La brutalité de la colonisation japonaise de la péninsule coréenne, entre 1910 et 1945, détermine encore largement aujourd'hui les relations entre la Corée et le Japon. Alors que les relations avec la République de Corée (du Sud) ont été normalisées en 1965, sans toutefois que Tokyo ne présente d'excuses pour la colonisation de la péninsule coréenne, le Japon restant l'un des derniers Etats à ne pas avoir établi de relations diplomatiques complètes avec la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord). Dans ce contexte, les récentes initiatives prises dans le domaine des relations nippo-coréennes méritent d'être analysées en détail.
Reprise du dialogue humanitaire entre les Croix-Rouge du Japon et de la RPD de Corée pour la première fois depuis dix ans
Les 9 et 10 août 2012, des discussions ont eu lieu à Pékin entre les Croix-Rouge japonaise et de la République populaire démocratique de Corée, ainsi que l'a indiqué l'agence nord-coréenne KCNA dans un communiqué publié le 10 août, à l'issue de la rencontre. Toujours selon KCNA, "les deux parties ont eu une discussion approfondie sur la question des restes des Japonais se trouvant sur le territoire de la RPDC, soulevée par la partie japonaise, et ont approfondi leur compréhension mutuelle d'un point de vue humanitaire". Les Croix-Rouge des deux Etats ont convenu de poursuivre les discussions, après en avoir référé à leurs gouvernements respectifs.
Si les discussions bilatérales ont un objet strictement humanitaire, elles marquent cependant la première rencontre bilatérale entre les Croix-Rouge du Japon et de la RPD de Corée depuis 2002, et elles ne peuvent être disjointes du contexte général des relations bilatérales. Ainsi, en début d'année les Etats-Unis avaient relancé le dialogue engagé depuis 1996 avec leurs homologues nord-coréens sur la question du rapatriement des restes des soldats américains, morts pendant la guerre de Corée et se trouvant au Nord de la péninsule (et ayant conduit au rapatriement de centaines de corps, photo à gauche) - avant que les échanges ne soient interrompus le 21 mars, à l'initiative du Pentagone, dans un contexte de dégradation des relations bilatérales plusieurs jours après l'annonce par la RPDC du lancement d'un satellite artificiel.
Dans le cas d'espèce, l'initiative du dialogue entre le Japon et la RPD de Corée provient de la partie japonaise, selon KCNA. Elle tend à densifier des échanges maintenus dans quelques domaines d'intérêt mutuel, ne relevant pas directement du champ politique, comme en médecine où sont conduits des travaux conjoints sur l'étude des conséquences des bombardements nucléaires d'Hiroshima et de Nagasaki. Par ailleurs, sur le plan diplomatique, alors que l'arrivée au pouvoir des démocrates à Tokyo en août 2009 avait pu laisser entrevoir une amélioration des relations entre le Japon et la RPD de Corée - qui n'ont toujours pas établi de relations diplomatiques - les révélations par le site WikiLeaks de la tentative par le Japon de mettre en place un service de renseignements dirigé contre Pékin et Pyongyang a montré que le Parti du démocrate du Japon était partisan d'une ligne ultranationaliste, excluant tout dialogue sincère avec la RPD de Corée. Le Japon s'est ainsi retrouvé marginalisé vis-à-vis de la RPDC et aurait intérêt à renouer des canaux de dialogue directs avec Pyongyang, qui pourraient utiliser les réseaux humanitaires.
La visite du Président sud-coréen Lee Myung-bak à Dokdo : un froid dans les relations entre Séoul et Tokyo
Peuplées seulement par un couple âgé, les îles Dokdo, contrôlées par les garde-côte sud-coréens, sont l'objet d'un contentieux territorial ancien entre la Corée du Sud et le Japon, à propos duquel la Corée du Nord a par ailleurs toujours fermement rejeté les prétentions japonaises.
