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18 mars 2019 1 18 /03 /mars /2019 21:31

Le président des Etats-Unis Donald Trump et le dirigeant de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) Kim Jong-un ont tenu les 27 et 28 février 2019 à Hanoï leur second sommet pour discuter d'un démantèlement du programme nucléaire nord-coréen en échange de garanties de sécurité et d'une levée des sanctions. Mais les négociations ont pris fin sans qu'un accord soit signé, même si les deux dirigeants se sont quittés en bons termes. L'opposition entre la RPDC et les Etats-Unis se double d'une dispute entre les partisans d'une approche progressive, action pour action, de la dénucléarisation de la Corée du Nord, et les partisans d'une dénucléarisation totale et immédiate de cette dernière, approche du « tout ou rien » qui a toujours échoué.

Interrogé par l'agence Reuters le 5 mars 2019, Moon Chung-in, conseiller spécial pour la sécurité du président sud-coréen Moon Jae-in, a observé que les Etats-Unis avaient durci soudainement leur position en appelant la Corée du Nord à un démantèlement total de ses programmes nucléaire et balistique, en dépit de l'espoir né auparavant d'un accord pour une approche par étapes.

« Les Etats-Unis ont formulé des demandes excessives à l'égard de la Corée du Nord pour parvenir à grand accord, tandis que le Président Kim [Jong-un] était trop confiant quant à sa capacité à persuader [le président américain Donald] Trump de faire ce qu'il veut pour la fermeture du principal complexe nucléaire de Yongbyon  », a dit Moon Chung-in.

Le conseiller du président sud-coréen a notamment pointé un discours prononcé le 31 janvier 2019 à l'université Stanford par l'envoyé spécial américain pour la question nucléaire Stephen Biegun, dans lequel ce dernier promettait de rechercher des engagements parallèles et une « feuille de route pour des négociations et des déclarations ».

Mais à Hanoï, la partie américaine a rétro-pédalé et appelé à un accord global, a affirmé Moon.

« Après le discours de Biegun à Stanford, j'avais la forte impression qu'ils étaient réalistes, mais, lors du sommet, ils ont vraiment adopté une position du "tout ou rien" », a dit Moon, déclarant aussi qu'on serait parvenu à un accord si le Nord s'était engagé à abandonner ses activités d'enrichissement de l'uranium menées sur d'autres sites que sa principale usine de Yongbyon.

Le 4 mars 2019, à Washington, Stephen Biegun a déclaré lors d'une conférence que « la diplomatie était toujours très active », même si les Etats-Unis observent attentivement ce qu'il se passe sur un site nord-coréen de lancement de fusée où un nouveau tir pourrait être imminent. En effet, selon le Centre d'études stratégiques et internationales (Centre for Strategic and International Studies), un groupe de réflexion américain, des images prises par satellite révèlent une reprise des activités sur la base de lancement de Sohae (ou Tongchang-dong Pongdong-ri, sur la côte occidentale de la RPDC), signe de possibles préparatifs d'un lancement. Biegun a aussi rejeté l'approche progressive voulue par la Corée du Nord, en disant qu'un allègement des sanctions en échange de mesures partielles reviendrait à financer les programmes d'armement nord-coréens.

L'échec apparent du sommet de Hanoï a été un coup dur pour le Président Moon Jae-in, lequel promeut un engagement avec la Corée du Nord et a tenu trois sommets avec le Dirigeant Kim Jong-un en 2018 (en avril, mai et septembre). En particulier, le président sud-coréen espérait qu'un accord apporterait un assouplissement des sanctions américaines et permettrait un redémarrage de la coopération économique inter-coréenne, y compris de la zone industrielle de Kaesong (fermée en février 2016) et de la zone touristique des monts Kumgang (fermée en juillet 2008).

Pour le conseiller du Président Moon, la Corée du Sud pourrait jouer un rôle de facilitateur entre la Corée du Nord et les Etats-Unis. La tâche des Sud-Coréens risque cependant de ne pas être facile car, aux Etats-Unis, John Bolton, conseiller à la sécurité nationale du Président Donald Trump, ne cesse depuis la fin du sommet de Hanoï d'envoyer des messages destinés à faire pression sur la RPDC.

John Bolton, conseiller à la sécurité nationale du Président Trump

John Bolton, conseiller à la sécurité nationale du Président Trump

Considéré comme un « super-faucon » à l'égard de la Corée du Nord - dont il a théorisé depuis longtemps l'« étranglement économique » afin de la faire céder -, Bolton semblait en retrait pendant le second sommet entre les Etats-Unis et la RPDC, mais il s'est retrouvé ensuite en première ligne dans la campagne de pression contre cette dernière.

Ainsi, dans des entretiens accordés aux chaînes américaines NBC et Fox News le 10 mars 2019, Bolton a adressé une mise en garde à la Corée du Nord suite aux informations selon lesquelles les activités avaient repris sur la base de lancement de Sohae. Interrogé sur ce qu'il pensait d'un possible prochain lancement de missile ou de satellite par la Corée du Nord, Bolton a répondu : « Je ne vais pas spéculer sur ce que montrent les images d'un satellite commercial en particulier. [...]  Nous voyons exactement ce que [les Nord-Coréens] font maintenant. Nous gardons les yeux grand ouverts, et nous n'avons aucune illusion sur ce que sont leurs capacités. »

Bolton a aussi rappelé que Trump a déclaré à plusieurs reprises considérer la suspension des tests nucléaires et balistiques comme un signe positif. Mais interrogé sur la possibilité de mettre fin aux négociations si la Corée du Nord lançait un satellite ou un missile, Bolton a répondu qu'il ne spéculerait sur cela non plus, ajoutant que Trump est « confiant quant à ses relations » avec Kim Jong-un. On peut interpréter ce message comme un avertissement indirect à destination de la Corée du Nord pour qu'elle ne prenne pas des mesures susceptibles d'aggraver la situation, du point de vue américain.

