Après la réunion de travail du 1er février 2010 au sujet de la zone industrielle de Kaesong, les deux Corée se sont retrouvées le 8 février pour discuter de la reprise du tourisme dans la ville historique de Kaesong et dans les monts Kumgang. A l'instar de la zone industrielle de Kaesong - elle aussi menacée par deux ans de dégradation des relations intercoréennes - le tourisme constitue un symbole fort du rapprochement entre les deux Corée. A l'issue des réunions des 1er et 8 février, des différends subsistent entre les deux parties. Ces différends pourraient cependant trouver un début de solution grâce au dialogue et au simple respect des accords passés. Mais le gouvernement sud-coréen semble user d'arguments dilatoires tout en multipliant les déclarations incendiaires.
Le 8 février 2010, les deux délégations coréennes dirigées, côté Sud, par le directeur chargé des échanges et la coopération intercoréens du ministre de la Réunification, Kim Nam-sik, et, côté Nord, par le conseiller du Comité pour la paix de la région Asie-Pacifique, Kang Yong-chul, ont exposé leur position sur la reprise du tourisme dans la ville de Kaesong, sur la côte ouest de la péninsule coréenne, et dans les monts Kumgang, sur la côte est.
Les circuits touristiques dans les monts Kumgang avait été suspendus par décision du gouvernement sud-coréen juste après le décès d'une touriste sud-coréenne tuée par balle par une sentinelle nord-coréenne, le 11 juillet 2008, après avoir pénétré dans une zone militaire.
Le programme de visites à Kaesong, ancienne capitale du royaume de Koryo (918-1392), avait ensuite été interrompu le 1er décembre 2008 par la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) dans le cadre de mesures restrictives sur la circulation entre les deux Corée.
A l'issue de la réunion du 8 février, la délégation sud-coréenne a présenté "trois conditions essentielles" pour la reprise des visites touristiques sud-coréennes en Corée du Nord : la réouverture de l’enquête sur le décès de la touriste sud-coréenne, la garantie qu’un tel incident ne se reproduira plus, et l’engagement que la sécurité des touristes sud-coréens serait assurée.
Le Sud a également demandé que les autorités sud-coréennes puissent inspecter les lieux de l’incident et rappelé la nécessité de modifier les accords portant sur l’entrée, la sortie et le séjour, afin que ces trois conditions essentielles soient réunies.
A ces demandes, les délégués nord-coréens, cités par l'agence Yonhap, ont répondu que "les trois conditions exigées avaient déjà été résolues", insistant sur la nécessité de la reprise immédiate du tourisme transfrontalier. Ils ont réitéré leurs positions précédentes concernant le décès de la touriste sud-coréenne en déclarant : "Elle avait pénétré dans une zone militaire interdite aux touristes et n’avait pas donné suite aux appels de notre soldat la sommant de s’arrêter immédiatement, elle est ensuite tombée suite aux tirs de ce soldat".
Ils ont également ajouté que le personnel de Hyundai Asan, chargé de la gestion des sites touristiques en Corée du Nord, avait retiré le corps de la touriste en inspectant le lieu de l’accident.
La délégation nord-coréenne a indiqué que, étant donné la parole donnée par le dirigeant Kim Jong-il assurant que ce type d’accident ne se reproduirait plus à l’occasion d’une rencontre en août 2009 avec la présidente de Hyundai, Mme Hyun Jeong-eun, il n’était pas nécessaire de reprendre les discussions portant sur des mesures préventives concernant des accidents de ce type ou sur la sécurité des touristes.
Déjà, les deux Corée ne s'étaient pas accordées le 1er février 2010 sur les mesures à prendre pour améliorer le fonctionnement du complexe industriel intercoréen de Kaesong. Les deux parties avaient toutefois convenu de mettre à profit les pourparlers militaires Nord-Sud à venir pour discuter des restrictions aux frontières qui ont ralenti les transports sud-coréens et des communications, dans le complexe et en dehors de celui-ci, selon les responsables du ministère de la Réunification à Séoul.
Une précédente réunion consacrée au complexe industriel de Kaesong s'était tenue les 19 et 20 janvier 2010 pour évaluer les résultats de la visite effectuée du 12 au 22 décembre 2009 par une délégation intecoréenne en Chine et au Vietnam. Cette délégation composée de dix envoyés du Nord et de dix envoyés du Sud s'était successivement rendue à Tsingtao, un port industriel situé dans le Sud de la Chine, à Suzhou, centre névralgique de l’industrie chinoise de la soie, et dans la zone économique spéciale de Shenzhen, près de Hong Kong. Au Vietnam, elle avait visité Yenpong, un complexe proche de Hanoi. L'objectif de ce voyage était d’observer sur place les conditions de travail et les méthodes de gestion afin d'en tirer des idées applicables au complexe industriel intercoréen de Kaesong.
