Neige d'août, revue littéraire créée il y a dix ans, est consacrée au dialogue entre les littératures française et d'Extrême-Orient, notamment chinoise, coréenne et japonaise. Dans son numéro 18 (automne 2009), elle a publié pour la première fois un texte nord-coréen traduit en français, Dans le bus de Cho kun, dont nous reproduisons ci-après, avec l'autorisation de Camille Loivier, Cho Soo-mi, responsable de la rédaction, et des traducteurs, Yang Jung-hee et Patrick Maurus, des extraits de la postface et d'éléments de commentaire de Patrick Maurus, permettant de replacer la nouvelle dans l'histoire de la littérature nord-coréenne. Dans le bus (titre original ppôsû esô) est la première nouvelle publiée par Cho Kun, en 1993. Né en 1953 , diplômé en 1976 de l’université Kim Il-sung, Cho Kun a décrit un microcosme de la société nord-coréenne contemporaine, en analysant les comportements inter-personnels avec beaucoup d’humour. A ce titre, la nouvelle est caractéristique des nouvelles tendances de la littérature nord-coréenne.
"(...) [La] littérature (munhak, la connaissance des lettres) est emprunte d’un fort sentiment pédagogique, produit du confucianisme sinocentré. Les écrivains modernes héritent de leurs devanciers lettrés d’une obligation à penser droit, à enseigner, à agir dans et sur les règles de la cité. Ecrasés par la botte coloniale japonaise au moment même où ils tentaient de d’élaborer une langue et une pratique nouvelles, ils ont trouvé leur voie (voix) à travers une réappropriation des pratiques confucianistes. C’était leur devoir que de continuer à penser droit pour permettre à la Corée et à sa langue de ne pas être englouties dans le désastre. Les plus actifs d’entre eux ont formé la Korea Artista Proleta Federacio, et presque tous, le temps d’un printemps, se sont réunis dans la Singanhoe, Société du Nouveau Rameau, vite écrasée par l’occupant. Mais ses leçons d’engagement n’ont pas été oubliées, et lorsque le pays s’est définitivement divisé, ce sont d’abord ces écrivains qui, des deux côtés de la frontière, dont personne ne pouvait alors imaginer qu’elle resterait inamovible, ont fourni les gros bataillons de la poésie d’abord, et de la fiction. Avec, naturellement, les problématiques d’avant guerre (...).
"Les lettres nordistes suivent, apparemment, les virages de la politique, guidées en cela par les directives du sommet de l’Etat-parti. La mise en forme du chuch’e [ou Juche], version Kim Il-sung d’un concept forgé dans les années 10-20, va s’imposer aux écrivains, sans modifier en profondeur les tendances d’avant guerre. Dans un premier temps, les lettres vont intégrer la figure du Leader, au point d’en faire un élément de la narration. La personne de Kim Il-sung viendra, avec la réémergence du roman historique fleuve, régner sur la fiction. C’est Kim Il-sung lui-même qui sera l’objet des fictions courtes, moyennes et longues, avant de servir de modèle unique.
"(...) Selon le critique Kim Chae-yong, la littérature nord-coréenne a changé dans les années 80, rompant quelque peu avec le romantisme révolutionnaire qui prévalait. Moins de super héros, moins de sujets de guerre, plus de questions du travail, plus de critique sociale. Même si les années 90 ont vu un relatif retour à l’héroïsme dans les années 90.
"Pendant les années 80 (on prête ce tournant à Kim Jong-il en personne), les textes exposent presque toujours le conflit entre des révolutionnaires et un égoïste, sans pour autant offrir de simples portraits en noir et blanc. En dehors des anciens combattants, héros-types, on constate une primauté des personnages scientifiques et techniciens, et c’est sur leur lieu de travail que se déroule l’action. Une œuvre majeure comme Pôt (Amis) de Paek Nam-nyong expose les attendus d’un divorce entre une cantatrice et son mari au statut trop « modeste » pour elle. Si l’on se penche un peu sur le matériel textuel, une nouvelle comme Dans le bus nous offre une structure narrative très significative, dans l’écart action-narration. On l’a vu, l’action ne clôt pas le texte. Un bref épilogue, que certains lecteurs auront peut-être négligé, conclut la nouvelle (la fiction courte). Une chanson plutôt banale, déversée par la radio. Or c’est cette banalité même qui doit attirer l’attention. Car elle donne au texte sa légitimité politique, mais en excluant la leçon politique de l’action.
"L’ambiance générale et le contexte politique sont résolument optimistes, car tous les « égoïstes » sont réformables. Tous peuvent comprendre leur défaut. Tous finissent par comprendre leur défaut. La dénonciation de l’ennemi de classe a laissé la place à la pédagogie. La littérature du Nord a retrouvé son cours naturel."
Revue disponible auprès de Neige d'août, 58210 Champlemy
Librairies où se procurer Neige d'Août
Paris : Junkudo (1er ardt), Le Phénix (2eme ardt), Compagnie, Youfeng (5eme ardt), Tschann, La Hune, Ecume des Pages (6eme ardt), Va l'heur, Vendredi (11eme ardt), L'Arbre à Lettres, L'Astrée (17eme ardt), Anima, l'Humeur Vagabonde (18eme ardt), Equipages (20eme ardt)
Vincennes : Millepages
Nevers : Le Cyprès
Marseille : L'Odeur du Temps
Aix-en-Provence : Vents du Sud
Montpellier : Sauramps
Nantes : Vent d'Ouest
Quimper : Les Vents m'ont dit
Strasbourg : Librairie Kléber
Besançon : Les Sandales d'Empédocle
Séoul, Taipei : Centres culturels français
Québec : Hermès
Genève : Le Rameau d'Or