Le 26 mars 2010, le Cheonan, corvette de la marine sud-coréenne, sombrait au large de l'île de Baegnyeong, à l'ouest de la péninsule coréenne, entraînant la mort de 46 marins. Suite à ce naufrage, sur la base d'une enquête controversée attribuant à la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) la responsabilité du drame du 26 mars, le gouvernement sud-coréen a pris des sanctions à l'encontre de la RPDC, malgré les dénégations de cette dernière. Ces sanctions ont porté le coup le plus sévère au dialogue intercoréen après l'arrivée au pouvoir des conservateurs en 2008 en Corée du Sud. Cinq ans après le naufrage du Cheonan, il apparaît plus urgent que jamais de rouvrir l'enquête pour établir de manière incontestable les causes réelles du naufrage du Cheonan. La thèse dite de la torpille nord-coréenne est en effet de plus en plus contestée, et pas seulement par la Corée du Nord.
Pour élucider les causes du naufrage de la corvette Cheonan, le 26 mars 2010, le gouvernement sud-coréen a mis en place un groupe d'enquête principalement composé d'experts civils et militaires de Corée du Sud et des Etats-Unis auxquels se sont joints ceux de deux pays alliés (l'Australie et le Royaume-Uni) et d'un pays neutre (la Suède). Dès le 20 mai 2010, le rapport intermédiaire du groupe d'enquête (confirmé le 13 septembre suivant) a imputé le naufrage du 26 mars à une torpille nord-coréenne, des accusations aussitôt rejetées par la RPD de Corée.
Sur la base des conclusions du rapport d'enquête intermédiaire, le gouvernement sud-coréen a pris le 24 mai 2010 des mesures de rétorsion contre la RPDC : reprise de la diffusion de messages de propagande par tracts et par haut-parleurs à la frontière avec le Nord, manœuvres sous-marines conjointes avec les Etats-Unis en mer de l'Ouest, fermeture du détroit de Jeju (extrême sud de la péninsule coréenne) aux navires nord-coréens, suspension des relations commerciales avec la RPDC, arrêt de tout investissement en RPDC, et restriction des contacts entre Coréens du Sud et du Nord. Ce sont ces mesures qui ont porté le coup le plus grave aux déclarations Nord-Sud pourtant signées au plus haut niveau des deux Etats coréens le 15 juin 2000 et le 4 octobre 2007.
A la veille du cinquième anniversaire du naufrage du Cheonan, le département politique de la Commission de la défense nationale de la RPD de Corée a tenu à exposer, le 24 mars 2015, ce qui reste la position de principe de la RPDC à l'égard des "mesures du 24 mai" consécutives à un naufrage "qui ne la concerne en rien":
"[...] Premièrement, nous ne modifierons pas notre position selon laquelle le Sud doit immédiatement lever les sinistres 'mesures' qu'il a concoctées sous le prétexte absurde de l'affaire du naufrage du navire de guerre Cheonan, sans perdre de temps. Ces 'mesures' s'appuient sur la fiction d'une 'implication du Nord dans le naufrage'.
L'absence de fondements justes rend ces mesures déraisonnables.
Deuxièmement, le Sud devrait clairement comprendre qu'exiger des 'excuses' et une 'expression de regrets' comme préalable à la levée des 'mesures' est un sophisme qui ne pourra jamais fonctionner.
Si quelqu'un demande au Nord de 's'excuser' pour lever les 'mesures', cela sera considéré comme une intolérable moquerie à l'égard de la RPDC et une déclaration de confrontation avec elle.
Si les autorités sud-coréennes souhaitent réellement une amélioration des relations Nord-Sud, elles doivent garder à l'esprit que la première chose à faire est de lever les 'mesures'.
Troisièmement, la RPDC maintient sa position selon laquelle l'enquête doit, si nécessaire, être immédiatement rouverte pour établir de manière scientifique la vérité sur ce naufrage qui a abouti à ces sinistres 'mesures', même si cela arrive tardivement.
Si les autorités sud-coréennes souhaitent réellement le règlement de cette question, elles doivent avoir le courage de prendre la décision d'accepter toutes les propositions faites par la RPDC pour régler l'affaire concernant le naufrage.
Si elles considèrent qu'il est difficile de répondre aux propositions de la RPDC, elles peuvent juste apporter à Panmunjom [dans la zone démilitarisée séparant les deux Corée], ou à tout autre endroit convenu, les matériaux et preuves liés au naufrage pour seulement laisser la RPDC livrer ouvertement au monde la vérité au sujet de cette affaire. […]"
Les "mesures du 24 mai" n'ont jamais été remises en question par les autorités de Séoul après 2010, malgré les doutes croissants sur la version américano-sud-coréenne d'une implication de la Corée du Nord dans le naufrage du Cheonan, doutes exprimés, dès la publication des résultats de l'enquête officielle, par, entre autres, les experts de la marine russe qui ont eu accès aux "preuves" avancées pour accuser la RPDC, par des scientifiques indépendants et même par un ancien membre du groupe officiel d'enquête.
A la suite de l'exposé du 24 mars 2015 de la "position de principe" de la Commission de la défense nationale, la mission de l'Armée populaire de Corée (du Nord) à Panmunjom a accusé les Etats-Unis d'avoir "monté l'affaire du naufrage du navire de guerre Cheonan et d'en avoir abusé pour intensifier leur politique hostile à l'égard de la RPDC":
"[… Le naufrage du Cheonan] a été orchestré par les Etats-Unis avec la sinistre intention de garder le contrôle de la Corée du Sud et du Japon, de les utiliser comme une brigade de choc dans la réalisation de leur ambition de domination mondiale et d'intensifier les actions visant à isoler et étouffer la RPDC après avoir trouvé des justifications pour un renforcement militaire dans la région. [...]"
La mission de l'Armée populaire de Corée cite notamment des experts de la marine russe selon lesquels le Cheonan pourrait avoir été coulé par un "tir ami", à savoir une torpille lancée depuis un sous-marin à propulsion nucléaire américain. La possibilité de la présence d'un sous-marin de grande taille à proximité du Cheonan le 26 mars 2010 a été évoquée à plusieurs autres reprises, notamment en novembre 2014 dans une étude scientifique publiée dans la revue Advances in Acoustics and Vibration.
De fait, le naufrage du Cheonan a constitué pour les Etats-Unis un événement tombant de manière très opportune pour justifier un renforcement de leur présence militaire dans la zone Asie-Pacifique, conformément à la stratégie dite du pivot asiatique, dans le cadre d'une politique d'encerclement de la Chine identifiée depuis le début des années 2000 comme le principal adversaire stratégique.
Sources :
"NDC Policy Department Clarifies DPRK's Principled Stand on 'May 24 Step'", KCNA, 24 mars 2015
"KPA Panmunjom Mission Discloses U.S. Criminal Abuse of Cheonan Warship Sinking for Hostile Policy toward DPRK", KCNA, 25 mars 2015
commenter cet article …