Une autre pomme de discorde dans les relations nippo-coréennes concernent la toponymie, décidée à une période où le Japon avait pu imposer ses vues à la communauté internationale sans que la Corée n'ait voix au chapitre. Ainsi, lors de la 10ème Conférence des Nations unies sur la normalisation des noms géographiques qui s'est tenue en juillet-août 2012, les deux gouvernements coréens ont à nouveau plaidé pour l'utilisation du nom "mer de l'Est", au moins conjointement avec celui de "mer du Japon". Une utilisation conjointe a été jugée souhaitable par la France lors de la récente conférence des Nations unies, mais sans qu'une décision n'ait été formellement prise - le sujet n'étant pas inscrit à l'ordre du jour.
En étant, le 10 août 2012, le premier chef d'Etat sud-coréen à se rendre dans les îles Dokdo, le Président Lee Myung-bak savait qu'il toucherait une corde sensible du sentiment national coréen. Il faisait aussi coup double, en essayant de faire oublier les conséquences désastreuses pour sa propre image dans l'opinion publique de la négociation secrète d'un accord de coopération militaire entre le Japon et la Corée du Sud, fondé notamment sur la coopération entre les services de renseignement sud-coréens et japonais sur la Corée du Nord. Woo Won-shik, porte-parole du Parti démocrate unifié (PDU, centre-gauche, principale formation d'opposition), a déclaré que si le Président Lee Myung-bak était réellement attaché à la souveraineté des îles Dokdo, il devrait appeler le Japon à se conformer à sa Constitution pacifiste en abrogeant le traité militaire nippo - sud-coréen.
La parution du nouveau Livre blanc japonais sur la défense est prévue dans une semaine : elle devrait réaffirmer les prétentions japonaises sur les îles Dokdo, appelées Takeshima par le Japon.
La réaction japonaise a été vive : dès l'annonce de la visite du Président Lee Myung-bak, le Japon a convoqué l'ambassadeur sud-coréen à Tokyo et a rappelé l'ambassadeur japonais à Séoul. Le ministre des Affaires étrangères japonais Koichiro Gemba a déclaré que le déplacement aurait "un grand impact sur les relations" bilatérales, et que le Japon réagirait "fermement".
Le gouvernement démocrate du Japon est engagé dans une surenchère nationaliste pour retrouver un plus grand crédit dans l'électorat japonais : ainsi, deux ministres ont annoncé le 10 août qu'ils se rendraient "à titre privé", la semaine prochaine, au sanctuaire de Yasukuni, où figurent les noms de quatorze criminels de guerre japonais condamnés par les Alliés en 1945. Ce serait une première pour des membres du gouvernement japonais depuis l'arrivée au pouvoir des démocrates en 2009.
Le 11 août, Koichiro Gemba a déclaré que le gouvernement japonais examinerait les "mesures visant à résoudre pacifiquement les différends sur la base du droit international, dont le recours à la Cour internationale de justice (CIJ)". La perspective d'internationaliser le différend territorial a été rejetée par un responsable sud-coréen sous couvert d'anonymat, observant qu'il n'était pas acceptable de remettre en cause la souveraineté coréenne sur les îles - qui de surcroît sont contrôlées par les gardes-côtes sud-coréens.
La date de la visite du Président Lee Myung-bak aux îles Dokdo coïncidait par ailleurs opportunément avec un match de football entre le Japon et la Corée du Sud, pour la médaille de bronze aux Jeux olympiques de Londres.
La médaille de bronze en football des guerriers Taeguk aux JO de Londres : une rencontre sportive à forte symbolique politique
En l'emportant (2-0) sur leurs rivaux japonais le 10 août 2012 à Londres, les footballeurs sud-coréens ont remporté une victoire historique en décrochant leur première médaille olympique - en bronze - en football.
L'accession des guerriers Taeguk à la troisième marche du podium signe la fin d'un parcours parfaitement maîtrisé. Dans le groupe B, après un match nul (0-0) contre les futurs vainqueurs mexicains, deux buts de Park Chu-young (57e) et Kim Bo-kyung (64e, ci-dessous félicité par Park Chu-young après son but) eurent raison de la Suisse (2-1), revenue au score à la score à la 60ème minute sur un but d'Emeghara. Le résultat conduisit à un message raciste d'un joueur suisse sur son compte Twitter, Michel Morganella, ayant entraîné son exclusion de la compétition. Enfin, le match nul contre le Gabon (0-0), lors de la dernière rencontre du groupe B, porta la Corée du Sud à la deuxième place du groupe, assurant sa qualification aux phases ultérieures de la compétition.
