Quand les dirigeants d'Etats rivaux des Etats-Unis sont morts, les gouvernements américains ont présenté leurs condoléances : c'était le cas, par exemple, en 1953, à la mort de Joseph Staline. De même, Washington avait adressé des messages de condoléances à l'annonce du décès de Mao Zedong en 1976. En 1994, les Etats-Unis ont aussi présenté leurs condoléances lors de la disparition du président nord-coréen Kim Il-sung. En choisissant de ne pas envoyer de condoléances après la mort de Kim Jong-il, le Gouvernement américain a fait jusqu'ici le choix, délibéré ou non, de rompre les pourparlers engagés avec la République populaire démocratique de Corée sur la dénucléarisation de la péninsule coréenne. Les néo-conservateurs américains en rêvaient, Barack Obama l'a fait : pour la première fois, un gouvernement américain exprime sa volonté de rompre les négociations diplomatiques en cours avec un Etat étranger à l'occasion de la mort de son dirigeant.
Dans un communiqué publié dans la soirée du 19 décembre 2011, Hillary Clinton, secrétaire d'Etat américaine, a indiqué qu' "avec la disparition du président de la Commission de défense nationale, Kim Jong-il, la République populaire démocratique de Corée (RPDC) est dans une période de deuil national (...) Nous sommes profondément concernés par le bien-être du peuple nord-coréen et nos pensées et nos prières seront pour eux durant cette période difficile (...) C’est notre espoir de voir le nouveau leadership de la RPDC choisir la voie de la paix en respect de la promesse de la Corée du Nord pour une amélioration de ses relations avec ses voisins et des droits de l’Homme (...) Les Etats-Unis sont prêts à aider le peuple nord-coréen et demandent à nouveau le leadership de travailler avec la communauté internationale afin d’introduire une nouvelle ère de paix, prospérité et sécurité durable dans la péninsule coréenne".
Volontiers messianique, en choisissant le langage des "prières" davantage issu du sermon d'un pasteur protestant que du style diplomatique, un tel message direct au "peuple nord-coréen" n'est pas dans les usages diplomatiques, qui veut que les gouvernements s'adressent aux autres gouvernements. Il prend de surcroît un ton de donneur de leçons bien peu respectueux de la souveraineté des Etats, identique à celui qui a justifié, naguère, les guerres américaines, en Irak, en Afghanistan et en Libye. Il foule aux pieds les traditions de la diplomatie américaine, pourtant respectées après la disparition du Président Kim Il-sung en 1994, en refusant cette année l'emploi du terme de "condoléances". Il s'agit d'un choix délibéré, comme l'a indiqué la porte-parole du département d'Etat américain, Victoria Nuland.
Mais que cherche Washington en ayant ainsi choisi, comme l'on dit en Asie, de faire perdre la face à Pyongyang ?
Un principe de base de la diplomatie est de fonder les discussions d'Etat à Etat sur le respect de la souveraineté des autres pays et de leurs gouvernements. Refuser l'expression de condoléances, comme l'ont fait jusqu'à présent les Etats-Unis dans le silence assourdissant de Barack Obama, manifeste la volonté, implicite ou explicite, de ne pas considérer son interlocuteur comme digne d'un dialogue. Dans ce contexte, l'accord sur le programme d'enrichissement d'uranium nord-coréen, dont avaient fait état les médias occidentaux avant l'annonce de la disparition du Président Kim Jong-il, apparaît bel et bien mort-né.
Les néo-conservateurs nourrissent un vieux fantasme : voir les régimes qui ne s'alignent pas sur les canons de la démocratie parlementaire à l'occidentale s'effondrer d'eux-mêmes. Alors que tout indique au contraire une continuité de l'Etat en République populaire démocratique de Corée, Hillary Clinton fait sienne une vieille lune des néo-conservateurs, que jusqu'ici les diplomates de carrière du Département d'Etat avaient pourtant réussi à balayer, en prouvant l'ineffectivité en de telles circonstances. Le gouvernement sud-coréen, soucieux de maintenir des relations diplomatiques avec Pyongyang, et mieux au fait des coutumes en Asie du Nord-Est, a d'ailleurs réagi différemment de Washington en présentant des condoléances, certes avec vingt-quatre heures de retard sur Pékin et Moscou: les leçons des quatre années perdues pour le dialogue intercoréen, lors du refus de Séoul de présenter des condoléances à la mort de Kim Il-sung, n'ont pas été oubliées. A Washington, la voie diplomatique de la raison a donc échoué, au profit de déclarations intempestives plus fondées sur la politique de la canonnière que sur la recherche d'une solution négociée à une guerre qui, depuis près de six décennies, n'a toujours pas pris fin sur le sol de la péninsule coréenne.
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