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26 décembre 2011 1 26 /12 /décembre /2011 12:35

Alors que la France a ouvert, début octobre, un bureau de coopération à Pyongyang, la réaction du ministère français des Affaires étrangères et européennes après la mort du Président Kim Jong-il détonne : non seulement la France n'a pas adressé de messages de condoléances (à la différence, par exemple, de la Corée du Sud), mais les termes même employés poursuivent manifestement davantage des objectifs de politique intérieure qu'une volonté d'approfondir les relations d'échanges et de coopération avec la République populaire démocratique de Corée. L'AAFC déplore vivement les conséquences de ce communiqué dont elle estime, au mieux, qu'il a été adopté en méconnaissance des réactions prévisibles des Nord-Coréens pour l'avenir de nos relations bilatérales, au pire que ses rédacteurs ont volontairement souhaité limiter les marges d'action du directeur du bureau français de coopération à Pyongyang, dont l'ouverture avait donné lieu à de longs débats au sein de l'exécutif français.
    
Quai-d'Orsay

Dans un communiqué intitulé "Décès du dirigeant Nord-Coréen Kim Jong-il (19 décembre 2011)", le ministère français des Affaires étrangères et européennes réagit en ces termes à cette nouvelle, qu'il a apprise par les médias de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) :

"Nous avons appris ce matin la nouvelle du décès du dirigeant nord-coréen Kim Jong-il.

La France rappelle son attachement à la paix et à la stabilité dans la péninsule et marque son espoir d’une évolution positive du régime nord-coréen, qu’il s’agisse du régime des libertés, de la stabilité de la péninsule ou du respect de ses obligations internationales en matière de non-prolifération nucléaire.

Nous suivons avec la plus grande vigilance la situation, en lien avec nos partenaires et alliés. Nos pensées vont d’abord en ce jour au peuple nord-coréen qui souffre depuis de trop nombreuses années de la misère et des privations de droits de l’Homme.  

Comme le Ministre d’Etat l’a exprimé ce matin, la France espère que la Corée du Nord pourra un jour retrouver sa liberté. Elle continuera son action en faveur du peuple nord-coréen, notamment par l’appui aux programmes humanitaires visant à améliorer ses conditions de vie
".

Même si la France est - avec l'Estonie - l'un des deux derniers pays de l'Union européenne à ne pas avoir établi de relations diplomatiques complètes avec la RPD de Corée, l'absence de condoléances après la mort d'un chef d'Etat en exercice n'en reste pas moins un geste non conforme aux usages diplomatiques. Par exemple, les Etats-Unis avaient adressé un message de condoléances après la mort, en 1994, du Président Kim Il-sung de la RPD de Corée, alors que Washington et Pyongyang n'ont toujours pas établi de relations diplomatiques.

Cette année, les Etats-Unis ont fait le choix, très contestable, de ne pas adresser de condoléances - ce que l'homme d'Etat américain Bill Richardson a jugé être une erreur -, tout en employant des termes néanmoins plus mesurés que ceux de la diplomatie française :

- l'expression d' "espoirs" et d' "attentes" est des plus étranges, sinon des plus maladroits : la RPD de Corée est un Etat souverain, qui estime à juste titre n'avoir pas à recevoir de leçons politiques ; que diraient les Français si, à la mort en exercice de son chef d'Etat, un Etat étranger lui faisait savoir son espoir de transformer notre système politique ?

- déclarer que la situation est suivie "avec la plus grande vigilance" procède, certainement, d'une erreur de positionnement : si les Etats-Unis ont engagé, immédiatement après l'annonce de la disparition du Président Kim Jong-il, des concertations avec leurs alliés sud-coréen et japonais, notamment au plan militaire, dans l'hypothèse (inavérée) d'instabilité de la péninsule, la France n'exerce pas les fonctions de "gendarme" de l'Asie ;

- le discours misérabiliste sur les "pensées" du gouvernement français qui iraient aux Nord-Coréens qui souffrent procède d'une grave méconnaissance de la culture asiatique : c'est un discours chrétien, relevant d'une pensée totalement étrangère à la culture confucéenne qui a marqué et marque encore profondément les sociétés d'Asie de l'Est, où l'on considère que ses propres malheurs sont aussi la conséquence de son comportement ;

- en Corée, il est d'usage de manifester sa douleur lors de la disparition d'une personne qui vous est chère, et les  Nord-Coréens éprouvent sincèrement un vif chagrin après la disparition de celui qui était le père de la nation ; dans ce contexte d'affliction, parler, comme le fait le Quai d'Orsay, de souffrance des Nord-Coréens au regard des difficultés économiques et des droits de l'homme apparaît comme une instrumentalisation politique, qui ne peut qu'être perçue comme grossière par les populations nord-coréennes ; le gouvernement de Séoul, qui partage la même culture coréenne, a évidemment évité toute allusion de ce genre, en sachant qu'elle aurait été perçue par Pyongyang au mieux comme une grave méconnaissance des règles de politesse, au pire comme une provocation ;

- appeler, dans ce contexte, à la poursuite des programmes d'aide humanitaire, n'est guère judicieux : si tel est effectivement l'objet du bureau de coopération français à Pyongyang, l'engagement en faveur des populations suppose de tenir compte des réalités, c'est-à-dire des sentiments sincères des Nord-Coréens, en évitant toute maladresse en période de deuil national ; les diplomates nord-coréens qui auront à analyser le message français devront évidemment réévaluer les relations avec la France à la lumière des usages diplomatiques ; si le ministère français des Affaires étrangères avait voulu maintenir un canal de coopération avec Pyongyang, il aurait mieux fait d'éviter de mettre dans la balance les leçons de morale politique et le versement d'une aide non seulement modeste mais, plus que jamais, conditionnée à des critères politiques.

