Le 16 janvier 2014, la Commission de la défense nationale de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) a émis des propositions présentées comme « cruciales » alors que les armées américaine et sud-coréenne doivent mener leurs exercices annuels Key Resolve et Foal Eagle de fin février à avril dans la péninsule coréenne. Au printemps 2013, ces exercices, d'une ampleur et une durée exceptionnelles, avec notamment l'engagement de bombardiers stratégiques capables d'emporter des bombes nucléaires, avaient provoqué une tension sans précédent dans la péninsule. Les propositions faites le 16 janvier par la RPDC aux autorités sud-coréennes sont destinées à empêcher qu'une crise comparable se reproduise cette année. La réponse du gouvernement de Séoul à ces propositions a été défavorable, obéissant ainsi à la stratégie des Etats-Unis prévoyant un renforcement de leur présence militaire dans la zone Asie-Pacifique.
Dans la continuité du discours de nouvel an du Premier président de la Commission de la défense nationale de la RPD de Corée Kim Jong-un appelant à « la création d’un climat favorable à l’amélioration des rapports Nord-Sud », la Commission de la défense nationale, plus haute instance de la RPDC, a fait trois propositions au gouvernement sud-coréen le 16 janvier 2014. Pour la Commission de la défense nationale, ces propositions, « une fois mises en pratique, rendront possible le règlement de toutes les questions, grandes ou petites, survenant dans les relations Nord-Sud, y compris la réunion des familles séparées » :
Premièrement, la Commission de la défense nationale propose de prendre « des mesures pratiques […] afin de créer une atmosphère propice à l'amélioration des relations Nord-Sud ».
Pour ce faire, il est proposé que chaque partie « mette fin aux actes de provocation et aux calomnies à l'égard de l'autre à partir du 30 janvier [2014], veille du nouvel an lunaire ».
Deuxièmement, la Commission de la défense nationale propose que chaque partie prenne « des mesures pratiques pour stopper les actes militaires hostiles contre l'autre, en réponse à l'appel historique pour la défense de la sécurité et de la paix de la nation [coréenne] », en référence au discours de nouvel an du dirigeant de la RPDC.
Dans l'immédiat, il est demandé aux autorités sud-coréennes d'annuler les exercices militaires Key Resolve et Foal Eagle menés conjointement avec les forces américaines en Corée, prévus cette année de fin février à avril. La Commission de la défense nationale suggère même que, « si la 'coordination' et la 'coopération' avec les Etats-Unis sont si précieuses et représentent une telle valeur [pour la Corée du Sud], ces exercices devraient prendre place dans une zone reculée ou aux Etats-Unis, loin de l'espace terrestre, maritime et aérien de la péninsule coréenne ».
En particulier, la RPDC demande qu'aucun acte de provocation n'ait lieu aux alentours des cinq îles de la mer de l'Ouest (mer Jaune), zone très sensible où les forces militaires des deux camps se font face. La Commission de la défense nationale affirme que « la RPDC agira de manière pratique et en premier pour la réalisation de cette proposition ».
Troisièmement, la Commission de la défense nationale propose de prendre « des mesures pratiques mutuellement bénéfiques pour prévenir un holocauste nucléaire [en Corée] ».
La RPDC rappelle que sa possession de l'arme nucléaire constitue « un moyen de dissuader les Etats-Unis de faire peser une menace nucléaire » et « ne servira jamais à exercer un chantage sur les compatriotes ni à leur causer du mal ».
La plus haute instance nord-coréenne demande donc « avec courtoisie » aux autorités sud-coréennes de « ne pas se livrer à des actions aussi imprudentes que laisser entrer les moyens de frappe nucléaire dangereux des Etats-Unis en Corée du Sud et dans les zones environnantes ».
Pour la RPDC, la Corée du Sud « devrait résolument en finir avec une attitude déloyale consistant à tolérer les armes nucléaires des étrangers susceptibles de porter atteinte à des compatriotes tout en refusant les armes nucléaires de ces compatriotes, lesquelles protègent la nation ».
Malgré le ton conciliant de la Commission de la défense nationale de la RPDC et l'ouverture que représentent ses propositions, le gouvernement sud-coréen, s'alignant sur la position des Etats-Unis, les a rejetées en bloc.
Le 17 janvier, le porte-parole du ministère de la Réunification a présenté les exercices militaires américano-sud-coréens à venir comme « défensifs et menés par un pays souverain », appelant la RPDC à renoncer à son programme nucléaire.
La réponse du ministère sud-coréen de la Réunification aux dernières propositions de la RPDC avait été précédée par la réaction de la Maison-Blanche, refusant de suspendre les exercices militaires Key Resolve et Foal Eagle.