Symbole le plus concret du rapprochement des deux Corée initié par le sommet intercoréen de juin 2000, le complexe industriel de Kaesong, ouvert en 2004, compte aujourd'hui 110 entreprises sud-coréennes employant 42.000 ouvriers nord-coréens. Mais le complexe de Kaesong est aussi victime de la dégradation des relations intercoréennes observée depuis l'arrivée au pouvoir du président (conservateur) Lee Myung-bak en février 2008, et son développement semble aujourd'hui compromis par un "cercle vicieux".
La rencontre du 1er février 2010 a ainsi achoppé sur la question de l'augmentation des salaires des travailleurs nord-coréens. Une telle augmentation est toujours refusée par le Sud qui maintient que la question des salaires doit être mise de côté jusqu'à la levée des restrictions aux frontières imposées par le Nord en décembre 2008. La RPDC a bien proposé de tenir des pourparlers militaires au cours desquels seraient abordées les questions relatives aux passages transfrontaliers, aux communications et aux procédures douanières, mais la partie sud-coréenne n'a pas encore fait connaître la date à laquelle ces pourparlers potentiellement décisifs pourraient avoir lieu.
La proposition nord-coréenne d'une rencontre entre militaires du Nord et du Sud, dont les résultats peuvent être de nature à améliorer la circulation transfrontalière et à relancer la coopération intercoréenne, fait partie des nombreuses initiatives prises par la RPDC depuis le début de l'année 2010. En réponse aux propositions nord-coréennes, les autorités de Séoul ont jusqu'ici adopté une attitude pour le moins fermée, en rupture avec la décennie écoulée où, suite à la déclaration Nord-Sud du 15 juin 2000, la Corée du Sud était à l'initiative de nombreuses rencontres entre les deux gouvernements.
Au lieu de chercher les moyens de rebâtir la confiance entre le Nord et le Sud de la Corée, le gouvernement sud-coréen a au contraire multiplié les déclarations incendiaires. Ainsi, le ministre sud-coréen de la Défense, Kim Tae-young, cité par Yonhap, déclarait le 20 janvier que la Corée du Sud "doit frapper de façon préventive" la Corée du Nord "au moindre signe de provocation nucléaire". "Il y a eu des débats sur la justification des attaques préventives et certains estiment que de telles attaques sont légitimes en cas de menaces nucléaires", a ajouté le ministre, lequel défendait la même idée d'attaques préventives en 2008 juste avant d'être nommé chef d'état-major interarmées. Les déclarations du 20 janvier du ministre sud-coréen de la Défense intervenaient quelques jours après une nouvelle proposition de la RPDC visant à remplacer l'accord d'armistice de 1953 par un véritable traité de paix. Il est vrai que l'offre nord-coréenne du 11 janvier était d'abord destinée aux Etats-Unis, la Corée du Sud n'étant pas signataire de l'accord de 1953. Au fait, qu'est-ce qu'un "signe de provocation nucléaire"?...
Les manoeuvres dilatoires qui menacent les réalisations les plus tangibles du rapprochement intercoréen et les déclarations provocatrices qui ne peuvent qu'irriter la RPDC sont à rapprocher d'un fait passé presqu'inaperçu, rapporté par la radio sud-coréenne KBS en décembre 2009 : le gouvernement sud-coréen envisage de modifier le plan de base sur le développement des relations intercoréennes élaboré en novembre 2007. Le plan modifié présenté le 15 décembre 2009 par le ministère sud-coréen de la Réunification au Grand Parti national au pouvoir à Séoul prévoit d'élargir la coopération économique Nord-Sud en fonction des progrès accomplis sur le dossier nucléaire nord-coréen. Or, le plan actuel, mis en place sous l'administration précédente dans l’attente de la mise en oeuvre de la déclaration conjointe du 4 octobre 2007, ne stipule à aucun moment que le rétablissement des voies routières et ferrées et le développement du complexe industriel de Kaesong doivent être liés au déroulement du programme nucléaire nord-coréen.
Dans ce contexte, le piétinement du dialogue intercoréen apparaît comme une conséquence de la volonté à peine voilée d'une des deux parties de ne pas respecter les accords du 15 juin 2000 et du 4 octobre 2007, en liant la mise en oeuvre de ces accords à la question du programme nucléaire militaire nord-coréen. Or, ce programme concerne d'abord la RPDC et les Etats-Unis qui ont, les premiers, introduit des armes de destruction massive dans la péninsule coréenne, y stationnent 30.000 soldats et organisent régulièrement des exercices militaires. Un hypothétique troisième sommet entre les deux Corée permettra peut-être d'établir un lien entre les relations intercoréennes et la question nucléaire. En attendant, pour sortir de l'impasse actuelle, il convient de respecter les accords signés - au plus niveau - par les deux Etats coréens, accords dont le principe est "Par la nation coréenne elle-même".
Sources : KBS (12 décembre 2009 et 18 décembre 2009), Radio Chine Internationale (20 janvier 2010),
Yonhap (2 février 2010 et 8 février 2010)