire une entrée fracassante dans ces disciplines dans les années qui viennent... Nous avons aussi eu l'occasion d'aller au bowling de Pyongyang - ouvert en 1992 - et apparemment très apprécié de la jeunesse. Un samedi soir, nous sommes aussi allés au nouveau parc d'attractions, installé au pied de la colline Moran, juste en face de l'Arc de triomphe. Nous avons pu essayer les manèges, devenant nous-mêmes une attraction pour les nombreux Coréens qui étaient là... Le plus surprenant c'est qu'il n'y a pas de surprise : un bowling ou un parc d'attractions en Corée du Nord ressemble à n'importe quel autre bowling ou parc d'attractions. Il y a peut être davantage de militaires qu'ailleurs attendant pour faire un tour de grand-huit ou d'autos-tamponneuses... En fait, les Coréens semblent d'autant plus aimer se détendre dans ce genre d'endroit qu'ils travaillent dur pour réaliser les objectifs ambitieux que s'est fixé leur pays.
Parc d'attractions de Pyongyang, un samedi soir (16 octobre 2010)
Merci, Patrick Kuentzmann.
Photos (sauf mention contraire) : AAFC