Bolton a poursuivi en insistant sur le « grand accord » voulu par Washington, à savoir une levée des sanctions en échange d'un abandon par la Corée du Nord de toutes ses armes de destruction massive, dont ses armes nucléaires et ses missiles balistiques.

« Depuis le début, nous avons aussi inclus les les armes chimiques et biologiques parmi leurs armes de destruction massive à éliminer  », a dit Bolton. « C'est important pour la Corée du Sud et pour le Japon [où sont déployées des troupes américaines] »

Concernant une approche progressive de la dénucléarisation de la Corée du Nord, Bolton a adressé une fin de non-recevoir, déclarant que le Président Trump est « déterminé à éviter les erreurs faites par les présidents précédents, l'une de ces erreurs étant de tomber dans le piège nord-coréen du action pour action ».

Bolton a donc réaffirmé l'intention des Etats-Unis de maintenir les sanctions en place contre la RPD de Corée, laquelle « veut la levée des sanctions économiques », ce qui permet « à l'avantage économique [des Etats-Unis] dû aux sanctions de mettre la pression sur la Corée du Nord ».

« L'avantage est maintenant du côté [des Etats-Unis], pas de la Corée du Nord », a expliqué Bolton. C'était « une des raisons pour lesquelles tous les commentateurs et experts prédisant un accord à Hanoï avaient tort ».

Ces déclarations du conseiller à la sécurité nationale du Président des Etats-Unis sonnent comme un demi-aveu : le sommet de Hanoï était voué à l'échec parce que des membres éminents de l'administration américaine, partisans d'une solution maximaliste, inacceptable en l'état - le renoncement immédiat et total de la Corée du Nord à sa force de dissuasion nucléaire en échange de vagues promesses économiques et de sécurité -, l'avaient décidé.

Ce changement de pied de l'administration américaine, après les espoirs soulevés par la rencontre de Singapour de juin 2018, ne pouvait qu'inciter la République populaire démocratique de Corée à envisager une révision de sa propre position.

Ainsi, le 15 mars 2019, au cours d'une rencontre avec la presse étrangère à Pyongyang, la vice-ministre nord-coréenne des Affaires étrangères, Choe Son-hui, a annoncé que la RPDC réexaminait si elle continuera ou non les pourparlers de dénucléarisation avec les Etats-Unis et maintiendra ou non le moratoire sur les tirs de missiles.

« Nous n'avons, en aucun cas, ni l'intention de céder aux demandes des Etats-Unis [proposées lors du sommet de Hanoï], ni la volonté d'engager des négociations de ce genre », a indiqué la vice-ministre Choe.

Elle a ajouté que le Dirigeant Kim Jong-un décidera bientôt de rester ou non sur la voie du dialogue et de s'abstenir ou non de tirer des missiles et d'effectuer des essais nucléaires, une déclaration dans la droite ligne du discours de Nouvel an du dirigeant de la RPDC :

Si les Etats-Unis, au lieu de tenir les engagements qu’ils ont pris au vu et au su du monde entier, interprètent mal la patience du peuple coréen et tentent d'imposer certaines choses à la RPDC et de poursuivre toujours leurs sanctions et pressions contre elle, force nous serait de chercher une nouvelle voie permettant de sauvegarder la souveraineté du pays et les intérêts suprêmes de l’Etat ainsi que d’obtenir la paix et la sécurité dans la péninsule coréenne.

Discours de Nouvel an de Kim Jong-un, 1er janvier 2019

Choe Son-hui n'a toutefois pas critiqué directement le Président Trump, tout en soulignant la bonne « alchimie » entre les dirigeants de RPDC et des Etats-Unis.

« Les relations personnelles entre les deux dirigeants suprêmes sont toujours bonnes et l'alchimie est mystérieusement merveilleuse », a-t-elle même fait remarquer.

Le bureau présidentiel sud-coréen Cheong Wa Dae a de son côté affiché sa ferme volonté de continuer à œuvrer à la reprise du dialogue de dénucléarisation entre Pyongyang et Washington quelle que soit la situation.

« En toutes circonstances, notre gouvernement travaillera pour la reprise des négociations Corée du Nord-Etats-Unis », a assuré Yoon Do-han, conseiller aux relations publiques du bureau présidentiel, dans un communiqué de presse.

Mais la volonté affichée de la Corée du Sud de servir d'intermédiaire entre les Etats-Unis et la Corée du Nord, conjuguée au front uni offert par la Chine, la Russie et, bien sûr, la Corée du Nord en faveur d'une dénucléarisation par étapes et aux bons rapports personnels entre Kim Jong-un et Donald Trump seront-ils suffisants face à la « vieille » vision géopolitique des faucons de l'administration américaine désireux d'entretenir les tensions en Corée pour justifier un encerclement du grand adversaire stratégique des Etats-Unis qu'est la Chine ?

Le dispositif militaire des Etats-Unis en Asie de l'Est (Carte extraite de  Barthélémy Courmont et Céline Pajon, « La relation transatlantique et l'Asie du Nord-Est : front ou division? »,Centre d'études transatlantiques, août 2007)

 

Sources :

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