Au cours des exercices militaires américano-sud-coréens « défensifs » de mars-avril 2013, l'armée américaine avait envoyé en Corée du Sud deux bombardiers stratégiques furtifs B-2 depuis leur base du Missouri, à plus de 10 000 km de là. Par cette démonstration de force, les Etats-Unis signifiaient à la Corée du Nord, entre autres, qu'ils ont la capacité de frapper qui ils veulent, quand ils veulent, même à grande distance.
Quant à la « souveraineté » revendiquée par le gouvernement sud-coréen, elle apparaît entamée par la présence de 30 000 soldats des Forces des Etats-Unis en Corée du Sud (USFK), l'armée américaine conservant au moins jusqu'en 2015 le contrôle opérationnel de l'armée sud-coréenne en cas de conflit.
Il est à noter que l'entier exercice de la souveraineté sur le sol national fut le principal argument avancé par le président de la République française Charles de Gaulle quand il décida, en 1966, de retirer les forces françaises des commandements intégrés de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) et de fermer les bases militaires étrangères implantées en France.
En outre, la présence militaire américaine pèse sur l'économie de la Corée du Sud qui doit la financer en partie. Selon l'Accord sur les mesures spéciales signé le 12 janvier 2014 par les gouvernements américain et sud-coréen, la contribution financière de la Corée du Sud à la présence militaire américaine augmentera de 5,8 % en 2014 pour atteindre 920 milliards de wons (635 millions d'euros). Cet accord, le neuvième du genre depuis 1991, s'appliquera jusqu'en 2018, la contribution annuelle sud-coréenne devant dépasser les 1 000 milliards de wons (690 millions d'euros) en 2017, dans l'hypothèse d'une croissance des prix à la consommation de 2 à 3 %.
Mais la Corée du Sud semble revêtir une importance croissante dans le dispositif des Etats-Unis dans la zone Asie-Pacifique, suivant les nouvelles directives stratégiques pour la défense américaine rendues publiques en janvier 2012 :
« Les intérêts économiques et sécuritaires des Etats-Unis sont inextricablement liés aux développements dans l'arc s'étendant de l'ouest du Pacifique et de l'Asie de l'Est à la région de l'Océan Indien et à l'Asie du Sud, créant un mélange de défis et d'opportunités en évolution. En conséquence, alors que l'armée des Etats-Unis continuera à contribuer à la sécurité au niveau mondial, nous rééquilibrerons par nécessité [nos efforts] vers la zone Asie-Pacifique.» [dernière partie soulignée dans le document original]
Conformément à cette stratégie dite du pivot asiatique, d'abord destinée à contrer l'émergence de la puissance chinoise, un bataillon blindé américain est parti des Etats-Unis le 9 janvier 2014 pour être déployé dans la région sud-coréenne du Gyeonggi, près de la ligne frontalière avec le Nord. Ce bataillon, composé de 800 hommes, de chars Abrams M1A2 et de blindés Bradley M2A3, avait été déployé en Irak avant de retourner aux Etats-Unis.
Un tel « déploiement circulaire » de l'armée américaine en Corée du Sud n'est pas inédit : en avril 2013, pendant la crise provoquée par les exercices militaires américano-sud-coréens, le 23ème bataillon chimique de la 2ème division de l'USFK, unité spécialisée dans les attaques biochimiques, était revenu dans la ville d’Uijeongbu de la province du Gyeonggi, après avoir quitté une première fois la péninsule coréenne en 2004.
D'autre part, selon une information révélée en janvier 2014 par le Bulletin of the Atomic Scientists (publication fondée en 1945 par les physiciens du Projet Manhattan suite aux bombardements de Hiroshima et de Nagasaki), plus de 60 % des patrouilles des sous-marins nucléaires de la marine américaine, d'une durée moyenne de 70 jours, se concentrent désormais dans l'Océan Pacifique, dans la perspective d'éventuelles frappes contre la Chine, la Corée du Nord ou la Russie.
Dans de telles conditions, il n'est pas étonnant que, selon l'édition 2013 de l'enquête annuelle menée par la société Gallup auprès de 66 000 personnes dans 65 pays, les Etats-Unis sont considérés comme la « plus grande menace actuelle pour la paix mondiale » par 24 % des personnes interrogées.
Sources :
"NDC of DPRK Advances Crucial Proposals to S. Korean Authorities", KCNA, 16 janvier 2014
Defense Strategic Guidance, département de la Défense des Etats-Unis, janvier 2012
« Partage des coûts de défense pour l’USFK, 920 Mds de wons en 2014 », Yonhap, 12 janvier 2014
End of the Year Survey, WIN/Gallup International, 30 décembre 2013
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