Comment le Quai d'Orsay a-t-il pu oublier à ce point que l'aide d'urgence française n'obéit jamais à des considérations politiques ? Pourquoi avoir mélangé ainsi les questions de coopération et un appel "à la liberté" lancé par le ministre d'Etat Alain Juppé dans un contexte aussi peu approprié, sauf à rejoindre les positions des néoconservateurs américains qui militent de longue date en faveur d'un changement de régime ? Même le gouvernement des Etats-Unis, qui ont davantage les moyens de leur politique d'intervention extérieure, ne prend pas la posture du missionnaire armé après la disparition du Président Kim Jong-il.

En réalité, l'histoire des relations diplomatiques entre la France et la République populaire démocratique de Corée (RPDC) bégaie : pour la deuxième fois, les diplomates du Quai d'Orsay cherchent à justifier a posteriori la réaction à
chaud d'un des plus hauts responsables de la diplomatie française.

Alors que la France a été le premier grand Etat occidental à établir des relations avec la RPD de Corée, avec l'ouverture par le général de Gaulle d'un bureau commercial nord-coréen à Paris en 1968 (élevé par François Mitterrand au rang de délégation générale, et abritant aussi l'ambassade de la RPDC auprès de l'UNESCO), un concours de circonstances fait perdre à la France une occasion majeure de normaliser ses relations avec Pyongyang, qui aurait permis de se conformer à la tradition diplomatique française de reconnaître les Etats et non les régimes. En 2000,  au lendemain du premier sommet intercoréen, interrogé sur l'absence de relations diplomatiques entre la France et la RPDC, le Président Jacques Chirac avait affirmé que seuls quelques Etats européens avaient franchi ce pas, et aucun des "grands" pays européens. Erreur : le Royaume-Uni et l'Allemagne venaient d'annoncer l'ouverture de relations diplomatiques avec Pyongyang, mais sans en référer à la France qui présidait, pourtant, l'Union européenne. Jacques Chirac se met en colère, et le Quai d'Orsay doit alors trouver a posteriori des justifications à ce qui n'était qu'une réaction d'humeur. Ce sont alors les fameuses trois conditions mises par la France à l'ouverture de relations diplomatiques avec la RPD de Corée (des progrès sur la question nucléaire, sur les droits de l'homme et les relations intercoréennes), qu'on retrouve d'ailleurs pratiquement repris tels quels dans le deuxième paragraphe du communiqué du ministère des Affaires étrangères et européennes.

Or la France n'a aucun moyen réel de peser sur la question nucléaire, n'étant pas partie aux pourparlers à six sur le nucléaire nord-coréen, et elle n'a pas davantage de levier d'influence sur l'évolution des relations intercoréennes. Par ailleurs, alors que les entreprises des autres pays européens voient dans la RPD de Corée la promesse de nouveaux débouchés sur une Asie de l'Est en plein boom, la France est handicapée par sa politique de "splendide isolement" vis-à-vis de Pyongyang, tout en laissant mourir l'apprentissage du français en Corée du Nord. Au fil des années, le fait qu'une telle politique soit contraire à nos intérêts nationaux apparaît de plus en plus clairement. L'ouverture du bureau français de coopération à Pyongyang, en octobre 2011, a été le moyen de reprendre pied sur la scène coréenne, tout en attendant une percée diplomatique internationale pour franchir le cap de la reconnaissance complète de la RPD de Corée.

Las, ce schéma semble avoir vécu : si la France ne change pas de cap, sa prise de position peu subtile pour rattraper les propos du ministre d’Etat risque de limiter encore les marges de manœuvre dont dispose le directeur du bureau français de coopération à Pyongyang - un directeur sans moyens humains, pratiquement sans moyens financiers, et dépourvu du sésame qu’aurait constitué le titre d’ambassadeur de plein exercice. L’AAFC souhaite que le bureau français de coopération à Pyongyang puisse continuer à exercer pleinement ses missions et développer les relations bilatérales entre nos deux pays.

 

Les funérailles du Président Kim Jong-il sont prévues à Pyongyang le 28 décembre. L'AAFC rappelle à toutes et à tous qu'un registre de condoléances est ouvert à la délégation générale de la République populaire démocratique de Corée en France, rue Asseline (Paris 14ème), de 10h à 18h, jusqu'au mardi 27 décembre inclus.

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