En quarts de finale, si un but de Ji Dong-won ouvrit le score pour les guerriers Taeguk à la 29ème minute, les Britanniques revinrent au score (1-1) sept minutes plus tard grâce à un but sur pénalty de Ramsey. La séance de tirs au but tourna à l'avantage des Coréens (5-4).
En demi-finale, si les guerriers Taeguk résistèrent efficacement aux Brésiliens pendant la première demi-heure de jeu, ratant même de peu l'ouverture du score, ils durent s'incliner (3-0) face à la redoutable sélection brésilienne (un but de Romulo à la 38e, deux buts de Damiao à la 57e et à la 64e).
Face au Japon, le match pour la 3ème place fut âprement disputé : une fois encore, Park Chu-young ouvrit le score à la 38ème minute, avant que Koo Ja-cheol ne double la mise à la 57ème minute. La médaille de bronze est aussi synonyme d'exemption du service militaire pour les joueurs. Kim Bo-kyung, qui joue à Cardiff, a déclaré que l'exemption du service militaire "lui fait autant plaisir que gagner la médaille de bronze", en observant que l'obligation de service militaire constitue un important handicap dans la carrière des joueurs sud-coréens.
Mais dans le contexte historique des relations entre la Corée et le Japon, les considérations politiques étaient fortement présentes, alors que l'équipe nippone avait déjà dû essuyer une défaite face au Cheollima nord-coréen en novembre 2011 lors des matchs de qualification de la Coupe du monde 2014. Le milieu de terrain Park Jong-woo est apparu déployant une banderole où il a proclamé la souveraineté coréenne sur les îles Dokdo (photo ci-dessous). Lors de la cérémonie de remise des médailles, il a été privé de podium et son nom n'a pas été annoncé, les organisateurs des Jeux estimant qu'un message politique était contraire à l'esprit de l'olympisme, tandis qu'une procédure a été ouverte par la FIFA.
Il convient de rappeler que le Comité international olympique (CIO) n'a guère de leçons à donner en matière de neutralité politique, au regard notamment de sa compromission avec le nazisme : le président du CIO lors des Jeux de 1936, Henri Baillet-Latour, admirateur de l'Allemagne nazie, était obsédé par le "péril" juif et communiste, et sera encore honoré par le président du CIO Jacques Rogge en 2010, avant que le CIO ne placer à sa tête pendant trois décennies un franquiste, le marquis de Samaranch. A présent, il importe que le cas de Park Jong-woo ne donne pas lieu à une nouvelle et détestable illustration de la règle du "deux poids deux mesures".
Principales sources :
- AAFC ;
- Chris Brummitt, "South Korean footballers to skip military service", article publié le 11 août 2012 sur le site néo-zélandais 3.news (dont photo) ;
- KBS, "Séoul obtient le plus large soutien international pour la nomination de la mer de l'Est", dépêche publiée le 7 août 2012 ;
- KBS, "La classe politique divisée sur la visite de Lee Myung-bak sur les îlots Dokdo", dépêche du 10 août 2012 ;
- KBS, "Visite historique de Lee Myung-bak à Dokdo", dépêche du 10 août 2012 (dont photo);
- KCNA, "Talks between Japan and DPRK Red Cross societies held in Beijing", dépêche du 10 août 2012 ;
- "Tensions nippo-coréennes autour des îles Dokdo-Takeshima", article publié par Le Monde le 10 août 2012 ;
- Reuters, "Controversy ! S.Korean told to miss medal ceremony", article publié sur le site India Times le 12 août 2012 ;
- Daniel Salvatore Schiffer, "JO - La sombre histoire du CIO : fascisme, nazisme et antisémitisme", article publié dans Le Point le 5 août 2012;
- "Pentagon suspends effort to recover remains of troops in North Korea", article publié par The Washington Post le 21 mars 2012 ;
- Wikipédia, "Football at the 2012 Summer's Olympics - Men's Tournament", article consulté le 12 août 2012.
- Xinhua, "Séoul rejette la démarche de Tokyo d'internationaliser la question des îles disputées", dépêche publiée le 12 août 2012.
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